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African Population Studies/Etude de la Population Africaine, Vol. 19, No. 2, Sup. A, 2004, pp.85-113 Revenu du chef de ménage et stratégies de survie des ménages pauvres : une comparaison Dakar/ Bamako KUEPIE Mathias DIAL-CIPRE/CEPS-INSTEAD Code Number: ep04022 Résumé Le ménage peut se définir comme un ensemble dindividus vivant sous le même toit et prenant, le plus souvent, leur repas ensemble. Mais, si les membres dun même ménage ont en commun le lieu de résidence et les repas, ils sont hétérogènes du point de vu dune multitude de critères (âge, sexe, statut, etc.) et occupent des fonctions différentes au sein de la maisonnée. Schématiquement et par rapport à la situation vis-à-vis du marché du travail, un ménage sera composé dun individu principal pourvoyeur de ressources (lhomme chef de ménage) ; dune femme pouvant aussi parfois apporter un revenu supplémentaire, mais dont la tenue de la maison est lactivité qui occupe une bonne partie de son temps[1], et des jeunes enfants quil faut nourrir, soigner et éduquer. A ces membres, il faut ajouter les enfants adultes du noyau familial qui tardent à quitter le domicile parental et des personnes, jeunes ou moins jeunes, en général apparentées au chef de ménage ou à sa conjointe, et qui, pour des raisons diverses (scolarisation, recherche demploi, renforcement des liens entre familles, etc.), sont accueillies dans le ménage. Quelle que soit sa configuration réelle, le ménage, en tant quunité de consommation, doit générer assez de ressources pour subvenir aux besoins de ses membres. Quand le principal pourvoyeur de revenu (le chef de ménage), pour une raison ou pour une autre, nest pas à même de bien assurer cette fonction, le ménage se doit de mettre en place un certain nombre de stratégies génératrices de ressources supplémentaires. Dans le cadre de cette étude, nous nous intéressons à la mobilisation de la main-duvre secondaire dans les ménages en fonction du revenu du chef. Nous entendons par main-duvre secondaire lensemble de toutes les personnes autre que le chef de ménage exerçant une activité dans les ménages. Ces personne peuvent être classées dans les catégories suivantes : conjointes du chef de ménage, enfants du chef de ménage et membres du ménage nappartenant pas au noyau familial. Cette étude cherchera à voir si, par rapport aux ménages dont les chefs disposent dun emploi bien rémunéré, ceux dont les chefs sont mal rémunérés mobilisent plus (ou moins) les différentes catégories dactifs secondaires et si cette mobilisation permet daméliorer leur situation. Les champs de létude sont Dakar et Bamako. Nous disposons, pour ces deux capitales, de données de la phase 1 (enquête emploi) des enquêtes 1-2-3[2], réalisées par les Directions nationales de statistique,Afristat et DIAL[3]. A Dakar, lenquête a eu lieu en 2002 et porte sur un échantillon de 2500 ménages abritant19000 individus environ. ABamako, lenquête a été réalisée un an plus tôt et porte sur un échantillon similaire de ménages (2400) mais un nombre plus restreint dindividus (13000). Introduction Le ménage peut se définir comme un ensemble dindividus apparentés ou non vivant sous le même toit, reconnaissant lautorité dune personne comme chef de ménage et prenant, le plus souvent, leurs repas ensemble. Ces individus sont hétérogènes du point de vue dune multitude de critères (âge, sexe, statut, etc.) et occupent des fonctions différentes au sein de la maisonnée. Schématiquement et par rapport à la situation vis-à-vis du marché du travail, un ménage sera composé dun individu principal pourvoyeur de ressources (lhomme chef de ménage[4]) ; dune femme pouvant aussi parfois apporter un revenu supplémentaire, mais dont la tenue de la maison est lactivité qui occupe une bonne partie de son temps[5], et des jeunes enfants quil faut nourrir, soigner et éduquer. A ces membres, il faut ajouter les enfants adultes du noyau familial qui tardent à quitter le domicile parental et des personnes, jeunes ou moins jeunes, en général apparentés au chef de ménage ou à sa conjointe, et qui, pour des raisons diverses (scolarisation, recherche demploi, renforcement des liens entre familles, etc.), sont accueillies dans le ménage. Quelle que soit sa configuration réelle, le ménage, en tant quunité de consommation, doit générer assez de ressources pour subvenir aux besoins de ses membres. Quand le principal pourvoyeur de revenu (le chef de ménage), pour une raison ou pour une autre, nest pas à même de bien assurer cette fonction, le ménage est contraint de mettre en place des stratégies génératrices de ressources supplémentaires. Dans le cadre de cette étude, nous nous intéressons à la mobilisation de la main-duvre secondaire dans les ménages en fonction du revenu du chef. Nous entendons par main-duvre secondaire lensemble des personnes actives autres que le chef de ménage. Cette étude cherchera à mesurer, dans le cas des villes de Dakar et Bamako, le degré de mobilisation des différentes catégories dactifs secondaires par les ménages dont le chef dispose dune faible rémunération et déterminera si cette mobilisation permet daméliorer leur situation. Nous nous inspirons de la théorie des stratégies de survie dont il convient de préciser les contours. Cadre théorique La théorie des stratégies de survie voit dans les comportements socio-démographiques des individus et des ménages pauvres ou en situation de précarité un ensemble dactions intentionnelles, rationnelles et coordonnées dont le but ultime est daméliorer leurs conditions de vie. En démographie en particulier, cette théorie lie les comportements socio-démographiques (migration, fécondité, etc.) des pauvres à des finalités économiques. En ce qui concerne la fécondité par exemple, un certain nombre dauteurs ont montré que si les pauvres font plus denfants que les riches, ce nest pas parce quils sont incapables de pratiquer la contraception, mais bien parce que ces enfants leur sont dune grande utilité économique (Cadwell, 1976 ; Schoemaker 1987). Cette utilité tient au fait que dès son très jeune âge, lenfant contribue à la survie du ménage à travers, dans le contexte urbain et en particulier des bidonvilles, lexercice de divers petits métiers (Touré A., 1985 ; Marcoux, 1994) et dans le contexte rural, la participation aux activités agricoles (Kouame Aka et Rwenge Burano, 1996). Quand les parents disposent dun niveau de vie élevé, ils nont plus besoin du travail des enfants pour joindre les