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African Population Studies/Etude de la Population Africaine, Vol. 19, No. 2, Sup. A, 2004, pp.265-283 Habitat et biens déquipement comme indicateurs de niveau de vie des ménages : bilan méthodologique et application à lanalyse de la relation pauvreté-scolarisation Jean-François Kobiane Unité d'Enseignement et de Recherche en Démographie Code Number: ep04030 Résumé La disponibilité des informations sur les caractéristiques de lhabitat et les biens possédés par les ménages dans les enquêtes démographiques, permet de plus en plus une étude des interrelations entre pauvreté et comportements socio-démographiques. Toutefois, les méthodologies de construction de ces proxys de niveau de vie sont diverses, sans quon ne puisse toujours sengager dans une comparaison des résultats, qui portent souvent dailleurs sur des contextes différents. Cet article présente un bilan de ces approches méthodologiques et examine la relation pauvreté-scolarisation en fonction de différents types de proxy. Dune part, létude révèle que lindicateur classique de pauvreté basé sur les dépenses de consommation est celui qui rend mieux compte des inégalités entre classes sociales en matière de scolarisation des enfants, dautre part, il ressort que les différents proxys sont très peu liés à lindicateur classique. Ces proxys, dailleurs fortement corrélés entre eux, mettent surtout en évidence les différences entre les classes extrêmes. Introduction La question de la pauvreté, notamment les relations entre les conditions de vie des populations et laccès aux services sociaux de base (santé, éducation, habitat, eau ) fait de plus en plus lobjet de recherche, de nos jours en Afrique subsaharienne. Cet intérêt croissant est en rapport avec deux phénomènes intimement liés : dune part la (longue) crise économique que connaissent les pays africains depuis la fin des années 70 et le début des années 80, dautre part l'évolution de la politique de développement des instances financières internationales (notamment la Banque mondiale) suite aux protestations suscitées par les effets négatifs des Programmes dAjustement Structurel (PAS) entrepris dans les années 80 et 90 pour résorber cette crise. Depuis la fin des années 80, la position de la Banque mondiale a évolué vers une plus grande prise en compte de la « Dimension Sociale de lAjustement » (DSA). « Le programme DSA se voulait une réponse à la critique de lUnicef [ ] sur les conséquences négatives des programmes dajustement sur la santé et la nutrition des enfants »[1] (Dubois, 1996 : 380). R. Kanbur et D. Vines (2000), dans un ouvrage récent, font dailleurs remarquer que la vision actuelle de la Banque mondiale en matière de lutte contre la pauvreté correspond, dans une certaine mesure, à une remise en cause du modèle néoclassique pur, puisquil est de plus en plus admis que la pauvreté a, en fin de compte, un effet sur la croissance économique et que la disponibilité des services sociaux de base est une condition vitale de cette croissance. Si la nécessité d'une meilleure compréhension des mécanismes et des manifestations de la pauvreté fait quasiment lunanimité de nos jours, il reste cependant quen ce qui concerne sa mesure, la littérature offre une diversité dapproches méthodologiques : à chacun ses pauvres, pourrait-on dire, puisque chaque analyste (chercheur ou institution), en fonction de ses objectifs et des informations dont il dispose, tente de mettre au point un indicateur de pauvreté afin de mettre en évidence les inégalités socio-économiques. Si ces travaux, de plus en plus nombreux, sur le lien entre pauvreté et comportements socio-démographiques apportent nombre d'éclairages, il n'en demeure pas moins que la diversité des approches méthodologiques interpelle quant à la comparabilité des résultats. Plus particulièrement, on assiste à un recours de plus en plus important aux caractéristiques de l'habitat et aux biens possédés par le ménage pour construire des indicateurs de niveau de vie du ménage (ou proxys de niveau de vie, terme employé dans la littérature anglo-saxonne). L'objectif de cette communication est de faire un premier bilan des approches méthodologiques utilisées dans la construction de ces proxys et de voir dans quelle mesure le choix d'une méthodologie spécifique influe ou non sur la nature du lien pauvreté/comportements socio-démographiques. Dans un premier temps, nous faisons un bref rappel de la démarche classique de construction d'un indicateur de niveau de vie. Dans un deuxième temps nous examinons, d'une part, le lien entre différents types de proxys généralement rencontrés dans la littérature et, d'autre part, entre chacun de ces proxys et un indicateur classique de niveau de vie comme celui basé sur les dépenses. Enfin, nous analysons le lien entre