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African Population Studies
Union for African Population Studies
ISSN: 0850-5780
Vol. 19, Num. SB, 2004, pp. 61-80

African Population Studies/Etude de la Population Africaine, Vol. 19, No. 2, Sup. B, 2004, pp.61-80

Inégalités sociales  et comportements sexuels à risque chez les  jeunes adolescents en milieu urbain ivoirien 

Edouard Talnan, Amoakon Anoh et Benjamin Zanou

Université de Cocody, ENSEA
Abidjan, Côte d’Ivoire

Code Number: ep04035

RÉSUMÉ

L’objectif de cette communication est d’analyser la fréquence des comportements sexuels à risque chez les jeunes ivoiriens, c’est-à-dire les individus des deux sexes âgés de 15 à 24 ans révolus au moment de l’enquête. Trois aspects des comportements sexuels à risque ont été retenus : l’entrée précoce en vie sexuelle, le multipartenariat et la non utilisation du condom pendant les rapports sexuels. Deux hypothèses ont été examinées : 1) la situation économique et sociale dans laquelle vivent les jeunes influence leurs comportements sexuels ; 2) les jeunes qui se trouvent dans des conditions de vie difficiles ont plus de chance d’adopter des comportements sexuels à risque que ceux qui vivent dans des conditions de vie plus aisées. L’analyse repose principalement sur les données s’une enquête comportementale de base en matière de IST/VIH/SIDA chez les jeunes réalisée en Côte d’Ivoire par l’Ecole Nationale de Statistique et d’Economie Appliquée (ENSEA) dans le cadre des activités du projet « Santé Familiale et prévention du Sida » (SFPS). La technique de l’analyse factorielle a été utilisée pour la construction d’un indice synthétique de conditions de vie au niveau individuel. Sur cette base une analyse de classification automatique a permis de distinguer trois catégories de jeunes : ceux qui ont des conditions de vie meilleures, ceux qui ont des conditions de vie modeste et ceux qui sont dans des conditions de vie difficiles.  Pour chacune des composantes du comportement sexuel à risque observé chez lesjeunes, deux modèles ont été élaborés en vue d’apprécier les effets bruts et nets du statut socio-économique des enquêtés. Les analyses ont permis de mettre en évidence la fréquence de ces comportements sexuels à risque en fonction du statut socio-économique des jeunes dans trois grandes villes de la Côte d’Ivoire. Elles confirment l’hypothèse selon laquelle les conditions de vie des enfants influencent leurs pratiques sexuelles. En ce qui concerne la direction de la relation, l’analyse montre que le recours au préservatif ne repose pas principalement sur les conditions socio-économiques et matérielles des individus. Les représentations au sujet des rapports entre partenaires et certaines rumeurs négatives entourant ce produit seraient plus déterminantes. En revanche, l’entrée en vie sexuelle se fait de manière plus précoce dans les couches sociales défavorisées et la susceptibilité d’avoir des rapports sexuels avec  plusieurs partenaires  est plus élevée pour ces jeunes que pour ceux vivant dans des conditions socio-économiques meilleures. On peut donc penser qu’il s’agit là de deux aspects des comportements sexuels à risque qui ont des racines dans les considérations économiques. Ces résultats peuvent être inscrits dans un modèle de comportement sexuel fondé sur le principe de l’adaptation rationnelle. Ces résultats ont des conséquences importantes pour la définition du cadre logique des interventions en matière de santé sexuelle et reproductive. Ils suggèrent que le cadre logique prenne en compte des activités d’ordre économique comme celles visant à réduire la pauvreté mais également qu’il intègre et privilégie les stratégies de communication pour le changement de comportement.

INTRODUCTION

La santé sexuelle et reproductive des jeunes est au centre des préoccupations actuelles visant à répondre aux besoins de la population. Cela est vrai notamment en Afrique subsaharienne où les données disponibles révèlent une situation déplorable. Dans cette région du monde en développement, caractérisée par une extrême jeunesse de sa population (plus de la moitié de la population ayant moins de 20 ans), l’entrée en vie sexuelle est précoce (Nations Unies, 2001), le multipartenariat se développe de en plus et le nombre de grossesses qui surviennent avant le mariage est en constante augmentation du fait de la non utilisation systématique du condom et des autres méthodes contraceptives modernes. Les risques pour la santé des mères adolescentes ainsi que celle de leurs enfants sont par conséquent considérables.

La recherche sur les facteurs explicatifs des changements en matière de sexualité a mis en évidence l’influence de la modernisation qui aurait induit un affaiblissement de l’autorité parentale sur les enfants, faisant ainsi place à la liberté pour les jeunes d’avoir des conduites sexuelles contraires à la morale traditionnelle (Rwenge, 2000 ; Diop, 1995 ; Gueye et al., 2001). Cela est vrai en particulier dans les zones urbaines où l’exposition aux valeurs occidentales dites « modernes » est plus forte avec le développement de l’éducation de masse et des masses média. C’est aussi dans ces milieux que le matérialisme s’est de plus en plus développé et que la chasse aux maris est devenue très compétitive. D’autres recherches mettent l’accent sur l’approche dite de « l’adaptation rationnelle » selon laquelle, s’engager dans une relation sexuelle résulterait  d’une décision rationnelle visant  à rechercher un soutien d’ordre économique. C’est ainsi que les jeunes filles peuvent entretenir des rapports sexuels avec des hommes plus âgés dans le but d’obtenir de l’argent, des cadeaux ou diverses autres faveurs en vue de subvenir à leurs besoins.  Ce facteur pourrait  jouer d’autant plus en Afrique subsaharienne que la récession économique à laquelle est confronté ce continent  depuis le début des années 1980 et la dégradation continue des conditions de vie en ville comme en campagne ont rendu les populations plus vulnérables. Les enfants démunis qui n’ont généralement aucun soutien financier, en particulier les adolescentes qui ont besoin de payer leurs études sont alors devenues  les premières victimes. 

