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African Population Studies
Union for African Population Studies
ISSN: 0850-5780
Vol. 19, Num. SA, 2004, pp. 155-175

African Population Studies/Etude de la Population Africaine, Vol. 19, No. 2, Sup. A, 2004, pp.155-175

Transformations familiales et pauvreté au Gabon

MOUVAGHA-SOW Myriam

Attachée Temporaire d’Enseignement et de Recherche
Université de Paris X-Nanterre  - France

Code Number: ep04025

Résumé

La famille a connu d’importantes évolutions partout dans le monde ces dernières décennies et notamment en Afrique sub-saharienne. Les familles africaines sont confrontées aussi bien aux changements socioculturels qu’à la crise économique. Le Gabon n’est pas à l’écart de ces deux effets (modernisation et paupérisation), même si c’est un pays à revenus intermédiaires relativement favorisé à l’échelle du continent. En effet, il a été touché par une grave crise économique depuis le milieu des années 1980, qui a entraîné une paupérisation importante de la population. Cela est bien visible notamment dans la capitale, Libreville, dont une proportion importante des habitants connaît des conditions de vie très difficiles. En particulier, le chômage est de plus en plus répandu et il touche en premier lieu les jeunes adultes, même quand ils sont diplômés. Les données d'une enquête quantitative réalisée en 1999, à Libreville, auprès de 357 ménages, 484 femmes et 424 hommes (Enquête Fécondité Libreville 1999 (EFL 1999)) et d’entretiens semi-directifs, ont permis d’observer des transformations familiales. L’accroissement de la proportion de femmes chefs de ménage, par exemple, si elle peut être un signe d’émancipation féminine semble surtout avoir pour effet une diminution des revenus des ménages. Toutefois, la taille des ménages paraît s’accroître et la plupart d’entre eux sont étendus et recomposés. Ainsi, la solidarité familiale, qui se manifeste notamment par l'accueil d'enfants confiés et de jeunes adultes, persiste, pour l’instant, dans tous les milieux. Mais on sent bien que les classes aisées, qui commencent également à ressentir les effets de la crise économique, semblent remettre en question la solidarité envers la famille élargie en se recentrant sur la famille proche. Enfin, des proportions importantes d’enfants confiés et de jeunes adultes sont accueillis dans les ménages et peuvent être mises en relation avec le recul du passage à l’âge adulte. En effet, beaucoup d’enfants confiés sont des enfants que les jeunes filles ont eu très tôt, alors qu’elles n’étaient pas au sein d’une union stable co-habitante. Ces jeunes filles, tout comme les jeunes hommes avec lesquels elles ont eu leurs enfants, sont hébergés de plus en plus longtemps par leur famille, faute d’un accès à un logement autonome. Ainsi, les jeunes gens se fréquentent et font des enfants, car ils n’ont pas recours à la contraception moderne, bien avant de pouvoir cohabiter et de se marier. Le mariage arrive beaucoup plus tardivement, car il est très coûteux, mais il est vrai, qu’au Gabon, il n’a jamais était le lieu exclusif de la reproduction.

Introduction

La famille a connu d’importantes évolutions partout dans le monde ces dernières décennies et notamment en Afrique sub-saharienne (recul de l’âge au mariage, diminution des mariages arrangés, augmentation de la sexualité pré-conjugale, changements dans les rapports entre époux, augmentation de la pratique contraceptive, baisse de la fécondité, etc.).

D’après la théorie de la modernisation, celle-ci entraînerait une prééminence des individus et du couple sur la famille élargie. Le modèle du couple conjugal stable serait alors adopté partout (Goode, 1963). En préalable à la baisse de la fécondité, on devrait passer des ménages étendus à des ménages nucléaires. Cependant, tout porte à croire que cette prédiction était erronée. En effet, des études en Afrique sub-saharienne ont montré que la fécondité baissait au sein de ménages étendus (Yana, 1999). Les limites de cette théorie, en ce qui concerne l'Afrique, proviennent certainement du fait que la conception occidentale de la famille est très différente de celle qu'on observe en Afrique, où les enfants appartiennent à la famille élargie et au lignage plutôt qu'à leurs seuls parents biologiques. En outre, dans l'Afrique urbaine contemporaine, le ménage nucléaire n'est pas un gage de « modernité », mais souvent un signe de précarité (Wakam, 1997). En effet, les familles africaines ne sont pas confrontées qu’aux changements socioculturels, mais également à la crise économique et à la paupérisation qu’elle a entraîné depuis de nombreuses années.

Le Gabon n’est pas à l’écart de ces deux effets (modernisation et paupérisation), même si c’est un pays à revenu intermédiaire relativement favorisé à l’échelle du continent. Toutefois, la majeure partie de la population du pays a été touchée de façon importante par la crise économique.

L’objectif de cette communication est de faire un bref bilan de plusieurs aspects de l’évolution des familles gabonaises étudiés en relation avec le niveau socio-économique. Après avoir présenté les sources et le contexte socio-économique, il s’agira, dans un premier temps, de montrer l’impact de la pauvreté sur la structure des ménages, avec un accent sur les enfants confiés et surtout sur les jeunes adultes hébergés. Nous étudierons ensuite l’entrée en union et l’entrée en vie féconde.

Méthodologie

Les données utilisées pour cette communication proviennent d'une enquête quantitative réalisée en 1999[1], à Libreville, auprès de 484 femmes et 424 hommes (Enquête Fécondité Libreville 1999 (EFL 1999)) et d’entretiens semi-directifs. L’enquête quantitative a également recensé 357 ménages regroupant 2 539 personnes.

Dans la première partie (II), l’analyse statistique se fera à partir de l’enquête auprès des ménages. Celle-ci a insisté particulièrement sur la saisie des liens de parenté entre les différents membres des ménages et permet d’identifier différents statuts. L'analyse se fera essentiellement selon le quartier de résidence au moment de l’enquête. En effet, afin d'étudier l'impact du niveau économique, nous avons utilisé cette variable pouvant l'approcher. Notre enquête a été mené dans trois quartiers aux populations de niveaux socio-économiques différenciés.