niveau de vie du ménage et fréquentation scolaire des enfants en fonction des différents types d'indicateurs. Mesures classiques de pauvretéOn parle de pauvreté dans une société donnée lorsquune partie de la population ne peut satisfaire ses besoins essentiels (Roach et Roach, 1972) ou que le bien-être (ou niveau de vie) de celle-ci est en deçà dun minimum fixé selon les critères de cette même société (Ravallion, 1996). Par conséquent, la définition de la pauvreté et du pauvre est relative, puisque les concepts de besoins essentiels et de bien-être varient bien souvent dun espace à un autre, mais aussi dune époque à une autre. Mais quelle que soit leur diversité, toutes les définitions de la pauvreté peuvent être regroupées, selon Hagenaars et De Vos (1988, p. 212), en trois catégories : « (i) poverty is having less than an objectively defined, absolute minimum, (ii) poverty is having less than others in society, (iii) poverty is feeling you do not have enough to get along ». Sur la base de la première définition, la pauvreté est qualifiée dabsolue, sur la base de la deuxième définition, elle est dite relative, et sur la base de la troisième définition, elle est subjective. Ainsi, comme le rappelle M. Ravallion (1996, p. 4-5), « il existe un certain nombre de méthodes conceptuelles très différentes pour mesurer le bien-être de lindividu [ou du ménage, pourrait-on ajouter]. Elles se distinguent les unes des autres par limportance quattache lanalyste à la manière dont lindividu juge lui-même son bien-être. Elles se distinguent aussi par la gamme des facteurs quelles sefforcent de prendre en compte. Certaines méthodes ne considèrent que laspect essentiellement matérialiste du bien-être économique ou du niveau de vie ( ), qui est pour une large part déterminée par la capacité de se procurer des biens. Dautres méthodes tentent de prendre en compte des aspects moins tangibles mais non moins importants du bien-être, tels ceux liés aux droits ». Quelle que soit lapproche méthodologique, la mesure de la pauvreté pose généralement deux questions : celle de l« identifiant », cest-à-dire de la variable (ou des variables) qui sera utilisée pour rendre compte de la pauvreté et celle de l« agrégation », cest-à-dire la manière dont on va synthétiser les informations en un indicateur de pauvreté ou de niveau de vie. Les variables auxquelles on a le plus recours dans les enquêtes classiques auprès des ménages pour la mesure du niveau de vie (ou de la pauvreté monétaire) sont les dépenses de consommation et/ou les revenus des ménages. Le recours aux dépenses de consommation se justifie par le fait que les dépenses totales du ménage au cours dune année sont une meilleure mesure du revenu permanent du ménage que le revenu annuel lui-même (Kozel, 1990 ; De Vreyer, 1993 ; Ravallion, 1996). La principale raison à cela est que le revenu annuel est plus sujet à fluctuations que les dépenses de consommation. En outre, la collecte des informations sur les revenus, particulièrement en Afrique, est souvent ardue car « les personnes interrogées ne voient pas dun très bon il les questions quon leur pose sur leurs revenus. Par méfiance du gouvernement, elles ont donc tendance à minimiser leurs gains » (De Vreyer, 1993, p. 64). Si les informations sur les revenus et/ou les dépenses de consommation sont rarement disponibles dans les enquêtes démographiques, à lopposé les enquêtes de type « budget-consommation » qui collectent des données sur les revenus et/ou les dépenses nont généralement pas dinformations sur les variables démographiques. Il est alors difficile détudier, à partir dune même source de données, les liens entre le niveau de vie et les comportements démographiques. Toutefois, depuis plusieurs années maintenant, les enquêtes démographiques ainsi que les recensements collectent, presque systématiquement, des données sur les caractéristiques de lhabitat et/ou les biens déquipement du ménage, permettant ainsi d'approcher une mesure des conditions de vie des ménages. Bref aperçu des approches méthodologiques de construction d'indicateurs de niveau de vie à partir des caractéristiques de l'habitat et des biens d'équipement Le foisonnement des analyses portant sur le lien entre pauvreté et variables socio-démographiques, ces dernières années, a été rendu possible par le développement de diverses méthodologies permettant de construire un proxy de niveau de vie à partir des informations sur lhabitat et les biens possédés par le ménage. En ce qui concerne l'identifiant (les variables entrant dans la construction des indicateurs), la plupart des travaux prennent en compte aussi bien les caractéristiques de l'habitat que les biens d'équipement du ménage (Shapiro et Tambashe, 1996 ; Filmer et Pritchett, 1999 ; Montgomery et al., 2000 ; Filmer et Pritchett, 2001 ; Hewett