La situation en Côte d’Ivoire est très préoccupante à l’instar d’autres pays d’Afrique subsaharienne. Les données de la dernière enquête démographique et de santé de 1998-99 révèlent que l’âge médian au premier rapport sexuel des femmes s’élève à 16 ans. La quasi-totalité (93 %) a déjà eu le premier rapport sexuel à 22 ans. Cette précocité reste vraie quelle que soit la génération, le milieu de résidence ou la religion ; l’âge d’entrée en vie sexuelle se situe en effet, entre 15 et 17 ans selon les catégories de population (Institut National de la Statistique et ORC Macro, 2001). L’entrée en vie sexuelle des hommes commence un peu plus tard, soit environ 2,5 années après celle des femmes. On note des différences selon le niveau d’instruction et le milieu de résidence : la précocité des relations sexuelles est un peu plus prononcée en ville qu’en milieu rural (18 ans contre 19 ans) ; plus les hommes ont un niveau d’instruction élevé, plus l’entrée en vie sexuelle est précoce (17,5 ans pour ceux qui sont du niveau d’instruction secondaire et plus, 18,5 ans pour le primaire et 20 ans pour les analphabètes).

Si les femmes et les hommes débutent très tôt leur première expérience sexuelle, ils entretiennent également des rapports avec plusieurs partenaires sexuels. L’enquête démographique et de santé de 1998-99 qui a collecté des informations sur ce sujet pour la période des 12 derniers mois qui l’ont précédé révèle qu’environ 2 % des femmes en union et 8 % des femmes célibataires ont déclaré avoir eu au moins deux partenaires sexuels durant cette période de référence. Ces femmes se retrouvent à des degrés variables dans toutes les catégories socio-économiques. Les citadines et les femmes de niveau d’instruction primaire ont eu plus d’un partenaire sexuel que les femmes du milieu rural, les analphabètes et les femmes de niveau secondaire ou plus. Les hommes qui déclarent avoir eu au moins deux partenaires sexuels sont nettement plus nombreux que leurs homologues femmes : 23  % contre 2 % chez ceux qui sont en union, et 34 % contre 8  %  chez les célibataires. Cela se vérifie dans toutes les catégories socio-économiques.

Dans de nombreux cas, les rapports sexuels ne sont pas protégés. Le condom qui constitue aujourd’hui un des moyens efficaces de protection contre les infections sexuellement transmissibles (IST) et le VIH/Sida est bien connu mais son utilisation demeure restreinte. D’après les données de l’enquête démographique et de santé de 1998-99 par exemple, seulement 7 % des hommes utilisaient le préservatif au moment de l’enquête, cette proportion est un peu plus élevée en milieu urbain (10 %) qu’en milieu rural (6 %) (Institut National de la Statistique et ORC Macro, 2001). Néanmoins, il est à noter que la vente du préservatif a beaucoup progressé ces dernières années. De 1993 à 2000, elle a été multipliée par 3,5 soit un taux d’accroissement annuel moyen de 19 % (Family Health International, 2001).

En Côte d’Ivoire comme partout ailleurs en Afrique au sud du Sahara, les jeunes (filles comme garçons) sont plus susceptibles que leurs aînés d’adopter des pratiques sexuelles à haut risque de contamination par les infections sexuellement transmissibles et le VIH/Sida. Le contexte socio-économique dans lequel ils vivent a une influence parfois négative sur leurs décisions et leurs pratiques en matière de santé sexuelle et reproductive, augmentant davantage leur risque d’infections sexuellement transmissibles et de grossesses non souhaitées susceptible de compromettre leur réussite sociale. C’est pourquoi, il est important d’identifier les catégories de jeunes les plus exposées en matière de comportements sexuels à risque en vue de contribuer à mieux cibler les actions des nombreux programmes déjà en cours en matière de santé reproductive en faveur de cette frange vulnérable de la population. C’est dans cette perspective que nous examinons à travers cette communication les comportements sexuels à risque des jeunes ivoiriens, c’est-à-dire les individus des deux sexes âgés de 15 à 24 ans révolus au moment de l’enquête. Trois aspects des comportements sexuels à risque sont analysés : l’entrée précoce en vie sexuelle, le multipartenariat et la non utilisation du condom pendant les rapports sexuels. Nous nous attacherons à vérifier les deux hypothèses ci-après : 

-  la situation économique et sociale dans laquelle vivent les jeunes influence leurs   comportements sexuels ; 

- les jeunes qui vivent dans des conditions difficiles ont plus de chance d’adopter des     comportements  sexuels à risque que ceux qui vivent dans des conditions plus aisées.

La communication s’articule autour de trois sections. La première section présente  des éléments d’ordre méthodologique ; la deuxième section examine les inégalités entre différents groupes d’enfants, définis en fonction de leurs conditions de vie, en matière de comportements sexuels à risque ; la troisième section est consacrée à une discussion des principaux résultats obtenus.