Dans la deuxième partie (III), en plus de l’analyse selon le quartier, nous recourrons à une analyse de l’évolution intergénérationnelle. L’étude s’appuiera, cette fois, sur les données individuelles de l’enquête auprès des femmes et des hommes. Celle-ci a relevé l’histoire matrimoniale détaillée et l’histoire génésique. Nous disposons de deux modules biographiques. Nous utiliserons donc l’analyse des biographies, qui rend possible l’étude des dépendances entre phénomènes démographiques et de l’hétérogénéité des populations. Elle nous permet de retracer la vie matrimoniale et féconde des enquêtés jusqu’à la date de l’enquête, de prendre en compte les individus dont l’observation est tronquée « à droite » et d’effectuer des analyses sur des échantillons de petite taille (Courgeau et Lelièvre, 1989 ; Bocquier, 1996). Dans cette communication, nous nous limiterons à une analyse descriptive, en utilisant les âges médians à chaque événement. Toutefois, la plupart des résultats présentés sont statistiquement significatifs, toutes choses égales par ailleurs (Mouvagha-Sow, 2002a).

Un pays à revenus intermédiaires qui connaît une aggravation de sa pauvreté 

Dans cette partie, nous donnerons un aperçu de la situation socio-économique du Gabon et des conditions de vie dans la capitale et plus spécifiquement dans les quartiers où nous avons mené notre enquête.

Au niveau national 

Le Gabon est l'un des pays les plus riches d’Afrique sub-saharienne, un pays à revenus intermédiaires, dont l’économie est centrée sur l’exploitation du pétrole, d'autres minerais et du bois. Il a connu une période de grande prospérité économique entre 1973 et 1985. On a  parlé à son propos d’ « émirat équatorial ». Le PNB par tête a ainsi atteint 5 000 dollars, le plus élevé d'Afrique sub-saharienne (le pays ne comptait qu’un million d’habitants lors du dernier recensement en 1993).

Depuis l’effondrement des cours du pétrole et du dollar à la fin de l'année 1985, il connaît une crise économique structurelle, aggravée par la dévaluation du franc CFA en 1994, puis par la mise en place en 1995 de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) (18 %), qui a provoqué une flambée des prix et une dégradation du pouvoir d'achat. Sous l'effet de la crise, le nombre d'emplois a été réduit dans tous les secteurs (moins 25 % dans le secteur public et parapublic entre 1985 et 1992 et moins 50 % dans le secteur privé). Le Gabon a dû se résoudre à mettre en place un programme d'ajustement structurel en 1986.

En outre, l’économie du pays n’est pas assez diversifiée et repose trop fortement sur l’industrie pétrolière. En 1998, 7 % du PIB était consacré à l’agriculture, 60 % à l’industrie et 33 % aux services. A titre de comparaison, on avait pour le Cameroun, 42 %, 22 % et 36 % et pour le Congo, 11 %, 50 % et 39 %. Le pays n'est pas autosuffisant sur le plan alimentaire, à cause de la faiblesse de sa production agricole.

En 2000, d’après le rapport du PNUD, le Gabon était classé au 117ème rang de l’Indice de Développement Humain (IDH)[2]. Cependant, ce classement en fonction de l'IDH est inférieur au classement selon le PIB par habitant (moins 44 places). L'écart est dû essentiellement à la faible espérance de vie à la naissance (estimée à 52,7 ans en 2000) et à un taux d’alphabétisation encore insuffisant (estimé à 71 % en 2000) (PNUD, 2002), même si le taux de scolarisation est certainement l’un des plus élevés d’Afrique sub-saharienne (estimé à 86 % en 2000).

On observe, par ailleurs, que le niveau de développement économique est supérieur à la moyenne des pays d'Afrique sub-saharienne, mais que les conditions sanitaires semblent largement en dessous de ce qu'elles devraient être. En particulier, le taux de mortalité maternelle est relativement élevée (519 pour mille). Néanmoins, la mortalité infanto-juvénile est l'une des plus basses d'Afrique sub-saharienne (90 pour mille), même si elle stagne depuis le début des années 1980 en raison des difficultés financières du pays (République gabonaise, 2001).

Pourtant, le pays a engagé des dépenses importantes concernant l’éducation et la santé. Ainsi, l’infrastructure sanitaire créée est impressionnante, mais la répartition des équipements est très inégale et la plupart des dispensaires en milieu rural ne sont pas opérationnels. De même,  avec 250 dollars par élève, le Gabon dépense cinq fois plus que la moyenne des pays francophones. Toutefois, la part du PNB consacrée aux dépenses publiques d'éducation est passée de 5,8 % entre 1985-87 à 2,9 % en 1995-97, tandis que les dépenses publiques de santé sont restées stables (2 % en 1990 et 2,1 % en 1998) (PNUD, 2002). En outre, le système éducatif est peu performant, en grande partie à cause de surcharges d’effectifs dans les grandes villes (PNUD, 1998).

A Libreville 

Le Gabon est touché par un exode rural très important depuis l'indépendance du pays en 1960 et encore plus depuis son décollage économique au début des années 1970. Les trois principaux centres urbains sont Port-Gentil, Moanda/Franceville et la capitale, Libreville. L’urbanisation a été estimée à 73 % lors du recensement de 1993 et à 81 % en 2000 (PNUD, 2002). C’est l'un des taux les plus élevés d’Afrique sub-saharienne. En 1993, Libreville, avec 419 596 habitants, regroupait 41 % de la population et avait un rythme moyen d'accroissement annuel de 8 %.