et Montgomery, 2001 ; Université de Lomé/URD, 2002). Certains proposent, en plus de lhabitat et des biens déquipement possédés par le ménage, de prendre en compte linstruction de la femme (Noumbissi et Sanderson, 1998), alors que d'autres s'en tiennent aux caractéristiques de lhabitat (Kobiané, 1998, 2002 et 2003). Quant aux méthodes d'agrégation du proxy du niveau de vie, elles vont de procédés simples de sommation de scores préalablement affectés aux différentes modalités des variables détude à des méthodes danalyse factorielle, en passant par des méthodes intermédiaires de standardisation. A coté du nombre croissant de travaux proposant des indicateurs de niveau de vie à partir des caractéristiques de lhabitat et des biens déquipement, on peut cependant s'étonner du fait que peu dentre eux se sont intéressés à voir dans quelle mesure ces indicateurs rendaient véritablement compte du niveau de vie du ménage. En dautres termes, quel est le niveau de corrélation entre ces proxys et un indicateur classique de pauvreté monétaire comme celui basé sur les dépenses de consommation ? Pour répondre à une telle question, il faut évidemment disposer de sources de données comportant à la fois des données sur les dépenses et des données sur lhabitat ainsi que les biens déquipement, ce qui, il faut le reconnaître, est rare. Les quelques travaux récents qui se sont intéressés à examiner le niveau d'association entre les proxys et les dépenses de consommation (indicateur classique de niveau de vie) arrivent à des conclusions diverses : M. Montgomery et al. (2000) analysant le lien entre trois proxys de niveau de vie et les dépenses de consommation du ménage à partir de lexemple de six pays[2], arrivent à la conclusion que les proxys sont de faibles prédicteurs de la consommation par adulte. Cependant, ils estiment que lorsque ces proxys sont utilisés en vue de tester le lien entre la consommation et les comportements démographiques, ils offrent un avantage dans la mesure où les variables qui entrent dans la construction de ces proxys varient moins dans le temps que les dépenses de consommation par adulte. En outre, les échantillons sur lesquels travaillent généralement les démographes sont de grande taille, ce qui renforce le pouvoir des tests basés sur les proxys. Par conséquent, estiment les auteurs, malgré leur faible pouvoir de prédiction des dépenses de consommation, ces indicateurs peuvent procurer des informations fort utiles dans lanalyse des inégalités sociales. D. Filmer et L. H. Pritchett (1999) dans une analyse de la relation entre le statut économique du ménage et la scolarisation basée sur une comparaison de 35 pays, à travers les données des DHS (Enquêtes démographique et de santé) et plus récemment (2001) dans une étude portant sur lInde, arrivent à la conclusion selon laquelle un proxy de niveau de vie basé sur les caractéristiques de lhabitat et les biens déquipement est un meilleur estimateur du statut économique de long terme (long run economic status) du ménage que les dépenses de consommation, plus sujettes à fluctuations. Ils observent ainsi que les inégalités entre groupes sociaux en matière de scolarisation sont beaucoup plus importantes lorsquils recourent au proxy de niveau de vie quaux dépenses par adulte. Les résultats de D. Filmer et de L. H. Pritchett diffèrent de ceux que nous avons observés dans une étude portant sur le Burkina Faso, d'où il ressort que quel que soit le milieu dhabitat, les écarts de scolarisation entre classes sociales sont plus importants avec lindicateur de niveau de vie basé sur les dépenses de consommation quavec un proxy basé sur les caractéristiques de lhabitat (Kobiané, 2002). Ces résultats, a priori contradictoires, peuvent peut-être s'expliquer par des différences de méthodologies, notamment une différence dans le choix de l'identifiant : variables d'habitat et biens d'équipement d'une part, variables d'habitat uniquement d'autre part. Mais cela peut aussi résulter d'une différence dans la méthode d'agrégation : recours à une Analyse en Composantes Principales (ACP) d'une part, recours à une Analyse de Correspondances Multiples (ACM) suivie d'une ACP, d'autre part. Pour procéder à une comparaison des différents indicateurs, il y a deux démarches : la première consiste à évaluer la différence entre les indicateurs due au choix de l'identifiant ; dans ce cas la méthode d'agrégation est la même pour chaque indicateur. La deuxième démarche consiste à évaluer les écarts dus au choix de la méthode d'agrégation, en gardant constant l'identifiant. Dans un premier temps, en optant pour une méthode d'agrégation donnée, nous nous proposons de voir si la prise en compte des biens possédés par le ménage en plus de l'habitat apporte un plus dans la mesure du niveau vie. Ensuite, après le choix de l'identifiant (entre « habitat » et « habitat + possessions »), nous examinerons l'effet de la méthode d'agrégation. Les données utilisées sont issues de l« Enquête prioritaire : étude sur les conditions de vie des ménages » encore dénommée enquête DSA (Dimensions Sociales de lAjustement) réalisée en 1994-95 par lInstitut National de la Statistique et de la Démographie (INSD) et financée par la Banque mondiale, le PNUD, la BAD et le Gouvernement Burkinabé. Cette enquête qui a concerné un échantillon national représentatif de 8642 ménages est la première dune série denquêtes périodiques (la seconde a eu lieu en 1998 et la troisième en 2003) dont lobjectif principal est le suivi des effets sociaux du Programme dAjustement Structurel (PAS) entrepris depuis 1991. Il sagit donc dune enquête qui aborde plusieurs aspects de la vie des ménages (éducation, santé, consommation, production, avoirs, etc.). Les illustrations que nous faisons dans cette étude porte sur la ville de Ouagadougou dans laquelle 1 498 ménages ont été enquêtés. Le tableau 1a ,1b donne la répartition des ménages suivant les variables dhabitat et la possession des différents biens. Quel identifiant : « Habitat » ou « habitat et biens » du ménage ? Dans nos travaux antérieurs (Kobiané, 1998, 2002 et 2003), nous avons proposé un indicateur de niveau de vie basé sur les caractéristiques de lhabitat. Lune des conclusions à laquelle nous avons abouti est que ce proxy de niveau de vie permettait de distinguer surtout les classes sociales extrêmes (les « très nantis » et les « très pauvres »). La prise en compte des variables sur les biens possédés par le ménage apportent-elle une information (ou une part de variance) supplémentaire permettant une meilleure différenciation des classes sociales ? Dans le souci dévaluer le lien entre le proxy de niveau de vie basé sur les caractéristiques de lhabitat et lindicateur classique de niveau de vie que sont les dépenses de consommation par adulte, la méthode dagrégation que nous avons proposée (Kobiané, 2002) consistait à appliquer dans un premier temps une Analyse des Correspondances Multiples (ACM) et, dans un second temps, une Analyse en Composantes Principales (ACP). LACM est une technique de réduction factorielle adaptée à létude des variables qualitatives ou catégorielles comme cest le cas pour lensemble de nos variables détude qui sont soit nominales ou ordinales. Les variables quantitatives peuvent intervenir à condition dêtre transformées au préalable en variables catégorielles. La matrice de données soumise à une ACM est un tableau dit disjonctif complet ou tableau binaire, dans lequel chaque individu-ligne a la valeur 0 ou 1 pour chaque variable/modalité-colonne. Dans lACM en effet chaque modalité (dichotomisée au préalable) intervient comme une variable. Lune des richesses de lACM est justement de permettre la transformation de variables qualitatives en un nombre restreint de variables quantitatives puisque « les facteurs dune ACM sont les variables numériques les plus liées à lensemble des variables qualitatives étudiées » (Escofier et Pagès, 1998, p. 84)[3]. Une fois les facteurs quantitatifs dune ACM obtenus, la question est alors de savoir comment synthétiser ceux-ci en un indicateur résumé représentant lindicateur de niveau de vie ; et cest là quintervient lACP. LACP est une méthode danalyse factorielle dont lobjectif est la réduction dun ensemble de variables quantitatives liées entre elles en un nombre restreint de facteurs ou composantes principales. La première composante dans une ACP explique presque toujours une très forte proportion de la variance et par conséquent peut être interprétée comme lindicateur le plus synthétique des variables de base, donc dans notre cas le proxy de niveau de vie. Le choix entre « habitat » et « habitat + biens du ménage » comme identifiant peut se faire soit en examinant la part de variance (ou dinertie) expliquée par les premiers facteurs de chacune des ACM (celle appliquée aux données dhabitat dune part et celle appliquée aux données dhabitat et aux possessions du ménage dautre part) ainsi que la part de variance expliquée par la première composante principale de lACP appliquée aux facteurs issus de lACM, soit en examinant le lien entre chaque proxy et lindicateur basé sur les dépenses de consommation. Les résultats du tableau 2 révèlent que la part dinertie expliquée par les facteurs issus de lACM sur lhabitat est plus importante que celle issue de lACM sur lhabitat et les bien possédés par le ménage : en effet le premier facteur explique respectivement 17,2 % et 13,6 % de la variance dans les deux ACM. Même en considérant un nombre plus grand de facteurs (p.e. les six premiers) lACM sur les seules données dhabitat explique une plus grande part de la variance des données (respectivement 52,0 % et 42,4 %). Les résultats de lACP vont dans le même sens et révèlent que la première composante principale (qui est le proxy de niveau de vie) explique 82,1 % de la variance avec les facteurs de lhabitat et 66,1 % avec les facteurs issus de lhabitat et des biens. Au vu de ces résultats, on pourrait dire que la prise en compte des informations sur les biens possédés par le ménage napporte guère plus d« information ». Examinons cette fois-ci le lien entre chacun des deux indicateurs et lindicateur classique basé sur les dépenses de consommation. Avant cela, rappelons la démarche de construction de cet indicateur. La première étape consiste à calculer lensemble des dépenses annuelles de consommation du ménage. Ces dépenses correspondent aux achats de consommation alimentaires et non alimentaires ainsi quà la valeur monétaire de lautoconsommation (alimentaire et non alimentaire), auxquelles sajoutent la valeur imputée à la propriété des biens durables et, pour les personnes non locataires (propriétaires, personnes logées gratuitement, etc.) la valeur imputée du loyer (ou prix fictif du loyer). Une fois les dépenses totales du ménage obtenues, la deuxième étape consiste à les ajuster (ou standardiser) en faisant intervenir deux indices (déflateurs dans le jargon économique), à savoir un indice des prix (pour tenir compte de la variabilité du coût de la vie entre régions) et le nombre déquivalents adultes du ménage pour tenir compte des différences de composition par âge et sexe dun ménage à un autre. La prise en compte de lindice des prix est surtout pertinente lorsquon procède à une comparaison régionale de la pauvreté. Nous pouvons donc nous passer de ce déflateur, dans la mesure où nous travaillons sur une seule entité géographique, en loccurrence Ouagadougou. Le calcul du nombre déquivalents adultes suppose une échelle de consommation. Léchelle que nous avons adoptée est celle dite dAmsterdam (Deaton et Muellbauer, 1980).[4] En rapportant lensemble des dépenses annuelles de consommation au nombre déquivalents adultes dans le ménage, on a donc la distribution de lindicateur de niveau de vie. Les résultats (tableau 3) révèlent que le niveau de corrélation (le r de Pearson) entre les dépenses de consommation et lindicateur basé sur lhabitat est un peu plus élevé (0,37) que celui observé avec lindicateur basé sur lhabitat et les biens (0,34). Cependant, on note une très forte corrélation entre les deux proxys de niveau de vie (0,89). Ces premiers résultats tendent à montrer que dans le contexte de la ville de Ouagadougou, les données sur lhabitat rendent déjà suffisamment compte des inégalités économiques et que la prise en compte des biens possédés par le ménage napportent pas une information substantielle de plus. Toutefois, malgré cette légère « supériorité » des données sur lhabitat, dans la suite nous utiliserons comme identifiant les données sur lhabitat et les biens du ménage, car il sagit des informations les plus utilisées dans la littérature. Par ailleurs, lobjectif de la section qui suit nest plus tant de montrer les « qualités » dun identifiant mais plutôt celles des méthodes dagrégation. Effet de la méthode dagrégationNous avons identifié dans la littérature quatre méthodes dagrégation ayant des degrés de complexification assez diversifiés : les trois premières méthodes nécessitent que les variables soient transformées au préalable en variables ordinales, cest-à-dire quon devrait pouvoir affecter un poids à chacune des modalités des différentes variables permettant ainsi une hiérarchisation de celles-ci (tableau 1). Mais ces cotes sont données de façon arbitraire et il sagit là dune des principales limites de ces méthodes. En prenant lexemple du principal moyen de déplacement (tableau 1), on suppose implicitement que la « distance économique » et même « sociale » entre lautomobile et la mobylette est la même que celle entre une mobylette et un vélo, ce qui ne semble pas réaliste. On pourrait donner des scores aux modalités en tenant compte de la valeur monétaire de chaque bien, mais quel que soit le degré de précision, il y aura toujours une certaine part darbitraire. - la méthode 1 : il sagit dune méthode sommaire dagrégation. Une fois notées (ou cotées) dans lordre croissant les modalités de chaque variable, cette méthode consiste à sommer lensemble des notes dun ménage sur lensemble des variables. En nommant la note du ménage i sur la variable v, le proxy de niveau de vie pour le ménage i, , où m est le nombre total de variables détude, dans notre cas 14 (IPHB=Indicateur de Pauvreté basé sur lHabitat et les Biens) ; - la méthode 2 : à la différence de la méthode 1, la méthode 2 standardise tout dabord chacune des cotes obtenues par chaque individu en la ramenant à un intervalle de variation qui est de [0, 1]. Cette démarche inspirée