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African Population Studies
Union for African Population Studies
ISSN: 0850-5780
Vol. 19, Num. 2, 2004, pp. 159-190

African Population Studies/Etude de la Population Africaine, Vol. 19, No. 2, August 2004, pp. 160-191

Les différences ethniques des comportements sexuels au Cameroun : l’exemple des Bamiléké et Bëti[1]

RWENGE Mburano Jean-Robert

Institut de Formation et de Recherche, Démographiques (IFORD), Yaoundé, Cameroun

Code Number: ep04017

RÉSUMÉ

Cet article examine les différences des comportements sexuels entre les ethnies Bamiléké (caractérisée par une forte cohésion familiale, forte domination des femmes et des mœurs sexuelles rigides) et Bëti (caractérisée par une faible cohésion familiale, des rapports de genre souples et mœurs sexuelles permissives) du Cameroun. Cet article tente aussi d’expliquer ces différences en comparant les deux groupes ethniques selon les discours des leaders traditionnels et les opinions des individus sur la sexualité. Les données utilisées sont issues d’une double enquête quantitative et qualitative menée par l’IFORD  en mars-avril  2000 à Bafoussam  et Mbalmayo. Il est ressorti des analyses multivariées des données quantitatives que toutes choses égales par ailleurs les Bëti sont plus enclins que les Bamiléké à être infidèles et à avoir des rapports sexuels occasionnels. Il en est aussi ressorti que le risque de ne pas utiliser les condoms au cours des rapports sexuels est plus élevé chez les premiers que les seconds. Les discours des leaders traditionnels sur la virginité et la fécondité pré-maritales et l’infidélité et les opinions des individus sur la sexualité ont dans une certaine mesure conforté les résultats issus des données quantitatives. La principale recommandation découlant des résultats de ce travail est que le contenu des programmes de prévention des IST/sida devrait tenir compte des spécificités des  populations étudiées. Comme les mœurs sexuelles sont permissives chez les Bëti, les messages de sensibilisation dans lesquels on insiste sur la fidélité et l’abstinence sexuelle  seraient probablement inefficaces chez eux. L’on devrait plutôt y promouvoir davantage l’utilisation des condoms par les femmes et  les hommes. Des études psychosociales mériteraient alors d’être promues afin de mieux comprendre pourquoi la prévalence de l’utilisation des condoms est plus faible dans ce groupe que chez les Bamiléké.

INTRODUCTION

Parmi les 27,9 millions de personnes ayant été infectées par le VIH à travers le monde entre le début de la pandémie et la mi – 1996, 93 % vivaient dans les pays en développement (AIDSCAP et al., 1996), dont la majeure partie en en Afrique sub-Saharienne (68 %) et en Asie du Sud (18 %). Comme dans le cas du VIH, les IST se retrouvent davantage dans ces deux dernières régions (AIDSCAP et al., Op. Cit.).

A ces différences régionales de prévalence des IST/sida correspondent celles des modes de transmission de ces maladies. Alors qu’en Afrique,   celles-ci se transmettent principalement par voie sexuelle et dans une certaine mesure par transfusion sanguine, dans d’autres continents elles se transmettent aussi par partage ou réutilisation d’aiguilles ou de seringues infectées. Prenant en compte cette spécificité, le principal objectif des programmes de prévention des IST/sida  en Afrique est de sensibiliser les individus sur l’utilisation des condoms, la fidélité et l’abstinence sexuelle. Dans presque tous les pays de ce continent les connaissances des individus sur le sida et les moyens de sa prévention se sont considérablement améliorées. Quelques études réalisées en Afrique de l’Est, particulièrement en Tanzanie et en Ouganda, ont montré que le nombre de nouveaux cas a diminué dans ces pays (AIDSCAP et al., Op. Cit.). Ce qui témoigne de l’augmentation de la proportion des individus adoptant des comportements destinés à réduire la transmission du VIH par voie sexuelle. Cependant, ces signes encourageants sont difficilement généralisables à l’ensemble des autres pays d’Afrique sub-Saharienne, où les données comportementales fiables manquent. De même, malgré ces signes, le taux d’incidence demeure élevé. L’association d’une diminution des taux  de prévalence et de la persistance de la survenue de nouveaux cas  signifie qu’une proportion importante d’individus adoptent encore dans ces pays des comportements sexuels « à risque ». Le multi6partenariat, les rapports sexuels occasionnels et la non – utilisation   du condom au cours des rapports sexuels « à risque » y sont donc encore fréquents.

Il ressort des études antérieures plusieurs hypothèses permettant d’expliquer ce phénomène ; parmi celles-ci l’hypothèse socioculturelle est la plus pertinente à l’étape actuelle de la progression du sida. En effet, Cohen, (cité par Peto, Remy et al., 1992), en introduisant le temps dans son analyse, suggère que l’hypothèse socio-économique est davantage pertinente au début de l’épidémie et  l’hypothèse socioculturelle au fur et à mesure qu’on avance dans l’épidémie. Cependant, cette dernière hypothèse n’a pas encore suffisamment été vérifiée. En effet, dans la plupart des recherches démographiques antérieures, des données quantitatives ont été utilisées pour conforter l’hypothèse de la permissivité des mœurs sexuelles de certains groupes ethniques mais on ne sait pas encore si les individus appartenant aux groupes à mœurs sexuelles permissives adoptent plus rapidement que d’autres des attitudes préventives positives dans le contexte actuel du sida. Les premiers  utilisent davantage les condoms  que les seconds ? Par ailleurs, dans très peu de travaux, des données qualitatives récentes ont été utilisées pour valider les résultats des études quantitatives et expliquer les différences des comportements sexuels observées entre groupes ethniques. Il nous  a  alors  semblé intéressant de mener une étude sur les différences ethniques des comportements sexuels en combinant les approches quantitative et qualitative.

Il s’agit  spécifiquement ici d’une étude comparative des Bamiléké et Bëti du Cameroun.  Les deux ethnies sont de  type patriarcal qui diffèrent notablement aux niveaux de l’organisation familiale, des rapports de genre et des mœurs sexuelles. L’ethnie Bamiléké est  caractérisée par une forte cohésion familiale, une forte domination des femmes et des mœurs sexuelles rigides. L’ethnie Bëti est,  à l’opposé, caractérisée par une faible cohésion familiale, des rapports de genre souples et des mœurs sexuelles permissives.

Dans  l’exposé qui suit nous présenterons d’abord le cadre conceptuel et les hypothèses, ensuite les données et quelques caractéristiques des échantillons et enfin les méthodes d’analyse et les résultats.

HYPOTHÈSES ET CADRE CONCEPTUEL

Nous présumons ici que les comportements sexuels des individus expriment leur culture. En effet, chaque individu appartient à un groupe ethnique, qui a ses mœurs sexuelles et  ses normes et valeurs socioculturelles en matière de sexualité. Celles-ci sont intériorisées par les individus au moment de leur socialisation. De même, les constructions ethniques des statuts et rôles des hommes et des femmes dans la société ou la famille et des rapports entre les hommes et les femmes déterminent de la même façon les comportements sexuels des individus.

Fig 1

L’ensemble des mœurs,  normes et valeurs socioculturelles constituent les modèles culturels. Ces derniers changent avec l’urbanisation et la scolarisation. Ainsi, dans les groupes ethniques où les mœurs sexuelles sont rigides on assisterait à l’émergence des attitudes libérales.

La première hypothèse qui sera vérifiée dans le présent article est que l’ethnie influence les comportements sexuels. L’intensité des comportements sexuels « à risque », y compris la non utilisation des condoms, serait davantage élevée chez les Bëti que les Bamiléké. 

La seconde hypothèse est que les différences des comportements sexuels entre les deux groupes ethniques traduiraient celles des modèles culturels de genre et sexualité.

DONNÉES

Les données utilisées sont issues de  l’enquête sur « Culture, Genre, Comportements Sexuels et IST/sida au Cameroun. (Provinces de l’Ouest et du Centre) » (ECGSMBAF) menée par l’IFORD en mars-avril 2000 à Bafoussam (milieu Bamiléké, chef lieu de la province de l’Ouest) et Mbalmayo (milieu Bëti, province du centre, situé à une quarantaine de kilomètres de Yaoundé). Cette enquête a permis de collecter auprès de 1679 individus âgés de 15-49 ans, dont 786 à Mbalmayo et 893 à Bafoussam, plusieurs types de données : les données sur  les caractéristiques socioculturelles (ethnie, religion, milieu de résidence, état – matrimonial, etc.) et socio-économiques (niveau d’instruction, occupation, etc.) des individus et les données sur les comportements sexuels (le fait d’avoir eu les rapports sexuels avec un (des) partenaire (s) autre (s) que le conjoint ou le partenaire régulier au cours des douze derniers mois, le fait d’avoir eu les rapports sexuels occasionnels au cours de la même période, le fait d’avoir eu les rapports sexuels au cours de cette période en échange de l’argent, des cadeaux, des habits, etc.  et  l’utilisation des condoms au moment de l’enquête).