Données et méthodes

L’enquête auprès des jeunes en milieu urbain ivoirien

Les données utilisées dans cette communication proviennent d’une enquête sur les comportements en matière de IST/VIH/SIDA chez les jeunes réalisée dans trois grandes villes de la Côte d’Ivoire en 2002 par l’Ecole Nationale de la Statistique et d’Economie Appliquée (ENSEA) dans le cadre des activités du projet « Santé Familiale et prévention du Sida » (SFPS). Cette enquête a porté sur un échantillon de 2681 jeunes filles et garçons âgés de 15 à 24 ans dont 1370 dans la seule ville d’Abidjan (la capitale économique et première ville du pays avec près de 3,2 millions d’habitants), 651 à Bouaké (deuxième ville du pays, avec 509 000 habitants) et 660 à Korhogo (cinquième ville du pays avec 152 000 habitants). Sur le plan géographique, ces villes se situent respectivement au Sud, au Centre et au Nord de la Côte d’Ivoire. Elles reflètent la diversité socio-économique, culturelle et démographique du milieu urbain ivoirien. Le questionnaire utilisé au cours de cette enquête comporte des thèmes variés structurés autour de onze sections : caractéristiques socio-démographiques, exposition aux média, caractéristiques des parents et conditions de vie, normes et valeurs relatives au genre, croyances, normes et valeurs socioculturelles, attitudes concernant les rapports sexuels, interactions et supports sociaux, perception de soi, comportements sexuels, IST/VIH/SIDA, comportements en matière d’alcool, de tabac et de drogue. Ce questionnaire a été administré par interview directe aux jeunes sélectionnés au sein des ménages par un tirage aléatoire à deux degrés : au premier degré, il a été procédé à un tirage systématique des districts de recensement (unité spatiale comportant en moyenne 1000 habitants) ; au second degré, des ménages ont été tirés au sein de ces districts. Pour des besoins de notre analyse, nous n’avons  retenu que les jeunes sexuellement actifs au moment de l’enquête, c’est-à-dire ceux ayant déclaré avoir eu des rapports sexuels au cours de leur vie. Ils sont au nombre de 1821, soit 68 % de l’échantillon initial, dont 966 filles et 855 garçons. Cet échantillon nous semble représentatif de l’ensemble des jeunes de 15 à 24 ans sexuellement actifs dans les zones urbaines ivoiriennes. 

Les indicateurs de comportements sexuels à risque retenus dans l’analyse

Le concept de comportements sexuels à risque recouvre plusieurs dimensions. Nous avons retenu, ici, trois aspects : l’entrée précoce en vie sexuelle, le multipartenariat et la non utilisation du condom pendant les rapports sexuels. Comment avons-nous mesuré chacun de ces aspects ? Pour ce qui est de l’ « entrée précoce en vie sexuelle »,  un individu de la tranche d’âges de 15-24 ans qui a déjà eu des rapports sexuels avant l’âge de 16 ans est considéré comme ayant une vie sexuelle précoce compte tenu des moyennes fournies par la moyenne nationale fournie par les résultats de l’enquête démographique et de santé de 1994 (Nations-Unies, 2001). Environ 27,5 % des filles de notre échantillon et 36,4 % des garçons se retrouvent dans cette catégorie (tableau 4).

En ce qui concerne le multipartenariat, l’indicateur retenu est le fait d’avoir eu des rapports sexuels avec plusieurs partenaires au cours des trois derniers mois. La période de référence couvrant les trois derniers mois permet de contourner les erreurs de déclaration dues à la mémoire mais également de contrôler l’effet d’âge. En effet, une autre variable permettait de mesurer cet indicateur. Il s’agit du nombre de partenaires depuis la première expérience sexuelle. Mais compte tenu du fait que la période de référence n’était pas identique pour tous les enquêtés, nous avons opté pour la première, c’est-à-dire le nombre de partenaires sexuels au cours des trois derniers mois avant l’enquête. Parmi les filles, 5,1 % ont déclaré avoir eu au moins deux partenaires sexuels au cours de cette période tandis que cette proportion était de 19,5 % chez les garçons.

Pour ce qui est de la protection des rapports sexuels, nous avons retenu comme indicateurs de comportement sexuel à risque la non utilisation du condom à un moment quelconque et l’utilisation d’un préservatif au dernier rapport sexuel. Cette variable, bien que ne rendant pas compte de tout le danger qui caractérise la vie sexuelle des jeunes, permet d’avoir une idée partielle de l’engagement des jeunes à éviter les IST/VIH/Sida et les grossesses non désirées.   Compte tenu du phénomène d’arrêt de l’utilisation des méthodes, nous avions voulu approfondir notre connaissance de l’utilisation du condom en nous intéressant à la fréquence d’utilisation de ce produit. Mais les faibles effectifs constatés nous ont obligés à nous limiter à l’utilisation du condom à un moment quelconque de la vie sans ignorer le biais lié à ce choix. Il apparaît que dans l’ensemble de notre échantillon, 22 % des jeunes qui ont déjà débuté leur vie sexuelle n’ont jamais utilisé de préservatif. La fréquence des comportements sexuels à risque varie en fonction du contexte dans lequel les jeunes filles et garçons vivent. C’est pourquoi, nous allons étudier dans la suite de cette communication ces comportements au sein de différentes catégories de jeunes assez homogènes du point de vue de leur profil socio-économique individuel et de celui de leurs parents.

Classification des enfants selon leurs conditions de vie

Pour mesurer les conditions de vie des jeunes, nous avons utilisé une approche statistique car elle nous a semblé plus appropriée qu’une approche qualitative. Cette dernière ne pouvant prendre qu’un nombre limité de variables ce qui n’est pas le cas pour la première approche. Deux types de variables ont été retenus pour cette classification (tableau 1). Le premier type traduit les capacités humaines de l’enfant. Il s’agit plus précisément du type d’activité économique, de son niveau d’instruction et du lieu où il a passé la plus grande partie de ses premières années de vie. Le deuxième type rend compte des conditions de vie de ses parents et du chef du ménage dans lequel il a été identifié : l’activité économique de ses parents, leur niveau d’instruction, le sexe du chef de ménage et son occupation principale au moment de l’enquête. La technique de l’analyse factorielle a été utilisée pour la construction d’un indice synthétique de conditions de vie au niveau individuel. Sur cette base une analyse de classification automatique a permis de distinguer trois catégories de jeunes : ceux qui ont des conditions de vie meilleures (35 % chez les filles et 38,6 % chez les garçons), ceux qui ont des conditions de vie modeste (52,7 % chez les filles et 49,6 % chez les garçons) et ceux qui vivent dans des conditions difficiles (12,3 % chez les filles et 11,7 % chez les garçons). Quels sont les principaux traits caractéristiques de ces différentes catégories ?

Les jeunes de la première catégorie ont vécu pour la plupart en ville au cours des 12 premières années de leur existence. Ils sont en majorité élèves ou étudiants, leurs besoins financiers sont entièrement pris en charge par leurs parents géniteurs. Ils ont des parents, qu’il s’agisse du père, de la mère  ou du chef de ménage, qui exercent une activité économique rémunérée soit dans le secteur privé ou dans le secteur public. 