deux bouts et au contraire, préfèrent investir plus dans leur éducation et leur santé. Il sopère donc, avec lélévation du niveau de vie, une substitution de la préférence pour la qualité à celle pour la quantité des enfants (Becker, 1991 ; Lemennicier, 1988). Mais il convient de relever que ceci nest valable que parce quon suppose que linvestissement dans la qualité des enfants induit un coût élevé et que ce coût est complètement supporté par les parents, ce qui nest pas toujours le cas, en particulier en milieu rural (Montgomery, Kouamé et Olivier, 1995). Le recours à la fécondité comme stratégie de survie, du fait quil se matérialise par la mise au monde de nouveaux individus, peut être qualifié de stratégie primaire. Une fois que les enfants ont vue le jour, dautres stratégies démographiques de survie « secondaires », basée sur les mouvements migratoires peuvent se déployer, à léchelle de lindividu, ou dun réseau familial plus large. A léchelle individuelle, les théories économiques dualistes de la migration ont montré que des personnes à productivité nulle voire négative en milieu rural agricole en migrant vers le milieu urbain afin doccuper des emplois plus rémunérateurs dans le secteur non agricole (Lewis 1970, Harris et Todaro, 1970), améliorent non seulement leurs propres conditions de vie (du fait de leur nouvel emploi), mais aussi celles de la population restée en le milieu rural (du fait dun accroissement de la productivité et de la réduction de la taille des ménages). Les théories socio-démographiques complètent cette approche en inscrivant la migration rural-urbaine non plus dans le cadre dune stratégie de survie individuelle, mais dans celui plus large du groupe familial (Locoh, 1989 ; Antoine, 1991, etc.). Selon cette théorie, la migration permet à des ménages résidant dans des régions rurales ou économiquement défavorisées de redistribuer, avec laide de la parentèle déjà installée sur place, leurs membres dans des régions (en général urbaines) offrant de meilleures perspectives économiques ou scolaires afin quils puissent accéder à des opportunités demploi ou déducation et soutenir, en retour, le groupe familial resté au village (Weiss Lothar, 1998 ; Locoh, op. cit. ; Itzigsohn Jose, 1995). Une des conséquences de cette redistribution des individus est lélargissement de la structure et de la taille des ménages des métropoles africaines (Wakam, 2003). Quon considère la migration ou la fécondité, les stratégies démographiques de survie commencent toujours par une modification de la taille des ménages à travers lactivation dun comportement démographique (procréation, migration), suivie dune contribution de lindividu mobilisé à la survie du ménage ou du groupe. Ces approches socio-démographiques des stratégies de survie ont été, pour la plupart, élaborées afin dexpliquer les comportements des individus et des familles structurellement pauvres, par opposition à ceux des classes moyennes ou aisés des villes du tiers-monde. Mais, la crise économique et les programmes dajustement structurel ont profondément dégradé les conditions de vie des couches moyennes, précipitant un bon nombre de familles de cette classe dans la pauvreté. Dans ce nouveau contexte, les théories des stratégies de survie telles que décrites plus haut sont devenues inopérantes, en particulier dans les villes. En effet, face à de lourdes contraintes économiques subies par les classes moyennes en voie de paupérisation la réponse a plutôt été une réduction de la fécondité désirée ou effective (Nouetagni, 2004, Cosio, 1992). Au niveau des migrations aussi, lancienne approche qui voyait dans les déplacements villes-campagnes le déploiement de stratégies de survie (individuelles ou collectives) a perdu de son pouvoir explicatif car la crise étant plus aiguë en ville quen campagne, on assiste de plus en plus à des déplacements en sens inverse (Beauchemin, 2000 ; Eloundou, 1992). Finalement, les nouvelles approches des stratégies de survie de survie délaissent le processus de la reproduction de la force de travail des ménages (par la fécondité ou les migrations) pour se focaliser plus spécifiquement sur la mobilisation du « stock » de membres disponibles afin daméliorer les conditions de vie des ménages. Cette approche se base sur le fait que, selon le modèle familial traditionnel il existe une certaine division des tâches au sein du ménage, selon lâge et le sexe. Selon le sexe, lhomme chef de ménage se spécialise principalement dans la recherche des moyens de subsistance alors que la femme consacre le plus clair de son temps aux activités domestiques, à la maternité et à lentretien des enfants. Ce modèle, formalisé par Parsons à la fin de la deuxième guerre mondiale (1955) a depuis lors évolué sous linfluence de la modernisation (instruction des femmes, réduction des inégalités sexuelles, etc.) vers plus dindifférenciation des rôles au sein des ménages, en particulier en Europe Occidentale. Mais, même dans cette dernière les inégalités sont loin dêtre entièrement résorbées et certains pays (Italie et Grèce par exemple), se caractérisent encore par une participation à lactivité économique des femmes largement faible comparées aux hommes[6] (OCDE, 2004), ce qui est le reflet de la subsistance du modèle traditionnel. Dans les pays africains et en particulier dans les deux qui nous concernent (Mali Sénégal), cette division des rôles reste une réalité visible à travers les différences de taux de participation à lactivité économique (DIAL/AFRISTAT, 2004). Lun des objectifs de cette étude sera de mesurer limpact de la pauvreté du chef de ménage sur la propension de lépouse à participer à lactivité économique. Selon lâge et si on se réfère une fois de plus au modèle « traditionnel » tel que formulé par Parsons (op. cit.), les enfants en jeune âge sont censés être soignés et nourris par les parents, et éduqués par lécole. Une fois adultes, ils quittent le plus tôt possible la résidence parentale afin de fonder leur propre famille. Selon ce modèle, leur contribution aux ressources du ménage parental devrait être nulle. Mais, comme nous lavons souligné plus haut, beaucoup détudes ont mis en exergue, aussi bien en milieu rural quen milieu urbain, limportance de lactivité économique des enfants dans la survie des ménages pauvres et dautres ont insisté le maintien de jeunes adultes au domicile parental (Kuepie, 2002, Antoine et al. 1995, Johnson et al., 1998, etc.). Le seconde objectif de cette étude sera de mesurer les différentiels