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African Population Studies
Union for African Population Studies
ISSN: 0850-5780
Vol. 19, Num. sb, 2004, pp. 251-264

African Population Studies/Etude de la Population Africaine, Vol. 19, No. 2, Sup. B, 2004, pp. 251-264

L’accessibilité culturelle : une exigence de la qualité desservices et soins obstétricaux  en Afrique

Gervais Beninguisse[1], Béatrice Nikièma[2], Pierre Fournier[3]et Slim Haddad[4]

Université de Montréal (Canada)

Code Number: ep04044

RÉSUMÉ

La pertinence de la qualité dans la perspective des clients est de plus en plus reconnue en santé reproductive mais les initiatives de changement sont rares, en partie parce que ses composantes sont encore scientifiquement peu documentées. Cet article examine la problématique de la qualité des services et de soins obstétricaux en Afrique dans la perspective des clientes en mettant en évidence l’importance de l’adéquation de l’offre biomédicale avec les attentes et préférences dans l’appréciation de la qualité et son influence potentielle sur les décisions en matière d’utilisation. Trois sources d’information sont utilisées : une revue de la littérature socio-anthropologique ; une enquête qualitative réalisée au Cameroun sur la perception que les femmes ont de la qualité de services et soins obstétricaux dans les systèmes traditionnel et biomédical ; et une analyse quantitative de données secondaires sur la justification des comportements d’utilisation des services modernes d’obstétrique au Burkina Faso. D’après les résultats, il y a d’une part des attentes et préférences spécifiques dont les réponses sont prévues par l’appareil biomédical. Il s’agit par exemple de la détermination du sexe et de la gémellité de la naissance attendue, de l’accouchement sans douleurs et de l’accouchement par césarienne. D’autre part, il y a des points d’attachement dont le système biomédical est en marge. Ainsi la discrétion qui traditionnellement entoure la grossesse à ses débuts (incompatible avec la prescription biomédicale de précocité de la première consultation prénatale, fixée d’après les normes en vigueur, au premier trimestre de la grossesse), la présence réconfortante de l’entourage familial, le bénéfice de soins traditionnels tels que les massages d’après délivrance, l’accès aux suites de couches (cordon, placenta) après l’accouchement, la préservation de l’intimité de la femme par l’éloignement de toute présence masculine et l’utilisation non collective des salles de séjour et du matériel d’interventions obstétricales, sont autant d’éléments dont l’exclusion influence négativement la qualité perçue et peut constituer une entrave à l’utilisation des services obstétricaux. L’amélioration de la qualité passe donc nécessairement par une adéquation de l’offre aux attentes et préférences et fait appel à une complémentarité dans l’action entre les systèmes traditionnel et biomédical pour la définition d’un paquet minimum consensuel de soins obstétricaux qui garanti à la fois l’efficacité clinique et la satisfaction des clients.

INTRODUCTION

L’accès aux services obstétricaux est une des composantes essentielles d’une bonne santé reproductive en Afrique. Le contexte épidémiologique de la maternité, particulièrement préoccupant, le justifie pleinement. D’après les estimations de l’OMS (OMS, 1998), le ratio de mortalité maternelle pour 100000 naissances vivantes est de 870 en Afrique contre 36 en Europe, 11 en Amérique du Nord, 190 en Amérique Latine et Caraïbes et 390 en Asie. La mortalité périnatale est estimée à 75‰ en Afrique contre 13‰ en Europe, 9‰ en Amérique du Nord, 39‰ en Amérique Latine et Caraïbes et 53‰ en Asie (WHO, 1996).

Pour faire face à ces problèmes, des services obstétricaux sont déployés dans les pays africains avec un souci croissant d’améliorer leur qualité, c’est-à-dire leur capacité à offrir de meilleurs soins à un plus grand nombre de femmes, notamment par des soins efficaces à moindres risques et dispensés avec compétence technique (Diprette et al., 1993). Mais le degré d’adhésion des populations demeure largement en deçà des attentes des prestataires et nettement plus faible que dans les autres régions du monde. En effet, toujours d’après l’OMS, la fréquence du recours aux soins prénatals parmi les femmes enceintes est de 63% en Afrique contre 97% en Europe, 95% en Amérique du Nord, 73% en Amérique Latine et Caraïbes et 65% en Asie. La fréquence du recours à l’assistance médicale pendant l’accouchement est davantage plus faible : 42% en Afrique contre 98% en Europe, 99% en Amérique du Nord, 75% en Amérique Latine et Caraïbes et 53% en Asie.

L’Afrique n’est donc pas seulement la région du monde où la fécondité et les risques liés à la grossesse et à l’accouchement sont les plus élevés, elle est aussi la région où les femmes ont le moins recours aux services obstétricaux. Cette situation suscite bien des interrogations scientifiques ayant des implications programmatiques aux rangs desquelles figure l’accessibilité culturelle des services et de soins obstétricaux, une des exigences importantes de la qualité en Afrique.

Cet article se propose de clarifier la problématique de la qualité des services et de soins obstétricaux dans la perspective des clientes, en analysant les écarts entre l’offre et les attentes et préférences des populations. L’article est structuré en quatre parties. La première examine la relation entre la sous-utilisation des services obstétricaux et la mortalité maternelle, de manière à situer le contexte dans lequel la problématique de la qualité est abordée du point de vue de l’accessibilité culturelle. La deuxième partie fait une synthèse de la littérature socio-anthropologique en mettant en évidence les éléments d’inadéquation entre l’offre biomédicale de services et de soins obstétricaux et les attentes et préférences des populations africaines. La troisième partie rend compte d’une validation empirique au Cameroun et au Burkina Faso. Au Cameroun, des femmes rapportent leur perception de la qualité des systèmes biomédical et traditionnel de services et soins obstétricaux. Au Burkina Faso, des mères expliquent pourquoi elles ont choisi de recourir au système moderne ou traditionnel de soins obstétricaux pour le suivi de leur grossesse ou pour l’accouchement. Enfin, nous terminons dans la quatrième partie, par une discussion sur les implications des résultats.