Dans cette ville, on observe actuellement des conditions de vie difficiles pour une grande partie de la population. Il n’y a pas de véritable politique d’aménagement urbain et dans de nombreux quartiers, l'environnement est très défavorable. D’après la Banque mondiale,80 % de la population de Libreville habite des zones non viabilisées(Banque mondiale, 1996). Ainsi, en 2000, seuls 42 % des ménages de Libreville avaient accès à l’eau courante dans leur logement et la plupart ne disposaient que de latrines (République gabonaise, 2001). Dans la majorité des ménages, le chef de ménage est le principal générateur de revenus et l’on compte un grand nombre de jeunes adultes hébergés, à cause de la poursuite de la scolarisation à des âges élevés et surtout du fort taux de chômage des jeunes (Banque mondiale, 1996).

Dans les quartiers enquêtés

Notre enquête s’est déroulée dans trois secteurs de dénombrement distincts faisant partie de trois quartiers différents de Libreville : la Cité Damas, Nzeng Ayong et la Sorbonne. Ces quartiers sont assez différenciés par les populations qui y habitent.

La Cité Damas est un quartier plutôt résidentiel qui, comme son nom l’indique, ressemble à une cité avec des rues parallèles bien tracées et goudronnées. Au dénombrement de 1992, 64 % des ménages avaient accès à leur logement par une voie bitumée et 9 % par une piste carrossable. Ce quartier comptait alors une population de 2 695 personnes, répartie en 400 ménages et y vivaient, en grande majorité, des Gabonais (91 %). D’après notre enquête, la quasi-totalité des ménages interrogés dans ce quartier vivent dans un habitat moderne(enciment).Dans la suite de notre analyse, nous l’appellerons le « quartier résidentiel ».

Nzeng Ayong (nom Fang qui signifie  « qui cherche sa tribu »), est le plus grand quartier de Libreville : 17 595  personnes réparties dans 2 801 ménages en 1992 avec 88 % de Gabonais. Il comprend des populations de niveaux socio-économiques assez différenciés, mais essentiellement des « classes moyennes ». Certaines parties de ce quartier ont été construites de façon assez désordonnée, avec très peu de voies de circulation. Dans d’autres, les lotissements sont bien faits, avec des routes rectilignes. Au dénombrement de 1992, 13 % des ménages avaient accès à leur logement par une voie bitumée et 53 % par une piste carrossable.  Nous l’appellerons le « quartier moyen ». 

Quant à la Sorbonne, c’est un assez petit quartier avec 4 600 personnes et 1 009 ménages en 1992. Il est proche du plus grand marché de Libreville, le marché de Mont Bouët, et de la gare routière. Il a la particularité de compter un grand nombre d’étrangers (seulement 69 % de Gabonais en 1992). Cette forte proportion d’étrangers va de pair avec un niveau socio-économique plutôt bas de ses habitants. La plupart des maisons ont été construites de façon anarchique. Il ne bénéficie pas, dans sa plus grande partie, du minimum d’infrastructures telles que des évacuations d’eaux usagées (ce qui entraîne la prolifération du paludisme, des diarrhées…), de routes goudronnées, etc. Au dénombrement de 1992, seuls 9 % des ménages avaient accès à leur logement par une voie bitumée et 11 % par  une piste carrossable. Par ailleurs, 75 % des ménages étaient confrontés à la présence d’ordures ménagères dans leur environnement proche. Notre expérience sur le terrain confirme que la situation ne semble pas s’être améliorée à ce niveau. Ce quartier s’apparente assez bien à ce qu’on nomme au Gabon les matitis. Il s’agit, en quelque sorte, de bidonvilles, où beaucoup de maisons sont en planches couvertes de tôle ondulée et construites dans des dépressions, qui sont inondées durant la saison des pluies. D’après notre enquête, un quart des ménages interrogés dans ce quartier vivaient dans un habitat très précaire (matériaux de récupération, rafistolés...). Mais il faut noter que des personnes de la classe moyenne y résident, ce qui rend, en définitive, les niveaux socio-économiques des populations de ce quartier assez hétérogènes. Cependant, il comprend une proportion importante de personnes défavorisées. Nous l’appellerons donc le « quartier populaire ». 

La majorité des ménages interrogés  l'ont été dans le quartier moyen  (59 %) et  on a enquêté autant de  ménages dans  les deux autres quartiers (22 % dans le quartier populaire et 19 % dans le quartier résidentiel).

Une solidarité familiale qui persiste

Les ménages

Nous nous intéressons à la famille, que nous définirons comme un ensemble de personnes ayant des liens de parenté ou d’alliance. Pour ce faire, nous utilisons le ménage. Le ménage, en Afrique, a souvent été considéré comme mal adapté à la description des structures familiales, même s'il recouvre une réalité sociale (Sala-Diakanda, 1988 ; Locoh, 1997). Toutefois, au Gabon, en milieu urbain, on peut considérer que c'est un concept opératoire. En effet, comme on va le voir, les ménages sont bâtis quasiment exclusivement sur des liens de parenté et d'alliance.  

Une proportion importante de femmes chefs de ménage

En 1960, il n'y avait que 8 % de chefs ménage de sexe féminin (République gabonaise, 1965). C'était le cas de 29 % des chefs de ménage lors du dénombrement de Libreville de 1992 (ménages gabonais), de 22 % au recensement de 1993 (toutes nationalités), de 26 % lors de l’Enquête Budget Consommation de 1994 (ménages africains) et de 26 % lors de l’Enquête Démographique et de Santé en 2000 (ménages de Libreville et de Port-Gentil) (République gabonaise, 1992, 1995, 2001).

Cet accroissement de la proportion de ménages dirigés par une femme est confirmé dans notre enquête où c'est le cas de 25 % des ménages. La proportion de femmes chefs de ménage varie de 19 % dans le quartier populaire à 29 % dans le quartier moyen, en passant par 21 % dans le quartier résidentiel.