Cette enquête a permis aussi de collecter les données qualitatives à travers des entretiens approfondis et des discussions de groupe. Les  sujets abordés sont les suivants :

  • Les opinions des individus sur les statuts et rôles des femmes et les rapports entre hommes et femmes ;
  • Les opinions des individus sur la sexualité ;
  • Les motivations au multi6partenariat ;
  • Les opinions des individus sur le pouvoir décisionnel de la femme dans le domaine de la sexualité ;
  • Les normes et valeurs socioculturelles relatives à la sexualité ;
  • Les normes et valeurs socioculturelles relatives au genre ;
  • Les aspects socioculturels défavorables à l’amélioration du statut des femmes.

Les questions examinées dans le présent article sont celles portant sur les normes et valeurs socioculturelles en matière de sexualité et les opinions des individus sur la sexualité. C’est à partir de celles-ci qu’ont été inférées les modèles culturels de genre et sexualité.

Les questions sur les normes et valeurs socioculturelles ont été abordées pendant les entretiens approfondis et les discussions de groupe auxquels ont participé les leaders traditionnels alors que celles portant sur les opinions sur la sexualité pendant les entretiens approfondis auxquels les hommes et femmes mariés, les hommes et femmes célibataires, ont participé. Dans le cas des leaders traditionnels, 5 entretiens et 1 discussion de groupe ont été réalisés en milieu Bëti et 4 entretiens et 1 discussion de groupe en milieu Bamiléké. De même, dans le premier milieu, 4 discussions de groupe auxquelles ont participé les hommes ont été réalisées  ainsi que 4 autres auxquelles ont participé les femmes. Dans le second milieu, 3 discussions de groupe ont été réalisées avec les hommes et 3 autres avec les femmes. Enfin, dans chacun des deux milieux 8 entretiens approfondis ont été réalisés avec les hommes et 8 autres avec les femmes. Nous récapitulons dans le tableau suivant le nombre de discussions de groupe et celui des entretiens approfondis réalisés, selon le milieu.

Tableau 1

Principales caractéristiques des échantillons

Age, état matrimonial et type d’union

Le tableau 2 présente les distributions des personnes enquêtées selon le sexe et les caractéristiques socio-démographiques. A Mbalmayo 24,9 % des femmes enquêtées sont âgées de 15-19 ans, 22,0 % de 20-24 ans, 14,6 % de 25-29 ans, 12,7 % de 30-34 ans, 13,8 % de 35-39 ans et 10,2 % de 40-49 ans. A Bafoussam ces proportions sont respectivement 26,1 %, 27 %, 17 %, 10,0 %, 9,3 % et 10,6 %. Ces données montrent que les femmes âgées de moins de 30 ans sont un peu plus représentées dans l’échantillon de Bafoussam que dans celui de Mbalmayo.

A Mbalmayo 42,6 % des femmes enquêtées sont célibataires et 34,2 % sont mariées. A Bafoussam 40,4 %  sont célibataires et 51 % sont mariées.  Chez les hommes ces proportions sont respectivement 58,1 % et 19,7 % à Mbalmayo et 59,7 % et 37,1 % à Bafoussam. C’est le signe d’un plus grand encadrement social des femmes, en particulier dans le second milieu. Les unions libres sont davantage contractées dans le premier milieu (respectivement 20,7 % et 18,4 % chez les hommes et femmes) que le second (1,4 % et 3,5 %). C’est le signe non seulement de la liberté des hommes et femmes Bëti dans le choix de leurs conjoints mais aussi de leur liberté sexuelle. Parmi les femmes en union, celles ayant contracté les unions polygamiques sont deux fois plus représentées à Bafoussam  (28,1 %) qu’à Mbalmayo (13,6 %).

Ethnie et religion

Comme le montre le tableau 3, à Mbalmayo la majorité des individus enquêtés appartient au groupe ethnique Bëti. Il s’agit notamment des individus appartenant aux ethnies Ewondo (68,4 %), Eton (4,2 %) et Boulou (5,2 %) qui représentent ensemble 77,8 %. A Bafoussam, ce sont les Bamiléké (89 %) qui représentent la majorité des individus enquêtés.

A Mbalmayo, 64,1 % des femmes sont  chrétiennes catholiques, 25,9 % sont  chrétiennes protestantes, 3,2 %  musulmanes, 3,2 %  adventistes, 1,6 % pentecotistes, 1,3 %   témoins de jehovah  et 0,9 % sont animistes, adeptes de religions traditionnelles ou d’autres religions. A Bafoussam, les femmes protestantes (46,7 %)  sont plus représentées dans l’échantillon que les femmes  catholiques (34,7 %). Les femmes musulmanes (3,5 %),  témoins  de Jehovah (2,2 %), pentecôtistes (0,7 %), adventistes (0,7 %), animistes ou adeptes de religions traditionnelles (2,9 %)  et adeptes d’autres religions (8,6 %) y sont aussi faiblement représentées. Ainsi ces données montrent que les femmes chrétiennes catholiques sont plus représentées à Mbalmayo qu’à Bafoussam. A cela il faut ajouter qu’à Bafoussam les femmes croient au culte des ancêtres([2]) et le pratiquent en même temps qu’elles essaient de se conformer aux règles des religions chrétiennes. On peut alors présumer que l’influence que celles-ci ont sur leurs attitudes est moins forte. On connaît en effet le rôle important que jouent les religions chrétiennes dans l’alphabétisation des femmes et l’égalité morale entre celles-ci et les hommes. Comme les femmes résidant en  région Bamiléké sont aussi adeptes des religions traditionnelles, c’est qu’elles sont moins touchées que les autres par les effets de la christianisation dans les domaines de l’émancipation des femmes et de leur égalité avec les hommes.

Niveau d’instruction et occupation principale

Le tableau 4 donne la répartition des femmes enquêtées à Mbalmayo selon leur  niveau d'instruction. Celle-ci révèle que la majorité des femmes enquêtées dans ce milieu sont de niveau secondaire premier degré (53,3 %). Les femmes de niveau primaire représentent 29,8 % de l’ensemble et celles de niveau secondaire second degré 15,3 %.  Dans ce milieu, le pourcentage de femmes n’ayant pas été à l’école ou étant de niveau supérieur est très faible (1,6 %).  A Bafoussam, 38,9 % des femmes enquêtées sont de niveau secondaire premier degré. Le pourcentage de femmes de niveau primaire et celui de femmes de niveau secondaire second degré sont respectivement 37,3 % et 19,5 % dans ce milieu.  De même à Bafoussam, 2 % des femmes sont non instruites et 2,6 % de niveau supérieur.

Les données précédentes montrent  que le niveau d’instruction des femmes enquêtées à Mbalmayo est  un peu plus élevé que celui des femmes de Bafoussam mais, quel que soit le milieu, les hommes ont un niveau moyen plus élevé, et dans les couples il est plus fréquent que les hommes soient plus instruits que leurs partenaires de sexe féminin. On observe, par exemple, à Mbalmayo que 18,2 % des hommes sont de niveau primaire alors que la proportion des femmes ayant le même niveau est environ deux fois plus élevée, soit 29,8 %. Il découle de cette situation que les hommes de niveau secondaire (24,9 %) sont davantage représentés dans l’échantillon de Mbalmayo que les femmes ayant le même niveau d’instruction (15,3 %). De même, dans cet échantillon on ne retrouve presque pas les femmes de niveau supérieur (0,8 %) alors que les hommes de ce niveau y sont quand même représentés (4,4 %).

Les femmes ménagères sont deux fois représentées à Bafoussam (24,4 %) qu’à Mbalmayo (11,2 %). Les femmes agricultrices et commerçantes sont en revanche proportionnellement plus nombreuses dans la seconde zone (33,2 % et 14,2 %) que la première (20,2 % et  9,2 %).  Cependant, quel que soit le milieu, dans la  plupart des couples, les  femmes sont inactives, ménagères ou travaillent dans les secteurs  traditionnel et informel  alors que les hommes sont majoritairement actifs et plus représentés dans le secteur moderne de l’économie.

MÉTHODES D’ANALYSE

Pour analyser les données quantitatives, les méthodes descriptives et les méthodes  multivariées d'analyse des données ont été utilisées. Dans le premier cas, nous avons recouru aux tableaux croisés pour présenter les proportions des individus ayant adopté tel ou tel  comportement sexuel. Nous avons  recouru dans le second cas surtout aux modèles multivariés de régression logistique. Le choix de ces modèles d’analyse est justifié par le fait que tous les indicateurs de comportements sexuels que nous étudions sont dichotomiques. On retrouve dans chaque modèle,  un indicateur de comportements sexuels, qui est la variable à expliquer, et l’ethnie, qui est la principale variable explicative. Les autres variables explicatives considérées sont l’activité principale, le niveau d’instruction, l’état matrimonial, l’âge, le secteur de résidence et le sexe. Leur prise en compte a permis de mettre en évidence l’effet intrinsèque de l’ethnie sur chaque indicateur de comportements sexuels.