Problématique de l’accès aux services obstétricaux en Afrique

Le problème de l’accès aux services obstétricaux en Afrique se pose en terme de sous-utilisation associée à une forte mortalité maternelle. Une démarche compréhensive conduit donc inéluctablement à s’interroger, entre autres, sur la question de la qualité desdits soins.

Une sous-utilisation associée à une forte mortalité maternelle

La mortalité maternelle est définit comme un phénomène associé à la grossesse et à l’accouchement. D’après l’OMS, c’est « le décès d'une femme survenu au cours de la grossesse ou dans un délai de 42 jours après sa terminaison, quelle qu’en soit la durée ou la localisation, pour une cause quelconque déterminée ou aggravée par la grossesse ou les soins qu'elle a motivé mais ni fortuite ni accidentelle ». Cette définition soulève quand même une difficulté : celle de l’imputation causale du décès maternel. En effet, tous les décès qui surviennent au cours de cette période (de la conception à 42 jours après l’accouchement) ne sont pas forcément imputables à la grossesse ou à l’accouchement. De même, toutes les complications de grossesse ou d'accouchement ne débouchent pas forcément sur un décès au cours de cette période (Campbell et Graham (1991a et 1991b). C’est surtout l’accès aux soins de qualité pendant l’accouchement qui est fortement lié à la mortalité maternelle puisqu’il est empiriquement établit qu’environ deux tiers des décès maternels surviennent en fin de grossesse (Abou Zahr, 1998).

La mesure de la mortalité maternelle est lacunaire en Afrique du fait notamment de la défaillance des données adéquates. En dépit de cette lacune, on peut observer une forte relation (coefficient de corrélation=0,70) entre la mortalité maternelle et l’assistance de l’accouchement par un personnel qualifié (graphique1). Une faible proportion d’accouchements assistés par un personnel qualifié est associée à une forte mortalité maternelle. Même si cette corrélation ne permet pas d’établir un lien de causalité, elle est une forte présomption qui permet de penser que l’accès aux soins obstétricaux de qualité peut contribuer à la réduction de la mortalité maternelle. L’accessibilité culturelle figure aux rangs des indicateurs susceptibles de rendre compte de la qualité perçue des services et de soins obstétricaux en Afrique.

L’accessibilité culturelle  en tant qu’indicateur de qualité

Le concept de qualité, emprunté à la médecine et à l’industrie, est de plus en plus au cœur des préoccupations des programmes de santé reproductive. Dans le domaine de la santé reproductive, la qualité signifie « offrir toute une gamme de services sûrs et efficaces qui répondent aux attentes et préférences des clients » (Kols et Sherman, 1998). Ainsi définit, la qualité intègre non seulement la perspective des prestataires, c’est-à-dire la prestation des soins sûrs efficaces ainsi que les ressources et l’organisation qui la détermine, mais aussi dans la perspective des clients, à savoir des soins qui répondent aux besoins et préoccupations des clients. C’est dans la perspective des clients que l’accessibilité culturelle est examinée en tant qu’indicateur de qualité des services et de soins obstétricaux. Du point de vue de l’accessibilité culturelle, une bonne qualité de services et de soins obstétricaux est appréciée par rapport à l’attention accordée aux attentes et préférences des femmes dictées par leurs coutumes et traditions.

C’est surtout dans le domaine du planning familial que la pertinence des attentes et préférences des clients comme indicateurs de qualité a été empiriquement éprouvée. Leur influence sur la satisfaction des clients et l’utilisation de la contraception (intensité et continuité) a ainsi été mise en évidence (Yinger, 1998 ; Who, 1996 ; Kaplan et Ware, 1995 ; Mensch et al., 1995 ; Hall et al., 1993). On sait par contre peu de choses sur leur rôle sur l’appréciation de la qualité et l’utilisation des services obstétricaux.

Quels sont les attentes et préférences en matière de services et de soins obstétricaux et comment les prestataires y répondent-ils ? Une synthèse de la littérature  socio-anthroplogique et une observation empirique nous livre quelques éléments de réponse dans les lignes qui suivent.

Attentes et préférences en matière de services et de soins obstétricaux en Afrique: bref aperçu de la littérature socio-anthropologique

Il s’agit dans cette partie de rechercher dans le passé plus ou moins lointain de l’obstétrique traditionnelle, ce qui émerge comme étant des attentes et préférences en matière de services et de soins obstétricaux et qui potentiellement peuvent influencer la qualité perçue et l’utilisation. Plus présents dans la littérature socio-anthropologique, ces éléments constituent des substrats culturels où se forme une demande potentielle de services et de soins obstétricaux. On les retrouve de façon éparse dans les travaux monographiques de quelques ethnies ou groupes ethniques africaines traitant des sujets généraux tels que la sexualité, la vie et l'organisation sociale, la procréation, etc.

Quelques repères idéologiques

Dans la plupart des sociétés africaines, la grossesse est une conjugaison harmonieuse du naturel (c’est-à-dire du « proprement physiologique ») et du spirituel, le résultat d’une action copulatoire des géniteurs favorisée par l’action providentielle des forces transcendantales (Beninguisse, 2003 ; Lallemand, 1991 ; Erny, 1988).

L’essence naturelle de la grossesse favorise l’idéologie de la « normalit頻 dans l’imaginaire populaire. La grossesse n’est ni un état morbide ni un facteur de risque de morbidité, mais plutôt une voie d’accomplissement normal de la fonction reproductive de la femme (WFPHA, 1984). Fort de cette empreinte culturelle, l’avènement d’une grossesse ne déclenche pas automatiquement le recours à un suivi médical. L’essence spirituelle favorise la mise en route d’une thérapeutique préventive constituée de précautions et rituels divers, de consultations divinatoires, d’interdits et prescriptions alimentaires et comportementaux, dont le but est d’assurer une issue favorable de la grossesse et la naissance d’un enfant exempt de toute tare physique ou psychologique, le « produit » conforme au modèle porté et véhiculé par la société (Ewombé-Moundo, 1991)1. C’est par rapport à ces repères idéologiques que reposent les attentes et préférences en matière de services et de soins obstétricaux.