de la méthode de calcul de lIndicateur de Développement Humain (IDH) du PNUD (1995) et utilisée par A. Noumbissi et J.P. Sanderson (1998) et Université de Lomé/URD, 2002) permet de donner le même poids à chaque variable. En effet, dans la méthode 1, les variables comportant un nombre important de modalités ont un poids beaucoup plus important. Pour chaque variable v, un indice partiel est calculé pour chacun des individus. Pour lindividu i, , où est la note du ménage i sur la variable v, minv, la plus petite valeur de la variable v et maxv la plus grande valeur. Une fois lensemble des indices partiels obtenus, le proxy de niveau de vie pour lindividu i est ; - la méthode 3 : elle consiste à appliquer une ACP normée[5] à lensemble des variables rendues ordinales et considérer la première composante comme le proxy de niveau de vie, cest-à-dire IPHB3. Rigoureusement, compte tenu de la nature des variables, cette méthode nest pas adaptée. Pourtant, elle est lune des plus utilisées dans la littérature ; - enfin, la méthode 4 est celle que nous avons présentée à la section précédente et qui consiste à appliquer tout dabord une ACM aux modalités de lensemble des variables et ensuite une ACP normée aux principaux facteurs issus de cette ACM. Ce proxy, nous le nommons IPHB4. Quelques résultats sur les indicateurs Le tableau 4 donne quelques résultats sur les trois indicateurs : lune des statistiques la plus intéressante à examiner est le coefficient de variation (rapport de lécart-type à la moyenne) qui permet une meilleure comparaison de la dispersion des différents indicateurs, puisque leffet de lunité de mesure de chaque variable est éliminé. Ainsi, en comparant la dispersion des trois premiers indicateurs, il ressort que cest lindicateur classique de niveau de vie basé sur les dépenses qui présente la plus grande hétérogénéité avec un C.V. de 1,85, suivi de lIPHB2 (méthode « IDH ») avec 0,31 et lIPHB1 (méthode sommaire) avec 0,16. Les IPHB3 et IPHB4 étant des distributions normées, on ne peut calculer des C.V. (ceux-ci tendent vers linfini). Cependant, lorsquon examine létendue (valeur maximale - valeur minimale) des distributions, on peut en conclure que lIPHB4 présente une dispersion plus grande que lIPHB3 (létendue est respectivement de 7,0 et de 5,2). Evaluation de la cohérence des quatre proxysCette évaluation comporte deux étapes : la première qui est une évaluation interne examine la distribution de certaines variables de base suivant les différentes classes de niveau de vie pour chaque indicateur. La seconde étape consiste (évaluation externe) à examiner le niveau de corrélation de chacun des proxys avec lindicateur de dépenses. La constitution des classes de niveau de vie est basée sur la détermination de seuils relatifs de pauvreté, notamment les quintiles qui donnent 5 classes de ménages, chacune représentant 20 % de leffectif total : les 40 % de la population situés en bas de léchelle de niveau de vie sont souvent considérés comme pauvres, les 20 % en bas de léchelle correspondant à la population dans l« extrême pauvreté » (Kusnic et Da Vanzo, 1982 ; Gillis et al., 1990 ; Burkina Faso, 1996), cest-à-dire les « très pauvres ». Lapproche par les quintiles permet en outre de distinguer un groupe intermédiaire de la population entre les 40 % de pauvres et les 40 % de nantis. Globalement, les résultats du tableau 5, quel que soit lindicateur de niveau de vie, vont dans le sens attendu : la proportion de ménages présentant les différentes caractéristiques croît avec le niveau de vie. Ce qui signifie, a priori, que chacun de ces indicateurs rend compte, dans une certaine mesure, dun profil socio-économique du ménage. Mais il existe quelques différences lorsquon compare lIPHB4 aux trois premiers indicateurs. En effet, lIPHB4 différencie très peu les ménages en ce qui concerne la possession dune radio (les écarts entre les quatre premières classes sont faibles), alors quavec les trois premiers indicateurs, ce sont les classes nanties qui ne se différencient pas quant à laccès à la radio. Une autre différence qui se situe entre lIPHB4 et les trois autres, et qui apparaît très clairement au niveau du nombre de pièces (au moins 6 pièces), de lélectricité, de lautomobile et du réfrigérateur, est quavec lIPHB4, on note une proportion relativement élevée de ménages pauvres possédant ces caractéristiques : Par exemple, avec lIPHB4, 6,5 % des ménages « très pauvres » ont un téléviseur 1,3 % ont une automobile et 4,2 % ont un logement dau moins 6 pièces. Ces proportions sont respectivement de 1,1 %, 0,4 %, et 0,0 % avec lIPHB1 ; 0,0 %, 0,7 %, et 0,7 % avec lIPHB2 et enfin 0,0 %, 0,0 % et 0,3 % avec lIPHB3. Avec lIPHB4, on retrouverait donc davantage de ménages dans la classe des « très pauvres » ayant un profil plutôt de « nantis ». Lorsquon examine