On observe donc une augmentation importante de la proportion de femmes à la tête de ménages, comme dans d'autres pays africains (Locoh, 1997 ; Pilon et al., 1997). D'après les Enquêtes Démographiques et de Santé de 1988 à 1994, les proportions de femmes chefs de ménages variaient entre un minimum de 7 % au Burkina Faso et un maximum de 46 % au Botswana (Pilon et al., 1997). Or la montée des femmes chefs de ménage est révélatrice des changements sociaux en cours dans une société, en particulier de l'évolution des rapports socialement construits entre les hommes et les femmes. Par ailleurs, l'augmentation des ménages dirigés par une femme peut traduire une autonomisation des femmes, mais aussi une certaine précarisation de leurs conditions de vie (Pilon et Vignikin, 1996). Ainsi, d'après une étude sur la pauvreté au Gabon, « Les ménages dont le chef est une femme (27 pour cent de l'ensemble) sont plus souvent pauvres que les autres. » (Banque mondiale, 1996, p. 18) 

Un accroissement de la taille des ménages

Traditionnellement au Gabon, le groupe élémentaire de production agricole, dirigé par chaque homme marié, constituait une unité domestique restreinte proche du « ménage statistique » qui comptait cinq personnes en moyenne (Pourtier, 1989). Bien qu'il puisse être autosuffisant, ce ménage était inclus dans un ensemble plus vaste, le quartier, constitué par la famille étendue. Le quartier était un « groupe familial de coopération » qui répondait à des objectifs d'ordre social plus qu'économique. Il n’y a donc jamais eu de grandes concessions comme on peut en rencontrer dans certaines sociétés d’Afrique de l’Ouest.

C’est ce qu’on observait encore en 1960-61, lors du premier recensement du Gabon indépendant et l’enquête démographique effectuée en parallèle. Dans le rapport, il est indiqué que : « La grande concession groupant plusieurs ménages de mêmes générations et de générations distinctes est donc pratiquement inexistante dans ce pays. » (République gabonaise, 1965, p. 71).

On avait alors relevé une moyenne de 3,9 personnes par ménage. Toutefois, s'inspirant des opérations de collecte en Afrique de l'Ouest, on avait également considéré la concession, qui fut abandonnée par la suite. On comptait alors, en moyenne, 4,6 personnes par concession, ce qui était relativement faible pour l’Afrique. En plus, il y avait moins de personnes par concession en milieu urbain que dans les villages (3,9 contre 4,9) (République gabonaise, 1965). On peut donc estimer qu’il y avait à Libreville environ 4 personnes par ménage. Au dénombrement de Libreville de 1992, les ménages gabonais comptaient, en moyenne, 6,7 membres. En 2000, les ménages de Libreville et Port-Gentil comprenaient, en moyenne, 5,1 personnes[3]. Dans notre enquête, le nombre moyen de personnes par ménage était de 7,1. On peut donc considérer que la taille moyenne des ménages gabonais paraît plutôt s’accroître.

Par ailleurs, en 1960-61, le facteur le plus discriminant de la taille des ménages était la catégorie socioprofessionnelle du chef. La taille des concessions variait ainsi de 3,3 pour les domestiques à 7,2 pour les cadres de l’administration (République gabonaise, 1965). Ainsi, on observait que les ménages aisés étaient plus grands que les pauvres. A l’inverse, dans notre enquête, la taille des ménages était un peu plus importante dans le quartier populaire et un peu moindre dans le quartier résidentiel (6,8 dans le quartier résidentiel, 7 dans le quartier moyen et 7,5 dans le quartier populaire).

Des ménages étendus et recomposés

Dans notre enquête, nous ne nous sommes pas contentée de recueillir les liens de parenté par rapport au chef de ménage, mais nous avons pris également en considération les liens par rapport à l'épouse (les épouses ou l'époux) du chef de ménage et par rapport au parent le plus proche. Nous avons ainsi construit un statut des personnes dans le ménage (tableau 1).

On constate, d’emblée, que le ménage est exclusivement fondé sur des liens de parenté ou d’alliance et qu’il est loin d’être nucléaire, comme les résultats de l’Enquête Budget Consommation de 1994 l’avaient montré (République gabonaise, 1995). En effet, 29 % de ses membres (et 28 % lors de l’EBC) ne font pas partie du strict noyau familial (parents et enfants). Il s’agit essentiellement de neveux ou nièces, de frères ou sœurs et de petits-enfants.

Toutefois, on observe des différences selon le quartier. Dans le quartier résidentiel, la parenté élargie est beaucoup moins représentée que dans les deux autres quartiers (23 % contre 31 % dans les autres quartiers). Les ménages aisés seraient donc un peu plus proches des ménages nucléaires que les autres. Il semblerait que ces ménages, certainement plus occidentalisés, s’éloignent de la solidarité familiale africaine traditionnelle.

Par ailleurs, la parenté du côté de la conjointe (ou conjoint) du chef de ménage n’est pas négligeable (10 % en comptant les enfants). Là aussi, les ménages du quartier résidentiel se distinguent, avec seulement 5 %  contre 12 % dans le quartier populaire et 11 % dans le quartier moyen.

Enfin, on notera la proportion importante d’enfants du chef de ménage dont l’autre parent n’est pas dans le ménage (16 %). Si on les additionne aux enfants de la conjointe (ou conjoint), cela fait 20 % d’enfants qui vivent avec un seul de leurs parents biologiques (ce chiffre comprend aussi des personnes adultes). Cela nous donne un aperçu de l’importance des familles recomposées.

Les ménages de notre enquête, construits sur des liens de parenté et d’alliance, sont donc des ménages élargis et recomposés. Ainsi, comme cela a été observé dans d'autres pays africains, les ménages gabonais en milieu urbain ne sont pas nucléaires, ceci infirmant la théorie de la modernisation, comme l'ont montré de nombreux auteurs (Cordell et Piché, 1997). On pourrait même dire que l'on observeune évolution inverse à celle attendue. Même s’il y a des différences selon le quartier de résidence, on observe bien, pour l'instant, une persistance de la solidarité familiale, qui se manifeste notamment par l'accueil d'enfants et de jeunes adultes, comme nous allons le voir maintenant.  