L’analyse des données issues des entretiens approfondis et discussions de groupe a été ensuite faite en recourant à la technique d’analyse thématique. Celle-ci s’apparente davantage à la technique d’analyse des relations par opposition (ARO) qu’à celle de l’analyse propositionnelle des discours (APD). Les critères de découpage de la première méthode sont sémantiques et non syntaxiques comme dans le cas de l’APD (Leger et Florang, 1995 ; Matalon et Rodolphe, 1995). Cette dernière méthode est, en d’autres termes, davantage une technique d’analyse du contenant alors que la première est plus proche de ce que l’on peut attendre de l’analyse du contenu.

L’organisation des catégories et la sélection de celles condensant le contenu essentiel([3]) ont été faites thème par thème.  Le plan d’analyse utilisé a été conçu en fonction des thèmes et sous-thèmes ou questions constituant les guides  d’interviews utilisés pendant la collecte des données qualitatives.

RÉSULTATS

Données quantitatives

Occurrence des rapports sexuels extra-couples

Les rapports sexuels extra-couples sont les rapports sexuels que les individus ont eus avec des partenaires autres que les partenaires réguliers (ères). Un (e) partenaire régulier (ère) désigne une personne de sexe opposé avec qui on a habituellement des rapports sexuels. Les rapports sexuels réguliers sont donc intimes, stables et prioritaires par rapport à d’autres.

Le tableau 5 montre que la proportion des individus ayant eu des rapports sexuels extra-couples au cours des douze derniers mois est plus élevée dans le groupe Bëti (39,4 %) que Bamiléké (22,3 %). Il ressort aussi de ces données que quel que soit le groupe ethnique les femmes sont moins enclines à l’ « infidélité » que les hommes. L’écart entre les deux sexes semble toutefois plus grand chez les Bamiléké que les Bëti. Par ailleurs, les femmes Bëti sont proportionnellement plus infidèles que les Bamiléké.

Le tableau 6 présente les résultats issus des analyses mutivariées de régression logistique de l’occurrence des rapports sexuels extra-couples.  Les modèles pas-à-pas ont été utilisés en considérant l’ethnie comme variable indépendante de base. Les autres variables indépendantes ont été introduites successivement en commençant par les variables socio-économiques (activité économique et niveau d’instruction), ensuite les variables socio-démographiques (état matrimonial, âge et secteur de résidence) et enfin le sexe.

Les résultas issus des analyses multivariées renforcent les précédents.  Il ressort notamment du tableau 6 que quel que soit le modèle considéré le risque d’avoir eu les rapports sexuels extra-couples au cours des douze derniers mois précédant l’enquête varient significativement selon le groupe ethnique. Toutes choses égales par ailleurs, les Bëti ont 2,78 fois plus de risque que les Bamiléké de s’être comportés de la sorte au cours de la période de référence. L’examen des différents modèles multivariés révèlent que l’introduction successive des autres variables indépendantes considérées n’ont fait que renforcer les différences ethniques de l’occurrence des rapports sexuels extra-couples, en particulier quand l’activité, l’état matrimonial et le sexe ont été introduits.

Occurrence des rapports sexuels occasionnels et des rapports sexuels rétribués

Les rapports sexuels occasionnels sont les rapports sexuels que les individus ont eus avec des partenaires occasionnels. Nous entendons ici par partenaire occasionnel (le), une personne avec qui un individu a eu des rapports sexuels de façon fortuite et avec qui il n’a pas l’intention de continuer dans l’activité sexuelle. Les rapports sexuels rétribués sont les rapports sexuels que les individus ont eus en échange des de vêtements, de l’argent, de cadeaux ou d’autres choses.

Il ressort du tableau 7 que la fréquence des rapports sexuels occasionnels est, elle aussi, plus élevée chez les Bëti (30,1 %) que les Bamiléké (10,6 %). L’écart entre les deux groupes est particulièrement marqué, passant du simple au triple pour chaque sexe.  Ainsi,  pour  les hommes on passe de 18,2 % à 44,9 % et chez les femmes de 3,2 % à 11,6 %.  On observe en outre que la proportion des femmes ayant eu des rapports sexuels occasionnels au cours des douze derniers mois est plus faible que celle des hommes. La multiplication des aventures sexuelles occasionnelles est donc davantage une pratique des hommes dans les deux groupes ethniques. Cependant, de même ici, l’écart entre les hommes et les femmes est plus élevé chez les Bamiléké que les Bëti.

La proportion des individus ayant eu au cours des douze derniers mois des rapports sexuels en échange de l’argent, des cadeaux ou d’autres choses est  faible chez les Bamiléké (4,9 %) et assez importante chez les Bëti (12,7 %).  Lorsqu’on tient compte du sexe elle devient négligeable chez les femmes Bamiléké (1,5 %) au contraire de ce qui ressort chez les Bëti (7,5 %). En revanche, elle devient deux fois plus élevée que la proportion globale chez les hommes Bamiléké (8,3 %) mais la proportion observée chez les hommes Bëti (19,6 %) est  davantage élevée. Les hommes s’engagent dans les deux groupes ethniques davantage que les femmes dans l’activité sexuelle rétribuée.

De même dans le cas présent, les résultats issus des modèles multivariés de régression logistique sur l’occurrence des rapports sexuels occasionnels confortent les précédents. Le tableau 8 montre notamment que, toutes  choses égales par ailleurs, les Bëti ont 2,60 fois plus de risque que les Bamiléké d’avoir eu les rapports sexuels occasionnels au cours de la période de référence considérée. Faisons remarquer que l’âge, le sexe et l’état matrimonial ont été aussi pris en compte dans le cas de ce type d’activité sexuelle.

En définitive, ces résultats suggèrent que la société Bëti serait plus permissive sur le plan sexuel que la Bamiléké.

Utilisation des condoms au cours des rapports sexuels

La non-utilisation des condoms par les individus au cours des rapports sexuels « à risque » les expose aux IST/sida.

Il ressort du tableau 9 que la proportion des individus ayant déclaré utiliser les condoms au cours des rapports sexuels au moment de l’enquête est faible dans les groupes Bëti (20,5 %) et Bamiléké (34,1 %). On observe toutefois que les premiers sont moins enclins que les seconds à utiliser les condoms au cours des rapports sexuels. La différence entre les deux groupes persiste lorsqu’on tient compte du sexe des personnes enquêtées. Chez les  hommes la proportion des utilisateurs des condoms est moins élevée dans le groupe Bëti (28 %) que Bamiléké (41,7 %). Parmi les femmes ces proportions sont respectivement 12,6 % et 26,5 %. Comme attendu, quel que soit le groupe ethnique, les femmes sont moins enclines que les hommes à utiliser les condoms au cours des rapports sexuels.

Au contraire notamment des indicateurs des comportements sexuels sus-examinés,  dans le cas de l’utilisation des condoms, le tableau 10 montre que les Bëti  ont 54 % moins de chance que les Bamiléké d’utiliser les condoms au moment de l’enquête, les autres critères considérés supposés être aussi ici les mêmes.  Les effets de l’ethnie sur cette modalité des comportements sexuels n’ont pas sensiblement changé quand les effets des autres variables indépendantes ont été contrôlées. Dans le cas présent, les effets de  toutes les variables autres que l’ethnie sont aussi très significatifs à l’exception de l’occupation de la femme.

Complications dues aux IST

Les variations observées selon le sexe et l’ethnie au niveau des comportements sexuels traduisent celles de la prévalence des IST. Nous allons indirectement nous en rendre compte ci-dessous à partir des données relatives aux complications que les individus ont eues au cours des 12 derniers mois au niveau des organes génitaux.

Les données du tableau 11 montrent que la proportion des individus ayant eu au cours des douze derniers mois n’importe quel  type  de complications au niveau de leurs organes génitaux est plus élevée dans le groupe Bëti que Bamiléké. Par exemple, la proportion des individus ayant eu des ulcérations, boutons, plaies… à ce niveau est de 15,9 % dans le premier groupe et 8 % dans le second, soit proportionnellement environ deux fois plus élevé dans le premier groupe que le second. De même, la proportion des individus ayant eu des douleurs en urinant est de 11,5 % dans le groupe Bëti et 6,5 % dans le groupe Bamiléké. Celle des individus ayant eu des écoulements de pus au niveau des organes génitaux est de 9,3 % dans le premier groupe et trois fois plus faible dans le second (3 %). En contrôlant le sexe ou l’état matrimonial on obtient les mêmes résultats.  Dans le cas particulier des femmes, 25,5 % des femmes Bëti et 17,8 % des femmes Bamiléké ont eu des pertes vaginales abondantes au cours de la période considérée. En contrôlant l’état matrimonial, l’écart entre les deux groupes augmente chez les mariées et diminue plutôt chez les célibataires. Ces résultats sont cohérents avec les analyses précédentes, dans la mesure où le risque de complications dépend de celui d’avoir eu les rapports extra-conjugaux, occasionnels ou non protégés. Or ce triple risque s’est avéré plus élevé globalement chez les Bëti que chez les Bamiléké.

Données qualitatives

Nous allons à présent analyser les discours des leaders traditionnels et des individus sur la sexualité afin de valider les résultats issus des données quantitatives et mettre en évidence les hypothèses d’explication des différences ethniques des comportements sexuels observées.