de présence sur le marché du travail des enfants en fonction du niveau du revenu de leur père.Avant de nous atteler à la réalisation de ces objectifs, il convient de présenter les données et contexte de létude. Données Les champs géographiques de létude sont Dakar et Bamako. Nous disposons pour ces deux capitales, de données de la phase 1 des enquêtes 1-2-3, réalisées par les Directions nationales de statistique, Afristat et DIAL[7]. A Dakar, lenquête a eu lieu en 2002 et porte sur un échantillon de 2480 ménages abritant 19000 individus environ. A Bamako, lenquête a été réalisée un an plus tôt et concernait un échantillon similaire de ménages (2400) mais un nombre plus restreint dindividus (13000). Dans lune et lautre capitale, lenquête ménage a permis, outre la saisie des caractéristiques démographiques (sexe, âge, lien de parenté, etc.) de tous les membres des ménages enquêtés, une mesure assez étendue des conditions de vie : confort du logement (matériaux de construction, mode déclairage, mode dapprovisionnement en eau, etc.), équipement des ménages (réfrigérateur, cuisinière, téléphone, voiture, etc.). En plus du questionnaire ménage, tous les individus âgés de 10 ans ou plus ont fait lobjet dune enquête emploi[8] avec, pour les actifs occupés, des questions sur les revenus. Autant saisir le confort de lhabitat, léquipement des ménages et les caractéristiques démographiques des individus est aisé, autant appréhender lemploi et les revenus comporte des écueils. Dans le cas des enquêtes 1-2-3, tout un ensemble de questions filtres a permis de récupérer les actifs occupés qui, pour des raisons multiples (sous-emploi, insatisfaction dans lemploi principal), se sont déclarés sans emploi en première intention. À la question « au cours de la semaine dernière, avez-vous travaillé ne serait-ce quune seule heure ? », respectivement 4965 et 3812 enquêtés répondent par laffirmative à Dakar et à Bamako. Mais, différentes questions filtres vont permettre, dans chacune des villes, de récupérer 14 % dactifs occupés supplémentaires qui sétaient déclarés sans emploi en première intention. La méthodologie des enquêtes 1-2-3 permet donc de saisir, dans ses différentes nuances, lactivité économique des individus, même quand ils ne travaillent que quelques heures par semaine contre une faible rémunération. Ceci est particulièrement intéressant pour notre étude dont lobjectif est la mesure de lactivité des membres secondaires des ménages, qui pourraient ne participer au marché du travail que de manière marginale. Quen est-il de lautre variable importante de cette étude, à savoir le revenu ? Pour les personnes exerçant une activité au moment de lenquête, il leur a été demandé de déclarer le montant exact de leur revenu si cela était possible, sinon den indiquer la fourchette. Au Sénégal et au Mali, comme un peu partout en Afrique, la saisie de cette variable pose un certain nombre de problèmes : difficultés des individus à estimer correctement un revenu aléatoire gagné au jour le jour, par peur de voir leurs déclarations utilisées à des fins fiscales, etc.. Ainsi, Sur 5680 personnes occupées à Dakar, 81% ont indiqué au moins la fourchette de leur revenu ; cette proportion est de 90 % à Bamako (sur 4354 actifs occupés enquêtés). Le revenu des actifs nayant indiqué ni le montant ni la fourchette a été imputé à partir dune estimation économétrique de léquation du salaire. Cette opération a permis daffecter un revenu à 510 actifs à Dakar (9 % du total des actifs occupés), et à 256 à Bamako (6 % des actifs occupés). Finalement, même après estimation, le revenu de 10 % environ des actifs occupés reste inconnu à Dakar, contre 4 % à Bamako. Cette proportion est cependant de moins de 1 % chez les chefs de ménages. Au total, des efforts particuliers ont été fournis pour la bonne mesure des différentes variables clefs de cette étude, ce qui devrait nous permettre d'appréhender les stratégies de survie des ménages. Mais, avant daborder le cur du sujet, il convient de dresser un état des lieux des conditions de vie des ménages dans les deux métropoles. Les conditions de vie à Dakar et Bamako Les ménages de Dakar et de Bamako vivent dans des conditions socio-économiques très différentes, tant au niveau du confort de lhabitat, de la possession des biens déquipements que du revenu disponible. Et quel que soit lélément retenu, les habitants de Dakar sont toujours mieux lotis que ceux de Bamako. Confort de lhabitat et équipement des ménages La quasi-totalité des ménages de Dakar (96 %) vit dans des logements en matériaux définitifs (briques, ciment, etc.), contre seulement 62 % de ménages bamakois (tableau 1). Dans la capitale du Mali, les constructions en Banco[9] occupent encore une place non négligeable (36 %). Au niveau des facilités de base (eau, électricité), la situation de Bamako est encore plus préoccupante : lélectricité existe dans moins de la moitié des ménages (40 %), alors que la lampe à pétrole sert de mode déclairage par plus de la moitié (55 %). Quant à lapprovisionnement en eau, seulement 26 % des ménages bamakois disposent dun robinet dans leur logement mais environ le tiers a tout de même accès à leau potable à travers soit dautres ménages (22 %), soit les bornes fontaines (10 %). Le dernier tiers (37 %) na pas accès à leau du réseau de distribution public et se contente de celle des puits dont on sait quelle est rarement potable. A Dakar, 86 % des ménages disposent de lélectricité[10], et 68 % deau courante à domicile. Comme à Bamako, une proportion non négligeable de ménage accède à leau potable en sapprovisionnant soit chez dautres ménages (19 %), ou bien aux bornes fontaines (10 %). La faiblesse du réseau électrique de Bamako ne permet pas aux ménages de cette ville qui en auraient les moyens, dacquérir léquipement électroménager. Ainsi, seulement 20% des ménages y ont un réfrigérateur contre 44 % à Dakar. Pour les équipements ne requerrant pas (ou pas nécessairement) lusage de lélectricité, les écarts, toujours en faveur de Dakar, sont néanmoins moins importants. Il en est ainsi de la cuisinière (12 % à Dakar contre 9 % à Bamako), de la voiture (15 % à Bamako, 17 % à Dakar). Au total, cette description succincte des conditions de vie des ménages des deux métropoles montre bien que les ménages de Dakar vivent nettement mieux que ceux de Bamako. Cela est probablement dû aux différentiels doffre dinfrastructures collectives dune part, et dautre part, de pouvoir dachat des ménages. Ce second