Les jeunes qui se retrouvent dans la catégorie sociale dont les conditions de vie sont jugées modestes ont, comme ceux du premier groupe, presque tous vécu leur enfance en ville. Mais dans une proportion moindre, leurs besoins financiers sont assurés par les parents. La plupart d’entre eux  résident dans des ménages dont le chef est un homme et ils ont des parents non instruits, qu’il s’agisse du père, de la mère ou du chef de ménage.

Les jeunes de la troisième catégorie sont les moins favorisés. Même s’ils ont grandi pour la plupart en ville et que le chef de ménage est un homme dans la majeure partie des cas, ils  sont en général des orphelins de mère  ou de père, ce qui justifie sans doute que leurs besoins financiers soient assurés dans plus de la moitié  des cas par d’autres personnes pouvant être un parent éloigné ou un tuteur non apparenté. Les  tableaux 1 et 2 présentent l’ensemble des variables qui ont servi à la construction de cet indicateur et la répartition de la population enquêtée suivant la catégorie sociale et l’âge des jeunes au moment de l’enquête. Les résultats de cette catégorisation ont été obtenus à l’aide du logiciel SPAD (version 4.0).

Si les comportements sexuels à risque sont susceptibles de varier selon les conditions de vie des jeunes, ils peuvent également être influencés  par différents facteurs qui relèvent aussi bien du domaine démographique que du socioculturel et psychosocial. Si bien que pour mieux comprendre la réalité de l’association entre les conditions de vie des jeunes adolescents et leurs pratiques en matière de sexualité en Côte d’Ivoire, il nous est apparu important de les prendre en compte dans cette analyse en vue d’éliminer leurs effets. Les variables retenues pour chacun de ces facteurs sont les suivantes : au niveau démographique, il s’agit de l’âge, du sexe de l’enquêté, de la parité atteinte pour ceux qui ont des enfants, du statut matrimonial ; au niveau socio-culturel : l’appartenance à une association, l’attachement à une ou plusieurs activité de loisir ;  au niveau psychosocial : l’importance accordée à l’opinion d’autrui sur les comportements sexuels, la religion, l’estime de soi et l’appartenance à une association de jeunes. Bien qu’elle soit un facteur important des pratiques sexuelles dans le milieu des jeunes, la connaissance du Sida n’a pas été prise en compte dans le cadre de cette étude pour la simple raison qu’une très grande  majorité des enquêtés a dit connaître cette maladie.

Présentation des résultats

Pratiques sexuelles à risque et conditions de vie des jeunes adolescents en milieu urbain

Le tableau 4 présente la prévalence de pratiques sexuelles à risque chez les jeunes en fonction de leurs caractéristiques socio-démographiques et culturelles avec une distinction selon le sexe. Dans l’ensemble, il met en évidence l’existence de comportements sexuels à risque plus marquée chez les garçons que chez les filles, sauf pour l’utilisation du condom où l’on note une tendance plus élevée chez ces dernières à ne pas protéger leurs rapports sexuels. Ainsi, le pourcentage de jeunes adolescents sexuellement actifs avant 16 ans était plus élevé au moment de l’enquête chez les garçons que chez les filles (36,4 % contre 27,5 %). De même, la proportion de ceux qui ont eu des rapports sexuels avec plusieurs partenaires au cours des trois derniers mois ayant précédé l’enquête passe de 5,1 % chez les filles à 19,5 % chez les garçons. Autrement dit, l’exposition au risque lié à l’acquisition de nouveaux partenaires sexuels touche beaucoup plus les garçons que les filles (P<0.01)[2]. Cependant, il apparaît à travers ces résultats que parmi les garçons ayant déclaré avoir eu un contact sexuel avec une fille au cours de leur vie,  seuls 8,8 % ont dit n’avoir jamais utilisé le condom. Alors que ce pourcentage s’élève à 22,4% chez les filles. Une analyse des comportements sexuels des jeunes en fonction des autres caractéristiques socio-démographiques laisse apparaître le fait que chez les garçons les pratiques multipartenariales sont plus répandues (P<0,01) chez ceux ayant vécu l’expérience d’une union  comparés à leurs paires n’ayant jamais vécu cette expérience (33,9 % contre 18,6 %). Aucune différence significative n’est observable chez les filles même si les résultats laissent apparaître des pratiques multipartenariales moins fréquentes chez celles qui ont dit avoir été une fois en union au cours de leur vie que chez leurs sœurs célibataires (4,3 % contre 5,3 %). S’agissant des variations de la non utilisation du condom à un moment quelconque de leur vie sexuelle en fonction du statut matrimonial des jeunes, on note un niveau moins élevé chez les jeunes non mariés que chez les autres avec un écart plus important chez les filles (17,1 % contre 37,2 %) que chez les garçons (8,7 % contre 10,7 %).

Les comportements sexuels des jeunes diffèrent considérablement en fonction de l’âge bien qu’ils ne laissent pas apparaître chez les filles de pratiques sexuelles multipartenariales fréquentes quelque soit la tranche d’âges considérée, le pourcentage de celles qui ont eu des rapports sexuels avec plusieurs partenaires ne dépassant guère 10 %. Ainsi, l’entrée en activité sexuelle est plus précoce chez les jeunes générations que chez les plus anciennes. En atteignant l’âge de 16 ans par exemple, plus de la moitié  des jeunes de 15-17 ans (60,3 % chez les filles et 73,9 % chez les garçons) a déjà eu des rapports sexuels avec une fille ou un garçon. A 18-20 ans, ils sont respectivement 20,1 % et 29,6 à avoir vécu cette expérience, contre 17,4 % et 28,0 % dans le groupe d’âges 21-24 ans. Par contre, chez les garçons,  l’activité sexuelle apparaît plus fréquente aux âges élevés qu’aux âges jeunes. Sur la période des trois dernières années avant l’enquête, 22,6 % des jeunes de 21-24 ans ont dit avoir eu des rapports sexuels avec plus d’une partenaire. Et ils sont 18,7 % à avoir fait de même dans le groupe d’âges 18-20 ans et 11 % dans le groupe d’âges 15-17 ans. Chez les filles comme chez les garçons, la non protection des rapports sexuels par l’usage du condom est plus fréquente à 15-17 ans qu’au delà de ces âges où elle se situe à moins de 23 % chez les filles et à moins de 7 % chez les garçons (P<0,01).