Normes et valeurs socioculturelles en matière de sexualité selon les discours des leaders traditionnels

Virginité et fécondité pré-maritales

Selon la plupart de nos informateurs, on n’accorde pas une grande importance chez les Bëti à la virginité de la fille avant le mariage : « que deux conjoints se connaissent bien après le mariage, ça ne marche pas ici chez-nous » (leader traditionnel Bëti, 76 ans, Nsenglong, Mbalmayo). La principale raison invoquée pour justifier cette attitude est que la fécondité pré-maritale est un vœu et parfois même une exigence : « c’est une chance même d’avoir une fille qui a eu un enfant avant le mariage. C’est une preuve de maturité avant le mariage ; mon petit-fils qui est même là est né comme ça » (leader traditionnel Bëti 64 ans, Nkolngock, Mbalmayo) ;  « ma fille qui vient de passer là a fait connaissance d’un garçon Mvog-Betsi, ils se sont connus et ils ont fait un enfant que voici » (leader traditionnel Bëti, 76 ans, Nsenglong, Mbalmayo).

Les enfants naturels sont donc bien accueillis en région Bëti. Les pères souhaitent même que les filles leur laissent des enfants naturels avant de se marier. Les propos suivants le montrent : « ma fille me donne un enfant avant le mariage (…)  je serai tellement content si j’ai un remplaçant, un petit-fils ; cela ne peut pas amener des problèmes » (leader traditionnel Bëti, 51 ans, Avebe, Mbalmayo) ;  « Moi, je vais tolérer ma fille qu’avant d’aller en mariage, qu’elle me laisse un enfant (…) parce que si elle accouche avant d’aller en mariage, dans ma maison ; je vais dire que ma fille n’a pas l’ ‘akyae’ (une forme de stérilité due à un envoûtement). On dit que si une fille qui a l’ ‘akyae’ se marie, si ce n’est pas son mari qui meurt, c’est son enfant qui mourra. Or en accouchant avant de se marier, c’est la preuve qu’elle n’en a pas » (leader traditionnel Bëti, 51 ans, Avebe, Mbalmayo).

Ainsi, si l’on se réfère aux discours tenus par nos informateurs pendant la discussion de groupe, chez les Bëti le visiteur n’a pas besoin de l’autorisation des parents de la jeune fille pour séjourner chez elle, en accord avec le proverbe Bëti « ngon esiki ngal esia » (« la fille n’est pas la femme de son père »). Ce qui veut dire que le père n’a le droit d’exercer aucun contrôle sur la vie sexuelle de sa fille.

La virginité du garçon avant le mariage quant à elle n’a pas non plus d’importance chez les Bëti,  selon nos informateurs. Elle est même, selon eux, une situation anormale dans ce milieu socioculturel : « quand l’homme avait déjà l’âge d’avoir les rapports sexuels, s’il ne le faisait pas on pensait qu’il était malade » (leader traditionnel Bëti, 51 ans, Avebe, Mbalmayo).

Au contraire des Bëti, la virginité de la fille avant le mariage est très valorisée chez les Bamiléké. Elle est même exigée, selon nos informateurs. La fécondité pré-maritale de la fille y est par conséquent interdite. Il est en effet rare chez les Bamiléké  qu’une fille ayant eu un enfant avant le mariage puisse se marier: « Mais ça traditionnellement, on sait qu’elle a perdu le mariage car en fait elle n’a pas dans ce cas la même estime que celle qui part en mariage étant vierge. C’est à partir de la virginité qu’elle a même la confiance de son mari » (leader traditionnel Bamiléké, 62 ans, Bamendzi, Bafoussam) ; « chez-nous les Bamiléké ce n’est pas ça, une femme se marie avant d’avoir un enfant » (leader traditionnel Bamiléké, 52 ans, Tio Baleng, Bafoussam) ; « selon la tradition Bamiléké, il ne faut même pas mettre l’accent du côté du garçon ; c’est du côté de la fille que ça pèse (..) puisque quand elle fait un enfant avant de se marier, elle réduit ses chances d’avoir un mari » (leader traditionnel Bamiléké, 57 ans, Tamdjo, Bamiléké).

Enfin, si l’on se réfère aux propos de nos informateurs sur le début de l’activité sexuelle, on dirait que dans la société Bamiléké l’inactivité sexuelle pré-maritale du garçon est aussi bien perçue mais non exigée comme chez la fille : « non, cette exigence était moins pour le garçon » (leader traditionnel Bamiléké, 62 ans, Bamendzi, Bafoussam).

L’infidélité 

Dans l’ensemble, selon nos informateurs, l’infidélité est très fréquente en pays Bëti. Elle est même selon un de nos informateurs, la cause principale des conflits dans son village. Le même informateur évoque l’existence de la prostitution hospitalière chez les Bëti : « Moi j’entends même que quelqu’un qui a plusieurs femmes peut en passer à ses frères ou à ses visiteurs, mais dans ce cas avant de partir tu dois d’abord aller travailler en brousse pour le mari » (leader traditionnel Bëti, 51 ans, Avebe, Bafoussam).

Cette forme de prostitution consiste donc à prêter une femme à un visiteur ou à un ami en séjour chez soi. Mais, selon le même informateur, la femme prêtée est habituellement, si c’est un homme polygame, l’une des plus jeunes épouses, ou l’une des épouses délaissées ; s’il s’agit d’un monogame, le choix porte sur la propre fille ou la sœur de l’hôte.

Des pratiques similaires non soulignées pendant les entretiens individuels ressortent de la discussion de groupe notamment la pratique du « nga » et de celle de l’ « eban ». La première consiste à ce qu’un homme sexuellement impuissant ou un homme économiquement pauvre donne sa femme ou l’une de ses femmes, avec le consentement de celle-ci, à un autre homme. La seconde consiste à ce qu’un homme mette en gage sa femme ou une de ses femmes soit pour rembourser  une dette qu’il avait contractée, soit pour payer des amendes exigées lors d’un procès qu’il a perdu.

Comme selon le droit coutumier Bëti une femme mariée ne peut pas accorder ses faveurs sexuelles à une tierce personne sans l’accord de son mari, hormis le cas de l’infidélité liée à l’hospitalité mentionnée plus haut, l’infidélité de la femme est condamnée en milieu traditionnel Bëti. Mais selon nos informateurs elle est un peu tolérée : «quand on découvre qu’une femme mariée est infidèle, la première des choses est qu’on la ramène à la raison (…)  il existe des assises familiales pendant lesquelles on essaie toujours d’arranger un peu » (leader traditionnel Bëti, 56 ans, Ngallan, Mbalmayo) ; « on appelle son mari et sa femme et on dit à celle-ci de choisir si elle veut continuer sa vie dans le mariage ou avec l’homme adultérin » (leader traditionnel Bëti, 64 ans, Nkolngock, Mbalmayo). A l’homme adultérin il est parfois exigé de remettre à la victime une dame-jeanne de vin rouge, un coq ou bien même un mouton : « on dit à l’homme qui a commis l’adultère (…) tu dois amener une dame-jeanne de vin rouge, un coq ou bien un mouton » (leader traditionnel Bëti, 51 ans, Avebe, Mbalmayo).

Au contraire des Bëti, aucun de nos informateurs n’a évoqué dans son discours le fait que l’infidélité est fréquente en milieu traditionnel Bamiléké.  Un d’entre eux a même précisé qu’elle est très rare dans ce milieu : « la femme infidèle (…) le problème c’est d’en trouver chez les Bamiléké ; c’est très rare » (leader traditionnel Bamiléké, 52 ans, Tio Baleng, Bafoussam). Selon tous nos informateurs, l’infidélité de la femme est très condamnée chez les Bamiléké. Ils sont contrairement aux informateurs Bëti catégoriques à propos : « chez les Bamiléké, celle qui est infidèle, on l’appelle bordelle (…) les punitions sont toujours très sévères » (leader traditionnel Bamiléké, 52 ans, Tio Baleng, Bafoussam) ; « une femme infidèle, elle est écartée du cercle (…) donc elle est mise à l’écart » (leader traditionnel Bamiléké, 56 ans, Bafoussam); « une femme mariée infidèle (…) ça se présente très mal chez nous » (leader traditionnel Bamiléké, 57 ans, Tamdjo, Bafoussam) ; « traditionnellement, on met la femme sur la place publique et on la hue » (leader traditionnel Bamiléké, 57 ans, Bafoussam). Un de nos informateurs a même fait remarquer qu’en cas d’infidélité, la femme mise en cause était expulsée du village : « ici à l’Ouest, l’adultère lorsqu’il se posait au village on expulsait seulement la femme  du village» (leader traditionnel, 62 ans, Bamendzi, Bafoussam). On ne rencontre par conséquent pas chez les Bamiléké des pratiques d’infidélité liée à l’hospitalité similaires à celles qu’on observe chez les Bëti.