Attentes et préférences relatives à la prise en charge de la grossesse

Une discrétion absolue au premier trimestre de la grossesse

La prise de conscience de la grossesse se fait à partir des signes classiques dits présomptifs tels que l’arrêt de règles, une sensation fréquente de fatigue dès l’arrêt des règles, un engorgement des seins (ressenti sous forme de contractions), les nausées à prédominance matinale, des coliques et constipations, des douleurs du bas de l’abdomen, un gain pondéral significatif, de fréquentes envies de sommeil, une transpiration plus abondante (Erny, 1993 ; Ombolo, 1990).

Le premier trimestre de la grossesse (1 à 3 cycles lunaires d'absence de règles) est une étape capitale du processus d’enfantement (Ewombé-Moundo, 1991)[5]. La femme croit en une probabilité de grossesse sur la base des signes classiques décrits précédemment. A cette étape, l'on pense que le produit de la conception n'est qu'une masse de sang, un mollusque qui n'est pas encore une véritable grossesse. La femme a donc tout intérêt à garder la nouvelle sécrète, d’une part, pour se protéger contre les esprits jaloux et malveillants (Laburthe-Tolra, 1985) et d’autre part, pour ne pas anticiper sur la volonté divine ou celle des puissances de l’au-delà (génies, ancêtres) sur une grossesse encore incertaine. Cette discrétion de début fait éviter à la femme le « ridicule » d’une fausse alerte de grossesse. Elle n'en parle qu'à ses proches parents en cas de nécessité. Dans certaines ethnies comme chez les Yambassa du Cameroun (Onana Badang, 1979), les femmes ne doivent même pas en parler à leur mari car « ce sont les maris qui trahissent le secret de leur nouvel état physiologique dans leurs conversations avec les autres membres du groupe ». Le mari géniteur s'en apercevra d'ailleurs de lui-même par un changement brutal d'attitude : il aura eu des rapports sexuels avec sa femme sans que cette dernière lui parle de ses menstrues ; sa femme a de plus en plus envie de lui (une augmentation des appétits sexuels) et sa température ne cesse de s'élever. Ce souci permanent de discrétion peut constituer un obstacle au recours aux services et soins prénatals notamment à la précocité de la première consultation qui, selon les normes en vigueur en Afrique, doit se dérouler au plus tard dans le premier trimestre de la grossesse. Cette exigence peut être perçue comme une occasion potentielle de rupture du secret et donc comme une source de danger pour la femme.

Un besoin latent de détermination du sexe et de la gémellité de la naissance

Si l'attente d'un enfant revêt une importance capitale, l'attente d'un mâle ou des jumeaux est perçue, dans la plupart des ethnies africaine, comme un événement particulièrement valorisant au plan social (Erny, 1993 ; Lallemand, 1991). La naissance d'un garçon constitue, pour la famille, l'assurance d'une perpétuation de la lignée et, pour le père, la garantie d'être vénéré comme ancêtre après sa mort (les filles étant destinées à quitter  le lignage en raison de la règle de l’exogamie qui régit les mariages dans de nombreuses ethnies). Chez les Babouantou du Cameroun (Tribu Bamileké) (Nzikam Djomo, 1977), les mouvements du fœtus ressentis à droite du ventre laissent présager une naissance masculine et à gauche ou ailleurs une naissance féminine. Après les relations sexuelles, la femme Souto se couche du côté droit pour avoir un garçon et gauche pour avoir une fille (De Pedrais, 1950). Dans d’autres ethnies, on croit en une possibilité d’orienter de façon sélective le sexe de l’enfant en agissant sur les mécanismes de fécondation. Chez les Beti du Cameroun, l’absorption de « l’ayan fam (oignon mâle) », peu avant les relations sexuelles permet d’obtenir une naissance mâle (Ombolo, 1990).

La mise au monde des jumeaux élève les géniteurs au statut de privilégiés à qui on reconnaît des dons et des égards particuliers. Chez les Bamiléké du Cameroun, les Kouyou du Congo Brazzaville et les Banyamwési d’Afrique de l’Ouest (Charles-Henry et De Latour, 1991 ; Lheyet-Gaboka, 1954 ; Bösch, 1930), les jumeaux sont porteurs de bienfaits : ils sont supposés apaiser les souffrances physiques par le simple contact de leur main et leurs géniteurs acquièrent un prestige social et le pouvoir de pacifier. « Si une mère de jumeaux brandit des herbes de paix entre deux antagonistes, la querelle s'arrête sur-le-champ », dit-on chez les Bamileké. Mais la naissance des jumeaux n'est pas toujours source de bienfaits. Les attentes sociales à leur égard sont quelquefois teintées de craintes en raison même de leur origine mystérieuse et des multiples pouvoirs qu'ils sont censés détenir. Chez les Mbali d’Angola (De Pedrais, 1950), la naissance de jumeaux représente une calamité pour tout le pays et donc il faut s’en séparer. Chez les Banen du Cameroun (Mahend Betind, 1966; Dugast, 1960) les jumeaux sont capables de répandre la disette dans le village, de transmettre la « maladie des jumeaux » (Biasas)[6]. Ils peuvent aussi provoquer la stérilité chez les femmes dont la menstruation coïncide avec leur naissance. La reconnaissance d'une grossesse gémellaire commence par un pressentiment basé sur des signes tels que l’augmentation inhabituelle du volume abdominal et la fréquence des œdèmes des membres inférieurs. Ces signes dits présomptifs sont soumis par la suite à l'examen divinatoire auprès d'un devin-guérisseur pour une éventuelle confirmation.

C’est sans doute le contexte social de préférence male, de valorisation ou d’appréhensions des jumeaux qui a développé cet intense besoin de détermination du sexe et de la gémellité de la naissance que l’on observe dans nombre de sociétés africaines. Ce besoin trouve aujourd’hui sa réponse au système biomédical par le biais de l’échographie, mais le coût de cet examen est loin d’être à la portée de tout le monde. Les catégories sociales les plus défavorisées ne pouvant y accéder, n’ont souvent d’autre choix que de se soumettre à la consultation divinatoire dont le coût des prestations n’est souvent que symbolique[7].