Les résultats du tableau 4 permettent également d’analyser l’association entre le statut socio-économique des jeunes adolescents et leurs pratiques en matière de sexualité, qu’il s’agisse de l’entrée précoce en activité sexuelle, des pratiques multipartenariales et de la non utilisation du condom lors des rencontres sexuelles. Cette caractéristique n’a d’effet significatif chez les filles que sur l’utilisation du condom à un moment quelconque de leur vie sexuelle (P<0.01). Il se manifeste alors par le fait que celles qui vivent dans des conditions socio-économiques moyennes sont plus nombreuses (28,9 %) à avoir des rapports sexuels sans protection contre 26,9 % chez celles dont les conditions de vie sont jugées difficiles, et 10,9 % dans le groupe de filles de conditions de vie meilleures. Elle est par contre sans effet significatif sur l’entrée précoce en vie sexuelle et le multipartenariat. De même, chez les jeunes des zones urbaines ivoiriennes, l’adoption de comportements sexuels à risque prévaut de manière inégale selon la religion pratiquée au moment de l’enquête, l’ethnie et le degré d’exposition  aux médias. C’est ainsi que, chez les filles musulmanes et celles n’ayant pas de religion, on note une tendance  relativement plus marquée à avoir des rapports sexuels avant 16 ans (environ 31 % contre 24,4 % chez les chrétiennes). Les filles sans religion sont également plus nombreuses à avoir eu des rapports sexuels avec plusieurs partenaires au cours des trois derniers mois ayant précédé l’enquête lorsqu’on les compare aux autres (10,2 % contre 4,3 % chez les chrétiennes et 3,2 % chez les musulmanes). Par contre, le non-recours au condom lors des rencontres sexuelles est un comportement plus fréquent chez les jeunes musulmans que chez ceux des autres confessions  religieuses. S’agissant de l’entrée en activité sexuelle, on note que la proportion de jeunes s’étant livrés très tôt à l’activité sexuelle est plus élevée chez les filles appartenant aux groupes ethniques Mandé du Sud (34,3 %) et Krou (34,1 %). Elle est en général plus faible dans le groupe Akan où 20,6 % des jeunes filles ont dit avoir vécu l’expérience d’une relation sexuelle avant l’âge de 16 ans. Les différences observées chez les garçons sont non significatives même si elles laissent apparaître une tendance identique à celle des filles. Les filles Krou sont également plus nombreuses (12,5 %) à avoir déclaré des rapports sexuels avec plusieurs partenaires sur la période des trois derniers mois avant l’enquête, alors que ce chiffre n’excède pas 5 % dans les autres groupes ethniques.   Si les rapports sexuels sont plus fréquents chez les jeunes Krou que chez les autres, les résultats du tableau 4 montrent qu’ils sont moins protégés chez les non ivoiriens où 47,1 % de filles et 12,7 % de garçons ont dit n’avoir jamais utilisé de condom.

Environ 24,1 % des jeunes filles et 34,1 % des garçons qui écoutent chaque jour la radio, et respectivement, 25,7 % et 42,9 de ceux qui le font au moins une fois par semaine, ont eu des rapports sexuels avant 16 ans. Ce pourcentage est plus élevé chez les jeunes qui sont rarement exposés à ce médium. C’est dire que l’exposition à la radio a un effet significatif sur l’entrée en activité sexuelle des jeunes filles et garçons. Il en de même pour l’exposition à la télévision mais les différences de comportements sexuels induites par ce type de médium ne sont significatives que chez les filles.  L’exposition à l’un ou l’autre de ces deux médias n’a aucun effet significatif sur l’adoption de pratiques multipartenariales au cours des trois dernières années avant l’enquête. Par contre, elle influence significativement le recours au condom lors des rencontres sexuelles aussi bien chez les filles que chez les garçons (P<0,01).  Et, comme on pouvait s’y attendre, ce résultat montre que les risques liés à la non protection des rapports sexuels sont plus élevés parmi les jeunes ayant difficilement accès à la radio et à la télévision que chez leurs homologues dont l’accès à ces média semble plus facile et fréquent. C’est ainsi qu’à la question de savoir s’ils avaient utilisé le condom à un moment quelconque de leur vie sexuelle, près de 38 % et un peu plus de 15 % des jeunes (filles et garçons respectivement) ont dit n’avoir jamais recouru à ce produit. Tous ces résultats sont de simples mesures d’associations qu’il est nécessaire de valider par des analyses plus approfondies en utilisant des modèles qui font intervenir l’ensemble des facteurs responsables des pratiques sexuelles dangereuses chez les jeunes.

Résultats des analyses multivariées

Pour mieux examiner l’association entre les conditions socio-économiques des jeunes et leurs pratiques en matière de sexualité, il a été jugé nécessaire de procéder par des analyses multivariées sur l’entrée en activité sexuelle, l’utilisation du condom lors des rapports sexuels et le nombre de partenaires sexuels au cours des trois derniers mois ayant précédé l’enquête. Pour chacune de ces variables, un modèle de régression logistique multivariée a été élaboré incluant l’ensemble des variables susceptibles d’influencer les comportements des jeunes en matière de sexualité. Sont ainsi utilisés dans ces modèles, outre la variable principale définissant la position socio-économique de chaque personne enquêtée, l’âge, le statut matrimonial, l’expérience en matière de fécondité,  l’ethnie, la religion, l’appartenance à une association de jeunes, la participation à des activités de loisir, l’importance attachée à l’opinion d’autrui sur les comportements sexuels, l’estime de soi et la fréquence d’exposition à certains médias tels que la radio et la télévision. Les résultats de ces analyses figurent dans les tableaux 5 et 6.