L’infidélité de l’homme y est aussi mal perçue et sanctionnée : « si vous avez commis l’adultère avec une femme au village, on vous arrête et on vous expulse pour éviter les conflits avec l’époux victime » (leader traditionnel Bamiléké, 62 ans, Bamendzi, Bafoussam). Mais généralement, les hommes sont moins sanctionnés que les femmes. Selon nos informateurs, la principale justification est que l’homme Bamiléké est habituellement polygame : « parce que chez-nous un homme peut avoir chez-lui même 10 femmes mais une femme ne peut pas avoir 10 hommes  (..) une femme avec un homme mais un homme peut avoir plusieurs femmes » (leader traditionnel Bamiléké, 52 ans, Tio Baleng, Bafoussam) ; « parce qu’on se dit que l’homme peut être capable d’avoir même 50 femmes » (leaders traditionnels, Focus Group Discussion, Bafoussam).

Opinions des individus sur la sexualité

Virginité pré-maritale

La question sur la virginité pré-maritale a été abordée pendant les entretiens individuels et les discussions des groupes auxquels ont participé les hommes et les femmes, marié (e) s  et célibataires.

La plupart de nos informatrices Bëti trouvent normal qu’une fille reste vierge jusqu’au mariage. Une seule, en l’occurrence une femme adulte célibataire de niveau secondaire, trouve cela anormal. Nos informatrices pensent que la préservation de la virginité permet à la fille d’éviter la fécondité pré-maritale et les IST et de mieux poursuivre ses études. Celle qui a une opinion défavorable sur ce sujet pense en revanche que les jeunes filles Bëti devaient profiter du fait que leur virginité pré-maritale n’a pas une grande valeur dans leur tradition pour améliorer leur situation économique :

« Il y a d’autres coutumes qui aiment ça comme chez les musulmans mais ici chez-nous ce n’est pas la même chose (…) Quand tu as déjà connu un homme comme moi, si je trouve quelqu’un qui veut m’épouser, il ne peut pas me dire que comme tu as déjà perdu ta virginité, je refuse de t’épouser, non il ne peut pas (…) Et si elle a besoin de quelque chose, elle est obligée de sortir avec les hommes » (Femme Bëti adulte célibataire, niveau secondaire, Mbalmayo).

Les propos de notre informatrice célibataire confortent donc l’hypothèse selon laquelle dans la tradition Bëti, il n’y aurait pas des normes en matière de nuptialité basées sur la virginité de la fille. Les opinions des autres informatrices traduisent leur désir de changement des mœurs sexuelles dans le contexte actuel de sexualité et fécondité intenses des adolescents, et des IST/sida.

Le fait que les avis sur la question soient partagés dans les groupes des discussions confortent ces hypothèses. En effet, pour certaines des informatrices Bëti, la virginité de la fille avant le mariage est un signe d’obéissance (Femmes célibataires, discussions de groupe, Mbalmayo) et fait la fierté des parents (Femmes mariées, discussions de groupe, Mbalmayo) alors que pour d’autres elle peut la rendre stérile (Femmes mariées, femmes célibataires, discussions de groupe, Mbalmayo). En d’autres termes, pour ces dernières, une fille doit avoir quelques aventures sexuelles avant le mariage de peur d’être considérée comme stérile (Femmes mariées, discussions de groupe, Mbalmayo).

Les informateurs Bëti ayant participé aux entretiens individuels pensent aussi pour la plupart qu’il est normal qu’une fille reste vierge avant le mariage mais les raisons évoquées sont d’ordre religieux  («c’est même le dessein de Dieu » d’après des informateurs adultes mariés) ou matrimonial (« cela garantit la fidélité dans le mariage » selon un informateur adulte célibataire de niveau secondaire). Des informateurs ayant des avis contraires pensent que la sexualité pré-maritale est un devoir ( « toute fille doit avoir une expérience sexuelle avant le mariage » selon un adulte marié, et de niveau secondaire, et les jeunes hommes célibataires).

Les avis de nos informateurs Bëti sont aussi partagés dans les discussions de groupes. De même, certains de nos informateurs mariés ayant participé à ces discussions pensent que la virginité de la fille avant le mariage est le dessein de Dieu  alors que d’autres ont des avis défavorables qu’ils justifient comme suit en se référant à la tradition Bëti : elle n’était pas bon signe dans la tradition (Hommes mariés, Focus Group Discussion, Mbalmayo), les filles vierges étaient considérées comme anormales (Hommes mariés, Focus Group Discussion, Mbalmayo) et la fécondité pré-maritale était une preuve de fécondité (Hommes mariés, Focus Group Discussion, Mbalmayo).

A l’opposé des enquêtés Bëti,  les informatrices Bamiléké pensent qu’il est normal qu’une fille reste vierge avant le mariage. Si nos informatrices Bëti n’ont associé la virginité de la fille qu’à l’absence des risques des grossesses et des IST/sida, les Bamiléké  lui attribuent en plus une fonction sociale en l’associant à la dignité.

Cependant, dans les discussions de groupe nos informatrices Bamiléké ont des avis partagés sur la virginité de la fille comme leurs sœurs Bëti mais pour des raisons différentes. Par exemple, dans le groupe des femmes adultes mariées, celles qui sont pour pensent qu’elle permet à la fille d’aller plus loin dans les études alors que les autres pensent qu’elle peut entraîner la fille, une fois mariée,  à ne pas supporter l’infidélité de son conjoint dans le mariage.

De même, la plupart des informateurs Bamiléké ayant participé aux entretiens individuels pensent qu’il est normal qu’une fille reste vierge avant le mariage, mais dans les discussions de groupe les avis sont aussi partagés, pour des raisons qui sont dans l’ensemble similaires à celles de leurs congénères bëti.

Ce qui précède montre que les perceptions de la virginité sont en train de changer dans la société Bamiléké où, dans le passé, elle constituait en fait une exigence . Nos informatrices soutiennent encore davantage cette hypothèse quand elles disent qu’à côté des filles vierges dont la fréquence pourrait augmenter, selon elles, dans le contexte actuel du sida (Femmes mariées adultes, Focus Group Discussion, Bafoussam), on retrouve celles en pleine activité sexuelle dont la fréquence peut aussi augmenter à cause, selon elles, de la libéralisation grandissante des mœurs (Jeunes femmes mariées, Focus Group Discussion, Bafoussam).

Enfin, s’agissant  de la virginité pré-maritale du garçon, les opinions de nos informateurs et informatrices Bëti et Bamiléké convergent dans le même sens. Au contraire notamment de ce qui est ressorti dans le cas de la fille, nos informateurs et informatrices pensent dans les deux milieux socioculturels qu’il est normal  qu’un garçon ait des rapports sexuels avant le mariage. Les raisons qu’ils donnent sont d’ordre biologique (« l’instinct sexuel est très développé chez les garçons pendant la puberté »), social (« son entourage fait pression pour qu’il prouve sa virilité ») et relatifs au genre (« il faut chez le garçon une expérience sexuelle préalable, c’est lui qui doit apprendre les rapports sexuels à sa femme et non l’inverse »).

Fécondité pré-maritale

La totalité de nos informatrices Bëti ayant participé aux entretiens individuels pense qu’il est  anormal qu’une fille ait un enfant avant le mariage. La fécondité pré-maritale de la fille selon deux de nos informatrices peut l’empêcher de trouver un mari : « la fille aura des problèmes pour se marier » (femme adulte mariée, niveau primaire, Mbalmayo); « elle peut hypothéquer le mariage » (femme adulte célibataire, niveau secondaire, Mbalmayo). Pour la plupart d’autres informatrices, elle est une source des problèmes dans le mariage : « de tels enfants créent de problèmes en cas de mariage » (Femme adulte mariée, niveau secondaire, Mbalmayo) ; «Mécontentement de la belle famille en cas de mariage » (Femme adulte célibataire, niveau primaire, Mbalmayo) ; « en cas de mariage avec le géniteur, de tels enfants posent des problèmes » (Jeune femme célibataire, niveau secondaire, Mbalmayo).

La plupart de nos informateurs Bëti ayant participé aux entretiens individuels ont la même opinion sur la fécondité pré-maritale de la fille mais aux raisons évoquées par leurs sœurs, ils ajoutent les raisons économiques (« cet enfant sera une grande charge pour la famille », « l’enfant sera mal encadré ») et psychologiques (« l’enfant aura beaucoup de frustrations tout au long de sa vie », « l’enfant restera sans père »).

Les avis dans les discussions de groupes sont cependant partagés aussi bien dans le cas de nos informatrices que de nos informateurs.

Dans les discussions de groupe auxquelles ont participé les premières, certaines d’entre elles pensent que la fécondité pré-maritale de la fille est une preuve de fécondité (Femmes mariées, jeunes femmes célibataires, Focus Group Discussion, Mbalmayo), est une garantie de sa progéniture en cas de décès des enfants légitimes (Jeunes femmes célibataires, Focus Group Discussion, Mbalmayo) et de non mariage (Femmes mariées, Focus Group Discussion, Mbalmayo). D’autres en revanche pensent comme leurs frères ayant participé aux entretiens individuels que cela entraîne des charges supplémentaires pour les parents de la fille et leurs futurs époux et l’enfant à vivre dans la misère (Jeunes femmes célibataires, Focus Group Discussion, Mbalmayo), des conflits dans la famille de la mère et dans son mariage (Femmes mariées, jeunes femmes célibataires, Focus Group Discussion, Mbalmayo).