Les interdits et prescriptions alimentaires et comportementaux : des exigences sacrées de la gestation.

C’est à partir du deuxième trimestre de la grossesse (3 à 6 cycles lunaires d'absence de règles), deuxième étape du processus d’enfantement, que les interdits et les prescriptions alimentaires et comportementaux sont observés aussi bien par la femme enceinte et le père géniteur que par l’entourage familial (Ewombé-Moundo, 1991 ; Abega, 1996). La femme enceinte est en butte à toutes sortes d’interdits gestuels, postoraux et alimentaires[8] qui relèvent d’un code socio-sanitaire, éthique (morale sociale) et esthétique de la communauté. Tout ce qui peut prétendument nuire à la préparation physiologique et psychologique de la future parturiente ou de l’enfant est à proscrire (Ewombé-Moundo, 1991 ; Ravololomanga, 1991 ; Kashamura, 1973). La signification symbolique de ces interdits repose sur l’analogie ou la similitude entre la forme, la texture ou les caractéristiques des aliments ou des gestes proscrits et l’issue de la grossesse et le devenir de l’enfant. D’après Lallemand (1991 : 10), il s’agit « d’une association métaphorique ou métonymique entre la conséquence imputée à l’objet et la crainte qu’il suscite : interdire tout lieux de deuil aux femmes enceintes de peur qu’elles avortent relève de la métaphore, les empêcher de manger du lièvre sous prétexte qu’il est voleur et risque ainsi de communiquer cette propriété particulière au fœtus relève d’une démarche métonymique ». S’il est des aliments et gestes interdits, il y en est par contre qui sont fortement recommandés, notamment ceux qui sont des symboles de fécondité ou de fécondation. Leur absorption (ou observation) équivaut à répéter l’acte de fécondité ou de fécondation pour neutraliser toute velléité inconsciente d’entraver le bon déroulement de la grossesse (Deutsch, 1949).

Même si à certains égards, on peut déplorer l’aspect négatif de ces interdits, par exemple leur conséquence sur l’équilibre alimentaire de la femme enceinte, ils rassurent et procurent à celles qui les observent d’amples satisfactions maternelles. Aussi importe-t-il que l’appareil biomédical de la prise en charge de la grossesse tienne compte de ces interdits dans ses prescriptions nutritionnelles et de préparation sophrologique pour en accroître la satisfaction.

Le support social de l’entourage familials: un précieux accompagnant

Les membres de l’entourage familial ont un rôle important à jouer dans le processus d’enfantement. D’une part, ils sont tenus d'assurer la protection de la future mère en lui évitant tout obstacle impressionnant et en s’abstenant d'évoquer devant elle l'expérience d'une issue défavorable de grossesse (Ewombé-Moundo, 1991). Ils ont en outre le rôle et la responsabilité d'apporter à la future mère tout le support social dont elle a besoin pour faire face aux difficultés d'ordre psychologique (stress, problèmes conjugaux, etc.) et matériel (aide aux tâches ménagères, garde des enfants, contraintes financières) qui sont susceptibles de peser sur l'issue de grossesse. D’autre part, les membres de l’entourage familial exercent sur la femme enceinte un contrôle social de ses émotions, sentiments, attitudes et comportements, de manière à les orienter vers les modèles socialement valorisés, (Raponda-Walker, 1995 ; Kashamura, 1973).

Tout ceci montre que l’accompagnement psychologique de la grossesse est une exigence importante de l’obstétrique traditionnelle africaine. Bien que cette exigence constitue un besoin définit et prévu par l’obstétrique biomédicale, force est de constater qu’elle ne figure pas dans le paquet minimum de soins offert en Afrique.

Attentes et préférences relatives à la prise en charge de l’accouchement

Lieu et pratiques d’accouchement : unicité, intimité et convivialité

Le lieu d’accouchement est choisi avec un souci permanent de discrétion, de sécurité (la crainte de sorciers par exemple), d’intimité et de convivialité. Le lieu d’accouchement varie selon les ethnies et les systèmes de filiation (patrilinéaire ou matrilinéaire) (Erny, 1989) mais plus souvent la famille d’origine de la parturiente est le lieu le plus indiqué. A travers ce choix, la famille maternelle, avec les bons soins de la mère de la parturiente, prend solennellement l’engagement d’assurer la sécurité de la délivrance.

En général, l'accouchement se déroule dans un endroit discret, loin des regards envieux et jaloux pouvant provoquer ou prolonger les souffrances de la parturiente. L'accouchement public est presque toujours perçu comme une calamité. Chez les Beti du Cameroun (Laburthe-Tolra, 1991), on pense qu'un ennemi pourrait recueillir le sang de l’accouchée pour faire mourir le nouveau-né et bloquer toutes les naissances futures. C'est pour cette raison fondamentale que la femme choisira, autant que possible, d'enfanter dans un milieu où elle se sentira le plus en sécurité (dans son village natal, chez sa mère ou chez ses sœurs). Chez les Bambara d’Afrique occidentale et les Joola du Sénégal, c’est pour préserver l’espace social de la souillure du sang de l’accouchement que la naissance se déroule en dehors du village (Journet, 1991 ; Erny, 1989)

L’accouchement se déroule dans la cuisine, derrière la case, sur la pierre d'accouchement, par terre, sur une natte, sur des feuilles ou sous une tige de bananier, sur un lit en bambou préalablement fabriqué pour la circonstance. L’espace est aménagé pour accueillir une seule parturiente, « accoucher à plusieurs » est une éventualité totalement exclue (Beninguisse, 2003).

Fort de ce qui précède, il n’est pas étonnant que la pratique simultanée de plusieurs accouchements dans la même salle, l’utilisation collective des salles de séjour et du matériel d’interventions obstétricales, et la proscription ou la limitation de l’entourage familial couramment observés dans certaines maternités biomédicales en Afrique puissent constituer une entrave à l’utilisation des services obstétricaux.