cette fois-ci les coefficients de corrélation avec lindicateur de dépenses (tableau 6), force est de constater que dune manière générale ceux-ci présentent des valeurs très faibles. LIPHB3 (méthode ACP) est celle qui présente le coefficient le plus élevé (0,37). Ce proxy est donc celui qui reflète le plus leffet de la consommation par adulte. Il est suivi de lIPHB2 (méthode IDH) et de lIPHB4 (méthode ACM + ACP) avec un r de 0,34. LIPHB1 (méthode sommaire) est celui qui présente le plus faible niveau de corrélation (0,30). On peut signaler aussi la forte corrélation qui existe entre les trois premiers proxys (IPHB1, IPHB2 et IPHB3) avec un r ≥ 0,95. Par contre, lIPHB4 présente des niveaux de corrélation plus faibles avec ces trois premiers indicateurs, quoi que la corrélation entre lIPHB4 et lIPHB3 soit honorable (0,61). Niveau de vie du ménage et fréquentation scolaire des enfants Dans cette dernière section, nous examinons leffet de la méthode dagrégation sur la nature du lien entre niveau de vie du ménage et fréquentation scolaire des enfants. Quel est lindicateur qui met davantage en évidence les différences de niveau de scolarisation entre classes sociales ? Y a-t-il finalement une différence fondamentale entre les quatre proxys de niveau de vie basés sur lhabitat et les biens du ménage ? Le graphique ci-dessous montre lévolution du taux de scolarisation dune classe à lautre pour chaque indicateur de niveau de vie. Nous présentons les résultats pour lensemble des enfants ainsi que pour les seuls enfants du chef de ménage. Il est en effet important de contrôler la relation entre le niveau de vie du ménage et la scolarisation des enfants par le statut familial de lenfant, particulièrement en milieu urbain où on rencontre, davantage dans les ménages les plus aisés, des enfants confiés pour laide aux travaux domestiques (Kobiané, 2002 et 2003). Ce qui explique que le niveau de scolarisation avec lindicateur de dépenses décroît de la classe des « nantis » à celle des « très nantis » (figure a). En contrôlant par le statut familial (figure b), lallure de la courbe devient régulière. Un premier résultat, que lon peut mettre en évidence (surtout lorsquon examine la figure b) et qui va dans le sens de la forte corrélation entre les trois premiers indicateurs, cest quil nexiste pratiquement pas de différence dans lallure des courbes de lIPHB1, de lIPHB2 et de lIPHB3. Les courbes sont quasiment confondues et présentent, à chaque classe, des niveaux de fréquentation scolaire inférieurs à ceux observés avec lIPD. LIPHB4 se distingue des trois autres par le fait quil ne présente aucune différence entre les deux premières classes (cet indicateur surestime le niveau de scolarisation chez les « très pauvres »). À partir de la classe intermédiaire, lallure de la courbe de lIPHB4 rejoint celles des trois premiers. Un autre résultat quon pourrait souligner et qui a été observé dans dautres travaux basés sur les proxys de niveau de vie, cest que les différences entre les classes intermédiaires ne sont pas assez nettes : on le voit bien, ici, quentre la classe intermédiaire et celle des « nantis » il nexiste quasiment pas de différence significative quel que soit le proxy. Les proxys de niveau de vie mettent davantage en exergue les écarts entre les classes extrêmes (les « très pauvres » et les « très nantis ») et on peut dailleurs noter (figure b) que les niveaux de scolarisation que donnent les proxys pour les classes extrêmes sont quasiment les mêmes que ceux que donne lindicateur de dépenses. ConclusionLa disponibilité des informations sur les caractéristiques de lhabitat et les biens possédés par les ménages dans les enquêtes démographiques, permet de plus en plus une étude des interrelations entre pauvreté et comportements socio-démographiques. Mais les méthodologies de construction des indicateurs de niveau de vie à partir de ces informations sont diverses, sans quon ne puisse toujours sengager dans une comparaison des résultats, qui portent le plus souvent dailleurs sur des contextes très différents. Lobjectif de la présente communication était d'esquisser un bilan de ces approches méthodologiques et de voir, à partir dune même source de données, si le choix dune méthodologie particulière influait substantiellement sur la nature du lien pauvreté /scolarisation. Dans un premier temps nous avons comparé, à partir dune même méthode dagrégation, un proxy basé sur les seules caractéristiques de lhabitat et un autre basé sur les caractéristiques de lhabitat et les biens possédés par le ménage. Il en ressort que dans le contexte de Ouagadougou, les seules variables dhabitat expliquent une part de variance plus importante, cest-à-dire rendent compte dune plus grande hétérogénéité des ménages que le recours à lhabitat et aux biens d'équipement possédés par le