Dans les discussions de groupe auxquels ont participé nos informateurs on retrouve les mêmes raisons auxquelles les jeunes hommes mariés ont ajouté la réduction des chances de se marier, évoquée par leurs sœurs pendant les entretiens individuels.

La plupart de nos informateurs et informatrices pensent aussi qu’il n’est pas normal qu’un garçon ait un enfant avant le mariage et contrairement à ce qui est ressorti ci-dessus dans le cas de la fille, les avis convergent dans le même sens dans toutes les discussions des groupes.

L’on peut dégager de ces discours la conclusion que la baisse de la stérilité et de l’infécondité, consécutive aux programmes de santé de la reproduction mis en  oeuvre par les pouvoirs publics et les partenaires au développement en pays Bëti, est en train de faire reculer la valeur jadis accordée à la fécondité pré-maritale des filles en milieu traditionnel et les contraintes économiques  sont en train d’accélérer ce recul.  En d’autres termes, la conception traditionnelle de la fécondité pré-maritale persiste en pays Bëti mais elle est en voie de disparition.

En pays Bamiléké, nos informatrices ayant participé aux entretiens individuels ont comme leurs consœurs Bëti une opinion défavorable sur la fécondité pré-maritale de la fille mais leurs principales raisons sont que les enfants naturels sont mal accueillis (Jeunes femmes mariées, entretiens individuels, Bafoussam) et leurs mères ont beaucoup de risque de demeurer célibataires (Femmes adultes mariées, entretiens individuels, Bafoussam). C’est exactement ce qui ressort chez nos informateurs Bamiléké.

Nos informateurs et informatrices Bamiléké pensent aussi qu’il n’est pas normal qu’un garçon ait un enfant avant le mariage. Selon deux de nos informatrices ça réduit la chance de la mère de l’enfant de trouver un mari (« sauf s’il épouse cette fille par la suite », « sauf s’il endosse les responsabilités »). Selon une autre informatrice cet enfant sera mal perçu. La plupart de nos informateurs pensent que la fécondité pré-maritale du garçon est une source de conflits avec la famille de la fille en cas de non mariage. Dans le groupe des discussions avec les femmes mariées les avis de nos informatrices sur la fécondité pré-maritale ont convergé dans le même sens comme le montrent les extraits suivants tirés de leurs discours :

« Une fille qui a un enfant avant de se marier n’a plus la possibilité d’avoir l’homme de sa vie (…) Chez nous nous disons qu’une fille qui a fait un enfant chez elle n’a plus de chance pour le mariage ; elle va être 2ème, 3ème ou 4ème femme quelque part (…) Nos hommes Bamiléké n’aiment pas avoir une femme qui a déjà un enfant (…) On se dit qu’elle a été le jouet des hommes pendant sa jeunesse et qu’elle peut porter des maladies (…) C’est rare de trouver chez nous un jeune garçon qui accepte d’épouser une fille qui a déjà accouché » (Jeunes Femmes mariées, Focus Group Discussion, Bafoussam).

« Une femme qui va en mariage avec un enfant déjà, ce n’est pas une bonne chose (…) ça diminue sa chance de se marier, ça fait des problèmes quand on est marié » (Femmes adultes mariées, Focus Group Discussion, Bafoussam).

Ainsi, au contraire  de ce qui est ressorti chez les Bëti, le risque de ne pouvoir se marier est la principale raison pour laquelle nos informateurs et informatrices Bamiléké pensent qu’il n’est pas normal qu’une fille ait un enfant avant le mariage. Ce qui témoigne encore davantage de la différence entre les deux populations étudiées des modèles culturels de mariage et des rôles importants qu’ils jouent dans celle des comportements sexuels des femmes.

Cependant, si l’on en croit notamment une informatrice ayant participé à la discussion de groupe avec les femmes adultes mariées, l’on peut présumer que le modèle Bamiléké serait en cours de changement : « il y a aussi nos frères Bamiléké qui font déjà ça, ils reconnaissent les enfants » (Femmes adultes mariées, Focus Group Discussion, Bafoussam). Mais ici le modèle traditionnel du mariage (forte valorisation de la virginité et de l’infécondité pré-maritales) est en train d’évoluer vers le modèle traditionnel Bëti (faible valorisation de la virginité et de l’infécondité pré-maritale) mais lentement à cause de la crise économique : « aujourd’hui avec la conjoncture actuelle, quand les gens se marient, ils fixent le nombre d’enfants qu’ils auront (…) Il y a des hommes qui choisissent d’avoir pour cela peu d’enfants et si tu en as déjà, tu ne trouveras pas de mari » (Femmes adultes mariées, Focus Group Discussion, Bafoussam).  En d’autres termes, chez les Bamiléké, la crise économique freine le changement dans la conception traditionnelle de la fécondité pré-maritale alors que chez les Bëti elle l’accélère. Dans l’un ou l’autre cas, on voit que la crise économique peut motiver les jeunes femmes à utiliser les condoms et, partant, se protéger en même temps contre les IST/sida.

Infidélité 

Tous nos informateurs Bëti et Bamiléké pensent qu’il n’est pas normal qu’une femme mariée ait des rapports sexuels extra-conjugaux. Parmi nos informatrices Bëti, une seule a une opinion favorable sur le sujet. Chez nos informatrices Bamiléké, toutes ont une opinion défavorable sur le sujet.

Les raisons données par nos informateurs Bëti sont d’ordre religieux (« cela est condamné même dans la bible » par un homme adulte marié de niveau secondaire, un autre de niveau primaire et un homme adulte célibataire de même niveau), social (« risque d’instabilité dans le foyer » par un homme adulte marié de niveau secondaire, un autre adulte célibataire de même niveau et un jeune homme célibataire de même niveau, « risque de maternité hors-mariage » par un jeune homme marié de même niveau) et sanitaire (« risque des IST » par les hommes adultes mariés).

Les raisons évoquées par nos informatrices Bëti ayant une opinion défavorable sur l’infidélité de la femme sont principalement d’ordre social (« pour éviter les grossesses extra-conjugales » par les femmes adultes mariées, « manque de respect au mari » par une femme adulte célibataire de niveau primaire ; « elle trahit son mari en le faisant » par une jeune femme célibataire de niveau secondaire) et sanitaire (par les femmes adultes mariées).

Notre informatrice ayant trouvé normal l’infidélité de la femme justifie son opinion par l’infidélité « naturelle » de l’homme quand elle dit ceci : « oui, une femme mariée peut avoir des rapports sexuels avec des hommes autres que son mari (…) Comme une femme ne peut satisfaire totalement son mari, il y aura nécessairement infidélité dans le couple, donc l’homme commencera à le faire et l’autre suivra » (Jeune femme mariée niveau secondaire, Mbalmayo).

Les opinions ainsi recueillies montrent que les principales raisons pour lesquelles l’infidélité d’une femme est anormale sont qu’elle augmente au sein des couples le risque de contamination par les IST et favorise l’instabilité conjugale. Toutefois chez les Bamiléké les raisons d’ordre sanitaire ne sont évoquées que par une minorité de personnes : « en faisant ça ce monsieur est capable de tuer ton mari, il est capable de te troubler pour que tu divorces » par une femme adulte mariée de niveau secondaire ; « il y a dans ces choses là beaucoup de jalousies (…) Vous ne pouvez pas apprendre que votre femme a couché avec un autre homme sans réagir »  par un jeune homme marié de niveau secondaire ;  « non, non, non, quand une femme est infidèle son époux légitime est en danger » par un homme adulte marié de niveau secondaire ; « je pense qu’il faut éviter les IST » par un homme adulte marié de niveau primaire. 

Au contraire des Bëti, les raisons relatives au genre occupent aussi une place importante chez les Bamiléké : « la femme doit se contenter de son mari » par une femme adulte mariée de niveau primaire ;  « quand on est marié, c’est qu’on est marié ; donc les rapports doivent passer entre la femme et son mari seulement » par un jeune homme marié de niveau primaire; « non, elle doit respecter son mari » par une jeune femme mariée de niveau secondaire ; « ce n’est pas bien quand une femme a des rapports sexuels avec une autre personne que son mari, l’infidélité n’est pas bien » par une jeune femme mariée de niveau primaire.

L’on constate donc que nos informatrices Bamiléké mariées ont justifié leurs opinions défavorables vis-à-vis de l’infidélité de la femme non seulement par les conséquences négatives sanitaires et conjugales associées mais aussi par leur conception « traditionnelle » des rapports entre conjoints.

Cette différence observée entre nos informatrices Bëti et Bamiléké provient du fait que les unions libres sont plus fréquentes chez les premières que les secondes. En effet, les femmes vivant  dans ces formes d’unions sont beaucoup moins soumises à leurs maris que celles vivant dans les formes traditionnelles d’unions. Et, comme l’amour réciproque, principale condition de persistance des unions libres, est actuellement difficilement observable en pays Bëti, très peu de femmes Bëti considèrent leur infidélité comme un manque de respect vis-à-vis de leur conjoint.