Ainsi, il apparaît que dans les grandes villes ivoiriennes retenues pour cette enquête, toutes choses étant égales par ailleurs, le fait de vivre dans des conditions socio-économiques difficiles augmente de manière significative la probabilité chez les jeunes d’avoir des rapports sexuels à haut risque de grossesses non désirées et de contamination par les infections  sexuellement transmissibles y compris le VIH/Sida. Pour  le premier modèle dans lequel est prise en compte la variable décrivant l’entrée précoce en vie sexuelle, il n’apparaît pas d’effet significatif du statut socio-économique des jeunes sur leur probabilité d’avoir des rapports  sexuels avant l’âge de 16 ans aussi bien chez les filles que chez les garçons ainsi que nous l’avons constaté dans les analyses bivariées. Cependant, l’âge, le statut matrimonial, l’ethnie et l’exposition à la télévision apparaissent comme des facteurs socio-démographiques et culturels significatifs de l’initiation sexuelle des jeunes filles. Le fait d’appartenir aux groupes ethniques Krou et Sénoufo ou malinké multiplie respectivement par 2,13 et 1,66 les chances d’avoir des rapports sexuels avant l’âge de 16 ans par rapport aux filles du groupe Akan, les filles qui regardent chaque jour  la télévision ont moins de chance (OR[3]=0,649) de vivre l’expérience d’une relation sexuelle précoce quand on les compare aux filles qui sont rarement exposées à ce médium. Chez les garçons, outre l’âge au moment de l’enquête, les variables qui ont un effet significatif sur l’entrée précoce en activité sexuelle sont la participation à une activité de loisir, l’appartenance à une association de jeunes et l’exposition aux médias. Le risque d’expérimenter les rapports sexuels avant 16 ans est moins élevé (OR=0,532) chez ceux qui ont dit ne pas avoir d’activités de loisir que chez leurs homologues  ayant participé à une telle activité, ceux qui appartiennent à une association de jeunes ont 1,54 fois plus de chance  d’avoir des rapports sexuels avant 16 ans et ceux qui regardent la télévision au moins une fois par semaine ont une probabilité moins élevée d’avoir une vie sexuelle précoce que ceux qui n’y ont pratiquement pas accès (OR=0,598).

Pour le deuxième modèle dont la variable dépendante est le fait d’avoir des rapports sexuels avec plusieurs partenaires au cours des trois derniers mois avant l’enquête, seules deux variables doivent retenir notre attention chez les filles. Il s’agit de leur statut socio-économique et du groupe ethnique auquel elles appartiennent. Même l’âge  n’est plus un facteur différentiel significatif de cette pratique. Vivre dans des conditions socio-économiques difficiles entraîne une probabilité plus élevée d’avoir des rapports sexuelles avec plusieurs partenaires (OR=2,765), de la même façon que être du groupe ethnique krou augmente les chances de déclarer plusieurs partenaires sexuels au cours des trois derniers mois avant l’enquête (OR=2734). Les filles Sénoufo ont cependant moins de chance d’avoir des rapports sexuels avec plusieurs partenaires. Chez les garçons, à la différence de ce que nous avons observé chez les filles, l’âge est un facteur déterminant des pratiques sexuelles à risque liées à l’acquisition de partenaires multiples, de même que la situation matrimoniale, la religion, l’ethnie et la participation à une activité de loisir. L’effet de l’âge sur l’initiation sexuelle se manifeste par une propension plus élevée chez les aînés à déclarer plusieurs partenaires sexuels que chez les cadets avec un rapport de chance égal à 1,728 dans le groupe des 18-20 ans et 2,665 dans celui des 21-24 ans. De même, les garçons qui ont déjà vécu en union et ceux qui se réclament du groupe ethnique Krou ont une probabilité 2,12 et 1,799 fois plus élevée d’avoir plusieurs partenaires sexuels que leurs homologues  célibataires ou du groupe ethnique Akan. Mais, en se basant sur l’appartenance religieuse, on s’aperçoit que cette probabilité est plus faible chez les chrétiens que chez les musulmans avec un rapport de chance égal à 0,592. Comme pour l’entrée en vie sexuelle, les jeunes qui ne participent à aucune activité de loisir ont une probabilité significativement moindre d’avoir des relations sexuelles multipartenariales quand on les compare aux jeunes qui disent participer à de telles activités (OR=0,474).

Les analyses de régression logistique multivariée faites pour l’utilisation du condom à un moment quelconque de la vie confirment l’association significative prétendue entre le statut social des jeunes et leurs pratiques dangereuses en matière de sexualité. Il apparaît notamment que ceux qui vivent dans des conditions sociales précaires sont significativement plus susceptibles de ne pas protéger leurs rapports sexuels en ayant recours au condom. Dans le modèle 3, cet effet se manifeste par un rapport de chance de la non utilisation du condom à un moment quelconque de la vie sexuelle respectivement de 1,545 chez les jeunes vivant dans des conditions socio-économiques moyennes et de 1,451 chez ceux dont les conditions de vie sont relativement difficiles. On observe, aussi bien dans le modèle 3 que dans les autres modèles, des effets différents des autres caractéristiques socio-démographiques des jeunes sur leurs pratiques en matière de sexualité avec une susceptibilité significativement moins élevée chez les jeunes de 18 à 24 ans de n’avoir jamais recouru au condom lors des rencontres sexuelles que chez leurs cadets du groupe d’âges 15-17 ans (P<0,01). Chez les filles, ce rapport de chance de la non utilisation du condom est de 0,465 à 18-20 ans et de 0,443 dans le groupe d’âges supérieur. Il est respectivement de 0,325 et 0,299 chez les garçons. Le fait de vivre une expérience d’union multiplie par 2,670 la probabilité de ne par utiliser le condom lors des rencontres sexuelles.  Le fait de ne pas appartenir à une confession religieuse ou de pratiquer la religion chrétienne réduit respectivement de 66 % et 68 le risque d’avoir une vie sexuelle sans utilisation du condom (P<0,01). A l’exception de la nationalité étrangère qui semble avoir un effet d’augmentation de la probabilité d’avoir eu des rapports sexuels sans jamais utiliser le condom (OR=1,868), toutes les autres ethnies n’ont aucun effet significatif sur cette pratique sexuelle à risque chez les filles.