L’assistance à l’accouchement : d’abord une affaire de femmes

Dans la plupart des cas, l’accouchement est d’abord une affaire de femmes, une exaltation de la féminité, les hommes (y compris le conjoint géniteur) sont tenus éloignés du lieu de l’accouchement. Très rarement, comme chez les Ewondo et Fufuldé du Cameroun, on fait appel aux hommes uniquement en cas d’accouchement dystocique (mécanique), leur intervention consistant essentiellement à secouer énergiquement la parturiente pour accélérer la descente (Cousteix, 1961).Dans certaines ethnies, comme chez les Wuli (Baeke, 1986), les Kirdi (Fontaine, 1995), la fonction d’accoucheur, généralement héréditaire, peut échoir à un homme tout comme à une femme.

Dans les sociétés où les normes et traditions n’admettent pas l’exercice de la fonction d’accoucheur par les hommes, on peut vraisemblablement s’attendre à ce que la présence d’accoucheurs de sexe masculin dans les maternités puisse influencer négativement la qualité perçue et constituer un obstacle à l’utilisation des services obstétricaux.

La maîtrise de la douleur durant l’accouchement : une valeur morale

La maîtrise de la douleur est une des principales valeurs morales dans les cultures traditionnelles d’Afrique (Erny, 1989). La parturiente doit maîtriser sa douleur si elle veut échapper à la honte et transmettre à son enfant le pouvoir de contrôler sa personnalité et de se sentir socialement estimé. Très souvent, on aide la parturiente par des prières, l’invocation des esprits et surtout les incantations orales à finalité psychologique dont l’efficacité thérapeutique (ou instrumentale) réside, à notre avis, dans la foi qu’ont les acteurs de leur pouvoir libérateur de la douleur (Daniel, 1972).

L’accouchement sans douleur est donc, dans les traditions africaines, une des principales vertus recherchées. L’appareil biomédical a une compétence à offrir dans ce domaine, notamment par l’anesthésie péridurale. Son accessibilité est susceptible d’augmenter la qualité perçue des soins et l’utilisation des services obstétricaux.

La restitution des suites de couches au couple : une exigence des traditions

Après la délivrance, une attention particulière est accordée à la section du cordon ombilical et à la sortie du délivre. Ces deux éléments sont dans presque toutes les traditions africaines hautement valorisés et remis spontanément au couple pour être l’objet d’actions rituelles (Erny, 1989). Le placenta, le cordon ombilical et le sein maternel sont physiologiquement et intimement liés. C’est pourquoi le placenta et le sang utérin seront soustrait de toute malveillance, cachés ou enterrés en lieu secret et discret, afin qu’aucun maléfice ne puisse être exercé sur la mère ou le nouveau-né par leur intermédiaire (Charles-Henry et Pradelles de Latour, 1991 ; Buhan et Kangue Essiben, 1986 ; Ortoli, 1942). Dans les maternités, les suites de couches sont très rarement remises au couple pour satisfaire à cette coutume. Ce manquement peut influencer négativement la qualité perçue et constituer une entrave à l’utilisation des services obstétricaux.

Les massages d’après délivrance: indispensable pour des soins maternels de qualité.

Après l'accouchement, la femme est astreinte aux massages et aspersions du ventre et des organes à l'eau chaude, à l’absorption d’infusions et potages. Le but de ces thérapies indispensables est de favoriser la reconstitution de ses forces et de ses organes en faisant sortir les caillots de sang coagulé restés dans son ventre et qui provoquent des douleurs et ballonnements (Traoré, 1965). Des massages des seins sont également pratiqués pour favoriser la montée laiteuse.

Vu l’importance des massages d’après délivrance dans les sociétés africaines, leur absence dans le paquet minimum de soins constitue un manquement à la qualité et potentiellement un des obstacles majeurs à l’utilisation des services obstétricaux.

Que retenir de cette synthèse socio-anthropologique ?

La littérature socio-anthropologique a permis de mettre en évidence un certain nombre d’attentes et de préférences dont l’absence dans l’offre de soins peut influencer négativement la qualité perçue et constituer un obstacle à l’utilisation des services et de soins obstétricaux biomédicaux.

Ainsi nous avons relevé un certain attachement :

-          à la discrétion de la grossesse à ses débuts, discrétion qui apparaît comme incompatible avec l’exigence biomédicale de précocité de la première visite prénatale fixée au premier trimestre ;

-          aux interdits et prescriptions alimentaires et comportementaux durant la grossesse que toute offre de soins devrait considérer dans les prescriptions nutritionnelles et de préparation sophrologique ;

-          à la convivialité par la présence réconfortante de l’entourage familial ;

-          aux soins traditionnels tels que les massages d’après délivrance ;

-          à la restitution des suites de couches (cordon, placenta) au couple après la délivrance nécessaire pour laisser place aux actions rituelles ;

-          à la préservation de l’intimité de la femme par l’éloignement de la présence masculine et l’utilisation non collective des salles de séjour et du matériel d’interventions obstétricales.

Nous avons également perçu quelques besoins latents dont des réponses existent déjà dans le système biomédical mais souvent de façon encore peu accessible. Il s’agit de :

-          la détermination du sexe et de la gémellité de la naissance attendue, besoin satisfait par l’échographie ;

-          la maîtrise de la douleur durant l’accouchement que la péridurale rend possible.

On peut se demander si ces attentes et préférences issues de l’obstétrique traditionnelle prévalent encore dans l’Afrique d’aujourd’hui. La troisième partie apporte quelques éléments de réponses à travers une observation empirique.

L’accessibilité culturelle de services et de soins obstétricaux selon le type de prestataire : deux observations empiriques au Cameroun et au Burkina Faso.

L’enquête qualitative au Cameroun

Il s’agit d’une enquête qualitative sous forme d’entretiens de groupe réalisée en 1997 dans le Grand-Nord et l’Est du Cameroun, auprès des femmes sur la perception qu’elles ont de la qualité de soins dans les systèmes traditionnel et biomédical de services obstétricaux. Ces deux régions ont été choisies en raison de leur profil épidémiologique particulièrement défavorable : leurs niveaux d’utilisation des services obstétricaux sont largement inférieurs à la moyenne nationale tandis que leurs niveaux de mortalité néonatale sont de loin supérieurs (Beninguisse, 2003).