Si la plupart de nos informateurs et informatrices pensent dans les deux groupes socioculturels qu’il n’est pas  normal qu’un homme marié ait des rapports sexuels extra-conjugaux pour les mêmes raisons sus-évoquées, on observe néanmoins, aussi bien chez les Bamiléké que les Bëti, que certains de nos informateurs et informatrices ont des opinions favorables sur l’infidélité de l’homme : « une seule femme ne peut pas satisfaire un homme » (jeune femme mariée niveau secondaire, Mbalmayo) ; « s’il est sobre (…) C’est le patron » (femme adulte célibataire niveau secondaire, Bafoussam) ; « on admet ça surtout s’il est polygame » (jeune femme mariée Bamiléké niveau secondaire, Bafoussam) ; « l’homme est libre » (jeune homme marié niveau secondaire, Mbalmayo) ; « l’homme est le maître, il peut jouir de son corps comme il veut » (homme adulte célibataire niveau secondaire, Mbalmayo) ; « c’est normal mais loin du foyer conjugal » (jeune homme marié niveau secondaire, Bafoussam).

Ainsi dans les deux groupes socioculturels, la plupart de nos informateurs et informatrices pensent qu’on peut davantage tolérer au sein des couples l’infidélité du mari et non celle de sa femme. Les raisons évoquées sont similaires aux précédentes : elles sont  d’ordre social et s’appuient sur les rapports de genre :« l’homme peut avoir plusieurs femmes »  (une femme Bëti adulte mariée de niveau secondaire et une jeune Bamiléké mariée de niveau primaire ); « la société autorise la polygamie et non la polyandrie (un jeune homme marié Bëti de niveau secondaire et un homme adulte de mêmes caractéristiques) ; en rapport avec le genre : « parce qu’il a le pouvoir »  (une jeune femme Bamiléké mariée de niveau secondaire), « c’est lui qui épouse la femme et celle-ci se doit de rester au foyer » (une femme Bëti adulte mariée de niveau secondaire), « c’est le chef et le chef ne doit pas être jugé » (un homme Bamiléké adulte marié de niveau primaire), « la femme se donne entièrement lorsqu’elle sort alors que l’homme a des réserves »  (un homme Bëti adulte marié de niveau secondaire).

Il découle de ce qui précède qu’au sein des couples les femmes infidèles, qui se recrutent dans les deux groupes, sont sanctionnées par leurs maris. Les punitions  qui leur sont infligées  sont selon  la bastonnade (femme Bamiléké adulte mariée niveau secondaire, jeune femme Bamiléké mariée niveau primaire,  femme Bëti adulte célibataire niveau primaire, jeune femme Bëti célibataire niveau secondaire), l’arrêt des rapports sexuels (femme Bamiléké adulte mariée niveau secondaire, jeune femme Bamiléké mariée niveau primaire, femmes Bëti adultes mariées, femme Bëti adulte célibataire niveau secondaire), la répudiation ou la séparation (dans tous les groupes de nos informatrices) et la suspension de la ration alimentaire (jeune femme Bamiléké mariée niveau primaire, femme Bëti adulte mariée niveau secondaire et jeune femme mariée Bëti niveau secondaire).

Il convient de noter  que la bastonnade n’a été citée que par les Bamiléké. Par  ailleurs, l’interruption des rapports sexuels n’a  été cité chez les Bëti que par les adultes.

Parmi les sanctions infligées aux femmes infidèles, la répudiation est, selon nos informateurs Bëti, celle à laquelle les hommes recourent le plus souvent alors que chez nos informateurs Bamiléké elle n’a été mentionnée que par ceux de niveau secondaire. Les autres ont évoqué les sanctions d’ordre économique (« priver de ses activités », « ne pas lui donner de l’argent ») ou psychologique (« la bloquer à la maison sans ne plus sortir », « donner des avertissements après accusation à la chefferie »).

Prostitution

Les opinions  sur la prostitution n’ont été saisies que pendant les discussions de groupe auxquelles ont participé les femmes mariées d’une part et les femmes célibataires d’autre part.

Chez les Bamiléké, dans les deux groupes, l’opinion sur la prostitution est très négative comme le montre bien les citations suivantes :

« Une femme prostituée n’est même pas une femme en tant que telle » (Jeunes femmes mariées, Focus Group Discussion, Bafoussam).

« J’ai pitié de ces femmes parce qu’elles vendent leurs corps pour de l’argent, vraiment ça fait pitié (…) On devrait interdire la prostitution, elle entraîne les problèmes qu’on rencontre dehors aujourd’hui (…) Les prostituées favorisent même l’infdélité dans les foyers, même les banditismes et les maladies. Elles portent donc une croix » (Femmes adultes mariées, Focus Group Discussion, Bafoussam).

« Une femme prostituée hein, elle cherche son deuil (…) Elle est dépourvue de sentiments parce qu’elle fait ça pour de l’argent » (Femmes célibataires, Focus Group Discussion, Bafoussam).

Chez nos informatrices Bëti en revanche les avis sont partagés dans les discussions de groupe. Selon certaines informatrices mariées « les prostituées souffrent beaucoup, appartiennent à des gangs de bandits et peuvent tuer pour cause d’argent » (Femmes mariées, Focus Group Discussion, Mbalmayo). Selon d’autres informatrices mariées, « elles sont libres, refusent d’être maltraitées par les hommes et cherchent à être à l’aise » (Femmes mariées, Focus Group Discussion, Mbalmayo). De même, pour nos informatrices célibataires, la prostitution permet aux femmes d’être libres et d’avoir des biens matériels et même des honneurs.

Il ressort principalement des discours de nos informatrices Bëti la volonté pour certaines femmes de ce groupe ethnique de se libérer de la domination masculine. C’est cette volonté qui les entraîne à avoir dans une certaine mesure une opinion favorable sur la prostitution. Celle-ci étant en fait considérée par elles comme un moyen rapide et facile d’y arriver, elles n’ont pas du tout  évoqué les problèmes importants de santé y associés, au contraire notamment de leurs  congénères  Bamiléké.

DISCUSSION ET CONCLUSION

Les résultats issus des analyses de régression logistique confirment l’hypothèse de la variation ethnique des comportements sexuels. Il existe donc une relation entre culture et sexualité dans les populations étudiées.

Le fait que dans les groupes des femmes et des hommes, les Bëti sont, toutes choses égales par ailleurs, plus enclins que les Bamiléké à être infidèles, à s’engager dans l’activité sexuelle occasionnelle et à ne pas utiliser les condoms au cours des rapports sexuels implique que le risque d’avoir les IST/sida est plus élevé chez les premiers que les seconds. D’où, les différences ethniques observées entre les deux groupes ethniques au niveau des complications que les individus ont eues au cours des douze derniers mois au niveau des organes génitaux. Les résultas obtenus confortent donc l’idée d’une forte prévalence des IST/sida qu’on observerait dans le premier groupe ethnique plutôt que dans le second.

Etant donné que certains éléments mis en évidence ci-dessus au niveau des normes et valeurs socioculturelles en matière de sexualité sont encore vécus dans les populations étudiées, l’hypothèse selon laquelle les différences des comportements sexuels observées selon l’ethnie résultent des normes et valeurs socioculturelles en matière de sexualité est confortée.

En effet, ces discours ont révélé que le contrôle de la sexualité des femmes est davantage strict chez les Bamiléké et qu’il existe chez les Bëti un relâchement de ce contrôle permettant le développement des valeurs traditionnelles favorables au multipartenariat sexuel des femmes. En tout cas c’est ce qui est ressorti des discours de nos informateurs, en particulier ceux portant sur la virginité pré-maritale, la fécondité pré-maritale et l’infidélité.

La présence des formes traditionnelles d’infidélité de la femme (notamment celle liée à l’hospitalité, à la location des femmes et à leur mise en gage) en milieu Bëti conduit à l’hypothèse contraire à celle d’Ombolo (1990) selon laquelle l’objectif principal des rapports sexuels était la procréation en milieu traditionnel Bëti. En effet, ces pratiques renvoient à l’idée de l’instrumentation de la femme par l’homme. L’homme pouvait donc l’utiliser dans ce milieu pour rendre agréable le séjour de ses hôtes ou allonger l’échéance du paiement de ses redevances à ses créditeurs. Dans l’un ou l’autre cas, les bénéficiaires en profitaient pour  assouvir leur désir. C’est que dans certaines circonstances les rapports sexuels avaient pour but la jouissance en milieu traditionnel Bëti.

Etant donné que les valeurs culturelles bëti sont sujettes à un plus grand effritement que celles bamiléké[4], on peut penser qu’au contact de la modernisation la société y a davantage perdu son pouvoir de contrôle sur la sexualité des femmes. L’existence en milieu Bëti des valeurs traditionnelles favorables à l’infidélité y a davantage incité celles-ci à des comportements sexuels déviants.