ménage. En labsence de données sur les revenus ou les dépenses, le choix dun identifiant, dans le contexte de Ouagadougou, devrait porter sur les caractéristiques de lhabitat que sur les caractéristiques de lhabitat et les biens déquipement réunis. Limplication de ce résultat pour les recherches futures est quil ne faudrait pas prendre systématiquement pour acquis que les caractéristiques de lhabitat en plus des biens possédés par le ménage sont le meilleur proxy du niveau de vie. Une analyse préalable afin de comparer la part de variance expliquée par chaque groupe de variables (habitat, biens déquipement, habitat + biens déquipement) peut savérer utile. En considérant un identifiant donné, en loccurrence les variables dhabitat et celles sur la possession de certains biens par le ménage, nous avons examiné les variations dues à la méthode dagrégation. La première méthode (IPHB1) est une méthode sommaire de sommation de cotes affectées aux modalités de chaque variable détude rendue ordinale. La deuxième méthode (IPHB2) standardise pour chaque variable la cote de chaque individu dans lintervalle [0 ; 1] en sinspirant de la méthode de construction de lIndice de Développement Humain (IDH) du PNUD. La troisième méthode (IPHB3) applique tout simplement une Analyse en Composantes Principales (ACP) aux variables détude et considère la première composante comme lindicateur de niveau de vie. Enfin, la quatrième méthode (IPHB4), compte tenu de la nature des variables (qui sont catégorielles) applique tout dabord une Analyse des Correspondances Multiples (ACM) et ensuite applique aux facteurs de cette ACM qui sont des variables quantitatives, une ACP, tout en considérant également la première composante comme le proxy de niveau de vie. Lun des résultats auxquels nous aboutissons et qui a été observé par ailleurs (Montgomery et al., 2000 ; Kobiané, 2002) est que dune manière générale, ces proxys de niveau de vie sont très faiblement corrélés à un indicateur classique de niveau de vie comme la consommation par adulte. Néanmoins, lorsquon examine la relation entre chacun de ces indicateurs (y compris lindicateur classique de niveau de vie) et la fréquentation scolaire, il ressort que lindicateur classique est celui qui rend le mieux compte des inégalités de scolarisation entre classes sociales. Lallure des courbes va dans le sens attendu également, en ce sens que plus le niveau de vie est élevé, plus la fréquentation scolaire des enfants est forte. Cependant, on note que les proxys de niveau de vie, contrairement à lindicateur classique, ne distinguent pas assez bien certaines classes intermédiaires, en loccurrence ici les classes « intermédiaire » et « nantis ». Mais ils rendent compte du même écart entre les classes extrêmes (« très pauvres » et « très nantis ») que lindicateur classique. On peut finalement mentionner la forte corrélation entre lIPHB1, lIPHB2 et lIPHB3 ce qui explique dailleurs la forte similitude des courbes relatives à ces trois indicateurs. LIPHB4 se distingue des trois premiers en ce sens quil ne permet pas de différencier, en plus, les classes «très pauvres» et «pauvres». Il est dailleurs faiblement corrélé aux trois autres. A cette étape-ci de nos réflexions, il semble que la méthode dagrégation ne joue pas fondamentalement sur la nature du lien entre proxy de niveau de vie et fréquentation scolaire. Toutefois, il faudra poursuivre la réflexion : dune part, en appliquant la même démarche à dautres sources de données burkinabé (par exemple, les enquêtes de 1998 et de 2003) ou dautres contextes géographiques (par exemple, dautres villes africaines) afin de voir si les mêmes résultats sobservent ; et dautre part, en examinant le lien entre chacun de ces proxys et dautres phénomènes sociaux tels que la santé. Bibliographie
Volle, Michel. 1993. Analyse des données, 3e édition, Economica, Paris, 324 p. [1] Cf. notamment, à ce propos, louvrage de G. A. Cornia et al. (1987) intitulé LAjustement à visage humain : protéger les groupes vulnérables et favoriser la croissance. [2] Il sagit du Ghana, du Guatemala, de la Jamaïque, du Pakistan, du Pérou et de la Tanzanie. [3] LACM présente dailleurs dautres richesses comparativement à dautres méthodes danalyse factorielle. Pour plus de détails sur la méthode, voir par exemple Volle (1993) ; Bouroche et Saporta (1998) ; Escofier et Pagès (1998). [4] Cette échelle donne les poids suivants en équivalent adultes : -
0,52
pour tout membre âgé de moins de 14 ans ; [5]Dans une ACP normée, chaque variable de base est centrée et réduite (moyenne nulle et variance unitaire). Cette démarche a lavantage de donner le même poids aux variables de base, afin déviter que lune dentre elles ninfluence trop du fait de son échelle les composantes principales. Copyright 2004 - Union for African Population Studies |