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African Population Studies/Etude de la Population Africaine, Vol. 20, No. 1, 2005, pg. 68-87 Migration et emploi urbain : le cas de Ouagadougou au Burkina Faso Zourkaléini Younoussi, Victor Piché UERD Université de Ouagadougou Burkina Faso Université de Montréal Canada Code Number: ep05005 Résumé Lobjectif de la présente étude est dexaminer le lien entre migration et emploi dans un contexte urbain, celui de Ouagadougou la capitale du Burkina Faso. Nous privilégions ici laccès au premier emploi rémunéré car il représente une étape cruciale dans le cheminement professionnel et constitue un indicateur-clé de la possibilité de se soustraire à la pauvreté. En corollaire, un accès tardif à un premier emploi rémunéré pourrait être source de pauvreté. A partir des données de lenquête nationale, sur « dynamique migratoire, insertion urbaine et environnement au Burkina Faso », menée en 2000, deux outils essentiels de lanalyse des biographies, les courbes de survie de Kaplan-Meier et les régressions semi-paramétriques à risques proportionnels, sont utilisés pour évaluer le temps nécessaire pour obtenir un premier emploi ou pour mieux comprendre ce qui mène au premier emploi rémunéré. Les caractéristiques individuelles (sexe, niveau dinstruction), et les informations recueillie sur lorigine familiale (lactivité du père et de la mère), et lethnie sont utiliséescomme variables de contrôle. Les analyses présentées suggèrent que le rôle de la migration sur laccès à un premier lemploi joue très peu pour les femmes alors que les migrants semblent avoir un avantage net sur les non migrants. Lorigine sociale semble avoir peu dimpact sur laccès au premier emploi mais la crise économique et/ou et la mise en œuvre des programmes dajustement structurel font que la pauvreté touche plus les jeunes générations qui semblent accéder plus tardivement à un premier emploi rémunéré. Introduction Les données de deux enquêtes sur les conditions de vie des ménages, réalisées en 1994 et 1998, montrent que le niveau de la pauvreté reste élevé au Burkina Faso. En effet, la proportion de la population burkinabé vivant en dessous du seuil[1] de pauvreté est estimée à 44,5% en 1994 et à 45,3% en 1998 (Burkina Faso, 2000 ; Somda et Sawadogo, 2001). Cette pauvreté demeure un phénomène essentiellement rural car, en 1998 par exemple, 94% des pauvres sont du milieu rural contre seulement 6% en milieu urbain. Ouagadougou, la capitale, et Bobo-Dioulasso, deuxième ville du pays, affichent en 1998 les plus faibles pourcentages de pauvreté urbaine, soit 11,2%, contre 25% pour les autres villes (INSD, 1999). Un tel contexte de disparité selon le milieu de résidence conforte la thèse économiste de la migration rurale-urbaine comme stratégie de lutte contre la pauvreté (Todaro, 1971, Potts, 2000). On peut donc supposer que plusieurs Burkinabé se voient obligés de quitter les zones pauvres (rural et autres villes) pour avoir accès aux opportunités demploi et de revenus disponibles dans les deux grandes villes du pays. Toutefois, comme dans plusieurs autres villes africaines (ILO, 1997, Antoine et Piché, 1998, Potts, 2000), les deux grandes villes du Burkina ont connu dans les années 90 des crises économiques liées, entre autres facteurs, aux programmes dajustement structurel. Par exemple, au cours de la période 1994-1998, le niveau de pauvreté est resté stable en milieu rural alors quil est passé de 7,8% à 11,2 dans les deux grandes villes (Ouagadougou et Bobo) et de 18,1% à 25% dans les autres villes. La croissance de la pauvreté demeure donc un phénomène essentiellement urbain, laissant croire que la migration vers les villes, incluse dans les stratégies de survie des populations pauvres, pourrait ne plus jouer plus son rôle de soupape. En effet, face à une pauvreté urbaine croissante, la migration vers ces deux villes pourrait être interprétée comme participant à la marginalisation des migrants, particulièrement vulnérable sur un marché de travail perçu comme étant déjà limité, voire saturé. Dans un tel contexte on pourra sattendre à ce que la pauvreté touche plus les jeunes générations et en particulier les jeunes migrants qui, du reste, auront probablement