aspect fera lobjet de la section suivante, à travers un aperçu des revenus des ménages dans les deux villes. Les ménages dakarois ont des revenus largement supérieurs à ceux des ménages bamakois (tableau 2). En effet, ces derniers disposent en moyenne de 89000FCFA par mois, contre 164000FCFA pour ceux de Dakar. Cet écart persiste même après avoir tenu compte du nombre de personnes par ménage (en moyenne 7 à Dakar contre 6 à Bamako)[11]. Selon Heston A. et al (2002), lécart du niveau général des prix à la consommation est peu élevé entre les deux villes (22 à Bamako contre 24 à Dakar) [12] ; la différence dans les revenus nominaux reflète donc une réelle différence de niveau de vie entre les deux villes. Mais, il convient de relativiser cet écart. En effet, à Dakar comme à Bamako, le premier quart des ménages le plus pauvre[13] ne dispose que de 2 % des revenus totaux, ce qui traduit une distribution très inégalitaire des revenus. En outre, chez ces 25 % les plus pauvres, il nexiste quasiment pas de différences de revenus entre Bamako et Dakar ; dans lune comme dans lautre ville, leur revenu moyen par tête tourne autour de 2000 FCFA par mois. Les écarts de niveau de vie entre les villes ne deviennent sensibles quà partir du 2ème quartile (11000 FCFA par tête à Dakar contre 7000 à Bamako) et énormes au niveau du dernier (respectivement 96000 FCFA contre 54000 F CFA). En somme, les niveaux de vie globaux sont très différents entre Dakar et Bamako. Mais, plus on descend vers le bas de la pyramide, plus les niveaux de ressources des ménages des deux villes se rapprochent jusquà atteindre quasiment un montant identique chez les plus pauvres[14]. Aussi bien dans les ménages riches que dans les ménages pauvres, un certain nombre de membres, à de degrés divers, travaillent à la génération de ces ressources. Les différentes catégories dactifs « travaillant » pour le ménage Dans cette section, les analyses sont restreintes aux ménages de plus dune personne, car eux seuls sont à même de déployer des stratégies de survie consistant à placer sur le marché du travail des membres auparavant inactifs[15]. Quelle est la situation dactivité des différentes catégories de membres que constituent les chefs de ménages, et ses dépendants (conjointes, enfants et personnes extérieures au noyau familial) ? A quels degrés ces membres contribuent-ils à la génération des revenus des ménages ? Situation dactivité des différentes catégories de membres du ménage A Dakar, 66 % des chefs de ménages de plus dune personne exercent une activité économique, 7 % sont au chômage et 27 % sont inactifs (tableau 3a). A Bamako, la proportion de chefs de ménages occupés est plus élevée (77 %), celle des chômeurs et dinactifs plus faibles (respectivement 4 % et 19 %). Après les chefs de ménages, leurs conjointes sont les seconds membres les plus importants en terme de participation à lactivité économique. Ainsi, à Bamako, 52 % des conjointes sont occupées, 12 % sont à la recherche dun travail et 36 % sont inactives. A Dakar, elles sont un peu moins nombreuses à avoir un emploi (46 %) et plus souvent inactives (41 %). Si les conjointes sont plus actives à Bamako quà Dakar, cest linverse qui prévaut au niveau des fils. Ces derniers sont, en effet, 25 % à exercer une activité économique à Dakar, 8 % y sont au chômage, 36 % inactifs de 10 ans ou plus et 32 % inactifs de moins de 10 ans. A Bamako par contre, seulement 11 % peuvent contribuer au revenu du ménage par leur activité. Ils sont très peu à rechercher un emploi (3 %) et donc massivement inactifs (33 % de 10 ans ou plus et 52 % de moins de 10 ans). Les écarts entre Dakar et Bamako sont moins prononcés quand on considère les personnes nappartenant pas au noyau familial mais hébergées par le ménage. A Dakar, 30 % exercent une activité économique, 7 % sont à la recherche dun emploi et 62 % inactifs (dont 32 % de plus de 10 ans et 30 % de moins de 10 ans). A Bamako, les apparentés sont un peu plus nombreux (34 %) quà Dakar à occuper un emploi ; 5 % sont au chômage et 61 % sont inactifs (dont 39 % de plus de 10 ans et 22 % de moins de 10 ans). Contribution des différents membres au revenu du ménage La différence de participation des membres des ménages au marché du travail observée précédemment laisse présager des degrés de contribution tout aussi différents aux ressources du ménage. Il sagit ici dapprofondir cet aspect en mesurant lapport de chaque catégorie de membre dans le revenu total du ménage. Aussi bien à Dakar quà Bamako, les chefs de ménages sont les principaux pourvoyeurs de ressources du ménage (tableau 3b). En termes absolus, un chef de ménage dakarois contribue pour 78000 F CFA par mois au revenu du ménage (sur un total de 175000 F CFA), contre 58000 FCFA pour son homologue bamakois (sur un total de 94000FCFA). Mais en termes relatifs, ce dernier pèse 61 % dans les ressources du ménage alors quun chef de ménage dakarois nen apporte que 45 %. Dans cette ville, dautres membres contribuent de façon substantielle au revenu du ménage. Ainsi, les fils, avec un apport mensuel de 44000 F CFA, en génèrent le quart. Ils sont suivis de près par les personnes extérieures au noyau familial qui pèsent pour un cinquième dans les ressources du ménage (33000 F CFA en termes absolus). Finalement, les conjointes ny contribuent que pour le dixième (19000 F CFA). A Bamako par contre, ces dernières, avec un apport de 20 % (18000 F CFA en terme absolus), constituent le second soutien économique le plus important du ménage ; alors que les fils et les apparentés nappartenant pas au noyau familial sont relégués ici au dernier rang avec un apport de 10 % chacun (9000 F CFA en termes absolus). Il ressort de ces résultats que, dans une certaine mesure, la génération du revenu des ménages repose essentiellement sur les deux principaux responsables (le chef et son ou ses conjointes) à Bamako (où ils pèsent pour 82 % dans les ressources) quà Dakar (où ils ne comptent que pour 55 %). Par leur activité, les membres secondaires constituent plus une force économique des ménages à Dakar quà Bamako. Cette configuration reste-t-elle inchangée quand on contrôle le niveau de rémunération du chef de ménage ? Revenu du chef de ménage et participation des dépendants à l'activité économique Dans cette section, nous avons regroupé le revenu du chef de ménage en quartiles, plus un groupe comprenant tous les chefs de ménages nayant pas de travail, quils soient au chômage ou inactifs. Comme le montre le tableau 4, les