De nombreux enfants confiés  

Par enfants confiés, nous entendons des enfants qui vivent séparés de leur mère biologique. En effet, le « travail reproductif » est dévolu aux mères (Tabet, 1998), et « l'élevage » des enfants, au Gabon, est en général confié exclusivement aux femmes.

Au Gabon, on observe une proportion importante d'enfants confiés. En effet, lors de l’Enquête Budget Consommation à Libreville, en 1994, on a dénombré 20 % d’enfants de 0 à 15 ans qui vivaient séparés de leur mère. De même, lors de l’Enquête Démographique et de Santé, en 2000, on a recensé, à Libreville et Port-Gentil, 20 % d’enfants de moins de 15 ans ne vivant pas avec leur mère (République gabonaise, 1995, 2001).

Dans notre enquête, 18 % des enfants de moins de 15 ans vivent séparés de leur mère. Les enfants confiés sont beaucoup plus nombreux dans le quartier populaire (26 %) que dans le quartier moyen (16 %) et le quartier résidentiel (12 %). Contrairement à ce qui a été observé dans certains pays, il y a quelques années, il ne semble pas que ce soit dans les couches sociales aisées qu'il y ait une plus grande pratique de l’accueil des enfants (Antoine et Guillaume, 1984). Dans le quartier résidentiel, on semble s’éloigner de la pratique de la solidarité familiale traditionnelle, en ce qui concerne l'accueil des enfants. Toutefois, cette pratique au Gabon est difficilement comparable avec d'autres contextes, car d’après une recherche que nous avons menée sur le sujet en 1995, contrairement à ce qui est observé dans d'autres pays africains, les enfants confiés sont tous scolarisés[4] et ne prennent pas forcément plus souvent part aux tâches domestiques que les enfants biologiques de la famille d'accueil (Mouvagha, 1995).

Toutefois, dans un autre travail, en comparant la génération des parents et celle des enfants, on a observé une plus forte implication des mères seules et une moins forte participation de la famille élargie dans l'éducation des enfants (Mouvagha-Sow, 2002b). On peut donc supposer que l'éducation des enfants est de plus en plus confiée à leurs géniteurs, mais qu'avec  l'augmentation des ruptures d'union, les situations monoparentales et les recompositions familiales prennent de l'importance, n’entraînant pas, pour autant, une participation plus grande des pères, malgré la législation en vigueur. Cependant, il ne faut pas oublier qu'une partie des enfants qui vivent avec leur mère, vivent également avec leurs grands-parents maternels et sont souvent, en réalité, élevés par leur grand-mère.

Une forte proportion des enfants confiés (41 %) sont en fait des enfants du chef de ménage qu’il a eus avec une autre femme. Ils vivent donc avec leur père. 22 % sont des neveux ou nièces du chef de ménage, 18 % ses petits-enfants, 3 % ses frères ou sœurs et 3 % d’autres parents. Les autres enfants sont essentiellement des neveux ou nièces de l’épouse (ou de l’époux). Les effectifs sont trop faibles pour faire des distinctions selon le quartier de résidence.

D’après l’enquête auprès des femmes, parmi les raisons qui les ont poussées à confier leur enfant à leur père ou à d'autres personnes apparentées, les difficultés économiques ne sont pas mises en avant (Mouvagha-Sow, 2002b), contrairement à ce qu’on avait constaté en 1995 (Mouvagha, 1995). On observe une forte proportion de non-réponses, ce qui laisse supposer que la réponse à cette question n’est pas facile dans la mesure où le confiage des enfants résulte souvent de plusieurs facteurs, notamment d’une demande de la famille d'accueil.

Quand les enfants sont confiés à leur père, les raisons les plus fréquemment citées sont la décision du père et une bonne éducation. La garde est demandée par le père, soit après une séparation, soit s'il n'y a jamais eu de vie commune, quand celui-ci a obtenu une situation matérielle et souvent matrimoniale stable, car il faut en général une femme pour élever les enfants. C'est aussi souvent le cas quand la mère se remarie ou a une nouvelle union stable, car le nouveau conjoint ne souhaite pas toujours élever les enfants de sa compagne, ou c'est le père qui ne veut pas que ses enfants soient élevés par un autre homme. Une autre raison peut être également que le père n'arrive pas à avoir d'autres enfants dans sa nouvelle union.

Quand les enfants sont confiés à une autre personne, la décision de cette personne est aussi déterminante. En revanche, l'éducation est moins souvent citée, alors que les problèmes financiers sont plus souvent en jeu, ainsi que la scolarisation de la mère au moment du placement. En effet, les jeunes filles qui veulent poursuivre leur scolarité, malgré une grossesse et la naissance d'un enfant, le confient, en général, à leurs propres parents (les grands-parents maternels). Il s'agit d'enfants que les femmes ont eus très jeunes (la moitié des femmes ont eu leur premier enfant avant 19 ans), alors qu'elles étaient encore scolarisées et pas encore engagées dans une union stable.

De jeunes adultes hébergés

Ce phénomène assez répandu de confiage de son premier enfant par les jeunes filles nous a amené à nous intéresser aux difficultés du passage à l’âge adulte et à la situation des jeunes adultes. D'après l'Enquête Budget Consommation de 1994, un quart des adultes de plus de 25 ans étaient hébergés (République gabonaise, 1995).Dans notre enquête,en ce qui concerne les jeunes adultes, on constate, en s'intéressant uniquement aux enfants du chef de ménage et/ou de son(sa) conjoint(e), que 19 % d'entre eux ont au moins 20 ans et que les plus âgés ont 35 ans.