Les données montrent cependant que certaines variables psychosociales et socioculturelles ont une association significative avec l’utilisation du condom par les jeunes lors des rapports sexuels. Il s’agit, chez les filles, de l’importance qu’elles attachent à  l’opinion d’autrui sur leurs pratiques sexuelles dont le rapport de chance de l’utilisation du condom à un moment quelconque est estimé à plus à 1 pour celles qui ont répondu presque négativement à cette question (p<0.01), et du fait  de reconnaître en soi certaines qualités dont le rapport de chance s’élève à 2,569 pour celles qui ont dit ne jamais se reconnaître quelques bonnes qualités (P<0.1). C’est aussi le cas pour l’exposition aux médias. Et, il apparaît, aussi bien chez les filles que chez les garçons, que le fait d’écouter la radio ou de regarder régulièrement la télévision diminue les risques d’être engagé dans des pratiques sexuelles sans utilisation du condom. Chez les filles, ce rapport de chance est de l’ordre de 0,4 pour l’exposition à la radio (P<0,01) et de 0,6 pour la télévision (P<0,1). Il est respectivement de 0,405 et 0,862 chez les garçons (P<0,05). En dehors de ces variables, les données n’indiquent pas si le sexe de l’enfant et le fait de participer à une activité de loisir ou l’importance accordée à l’opinion des autres sur les comportements sexuels ont un effet significatif sur le recours par les jeunes au condom lors des rapports sexuels. Néanmoins, nous proposons l’hypothèse que si les comportements sexuels de l’enfant ne sont pas appréciés par ses proches, il finit par se soumettre à la pression des autres et à modifier son comportement dans le sens voulu par les autres. En clair, l’importance attachée à l’opinion des autres membres de l’entourage sur les comportements sexuels  peut façonner la perception que l’enfant a de lui-même et ses pratiques en matière de sexualité.

 Discussion des résultats et conclusion

Comme d’autres enquêtes sur la santé sexuelle et reproductive, les données de l’enquête « jeunes » réalisée dans les principales villes de la Côte d’Ivoire montrent que des comportements sexuels à risque persistent dans le milieu des jeunes. Face à la dégradation continue des conditions de vie des ménages, on assiste de plus en plus à une incapacité de certains parents à répondre aux besoins de leurs enfants. Avoir des rapports sexuels à un âge jeune et dans des conditions d’insécurité est donc devenue chose courante en dans la plupart des villes d’Afrique subsaharienne et dans plusieurs pays du monde en développement. Cette communication avait pour objectif de mettre en évidence la fréquence de ces pratiques sexuelles à risque en fonction du statut socio-économique des jeunes dans trois grandes villes de la Côte d’Ivoire. Cette inégalité au niveau des conditions de vie socio-économique des enfants a été mise en évidence à l’aide de la technique de l’analyse de classification multiple. Trois catégories sociales ont alors été définies à l’aide du logiciel SPAD (version 4.0) en fonction des caractéristiques socio-économiques des enquêtés et celles de leurs parents.  Pour chacune des composantes du comportement sexuel à risque observé chez les jeunes (le multipartenariat et l’utilisation du préservatif à un moment quelconque et au dernier rapport sexuel), un modèle de régression logistique multivariée a été estimé en vue d’apprécier les effets nets du statut socio-économique du jeune et ceux relatifs à certaines de ses caractéristiques psychosociales. Nous avons émis l’hypothèse que les conditions de vie des jeunes pourraient influencer leurs comportements sexuels et que les jeunes qui vivent dans des conditions difficiles auraient plus tendance à s’engager dans des pratiques  sexuelles à haut risque que ceux qui vivent dans des conditions socio-économiques relativement plus aisées. Ces analyses ont permis de confirmer cette hypothèse aussi bien chez les filles que chez les garçons. Concernant la deuxième hypothèse, nos attentes ont été confirmées sauf dans le cas de l’entrée précoce en vie sexuelle et le fait pour les jeunes garçons d’avoir entretenu des rapports sexuels avec plusieurs partenaires au cours des trois derniers mois avant l’enquête.

S’agissant de l’utilisation du condom à un moment quelconque de la vie sexuelle des jeunes, l’analyse exploratoire bivariée a permis de constater  une relation significative entre les conditions de vie des filles et leurs attitudes envers le condom lors de leurs rencontres sexuelles. En particulier, celles qui vivent dans des conditions socio-économiques défavorables à leur plein épanouissement sont proportionnellement plus nombreuses à ne pas utiliser le condom lors de leurs rencontres sexuelles. Chez les garçons, ces analyses ne laissent apparaître aucune relation significative entre leur position sociale et l’utilisation de ce produit. Ce résultat a pu être confirmé chez les filles par les analyses de régression logistique en contrôlant un certain nombre de facteurs susceptibles d’influencer également les comportements sexuels des jeunes dans les zones urbaines tels que l’âge, le statut matrimonial, la religion, l’ethnie, l’estime de soi, l’appartenance à une association ou la participation à des activités de loisir et l’exposition aux médias. En présence de ces variables, ce modèle montre que chez les garçons, contrairement aux résultats obtenus dans la phase exploratoire de nos analyses, ceux qui appartiennent à la catégorie sociale dite à conditions de vie difficiles ont des risques plus élevés de s’engager dans des rapports sexuels sans protection lorsqu’on les compare à leurs homologues dont le statut social peut être qualifié de meilleur avec un rapport de chance de l’ordre de 2,306. Ce résultat met une fois de plus le faible pouvoir de négociation des filles pour ce qui concerne les choses sexuelles.  Concernant la relation entre l’utilisation du préservatif et les autres caractéristiques psychosociales des jeunes, l’analyse multivariée révèle une certaine irrégularité qui pourrait s’expliquer par le fait que la décision de recourir au condom lors des rapports sexuels  ne repose pas uniquement sur les conditions socio-économiques et psychologiques des individus telles qu’elles ont été appréhendées dans cette étude. Il est probable que les représentations au sujet des rapports entre partenaires et certaines rumeurs négatives entourant ce produit soient plus déterminantes. Des entretiens dirigés auprès des jeunes hommes du Sud-est ivoirien réalisés dans le cadre d’une étude récente ont révélé que le préservatif n’est utilisé le plus souvent qu’au moment où se noue une nouvelle relation (Anoh 2001). A mesure que la relation perdure, son utilisation peut être mal perçue parce que synonyme d’un manque de confiance. En plus, les réseaux informels de communication entretiennent une rumeur selon laquelle les hommes refuseraient les grossesses issues de l’échec d’une tentative d’utiliser le préservatif, ce qui pousse les jeunes filles à refuser l’utilisation de ce produit lors des rapports sexuels. Cette rumeur a été citée aussi bien dans les enquêtes individuelles auprès des femmes que dans les entretiens dirigés de groupes auprès des jeunes hommes.