Les discours des individus sur la virginité et la fécondité pré-maritales confortent l’hypothèse de l’existence en milieu Bamiléké des mœurs sexuelles rigides. En ce qui concerne leurs discours sur l’infidélité,  la présence des raisons d’ordre religieux chez les informateurs Bëti est révélatrice d’un certain changement des mentalités consécutif à l’influence du catholicisme. L’on sait en effet que dans la tradition Bëti, la femme pouvait avec l’accord de son mari commettre l’infidélité avec ses hôtes et ses créanciers. La doctrine chrétienne est venue les usages en la matière en prohibant l’adultère dans le mariage considéré comme un péché mortel, en renforçant le contrôle de la sexualité conjugale et en favorisant l’égalité entre hommes et femmes. D’où la considération actuelle de l’infidélité par nos informateurs Bëti comme un acte contraire au dessein de Dieu. Mais dans la pratique, les hommes ont mis en place d’autres modèles à la place du modèle traditionnel qui leur permettait d’utiliser les corps des femmes comme ils voulaient et les femmes ont fait de même pour exprimer leur libération.

Les différences ethniques observées au niveau des sanctions infligées à la femme en cas d’infidélité confortent l’hypothèse d’une  fréquence plus élevée des cas d’infidélité féminine chez les Bëti que les Bamiléké. L’on peut en effet penser que les hommes Bëti  ont progressivement opté pour des sanctions très sévères au fur et à mesure que le problème s’aggravait dans la société pour mieux contrôler comme jadis la sexualité des femmes. Mais cette inégalité des pouvoirs ne fait plutôt que davantage aggraver le problème. En effet, la société et la famille ne jouent plus, sinon très peu, en pays Bëti en particulier, le rôle qu’elles jouaient jadis dans la résolution des problèmes conjugaux consécutifs à l’infidélité. On présumerait alors une forte déstabilisation des relations conjugales et une forte fréquence des divorces dans ce pays dont les conséquences sur les comportements sexuels sont sans doute davantage négatives que positives, aussi bien chez les enfants que les parents. Cette hypothèse explique donc aussi pourquoi les femmes Bëti sont plus infidèles dans leurs unions que leurs consœurs  Bamiléké et perçoivent la prostitution comme un moyen de se libérer de la domination des hommes.

Les différences ethniques des comportements sexuels résulteraient donc en définitive de celles des modèles culturels en matière de genre et de sexualité. Cette hypothèse  nous semble pertinente aussi bien dans le cas des différences de l’occurrence des rapports sexuels extra-couples, des rapports sexuels occasionnels  et du multipartenariat que de l’utilisation des condoms. On peut donc conclure que l’activité sexuelle extra-conjugale, l’activité sexuelle occasionnelle et le phénomène du multipartenariat sont davantage intenses dans une société ou les mœurs sexuelles sont permissives et les rapports de genre souples. Mais en ce qui concerne l’utilisation  du condom, la valorisation de l’acte sexuel « naturel » ou « complet » peut aussi résulter du fait que le prise de conscience du sida se traduit moins par des comportements chez les Bëti sans risque que les Bamiléké, la forte cohésion familiale observée chez ces derniers faisant que les individus y associent plus rapidement à leurs problèmes de santé ceux de survie de la famille. En fin de compte, les différences des comportements sexuels observées entre les deux groupes ethniques posent le problème fondamental de l’affaiblissement du rôle social de la famille, problème qui serait plus aigu chez les Bëti que les Bamiléké. Il s’agit globalement aussi de la place actuelle des mécanismes de régulation sociale qui sont en perte de vitesse dans des sociétés en mutation, mais à un rythme inégal.

Une recommandation importante découlant des résultats de ce travail est que le contenu des programmes de prévention des IST/sida devrait tenir compte des spécificités des  populations étudiées. Le fait que la culture soit associée à la sexualité dans ces populations signifie que pour changer les comportements sexuels des Bëti, il faut changer leurs mentalités dans le domaine de la sexualité. D’où la nécessité de sensibiliser encore plus les Bëtis sur le Sida afin qu’ils en prennent vraiment conscience et que cela se traduise en comportements conséquents. Comme leurs mœurs sexuelles sont permissives, les messages de sensibilisation insistant sur la fidélité et l’abstinence sexuelle seraient probablement inefficaces chez-eux. L’on devrait plutôt promouvoir l’utilisation des condoms par les femmes et  les hommes. Au niveau de la recherche, des études psychosociales mériteraient d’être promues afin de mieux comprendre pourquoi la prévalence de l’utilisation des condoms est faible en milieu Bëti et, partant, déterminer d’autres éléments pertinents à prendre en compte dans les programmes de prévention.

Par ailleurs, l’on devrait aussi promouvoir  les études sur les perceptions et l’acceptabilité des préservatifs féminins en milieu Bëti d’autant plus que leur efficacité a été démontrée dans les cas du sida et d’autres IST  si l’on en croit notamment Elias J-C et Coggins C. (1996).  

L’hypothèse d’une forte prévalence des IST étant davantage pertinente en milieu Bëti qu’en milieu Bamiléké, les programmes efficaces de traitement des IST devaient être mis en place dans le premier milieu car un diagnostic et un traitement précoce de ces maladies sont associés à une diminution de la proportion des nouveaux cas d’infection par le VIH.

Comme ce sont uniquement les femmes qui sont sanctionnées en cas d’infidélité, des mesures visant l’élimination de toute forme de violence à l’encontre des femmes devraient être prises, particulièrement en milieu Bëti où les sanctions se sont avérées très sévères et favorables à la déstabilisation des unions, aux divorces et à l’adoption par les femmes des comportements sexuels « à risque ». Ces mesures sont urgentes parce que leurs effets positifs sur la santé familiale se manifesteront à court ou moyen terme.  

BIBLIOGRAPHIE

  • AIDSCAP, François – Xavier Bagnoud Center for Health and Human Rights of the Harvard School of Public Health and UNAIDS (1996) : Rapport final sur l’Etat et les tendances de la Pandémie Mondiale de VIH/sida, XI ème Conférence Internationale sur le sida, Vancouver, 7 au 12 juillet 1996.
  • Elias, C. et Coggins, C. (1996)  “Female-controlled methods to prevent sexual transmission of HIV”. AIDS 1996, 10 (suppl 3) : S43-S51.
  • Leger, J.-M., & Florang, M.-F. : (1995) : « L’analyse de contenu : deux méthodes, deux résultats ». In Blanchet et al. : L’entretien dans les sciences sociales, Paris, Ed. Dunod : 237-273.
  • Matalon, B. & Rodolphe, G. (1995) Les enquêtes sociologiques. Théories et pratiques, Paris, Ed. Armand Collin, 301p.
  • Peto D., Remy J., Van Campenhoudt L., et Hubert M. : Sida : l’amour face à la peur. L’Harmattan, Collection  “Logiques Sociales”, Paris, 1992, 221p.
  • OMBOLO J.P. (1990), Sexe et Société en Afrique Noire. L’anthropologie sexuelle Bëti : Essai critique et comparatif, L’Harmattan, 395P.
  • OMS, (2000) “Les femmes et le VIH/sida”. Aide-mémoire N° 242, juin 2000, 5p.
  • Yana S., (1995) A la recherche des modèles culturels de la fécondité : une étude exploratoire auprès de Bamiléké et Béti de la ville et de la Campagne. Institut de Démographie de l'UCL, Louvain-La-Neuve, Académia, L'Harmattan, 1995, 329p.

[1]  Cette recherche a été réalisée à partir des données collectées dans le cadre du projet 97170 BSDA : « Culture, Genre, Comportements Sexuels et IST/sida au Cameroun (Provinces de l’Ouest et du Centre » qui a bénéficié du soutien financier de l’OMS/HRP.

[2]   Si l’on en croit notamment Yana S. (1995), ce culte traduit le « droit de regard » des ancêtres sur la vie de leurs descendants. Il permet ainsi de les punir pour des actes qu’ils désapprouvent ou les protéger contre des ennemis. Par ailleurs ce culte pratiqué aussi bien dans le patrilignage que le matrilignage permettrait aussi à la famille de contrôler les attitudes et comportements des individus et de renforcer la solidarité et la cohésion familiales.

[3]  Nous pouvions recourir à la procédure SEARCH - FREQUENCIES – SINGLE SEGMENTS du logiciel ETHNOGRAPH pour produire les tableaux des fréquences des catégories. Ceci pouvait être fait si nous avions d’abord procédé à la codification des discours après l’identification des catégories, c’est-à-dire attribué des codes alphanumériques aux énoncés des discours suivant leur contenu, et ensuite à la saisie des différents codes sur le logiciel susmentionné. Mais étant donné que ce travail n’est intéressant que si l’on dispose d’un nombre important d’entretiens ou des discussions de groupe - ce qui n’était pas notre cas notamment parce que les discours des leaders ne devaient pas être combinés à ceux des individus et ceux de ces derniers à ceux des prostituées et leurs clients – nous n’avons pas recouru à ce logiciel.  Ainsi,  nous avons identifié les différentes catégories correspondant aux différents sous-thèmes mais nous n’avons pas produit leurs distributions des fréquences. Une autre raison qui nous a motivé à ne pas procéder à la codification des énoncés des discours est que nous ne nous intéressons pas ici aux liens entre les différents thèmes.  

[4] Yana, S. ,  A la recherche des modèles culturels de la fécondité au Cameroun. Une Etude exploratoire auprès des Bamiléké et Bëti de la ville et de la campagne, p.56.

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