Au total huit entretiens de groupe ont été réalisés dont quatre dans chacune des deux régions (tableau 1). Ces entretiens ont porté sur 44 interlocuteurs dont 32 accoucheuses traditionnelles (ou accoucheurs traditionnels), 5 femmes ayant accouché au cours des 12 derniers mois avec l’aide des accoucheurs traditionnels, 2 femmes ayant accouché au cours des 12 derniers mois sans aucune assistance et 5 femmes ayant accouché au cours des 12 derniers mois en milieu hospitalier. Leur répartition régionale était la suivante :

• dans le Grand-Nord

-          les femmes accoucheuses traditionnelles des villages de Wak et Karnanga ;

-          les hommes accoucheurs traditionnels des villages de Wak et Karnanga ;

-          les femmes accoucheuses traditionnelles de Ngaoundéré ;

-          les clientes des accoucheurs traditionnels et du milieu hospitalier de Garoua. 

• à l’Est

-          les femmes accoucheuses traditionnelles de Doumé ;

-          les femmes accoucheuses traditionnelles de Dimako ;

-          les femmes accoucheuses traditionnelles des villages de Baktala et Nkolambélé ;

-          les clientes des accoucheurs traditionnels et du milieu hospitalier des villages de Baktala et Nkolambélé ;

-          en outre, un entretien individuel a été accordé à une femme ayant accouché sans assistance médicale ࠠ   Nkolambélé.

L’étude quantitative au Burkina Faso

Il s’agit d’une analyse secondaire de données provenant d’une enquête transversale auprès de ménages réalisée en 1999 dans le cadre d’une étude multi-pays dénommée Maphealth (Haddad et al., 2000). Cette enquête avait pour but de mesurer l’impact des programmes d’ajustement macro-économiques sur l’accessibilité, l’utilisation et la qualité des services de santé modernes. Maphealth-Burkina a couvert trois régions différentes du point de vue de leur situation géographique, leur niveau de développement et leur composition ethnique : Bobo-Dioulasso, Bazèga et Nouma. La région de Bobo-Dioulasso, dans l’ouest, est la capitale économique du pays. Comme toute ville, elle a une composition ethnique diversifiée avec une prédominance de Bobo-Dioula. La région du Bazèga au Centre-Sud, et celle de Nouna au Nord-Ouest, sont plutôt rurales. Le Bazèga est fortement peuplé par des Mossi tandis que Nouna est en majorité peuplé par des Bwaba et Dafing.

Un questionnaire organisé en quatre modules ayant chacun des thématiques particulières a été administré lors d’une entrevue directe aux membres des ménages sélectionnés. Les résultats rapportés ici proviennent de l’exploitation du module consacré à la santé maternelle. Nous avons particulièrement analysé la distribution des déclarations de 1582 femmes en âge de procréer et qui ont eu une grossesse au cours des cinq années précédant l’enquête. Il leur avait été demandé de parler de leurs comportements d’utilisation des services de santé lors de leur plus récente grossesse, qu’elle ait aboutit à un accouchement ou non, et d’en donner les principales raisons.

LES RÉSULTATS

L’enquête qualitative du Cameroun
Les attentes et préférences exprimées

Des entretiens de groupes, il se dégage une définition d’une prise en charge idéale de la grossesse et de l’accouchement autour de laquelle s’exprime un ensemble d’attentes et préférences. C’est une prise en charge qui non seulement garantit une issue favorable mais aussi se déroule dans le respect des coutumes ou dans des conditions culturellement, géographiquement et économiquementacceptables. Ainsi, les femmes ont besoin :

-          d’une prise en charge adéquate des affections et complications obstétricales ;

-          des soins facilement accessibles à tous et aux moindres coûts ;

-          du respect de la discrétion lors des consultations ;

-          que leur intimité soit préservée ;

-          que le paquet minimum de soins inclue les soins traditionnels dont elles ont parfaitement conscience de l’efficacité (cas des massages).

En outre elles souhaitent :

-          savoir le sexe et la gémellité de leur grossesse ;

-          avoir l’entière responsabilité de l’usage fait des suites de couches (placenta, cordon ombilical) après la délivrance ;

-          une présence réconfortante de l’entourage familial tout au long du processus de l’enfantement ;

-          avoir la possibilité d’accoucher sans douleurs ;

-          plus d’humanisme et de responsabilité dans les comportements des prestataires de soins.f

Les aspects facilitant et rebutants des deux systèmes de soins obstétricaux

En rapport avec les attentes et préférences exprimées, nous avons demandé à nos interlocuteurs d’énumérer les avantages et inconvénients des systèmes biomédical et traditionnel de services et de soins obstétricaux. Les résultats (tableau 2 et 3) mettent en évidence des éléments de tension mais aussi des points de convergence.

Les avantages de chaque système               

L’efficacité thérapeutique du système de soins biomédical n’est pas remise en cause. Pour la prise en charge de la grossesse, on apprécie particulièrement sa capacité à déterminer le sexe et la gémellité de la grossesse, à détecter efficacement les grossesses à risques, à soigner le paludisme et la prévention vaccinale du tétanos néonatal. Pour la prise en charge de l’accouchement, la maîtrise de la douleur, de la césarienne et de l’accouchement de mort-né lui sont reconnues.

Concernant le système traditionnel de soins, les interlocuteurs relèvent positivement son accessibilité économique et géographique, son souci de préserver l’intimité féminine, sa capacité à mieux traiter l’anémie et le « vers des femmes »[9], la possibilité qu’il offre d’observer les coutumes de protection et de purification, ses massages d’après délivrance, sa convivialité assurée par la présence encouragée de l’entourage familial et la non-exigence de la layette.

Les inconvénients de chaque système

Parallèlement aux avantages hautement appréciés, des insuffisances sont déplorées dans les deux systèmes.