inégalités observées entre Dakar et Bamako pour lensemble du revenu des ménages restent de mise quand on considère uniquement le revenu du chef de ménage. Notre objectif est de rechercher le lien entre ce dernier et loffre de travail des dépendants[16], lidée étant de voir si cette offre de travail ne relèverait pas dune stratégie de survie des ménages. Autrement dit : quand le chef de ménage a une faible rémunération, le ménage ne tente-t-il pas de pallier cette insuffisance du revenu principal par un accroissement de la participation à lactivité économique des conjointes, des enfants et des personnes apparentées ? Revenu du chef de ménage et activité des conjointes Les analyses précédentes ont montré que les conjointes constituaient, après les chefs de ménages, la seconde force économique en terme de participation à lactivité économique. Aussi bien à Dakar quà Bamako, on nobserve pas de lien clair entre le niveau de revenu du chef de ménage et lactivité de sa conjointe. A Dakar, seules celles des ménages dont les chefs nexercent aucune activité économique se démarquent des autres en ayant un taux doccupation plus bas (42 % ). Dans les autres catégories, ce taux fluctue entre 47 et 49 %. A Bamako, le taux doccupation des conjointes évolue en dents de scie : il passe de 54 % quand le chef de ménage ne travaille pas à 50, 52 et 51 % quand il travaille et que sa rémunération appartient respectivement au premier second et troisième quart de revenu, pour retrouver le niveau initial (54 %) dans les ménages où les chefs appartiennent au dernier quart le plus riche. A partir de ces résultats descriptifs, il semble donc que la contribution des conjointes aux ressources du ménage ne soit pas plus élevée là où les chefs sont pauvres que dans les ménages où ils sont aisés. Si on met d'ailleurs à part les ménages dans lesquels les chefs nexercent aucune activité, on devrait plutôt conclure à une absence de relation entre la participation des conjointes à lactivité économique et la rémunération du chef de ménage à Dakar et à une relation positive à Bamako. Mais avant toute conclusion définitive, il convient de contrôler dautres caractéristiques de la femme ou du chef de ménage qui peuvent, en même temps, jouer sur loffre de travail des conjointes et sur le revenu des chefs de ménage. Dans le cadre de cette étude, nous avons contrôlé le niveau détude de la femme, le secteur dactivité du conjoint (chef de ménage) et les caractéristiques démographiques comme les âges de la femme et du chef de ménage et le type dunion (monogame/ polygame). A Dakar, alors que les résultats du modèle contenant uniquement le niveau de revenu du chef de ménage, rejoignant en cela les analyses descriptives présentées plus haut, amènent à conclure à labsence de lien entre activité économique de la conjointe et niveau de rémunération du chef de ménage, lintroduction des variables de contrôle modifie substantiellement cette relation (tableau 6). Désormais, les femmes dont les époux travaillent mais gagnent les revenus les plus faibles (premier et second quart des ménages) ont le plus de chances dexercer une activité, par rapport à celles dont les époux appartiennent à la classe moyenne ou aisée (gagnent un revenu médian ou plus). Il convient de bien de souligner que cest après lintroduction cumulative[17] du niveau dinstruction et de lâge de la femme, du secteur dactivité et de lâge du chef de ménage que la pauvreté du chef de ménage devient un facteur « positif » pour lactivité économique des femmes. A Bamako par contre, le contrôle des mêmes caractéristiques quà Dakar ninduit point la significativité des effets des différentes classes de revenus. Les conjointes des ménages dont les chefs génèrent peu de ressources nont donc pas plus de chances dexercer une activité que celles des autres ménages dans la capitale malienne. Labsence deffet du niveau de rémunération du chef de ménage sur la participation des conjointes, au niveau brut à Dakar et à tous les niveaux à Bamako sexplique probablement par le fait que lactivité économique de la femme, en plus de pouvoir relever des stratégies de survie, dépend dautres facteurs qui eux, interagissent avec le niveau de vie du chef de ménage. Le cas du niveau dinstruction de lépouse est assez illustratif à ce sujet : en croisant cette variable avec le niveau de rémunération du chef de ménage à Dakar (tableau 7), on met en exergue deux effets antagonistes qui se compensent dans leffet final. Quand lépouse na pas fréquenté lécole, ses chances dexercer une activité économique baissent dans les ménages où les époux sont les mieux rémunérés. Ainsi, dans les ménages où les chefs gagnent moins de 130000 F CFA (les trois quarts les plus pauvres), environ 46 % des femmes sans instruction exercent une activité alors que quand les chefs appartiennent au dernier quart le plus riche dont le revenu médian est de plus de 200000 F CFA, leurs épouses nayant jamais fréquenté l'école sont seulement 36 % à occuper un emploi. A linverse, chez les femmes ayant atteint le niveau secondaire, ce sont plutôt celles dont les époux sont les mieux rémunérés (dernier quart le plus riche) qui sont les plus nombreuses à exercer un emploi. Elles sont 60 % à avoir un emploi alors que dans les troisième et deuxième quarts[18], ce taux varie entre 47 % et 50 %. A Bamako aussi chez les femmes les plus instruites, la proportion doccupées passe de moins de 65 % quand le chef de ménage gagne moins du revenu médian (35000 F CFA), à 83 % quand celui-ci appartient au dernier quart le plus riche (revenu médian de 104 000 F CFA), alors que chez les femmes non instruites, la proportion doccupées tend plutôt à baisser quand on passe des ménages dont les chefs sont les moins bien rémunérés (51 % des épouses sont actives) à ceux dont les chefs sont les mieux rémunérés (47 % des épouses actives). Le comportement des femmes non instruites dont les maris gagnent bien leur vie correspondrait à un modèle familial traditionnel de division de tâche (Becker, 1991). Quand lhomme apporte un revenu consistant, la femme a plus de chances de se consacrer aux activités domestiques. Mais ce modèle est difficilement tenable dans les ménages où lhomme napporte pas suffisamment de ressources ; dans ce cas, lépouse, afin daméliorer les conditions de vie précaires du ménage, est contrainte de travailler. Dans les ménages où les femmes ont significativement fréquenté lécole (secondaire ou plus), na plus cours car elles vont, toutes choses égales par