On s'est donc attaché aux jeunes adultes de 20 à 35 ans, afin de voir quelle est leur situation dans les ménages enquêtés. Dans ce groupe d'âges, la grande majorité sont des dépendants. En effet, 67 % de ces individus ne sont ni chef du ménage ni conjoint(e) du chef de ménage. C'est dire la difficulté d'accès à l'autonomie résidentielle qui se fait sentir actuellement chez les jeunes adultes, comme on l'a constaté dans d'autres capitales africaines telles que Dakar, Yaoundé et Antananarivo (Antoine, 1996 ; Antoine et al., 1999 ; Antoine et al., 2001 ; Kuépié, 2002).

Parmi ces dépendants, à peine la moitié (46 %) sont hébergés par leurs parents (tableau 2). Les autres sont hébergés par leur frère ou sœur (26 %), leur oncle ou tante (18 %) ou d'autres personnes apparentées, ou encore sont des conjoint(e)s (essentiellement des femmes) de dépendants de l'hébergeant (6 %). Il y a donc un certain nombre de jeunes gens en couple cohabitant qui vivent dans l’une des familles. Très peu de jeunes sont accueillis par des personnes sans lien de parenté (moins de 1 %).

On constate que la proportion de jeunes adultes hébergés est plus importante dans les quartiers populaire et résidentiel que dans le quartier moyen. Le quartier résidentiel ne se distinguerait donc pas par une solidarité familiale moindre. Cependant, dans le quartier moyen, l'on compte moins d'enfants hébergés et plus de frères, sœurs, neveux ou nièces que dans les deux autres quartiers. La solidarité envers la famille élargie y est donc plus importante que dans les deux autres quartiers. Cela signifie également que les jeunes adultes du quartier moyen sont plus souvent autonomes que dans les deux autres quartiers.

Ainsi, la pratique de la solidarité familiale ne se limite donc pas aux seuls enfants. Les jeunes adultes aussi sont concernés. Par ailleurs, on notera que parmi ces jeunes adultes hébergés, on compte plus d'hommes que de femmes (59 %), alors qu'il y a 52 % d'hommes et 48 % de femmes à cet âge-là. Il faut certainement y voir un effet de l'entrée en union plus tardive des hommes. En effet, nous n'avons pas considéré ici les épouses comme dépendantes, même si c'est assez souvent leur situation (Mouvagha-Sow, 2002a).

La majorité de ces jeunes adultes hébergés ne travaille pas (80 %). Une proportion importante d'entre eux est encore scolarisée (40 %). Ce qui s'explique à la fois par la fréquence des retards scolaires, qui entraîne la prolongation de la scolarité à des âges élevés, et par la poursuite d'études supérieures (20 % des personnes scolarisées). Les autres sont chômeurs ou à la recherche de leur premier emploi (21 %), invalides (3 %) ou simplement inactifs (16 %). Ainsi, d'après une étude sur la pauvreté au Gabon, la proportion de jeunes actifs occupés est  faible. Le taux d'occupation (c'est-à-dire, la proportion d'actifs ayant effectivement travaillé au moins une semaine depuis le début de l'année)« est relativement bas pour les jeunes actifs de 20 à 24 ans (61 pour cent) et de 25 à 29 ans (75 pour cent). » (Banque mondiale, 1996, p. 14)

« Au Gabon, les chômeurs sont surtout des jeunes […], et le chômage atteint […] chez les moins de 26 ans […] 22 % à Libreville. » (Banque mondiale, 1996, p. 124)

On compte plus d'occupés dans le quartier résidentiel (33 % contre 18 % pour le quartier moyen et 16 % pour le quartier populaire) et d'élèves ou étudiants (49 % contre 42 % et 32 %) et donc parallèlement moins de chômeurs et d'autres inactifs. Ainsi, même quand ils travaillent, les jeunes des classes aisées restent longtemps hébergés.

Une des expressions majeures de la solidarité familiale au Gabon concerne donc de plus en plus les jeunes adultes touchés par des difficultés d’insertion sur le marché du travail, les empêchant d’accéder à un logement autonome et donc de former un couple cohabitant. Cependant, cela ne semble pas avoir beaucoup d’effet pour l’instant sur la naissance du premier enfant. C’est ce que nous allons voir plus en détail maintenant.

Une entrée en union retardée mais une naissance du premier enfant relativement stable

Dans cette partie, afin de poursuivre notre étude sur les jeunes adultes et les transformations qui les concernent, on s’intéressera particulièrement à l’évolution, au fil des générations, de l’âge à la première entrée co-résidente et à la naissance du première enfant, qui peuvent être considérés comme deux éléments importants du passage à l’âge adulte. Afin d’éclairer les analyses, nous présenterons également l’évolution de l’entrée en « fréquentation » (union sans co-résidence) et du premier mariage. Nous nous intéresserons également aux différences selon les quartiers.

Une dissociation de plus en plus nette entre la cohabitation, le mariage et l'entrée en vie féconde …

Les femmes

Chez les femmes, on observe que même dans la génération la plus ancienne, le premier enfant naissait plutôt avant la cohabitation et donc au sein d’une fréquentation (un an avant) et bien longtemps avant le mariage (tableau 3). Le mariage n’est donc pas depuis longtemps au Gabon le lieu d’exercice de la procréation. Il faut noter que la virginité jusqu’au mariage n’a jamais été requise chez la plupart des peuples du Gabon, contrairement à ce qu’on a pu observer dans d’autres pays d’Afrique sub-saharienne. Les relations sexuelles préconjugales semblent avoir toujours été tolérées, voir recommandées. Cela a certainement été renforcé par l’importante infécondité pathologique qui a touché le pays.