Au système biomédical, on déplore l’inaccessibilité économique et géographique de ses soins et services (rareté et éloignement), la violation constante de l’intimité féminine par la présence d’accoucheurs de sexe masculin, l’utilisation commune du matériel d’intervention obstétricale, la tendance répréhensive en cas de non-respect du calendrier des consultations ou de l’insuffisance de la layette, l’absence de massages d’après délivrance, la non-restitution au couple des suites des couches (placenta et cordon ombilical) après l’accouchement, l’absence d’information et de communication de la part du personnel de santé, les longues files d’attente, la promiscuité dans les salles de séjour, l’acharnement en faveur du planning familial, la présence limitée de l’entourage familial et l’incapacité à protéger la mère et l’enfant contre les forces maléfiques.

Au système médical traditionnel, on déplore son incapacité à détecter précocement et à prendre en charge les complications (mort fœtale, césarienne, paludisme, œdèmes), la forte prégnance d’interdits alimentaires, le non-respect strict de l’hygiène.

L’enquête quantitative au Burkina Faso

La majorité des femmes interviewées affirment avoir participé au moins une fois à la consultation prénatale (78%) lors de leur plus récente grossesse. Parmi celles qui ont accouché, 59% ont eu recours à l’assistance d’un professionnel de la santé en se rendant dans une structure de soins moderne publique, privée ou confessionnelle. Pour une part non négligeable, la grossesse (22%) et l’accouchement (41%) ont été pris en charge en dehors des services de santé biomédicaux avec l’aide de personnes-ressources traditionnelles et/ou celle d’accoucheuses villageoises formées aux techniques modernes de soins obstétricaux (tableau 4).

D’après les expériences rapportées par les femmes burkinabés, la compétence technique du système biomédical n’est pas remise en cause. Au contraire elle apparaît, à certains égards, comme un avantage recherché. Elle constitue la première raison du choix de la structure sanitaire chez 22% des utilisatrices de la consultation prénatale (CPN) et 32% des femmes accouchées. La proportion de femmes qui ont utilisé la CPN en raison de sa compétence technique pourrait être revue à la hausse puisque plus du quart des femmes classées dans la catégorie « autres » ont consulté pour se protéger contre d’éventuelles menaces à leur santé ou à celle de leur futur bébé. Les non-utilisatrices de leur côté n’identifient pas la compétence comme une cause à leur choix. 

Un des principaux reproches fait aux services biomédicaux est la cherté de leurs prestations. Elle a empêché 29% des non-utilisatrices de la CPN et 17% des accouchées à domicile de recourir à des soins modernes. En dehors de la compétence et des coûts financiers, plusieurs autres critères dont la distribution est présentée dans le tableau 4 guident le choix d’utilisation. Une structure sanitaire peut être choisie en raison de sa proximité géographique aussi bien pour la CPN (33%) que pour l’accouchement (26%). Elle peut aussi être choisie parce qu’elle dispose d’une technologie jugée adéquate (8% CPN et 10% accouchement) ou pour diverses autres raisons non précisées (28% CPN, 20% Accouchement). Les motivations de la non-utilisation en période prénatale (22%) et per-partum (23%), quant à elles, sont imputables en partie à la perception que les coûts en distance et en temps sont trop élevés. Plusieurs femmes ne voyaient pas d’intérêt particulier à se faire suivre pendant la grossesse (12%) ou accoucher (11,4%) dans un centre de santé. Pour d’autres, la non-utilisation des services modernes, principalement pour l’accouchement, est liée à des convenances personnelles : pour des raisons non explicitées, elles préféreraient accoucher à domicile ou être aidée par une accoucheuse traditionnelle (6%). Marginalement, elles obéiraient à des exigences religieuses, au choix du conjoint ou à celle d’un autre membre de la famille (3%).

Il existe d’énormes disparités entre les régions en matière d’utilisation des services d’obstétricaux. Comme le montre le tableau 4, le recours aux services modernes semble habituel dans la région de Bobo-dioulasso aussi bien pour la consultation prénatale que pour l’accouchement tandis que le contraire s’observe dans la région de Nouna. Au Bazèga, les centres de santé sont utilisés pour le suivi de la grossesse mais beaucoup moins pour l’accouchement. L’évocation des avantages et désavantages suivent cependant le même profil explicatif à quelques nuances près. Il est étonnant de constater que des proportions relativement importantes de répondantes soutiennent ne pas connaître l’existence des structures sanitaires modernes. Il est tout aussi remarquable que plus du quart, voire le tiers, des répondantes évoque des raisons autres que celles déjà citées pour justifier leur comportement. L’analyse de ces autres raisons montre que pour près de 30% de ces cas, elles expriment une démarche curative d’un état morbide ou une démarche préventive de protection de la mère et du fœtus. L’utilisation se justifie par une habitude de fidélité dans 16% des cas. En ce qui concerne les accouchements, plusieurs des non-utilisatrices accusent des circonstances accidentelles donc peu contrôlables comme la rapidité du travail, l’absence du mari ou d’une autre personne-ressource. Compte tenu du fait que la moitié des autres raisons n’est pas spécifiée et que spontanément une proportion non négligeable de femmes ne déclare aucune raison, au total, c’est près du quart au tiers des femmes dont on ne connaît pas les raisons de non-utilisation. Il est probable que ce manque d’opinion reflète en réalité une insatisfaction inexprimée étant donné que pour des raisons culturelles, il est habituel de s’abstenir d’exprimer des critiques négatives à l’endroit d’une autorité (les services modernes sont une émanation du pouvoir étatique).

Quelles que soient les modalités de prise en charge de la grossesse et de l’accouchement, le sondage d’opinion indique que des changements de comportement des non-utilisatrices ne seront pas faciles à obtenir, puisqu’elles se déclarent tout autant satisfaites de leur option que les utilisatrices. Le niveau global de satisfaction pour la CPN et l’assistance à l’accouchement est respectivement de 96% et de 94% chez les utilisatrices tandis que les non-utilisatrices, sont satisfaites à 87% des soins reçus pendant l’accouchement.