plus de difficulté à accéder à un emploi rémunéré. On peut alors se demander ce qui explique lafflux massif et constant des migrants vers la ville si la seule perspective est le chômage et la pauvreté extrême (Piché et Gingras, 1998). La littérature sur les liens entre migration et emploi met en opposition deux hypothèses concernant les performances économiques des migrants comparées à celles des non migrants (Piché, Mariko et Gingras, 1995 ; Kouamé, 2000). La première insiste sur les difficultés des migrants à avoir accès à un emploi urbain et leur faible potentiel dinsertion économique : ceux-ci viendraient en quelque sorte renflouer les rangs des sans emploi et des marginaux (. Adepoju, 1988 ; Todaro, 1997). La deuxième hypothèse suggère au contraire un accès plus facile des migrants à lemploi urbain, hypothèse vérifiée par une série denquêtesrétrospectives dans plusieurs villes africaines (Piché et Gingras, 1998 et Bocquier et LeGrand, 1998 pour Dakar et Bamako[2]). En fait, de nombreux travaux récents ont montré à quel point les migrants et migrantes développent rapidement des capacités dadaptation en milieu urbain, en particulier par la prolifération de petites entreprises informelles (Kouamé, 1991, Portes et Shauffer, 1993). Avec la crise de lemploi en milieu urbain et laccroissement des migrations de retour vers le milieu rural (Beauchemin, 2001 ; Pott, 2000), on peut se demander si la stratégie migratoire demeure encore viable. Lobjectif de la présente recherche est dexaminer le lien entre migration et emploi dans un contexte urbain, celui de Ouagadougou. Nous privilégions ici laccès au premier emploi rémunéré car il représente une étape cruciale dans le cheminement professionnel et constitue un indicateur-clé de la possibilité de se soustraire à la pauvreté. En corollaire, un accès tardif à un premier emploi rémunéré pourrait être source de pauvreté. La comparaison entre migrants et non migrants permet de répondre à une première question, à savoir, la migration est-elle un atout pour lemploi ? Dans le contexte de laugmentation de la pauvreté urbaine, on pourrait sattendre à ce que les migrants accèdent plus tardivement à lemploi, surtout les plus jeunes générations. Dans la plupart des enquêtes urbaines effectuées jusquà maintenant, il est difficile de répondre de façon concluante à ces questions étant donné les biais liés à la sélectivité migratoire. En effet, les résultats ne concernent que des échantillons de migrants et de migrantes enquêtés en milieu urbain, ignorant ceux et celles qui ont quitté après un séjour en ville. Si les caractéristiques de ces personnes non présentes au moment de lenquête sont différentes de celles qui sont restées, les résultats sont biaisés dans un sens ou un autre, cest-à-dire quils sur-estiment la performance économique si les absents ont quitté parce quils ont eu de la difficulté à trouver un emploi et ils la sous-estiment si au contraire ce sont les plus performants qui ont quitté.[3] Lenquête dont nous nous servons ici étant une enquête nationale, nous sommes en mesure de réintégrer dans lanalyse les épisodes de séjour à Ouagadougou des personnes enquêtées ailleurs au Burkina[4]. Cest là une première différence notable avec les analyses de ce genre effectuées jusquici. Pour bien mesurer leffet « net » de lexpérience migratoire, nous retenons un certain nombre dautres facteurs reconnus comme importants dans létude de linsertion économique (Antoine et Piché, 1998). Outre les effets de génération, qui nous permettent dexaminer lévolution dans le temps, nous retenons la variable sexe, une variable de capital humain (léducation), deux variables dorigine sociale (activité du père et de la mère) et une variable culturelle (ethnie).