On constate le même phénomène chez les femmes de 30-39 ans, alors que l’écart est de deux ans chez les femmes de 20-29 ans. L'âge à la naissance du premier enfant reste donc relativement stable, si l'on met de côté les femmes de 30-39 ans. Ces dernières sont nées dans les années 1960 et ont atteint l’âge des premières « fréquentations » pendant la période faste de l’économie gabonaise. On peut peut-être y voir un début d’explication. Elles auraient été sollicitées plus tôt et plus massivement par les hommes nantis, les nouveaux riches, dont l’argent est souvent une monnaie d’échange contre des relations sexuelles et/ou amoureuses.

C’est pour l’instant difficile à dire, mais on peut supposer que l’évolution est à une dissociation encore plus nette entre l’entrée en vie féconde, la cohabitation et le mariage. Ainsi les jeunes femmes ont de plus en plus souvent un premier enfant avant de vivre en couple.

Les hommes

Chez les hommes, dans les trois plus anciennes générations, la première naissance arrivait un peu avant ou un peu après la première cohabitation (tableau 4). Chez ceux de 20-29 ans, elle se produit quatre ans et demi avant. On observe donc très nettement une dissociation entre la cohabitation et l'entrée en vie féconde. Là aussi, le premier mariage a toujours été postérieur à la naissance du premier enfant. Ce phénomène s'accroît parallèlement avec le retard spectaculaire de l'âge au mariage.

On constate donc que la mise en couple est souvent postérieure à la naissance du premier enfant et que ce phénomène est encore plus accru chez les jeunes de 20-29 ans. Une grande proportion des premiers enfants sont donc conçus avec des « petit(e)s ami(e)s », que la famille ne connaît pas, en général.

En outre, la première union avec cohabitation n’a pas toujours lieu avec le père ou la mère du premier enfant. Ce résultat confirme bien l'intérêt de s'intéresser à l'ensemble du processus matrimonial, y compris aux unions sans co-résidence.

… plus importante dans le quartier populaire …

Nous étudions maintenant ces événements selon le quartier de résidence au moment de l’enquête, qui est censé refléter la situation socio-économique (tableau 5). Nous ne présenterons pas les résultats concernant les hommes, car les différences selon le quartier ne sont pas statistiquement significatives au niveau bivarié.

On observe que tous les événements ont lieu plus tardivement dans le quartier résidentiel, sauf le premier mariage. C’est dans le quartier populaire que les femmes ont leur première fréquentation et leur première naissance vivante le plus tôt. En revanche, le premier mariage y est le plus tardif et la première cohabitation est plus précoce dans le quartier moyen. L’arrivée du premier enfant survient quatre ans plus tard dans le milieu aisé.

On peut supposer que ces différences entre quartiers proviennent à la fois du contexte socioculturel (la « modernisation ») et de la paupérisation. En effet, chez les jeunes filles des milieux aisés, il y a une compétition entre l’entrée en sexualité et en fréquentation et la poursuite de la scolarité. Tandis que dans les deux autres milieux, les relations sexuelles et/ou sentimentales sont investies plus tôt, car elles permettent souvent un soutien financier.

… consécutive à des difficultés économiques

Une première naissance non programmée

En général, la première naissance est non programmée et n’a pas pu être évitée à cause d’un faible recours à la contraception et à l’avortement provoqué (lors de la première grossesse). Cette faible pratique contraceptive est liée à un manque d’informations et à un accès difficile, résultant de la politique de population particulière du Gabon (Mouvagha-Sow, 2002a). Mais elle est également due au coût élevé des méthodes contraceptives médicales. La plupart des jeunes filles utilisent donc une méthode gratuite, la continence périodique. Ainsi, les jeunes filles des milieux aisés arrivent mieux que les autres à retarder leur première naissance vivante.

Un accès au logement difficile

L’accès à un logement autonome, qui est un préalable à l’entrée en union cohabitante (6 % seulement des jeunes gens de 20 à 35 ans hébergés sont des conjoint(e)s d’un membre de la famille) est devenu de plus en plus difficile. A Libreville, la plupart des jeunes gens ne peuvent pas assumer le coût d’une location et encore moins la construction d’un logement.

Un mariage coûteux

La première explication au report du mariage est économique. En effet, la célébration d’un mariage, quelle que soit sa forme, entraîne des dépenses importantes. Le mariage coutumier nécessite l’acquittement d’une compensation matrimoniale du futur mari et de sa famille à la famille de la femme dont le prix augmente de façon importante, tandis que le mariage civil nécessite l’organisation d’une fête qui occasionne de nombreuses dépenses, sans parler de la robe de mariée.

Le mariage coutumier

D’après la littérature, il semblerait qu’on note une monétarisation croissante de la dot. Dans de nombreux pays africains, même quand elle est interdite, les montants de la dot sont de plus en plus élevés et cela freine la formation des mariages (Adjamagbo-Johnson, 1997).

Dans notre enquête, nous n'avons pas pu relever la composition exacte de la dot et nous nous sommes contentés d'en demander le montant en argent. Toutefois, les objets symboliques et des boissons alcoolisées peuvent atteindre des montants très élevés, même supérieurs à celui de la dot en espèces. De plus en plus, l'on observe aussi, comme cela se fait lors des mariages civils, la mise en place de nouvelles pratiques lors de la cérémonie. Il s'agit notamment du recrutement d'hôtesses au sein des proches et du port de deux « uniformes », c'est-à-dire de tenue en pagnes et/ou de T-shirts, un pour la famille de la femme et un pour la famille de l'homme. Toutes ces pratiques augmentent le coût de la cérémonie.

Le montant moyen de la dot est d'environ 370 000 F CFA (564 euros). Cependant, les montants s'échelonnent de 0 F (pas de don d’argent) à 2 500 000 F CFA (3 811 euros). La dot peut donc être très élevée, car ce prix ne comprend pas toutes les autres marchandises.