DISCUSSION ET CONCLUSION

La pertinence de la qualité dans la perspective des clients est de plus en plus reconnue en santé reproductive mais les initiatives de changement sont rares, en partie parce que ses composantes sont encore scientifiquement peu documentées. Cet article a mis en évidence l’importance de l’adéquation des services et soins obstétricaux avec les attentes et préférences des femmes dans l’appréciation de la qualité. L’article a aussi mis en évidence l’influence potentielle de cette adéquation sur les décisions en matière d’utilisation. En Afrique, l’inadéquation entre l’offre biomédicale et les attentes et préférences des populations a des balises historiques. Pourtant l’émergence de l’appareil biomédical de services et de soins obstétricaux s’y est produite dans un contexte où les conditions favorables à l’adhésion des populations étaient déjà présentes. D’abord, un savoir obstétrical y prévalait avec des pratiques, certes d’une efficacité discutable, mais qui témoignaient du souci de répondre à un besoin de santé et de sécurité tout au long du processus d’enfantement. Ensuite, il y avait des attentes et préférences spécifiques dont les réponses sont à la portée de l’appareil biomédical. Il s’agit par exemple de la détermination du sexe et de la gémellité de la naissance attendue, de l’accouchement sans douleurs et de l’accouchement par césarienne. Seulement, en se développant indépendamment des structures traditionnelles, le système biomédical de soins obstétricaux ne semble pas avoir suffisamment pris en compte les attentes culturelles des populations. La discrétion qui traditionnellemententoure la grossesse à ses débuts, la présence réconfortante de l’entourage familial, le bénéfice de soins traditionnels tels que les massages d’après délivrance, l’accès aux suites de couches (cordon, placenta) après l’accouchement, la préservation de l’intimité de la femme par l’éloignement de toute présence masculine et l’utilisation non collective des salles de séjour et du matériel d’interventions obstétricales, sont autant d’éléments dont l’exclusion influence négativement la qualité perçue et peut constituer une entrave à l’utilisation des services obstétricaux.

Cet article documente l’importance de l’accessibilité culturelle comme critère de la qualité des services et des soins obstétricaux aux côtés de l’accessibilité économique et géographique. L’amélioration de la qualité passe donc nécessairement par une adéquation de l’offre aux attentes et préférences, ce qui fait appel à une complémentarité dans l’action entre les systèmes traditionnel et biomédical, la recherche d’un espace thérapeutique commun pour la prise en charge de la grossesse et de l’accouchement. La tâche n’est certes pas facile au regard de nombreuses pesanteurs à surmonter : la longue pratique du cloisonnement disciplinaire pouvant créer l’inertie du changement, la dépendance économique et sanitaire de l’Afrique vis-à-vis l’occident (porteur et diffuseur du système de santé biomédical), la crise économique et celle du système de santé que traverse le continent. Cette tâche est rendue difficile aussi par une possible incompatibilité entre certaines attentes et les standards d’efficacité et les capacités des services de santé. Ainsi par exemple, le souhait de discrétion de la grossesse à ses débuts est incompatible avec la précocité de la première consultation prénatale fixée normativement au premier trimestre de la gestation. De même, le refus de toute présence masculine parmi le personnel soignant et de l’utilisation collective des salles d’accouchement, de séjour et du matériel d’intervention obstétricale peuvent être incompatibles avec les capacités d’organisation des services de santé. Néanmoins, une réflexion approfondie mérite d’être engagée ou poursuivie en se nourrissant des leçons du passé caractérisées par trois principales impasses : le cloisonnement des actions sanitaires, la non-prise en compte des réalités culturelles et des attentes associées et la participation absente ou insuffisante des populations. On partirait donc d’un système médical normatif à un système médical flexible en fonction des attentes et préférences des populations déterminées avec leur participation. De ce système flexible, naîtrait un paquet minimum consensuel de soins obstétricaux qui maximise la qualité, c’est-à-dire garanti à la fois l’efficacité clinique et la satisfaction des clients. D’où l’intérêt de poursuivre des recherches visant à appréhender les composantes de la qualité du point de vue des clients et à mettre en évidence leur influence sur l’utilisation des services obstétricaux.

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  • [1] Enseignant-Chercheur à l’IFORD (Cameroun), Chercheur Postdoctoral au Groupe de Recherche Interdisciplinaire en Santé (GRIS) et à l’Unité de Santé Internationale, Université de Montréal (Canada).

  • [2]  Candidate au PHD, Département de Médecine Sociale et Préventive et Unité de Santé Internationale, Université de Montréal (Canada).

  • [3]Professeur, Département de Médecine Sociale et Préventive et Unité de Santé Internationale, Université de Montréal (Canada).

  • [4]  Professeur, Département de Médecine Sociale et Préventive et Unité de Santé Internationale, Université de Montréal (Canada).

  • [5]Notre propos n’est pas de vous présenter une liste exhaustive de ces thérapies préventives. Le lecteur pourra référer aux travaux de Beninguisse (2003), Raponda-Walker (1995), Lallemand et al. (1991), Ombolo (1991) et Erny (1989).

  • [6]D’après les croyances, il s'agit d'une maladie épidémique et mortelle similaire à la méningite qui ne peut se guérir qu'avec un rite de massage du cou par un jumeau adulte.

  • [7]A titre d’exemple, dans les hôpitaux d’arrondissement du Cameroun, il faut environ 40000 FCFA (80 $US environ) pour les examens échographiques, c’est-à-dire plus que le salaire minimum (fixé à 25000 FCFA) (Beninguisse, 2003).

  • [8] Les interdits alimentaires portent sur une gamme variée d’aliments :viandes et poissons, fruits et légumes, tabac et alcool.

  • [9]Le « ver des femmes » est une affection identifiée dans l’imaginaire populaire comme étant causée par un ver qui se promène à l’intérieur du corps de la femme. Il mord la rate, contracte les muscles dorsaux, provoque des paralysies ou des avortements (Laburthe-Tolra, 1985). Son éradication se fait au moyen d’une thérapeutique médicamenteuse à base de plantes (feuilles ou écorces) macérées à l’eau et de scarifications.

     

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