S’agissant des autres aspects des comportements sexuels à risque chez les jeunes, il apparaît que les filles, l’entrée en vie sexuelle se fait de manière plus précoce dans les couches sociales défavorisées du point de vue des caractéristiques de leurs parents et de l’exposition aux médias et la probabilité d’avoir des rapports sexuels avec  plusieurs partenaires est plus élevée dans ce groupe de jeunes filles lorsqu’on les compare à celles qui vivent dans des conditions socio-économiques meilleures. On peut donc penser qu’il s’agit là de deux aspects des comportements sexuels à risque qui ont des racines dans les considérations économiques. Ces résultats peuvent être inscrits dans un modèle de comportement sexuel fondé sur le principe de l’adaptation rationnelle. Selon ce modèle, certaines personnes, du fait de leur pauvreté, peuvent choisir de s’engager dans des relations sexuelles en vue de  résoudre un problème d’ordre économique ou social. Les femmes entretiennent ainsi des rapports sexuels avec les hommes dans le but d’obtenir de l’argent, des cadeaux ou diverses autres faveurs en échange (Cherlin et al., 1986). Ce facteur pourrait jouer en Côte d’Ivoire d’autant plus que la récession économique en cours depuis les années 1980 et la dégradation des conditions de vie en ville comme à la campagne ont rendu les populations vulnérables. Les adolescentes qui ont besoin de payer leurs études sont particulièrement vulnérables.

Toutefois, il ne faut pas oublier le poids des coutumes et la modernisation sociale tout particulièrement en ce qui concerne la précocité des rapports sexuels chez les filles. En effet, dans les sociétés africaines, la précocité de la sexualité chez les femmes s’explique aussi par la coutume du mariage précoce des filles ainsi que par la tolérance des activités sexuelles pré-conjugales. Ces activités seraient largement tolérées depuis toujours dans les sociétés animistes ou christianisées. Et dans les sociétés islamisées qui traditionnellement n'acceptent les rapports sexuels que dans le cadre du mariage, il y a eu, à cause de la modernisation, un affaiblissement du contrôle social. Cet affaiblissement du contrôle social a aussi pour effet l’effritement des valeurs sociales relatives à la sexualité, telles que la virginité des filles avant le mariage, ce qui conduit inéluctablement aux rapports sexuels précoces. C’est ainsi que les résultats de cette étude apparaissent très importants pour la définition du cadre logique des interventions en matière de santé sexuelle et reproductive. Ils montrent la nécessité, dans ce cadre logique des actions en matière de santé sexuelle et reproductive, de prendre en compte les activités d’ordre économique comme celles visant à réduire la pauvreté mais également qu’il intègre des stratégies de communication pour le changement de comportement.

RÉFERÉNCES

  • AnohA. 2001. L’émergence de la planification familiale en Côte d’Ivoire, Thèse de Doctorat en démographie, Université de Paris X-Nanterre, UFR SSA, Formation doctorale de sociologie et de démographie des sociétés contemporaines, Paris, 439  p. + annexe.
  • Cherlin, A. and Riley, N. 1986. Adolescent Fertility: An Emerging Issue in Sub-Saharan Africa, . PHN Technical Note 86-23. Washington, DC: Banque Mondiale
  • Diop Nafissatou J. 1995. La fécondité des adolescents au Sénégal, UEPA, Programme de petite subvention pour la recherche en population et développement, Rapport de synthèse, Numéro 11 – Mars 1995, 20p
  • Family Health International (FHI). 2001. Analyse situationnelle des soins et prise en charge du VIH/SIDA et des infections sexuellement transmissibles en Côte d’Ivoire, Projet Santé Familiale et Prévention du Sida.
  • Gueye M., Castle S., Konaté M. K. 2001. Moments des premiers rapports sexuels des adolescents du Mali et implications pour la pratique contraceptive. Perspectives Internationales pour le Planning Familial. Numéro spécial de 2001. pp. 2-8.
  • Institut National de la Statistique (Côte D’Ivoire) et ORC Macro, 2001, Enquête démographique et de santé, Côte d’Ivoire 1998-99, Calverton, Maryland, USA : Institut National de la Statistique et ORC Macro.
  • Nations Unies. 2001. World population monitoring 2000, population, gender and development, New York, 2001, p. 14
  • Rwenge M. 2000. Comportements sexuels à risques parmi les jeunes de Bamenda, au Cameroun. Perspectives Internationales pour le Planning Familial. Numéro spécial de 2000. pp. 13-18.
  • Zanou B. et al. 2002. Connaissance, attitudes et comportements en matière d’IST/VIH/SIDA chez les jeunes du milieu urbain en Côte d’Ivoire, Rapport d’enquête, USAID, ENSEA, Johns Hopkins, Abidjan, 2002.
 
[2] P = probabilité associée au khi-deux
[3] OR = Odds ratio ou rapports de chances
 

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