ailleurs, aspirer à plus dautonomie et dépanouissement personnel à travers lexercice dune activité. Dans ce cas, l'élévation du niveau du revenu du mari renforce encore plus leurs chances de travailler car elles peuvent compter sur le réseau du conjoint pour trouver un emploi. Loffre de travail des personnes nappartenant pas au noyau familial Aussi bien à Dakar quà Bamako, la proportion des personnes occupées nappartenant pas au noyau familial varie en dents de scie suivant les différentes catégories de revenus du chef de ménage (tableau 8). A Dakar, cette proportion passe de 49 % dans le quart le moins rémunéré à 55 % dans le second, pour ensuite redescendre à 47 % dans les ménages dont les chefs appartiennent au troisième quart et à 44 % dans le dernier. A Bamako, cest quand le chef de ménage gagne un revenu appartenant au second quartile que la proportion dapparentés exerçant une activité est le plus élevée (46%), alors quelle est le plus faible (32%) quand le chef de ménage appartient au dernier quart le mieux rémunéré. Afin de mesurer leffet net du revenu du chef de ménage sur lactivité économique des apparentés, nous lavons fait avec les conjointes, contrôlé dans une régression logistique le sexe, lâge et le niveau dinstruction des apparentés, ainsi que lâge et le secteur dactivité du chef de ménage (tableau 9). Les résultats confirment labsence de lien entre lexercice dune activité économique par les dépendants n'appartenant pas au noyau familial et le niveau de rémunération du chef de ménage aussi bien à Dakar quà Bamako. Que leurs chefs soient bien ou mal payés, les ménages des deux villes recourent dans les mêmes proportions au travail des personnes extérieures au noyau familial. Si les ménages pauvres ne parviennent pas, plus que les non pauvres, à mobiliser le travail des apparentés plus que les ménages aisés, mettent-ils plus leurs propres enfants sur le marché du travail ? L'offre de travail des enfants du chef de ménage Après les parents (chefs de ménages et conjoints), les enfants sont, sans aucun doute, les membres les plus stables des ménages et pourraient, de ce fait, y constituer des éléments clefs dans la mise en place des stratégies de survie. En effet, contrairement aux membres extérieurs au noyau familial qui arrivent par immigration et peuvent facilement quitter le ménage d'accueil (en retournant par exemple chez leurs parents) quand la situation de celui-ci se dégrade, les enfants du couple nont pas cette alternative et sont probablement plus solidaires vis-à-vis de leurs parents. Les résultats vont dans le sens de cette hypothèse puisque, aussi bien à Dakar qu'à Bamako, les ménages dont les chefs sont les plus pauvres sont ceux dans lesquels les enfants (de 10 ans ou plus) participent le plus aux activités économiques (tableau 10). Dans la première ville, la proportion d'enfants occupés est de 47 % quand le chef de ménage actif fait partie du premier quart le plus pauvre et baisse à 39 et à 28 % respectivement pour les deux quarts suivants, pour sétablir à seulement 18 % quand dans le dernier quart le mieux rémunéré. A Bamako, les taux doccupation des enfants sélèvent à 26 % quand le père appartient aux deux premiers quartiles les moins rémunérés, baissent à 22 % dans le troisième quartile et descendent à 14 % quand le père appartient au quartile le mieux payé. Comme pour les conjointes et les apparentés, nous avons contrôlé linfluence des caractéristiques de lenfant (âge, niveau dinstruction, sexe) et du chef de ménage (âge, secteur dactivité). A Dakar, le faible taux d'occupation des enfants dans les ménages dont les chefs sont les mieux rémunérés est confirmé (tableau 11). A Bamako par contre, lintroduction du secteur dactivité (formel/informel) du chef de ménage fait disparaître lincidence de leffet de son niveau de rémunération sur loffre de travail des enfants. En construisant des modèles séparés pour chaque secteur dactivité (tableau non présenté ici), on note, à Dakar, que quand le père exerce une activité dans le secteur informel, son niveau de rémunération na aucune incidence sur la propension des enfants à exercer une activité économique. Au contraire, quand le père exerce une activité du secteur formel, les chances que ses enfants soient occupés est significativement plus faible dans les ménages dont le revenu du chef appartient au dernier quartile le plus riche. Cela pourrait sexpliquer dune part par le fait que les chefs de ménages exerçant dans le secteur informel recourent à leurs enfants comme aides familiaux ou apprentis[19]. Une autre explication pourrait être que, quand bien même ils auraient des revenus élevés, une partie des chefs de ménages exerçant dans le secteur informel resteraient vulnérables, doù la nécessité pour les ménages concernés de diversifier leurs sources de revenus afin de faire face aux imprévus. En résumé, les ménages dont les chefs exercent dans linformel, ainsi que ceux dont les chefs exercent dans le formel mais qui ne gagnent pas assez peuvent plus compter sur leurs enfants pour améliorer leur quotidien à Dakar. A Bamako, que les chefs de ménages soient pauvres ou non, leurs enfants travaillent dans les même proportions (après contrôle de tous les autres facteurs). Dans lune comme dans lautre, le recours aux enfants peut avoir des conséquences négatives s'ils sont encore jeunes. Car dans ce cas, cela signifie abandon ou délaissement de lécole et compromission de leurs chances doccuper, plus tard, un emploi qualifié. En croisant lâge de lenfant et le niveau de rémunération de la personne de référence, il en ressort queffectivement cest chez les plus pauvres que loccupation des enfants en bas âge est élevée et ceci tant à Bamako qu'à Dakar (tableau 12). A Bamako, en moyenne 10 % des enfants de 10-14 ans exercent une activité économique dans les ménages où les chefs appartiennent aux trois premiers quarts des ménages les plus pauvres, contre 6 % quand le chef de ménage appartient au quart le plus riche[20]. A Dakar, ce sont 13 % des enfants qui travaillent dans les deux quarts les plus pauvres, contre 8 % dans le troisième et seulement 5 % dans le quart le plus riche[21]. En somme, en plus du chef de ménage, un certain nombre de membres contribuent[22] à la production des ressources du ménage à travers lexercice dune activité. A Dakar en particulier, cette activité des membres secondaires dépend du niveau de rémunération du chef de ménage. Ainsi dans les ménages dont les chefs appartiennent au premier quart le plus pauvre (ils gagnent entre 10 et 42 mille Francs CFA) ou au second (entre 42 et 60 mille francs), 48 % des personnes autres que les chefs de ménages exercent une activité économique ; elles ne sont plus que 38 % quand les chefs appartiennent au troisième quart (entre 60 et 129 mille FCFA) et 32 % quand ils font partie du quart le plus riche (entre 130 et 2322 mille FCFA). A Bamako, les différences sont plus ténues : les ménages dont les chefs appartiennent aux trois premiers quarts[23] les plus pauvres (ils gagnent un revenu compris entre 10 et 80 mille FCFA) ont pratiquement le même taux doccupation des dépendants (entre 36 et 39 %) et ce nest que dans les ménages dont les chefs sont les mieux payés que ce taux passe à 30 %. Contrairement à Dakar où les modèles de régression ont confirmé la plus forte mobilisation de la main-duvre secondaire dans les ménages dont les chefs sont les plus pauvres, Bamako a offert une configuration où la mobilisation de cette main-duvre ne dépendait pas du revenu rapporté par le chef de ménage. Mais on ne saurait parler dabsence de stratégie de survie des ménages bamakois. Nous pensons plutôt que les faibles niveaux de rémunération qui existent dans cette ville incitent tous les ménages, même ceux dont les chefs sont relativement bien payés à placer leurs dépendants sur le marché du travail. Dans tous les cas, quel est limpact de lactivité des membres secondaires sur le niveau des inégalités ? Incidence du revenu des membres secondaires sur la réduction des inégalités entre ménages Lidée ici est de voir si le fait que dautres membres que le chef de ménage travaillent contribue à réduire les inégalités entres ménages et de ce fait, à améliorer la situation des plus démunis. Ceci serait le cas si en intégrant les revenus des membres secondaires du ménage, on améliore la situation des ménages dont les chefs sont pauvres comparativement à ceux dont les chefs sont aisés. Le tableau 14 montre que si le chef était lunique actif à Bamako, les ménages les plus pauvres nauraient quun revenu équivalent à 14 % du revenu des plus aisés pour vivre ; le second quart 22 % et le troisième quart 37 %. A Dakar, les inégalités seraient encore plus importantes : les ménages du premier, second et troisième quart ne disposeraient que respectivement de 8, 18 et 32 % du revenu de ceux du dernier quart le plus riche. Comment les contributions des membres secondaires agissent-elles sur ces distributions ? Tant à Bamako quà Dakar, la prise en compte du revenu des personnes secondaires réduit de manière non négligeable les inégalités (tableau 14). A Bamako, lintégration des rémunérations de tous les actifs dans les ménages fait passer les revenus[24] des premier et second quarts des ménages à respectivement 21 % et 28 % du revenu des plus aisés, contre 14% et 22% si les chefs de ménages étaient les seuls actifs. Les ménages du troisième quart améliorent aussi leur niveau de vie car avec lintégration des actifs secondaires, leur revenu représente 44 % de celui des plus aisés, contre 37 % initialement. A Dakar, lincidence de lactivité des membres secondaires sur la répartition des revenus est encore plus importante. Ainsi les premier et second quarts des ménages les plus pauvres gagnent respectivement 21 et 36 % du revenu du dernier quart le plus aisé, contre environ moitié moins si les chefs de ménages étaient les seuls pourvoyeurs de ressources. Les ménages dont les chefs appartiennent au troisième quart accroissent également leur revenu relatif, passant de 32 % à 41 %. Bien évidemment cette réduction des inégalités dans les deux métropoles tient au fait que la répartition des revenus dau moins lunes des catégories dactifs secondaires (conjointes, enfant, autres parents) du ménage est moins inégalitaire que celle du chef de ménage (tableaux 15a, 15b et 16[25]). A Bamako, les conjointes, enfants et autres parents rapportent toujours moins dans les ménages dont les chefs sont pauvres (les deux premiers quarts) que dans le dernier quart le plus riche. Mais, les écarts sont chaque fois moins importants que sur le revenu du chef de ménage. En particulier, au niveau du revenu des enfants, les différences se réduisent substantiellement : les enfants des ménages les plus pauvres (les deux premiers quarts) rapportent jusquà 85 % à 92 % de ce que rapportent ceux des ménages les plus riches. A Dakar, on note même une inversion de la hiérarchie des revenus chez les enfants. Ces derniers rapportent deux et trois fois plus dans le premier et le second quart des ménages les plus pauvres que dans le dernier quart le plus riche. Pour les autres catégories de membres de ménages, (conjoints, autres parents), la même configuration qu à Bamako sobserve ; i.e. que la répartition du revenu contribue à réduire les inégalités, mais les ménages les plus nantis demeurent ceux où ces membres rapportent le plus. A des degrés divers, les ménages mobilisent les membres secondaires afin daccroître leur niveau de vie. Aussi bien à Dakar quà Bamako, les conjointes sont, après les chefs, celles qui participent le plus à lexercice dune activité économique. A Dakar plus précisément, cette implication dans les activités génératrices de revenus va croissante (toutes choses égales par ailleurs) avec la baisse du niveau de rémunération du chef de ménage. Cest aussi à Dakar quon observe un lien négatif entre la participation des enfants au marché du travail et le revenu du chef de ménage. A Bamako, les mêmes analyses conduisent à conclure à labsence de lien. Il est possible que, pendant que les ménages pauvres développent des stratégies de survie afin de sortir de la pauvreté ou au moins daméliorer leurs conditions dexistence, les ménages les moins pauvres mettent aussi en place des stratégies afin daccroître ou de maintenir leur niveau de vie. Ce sont probablement ces stratégies tous azimuts qui rendent non significatifs les liens entre activité économique des membres secondaires et niveau de rémunération du chef de ménage à Bamako. Ceci est en particulier le cas des ménages dont les chefs exercent dans le secteur informel : quils tirent des revenus maigres ou substantiels de leur activité, ils recourent, dans des proportions comparables, au travail des enfants, même quand ces derniers sont jeunes. Il faut en effet dire que des ménages, en particulier ceux du secteur informel, peuvent générer des revenus substantiels mais rester vulnérables du fait de multiples aléas qui pèsent sur leurs activités. Dans tous les cas, la participation