Par ailleurs, ces montants ont augmenté au cours de la période observée, c'est-à-dire depuis 1959 pour les hommes et depuis 1964 pour les femmes. Le coût de la dot s'est accru jusqu'à la première moitié des années 1990 et il a ensuite diminué (figure 1). L'évolution est vraiment identique pour les deux sexes, alors que la majorité des femmes et des hommes enquêtés ne sont pas en couple ensemble. Le pays a été touché par la crise économique en 1986, mais apparemment il a fallu quelques années pour que cela se répercute sur le montant de la dot. La dévaluation du franc CFA en 1994 a certainement joué un rôle important. Le franc CFA a alors été divisé par deux. Il est cependant délicat de comparer des dots versées dans les années 1960 à celles des années 1990. Nous ne savons pas trop comment ont évolué les pouvoirs d'achat au cours de la période, ainsi que l'inflation.

En outre, d’après l’enquête auprès des femmes, on observe des différences importantes selon le quartier de résidence[5], ce qui n'est pas le cas chez les hommes. Ainsi, le montant moyen de la dot est de 237 500 F CFA (362 euros) dans le quartier populaire, de 336 722 F CFA (513 euros) dans le quartier moyen et de 608 039 F CFA (927 euros) dans le quartier résidentiel.

 Le mariage civil

Le mariage civil nécessite également d’importants moyens financiers, notamment pour la confection d’une robe de mariée sur mesure, à défaut d’avoir été achetée en France, ainsi que l’achat d’une robe de soirée, de vêtements pour les hôtesses et demoiselles d’honneur, de T-shirts à l’effigie des mariés et autres gadgets, et surtout la location d’une salle pour le dîner dansant. Il faut préciser qu'en général, les familles sont, dans la mesure du possible, solidaires de toutes ces dépenses. Des cotisations sont organisées pour aider les futurs mariés à financer la cérémonie. De plus en plus souvent, on observe que des faire-part de mariage sont envoyés plusieurs mois à l'avance, avec une précision du montant de la cotisation demandée ou espérée.

Enfin, le fait d’avoir une maison bien à soi est très important. En effet, la nécessité d'être propriétaire de son logement semble être un des passages obligés avant de légaliser son union. Or la construction d'une maison est de plus en plus coûteuse. 

Conclusion 

Le Gabon, à l’instar de beaucoup d’autres pays africains, a été touché par une grave crise économique depuis le milieu des années 1980. Cette crise a entraîné une paupérisation importante de la population du pays. Cela est bien visible notamment dans la capitale, Libreville, dont une proportion importante des habitants connaît des conditions de vie très difficiles. En particulier, le chômage est de plus en plus répandu et il touche en premier lieu les jeunes adultes, mêmes quand ils sont diplômés.

On observe ainsi des transformations familiales. L’accroissement de la proportion de femmes chefs de ménage, par exemple, si elle peut être un signe d’émancipation féminine semble surtout avoir pour effet une diminution des revenus des ménages. Toutefois, la taille des ménages paraît s’accroître et la plupart d’entre eux sont étendus et recomposés. Ainsi, la solidarité familiale, qui se manifeste notamment par l'accueil d'enfants confiés et de jeunes adultes, persiste, pour l’instant, dans tous les milieux. Mais on sent bien que les classes aisées, qui commencent également à ressentir les effets de la crise économique, semblent remettre en question la solidarité envers la famille élargie en se recentrant sur la famille proche.

Enfin, ces proportions importantes d’enfants confiés et de jeunes adultes accueillis dans les ménages peuvent être mises en relation avec le recul du passage à l’âge adulte. En effet, beaucoup d’enfants confiés sont des enfants que les jeunes filles ont eu très tôt, alors qu’elles n’étaient pas au sein d’une union stable co-habitante. Ces jeunes filles, tout comme les jeunes hommes avec lesquels elles ont eu leurs enfants, sont hébergés de plus en plus longtemps par leur famille, faute d’un accès à un logement autonome. Ainsi, les jeunes gens se fréquentent et font des enfants, car ils n’ont pas recours à la contraception moderne, bien avant de pouvoir cohabiter et de se marier. Le mariage arrive beaucoup plus tardivement, car il est très coûteux, mais il est vrai, qu’au Gabon, il n’a jamais était le lieu exclusif de la reproduction.

Notes  

1.   Cette enquête a bénéficié du soutien financier du Ministère français de la Coopération (via le CEPED) et du soutien logistique de la Direction Générale de la Statistique du Gabon et de l’INED.

2.    L’indice de développement humain est calculé sur la base de l’espérance de vie à la naissance, du niveau d’instruction et du revenu (PNUD, 1998).

3. La comparaison est difficile avec les résultats de l’Enquête Démographique et de Santé de 2000, pour laquelle on ne peut pas distinguer les ménages selon la nationalité de leur chef. Or, dans notre enquête, nous avons interrogé uniquement des Gabonais. Les étrangers sont certainement plus nombreux à vivre seuls.

4.   Dans l'enquête de 1999, 98 % des enfants confiés de 6-14 ans et 98 % des enfants non confiés du même âge étaient scolarisés.

5.   Le montant de la dot varie aussi selon l'ethnie, le niveau d'instruction de la femme et sa fécondité. 

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[1] Cette enquête a bénéficié du soutien financier du Ministère français de la Coopération (via le CEPED) et du soutien logistique de la Direction Générale de la Statistique du Gabon et de l’INED.

[2] L’indice de développement humain est calculé sur la base de l’espérance de vie à la naissance, du niveau d’instruction et du revenu (PNUD, 1998).

[3] La comparaison est difficile avec les résultats de l’Enquête Démographique et de Santé de 2000, pour laquelle on ne peut pas distinguer les ménages selon la nationalité de leur chef. Or, dans notre enquête, nous avons interrogé uniquement des Gabonais. Les étrangers sont certainement plus nombreux à vivre seuls.

[4] Dans l'enquête de 1999, 98 % des enfants confiés de 6-14 ans et 98 % des enfants non confiés du même âge étaient scolarisés.

[5] Le montant de la dot varie aussi selon l'ethnie, le niveau d'instruction de la femme et sa fécondité.

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