d'autres membres que le chef à l'activité économique permet de réduire les inégalités parmi les ménages car en général, les inégalités de rémunérations sont moins fortes entre les membres secondaires qu'entre les chefs de ménages, ajouté au fait que, dans certains cas, les membres secondaires sont plus nombreux à travailler dans les ménages pauvres. Par ailleurs, la participation des conjointes ne saurait être simplement considérée sous langle des stratégies de survie car, avec la modernisation et lélévation du niveau dinstruction, elles devraient aspirer à un statut plus favorable qui passe par la participation à lactivité économique, que le ménage soit pauvre ou non. Enfin, même si la contribution des enfants aux ressources des ménages permet, à cours terme, daméliorer les conditions dexistence, elle peut aussi les maintenir dans le cercle vicieux de la pauvreté car cette contribution passe par le délaissement de lécole pour ceux qui sont encore jeunes et donc impossibilité soit doccuper plus tard les emplois rémunérateurs et sécurisants du secteur moderne, ou bien de disposer des aptitudes nécessaires afin de moderniser leur activité. Bibliographie
[1] Tout au moins dans le contexte africain. [2] Comme leur noms lindique les enquêtes 1-2-3 sont des enquêtes en 3 phases : une enquête emploi en général (1), une enquête secteur informel(2) et une enquête consommation des ménage(3). [3] Pour une description des méthodologies de ces enquêtes, qui ont couvert les sept capitales de lUEMOA (Abidjan, Cotonou, Bamako, Dakar, Lomé, Conakry, Niamey), on pourra se référer aux différents rapports nationaux. [4] Dans une étude sur les stratégies de survie des ménages en Côte dIvoire, Koné Koko Siaka (2002) a substitué la notion de principal soutien économique à celle de chef de ménage déclaré ; 12 % des ménages sen sont trouvés affectés. Ceci signifie que le chef de ménage peut ne pas être le principal soutien économique. Mais quel que soit son revenu, nous maintiendrons le chef de ménage déclaré comme individu principal du ménage car d'une part on utilise le revenu courant et non permanent et, d'autre part, même s'il arrive au chef de ménage de ne pas avoir (temporairement ou de manière permanente) le revenu le plus élevé, le fait de se déclarer tel est probablement le reflet d'une position de pouvoir au sein du ménage. [5] Tout au moins dans le contexte africain. [6] Entre environ 50% pour les femmes, contre 75% pour les hommes (15-64). [7] Pour une description des méthodologies de ces enquêtes, qui ont couvert les sept capitales de lUEMOA (Abidjan, Cotonou, Bamako, Dakar, Lomé, Conakry, Niamey), on pourra se référer aux différents rapports nationaux. [8] A Dakar, nous avons éliminé environ 200 ménages dans lesquels des personnes de 10 ans ou plus navaient pas été enquêtées. Au moment de rédiger cette communication, une enquête complémentaire était en cours afin de couvrir les individus manquants. [9] Le banco est un mélange de terre argileuse et de paille servant de matériau de construction des murs [10] Les ménages qui nont pas délectricité séclairent plus à la bougie (9 %) quau pétrole (4 %). [11] Le revenu par tête est alors de 23.000FCFA par personne à Dakar contre 15.000FCFA à Bamako. [12] il sagit de lindicateur de parité de pouvoir dachat (PPA) rapporté au taux de change avec le dollar américain. [13] Il sagit du premier quart selon la distribution des revenus par tête. [14] Mais, il convient de bien préciser ici quil ne sagit que des revenus de lactivité. Il est possible que les conditions de vie des pauvres de Dakar soient meilleures que celles de ceux de Bamako (ou linverse), à cause des mécanismes de redistribution, que nous nanalysons pas ici. [15] Cette hypothèse est discutable car nous observons les stratégies ex-post, cest-à-dire après quelles aient eu lieu. Un ménage initialement formé dune seule personne peut, au moment de lenquête, avoir justement accru sa taille afin d améliorer sa force productive ; tout comme un ménage dune personne peut nêtre que la résultante dune stratégie mis par un ménage de plus dune personne ayant fait partir certains de ses membres. Mais dans cette étude, nous privilégions les stratégies basées sur le déploiement des membres présents dans le ménage aux stratégies fondées sur la reproduction de la force de travail (par la migration et la fécondité). [16] Il convient de souligner que nous entendons par offre de travail le fait d'exercer une activité. Par rapport à la définition classique, nous excluons les chômeurs. Dans la suite de cette étude aussi, la participation à l'activité économique veut dire exercice d'un emploi. Nous avons opté pour cette définition restrictive car dans l'optique de stratégies de survie les individus qui veulent vraiment travailler devraient pouvoir trouver un emploi dans le secteur informel ; le chômage est alors considéré, au moins partiellement, comme un luxe. [17] Aucune des variables prises individuellement ninduit deffet significatif du niveau de rémunération du chef de ménage. [18] Les effectifs du premier quartile sont assez faibles pour que le taux doccupation soit consistant. Cela est dû au fait que très peu de femmes instruites se sont mariées avec des hommes appartenant à la catégorie la plus pauvre. Seulement 7 femmes ayant atteint le niveau du secondaire sont mariées avec des hommes qui appartiennent au premier quart le plus pauvre à Dakar. Elles sont 13 à Bamako dans la même situation. [19] 30 % des personnes exerçant dans le secteur informel emploient une autre personne et dans 12 % des cas, il sagit de leurs enfants. Ces derniers ont presque toujours (à 94 %) le statut daide familial ou dapprenti non rémunéré [20] ce taux est de 2 % quand il exerce dans le secteur formel [21] ce taux est de 3 % quand il exerce dans le secteur formel [22] Il peut néanmoins arriver quun membre travaille mais ne pas mettre ses ressources à la disposition du ménage. Nous supposons que de tels cas sont rares ou tout au moins que de pareils membres soccuperont au moins deux- mêmes, et allégeant ainsi les charges du ménage. [23] A Bamako, le premier quartile va de 10000 FCFA à 29000FCFA, le second de 29000 à 45000, le troisième de 45000 à 80000 et le dernier de 80000 à 840000. [24] Précisons quil sagit des revenus per capita. [25] Le tableau 15 fournit les montants totaux par ménage et par catégorie de membres; alors que le tableau 16 fournit les montants par membre actif Copyright 2004 - Union for African Population Studies |