[5] MéthodologieCette étude est réalisée à partir des données de lenquête nationale, sur « migration, insertion urbaine et environnement au Burkina Faso » menée en 2000 (Poirier et al., 2001). Comme on peut le constater au tableau 1, elle a porté sur 8644 biographies migratoires (dont 2838 dans la ville de Ouagadougou), recueillies auprès de 3517 ménages[6] (dont 1184 dans la ville de Ouagadougou). Nous utilisons les informations recueillies sur la vie active, soit les questions des modules deux et trois pour tenir compte du type dactivité économique exercée sur 3 mois ou plus et du lieu où cette activité à été exercée. Soulignons que les périodes dinactivité liées aux périodesdétudes, de maladie, de retraite et « au foyer » sont spécifiées au même titre que les périodes de travail ou de chômage. La vie active de lindividu se résume en une succession de périodesdactivité et/ou dinactivité. Cette base de données se singularise des enquêtes urbaines déjà réalisées par la possibilité de prendre en compte les épisodes de passage à Ouagadougou de toutes les personnes recensées ailleurs dans le pays au moment de lenquête. Par ailleurs, un effort particulier a été consenti pour mieux mesurer le travail des femmes, habituellement sous-estimé, ce qui rend difficile les comparaisons avec les autres enquêtes. Linsertion sur le marché du travail rémunéré à Ouagadougou est notre variable dépendante et elle est appréhendée de deux façons : la rapidité dentrée dans la vie active et les déterminants des chances daccès à un premier emploi. Le groupe cible est la population sans emploi rémunéré à partir de lâge de 12 ans. Le premier emploi rémunéré est défini comme étant la première occupation principale, ayant duré au moins trois mois. Ainsi, les périodes détudes, de maladie, de retraite, de chômage ou de foyer sont exclues au même titre que les activités dapprentissage ou daide familial sans rémunération. Laccès au premier emploi principal est basé sur lexamen des probabilités cumulées, ou encore lintensité de connaître lentrée en première activité au bout dun certain nombre dannées de présence dans la ville de Ouagadougou. Le nombre dannées de présence est représenté chez les migrants par le nombre dannées dattente vécues dans la ville avant lacquisition dun premier emploi rémunéré. Ainsi, toutes les périodes de séjour à Ouagadougou sont prises en compte jusquà lobtention du premier emploi rémunéré (ou le départ) ; nous ne tenons pas compte du temps vécu hors de Ouagadougou. Pour les non-migrants, ce nombre dannées est plutôt égal à la différence entre lâge dentrée en première activité et lâge de 12 ans. Les employés du secteur formel sont définis comme étant ceux qui reçoivent régulièrement des bulletins de salaires (une bonne indication des employeurs se conformant aux législations sociales et fiscales). Cette définition est conforme aux travaux récents qui définissent les activités informelles comme des activités génératrices de revenus et non réglementées par lEtat (Bocquier et LeGrand, 1998 ; Piché et Gingras, 1998). La définition des différents statuts dans lemploi se présente comme suit : Indépendant : toute personne qui travaille pour son propre compte dans une entreprise individuelle. Elle nemploie aucun salarié mais peut être aidée par des aides familiaux ou des apprentis non rémunérés ou par des manœuvres de façon temporaire (les marabouts, les prêtres, les pasteurs, etc. sont considérés comme des indépendants). Travailleur à la tâche : toute personne qui est payée en fonction dun travail déterminé et ponctuel. Elle ne touche pas un salaire régulier. Salarié : tout individu touchant un salaire régulier de la part dun employeur public ou privé en contrepartie du travail effectué. Un apprenti qui est rémunéré est considéré comme salarié. Apprenti : toute personne qui apprend un métier sans recevoir de salaire. Aide familial : toute personne qui travaille pour le compte dune entreprise ou dune exploitation appartenant à un membre de sa famille ou au ménage dont il fait partie. Laide familial ne reçoit pas de salaire, mais en contrepartie il est logé et nourri. Employeur : toute personne qui exploite sa propre entreprise ou qui exerce pour son propre compte une profession ou un métier et qui emploie au moins un salarié. (Étant donné les petits nombres, nous avons regroupé les employeurs et les indépendants.) Pour tenir compte des problèmes deffectifs nous avons retenu quatre générations : 1936-1955 ; 1956-1965 ; 1966-1975 ; 1976-1985. Le statut migratoire comprend deux catégories :
Deux outils essentiels de lanalyse des biographies, les courbes de survie de Kaplan-Meier et les régressions semi-paramétriques à risques proportionnels, sont utilisés pour évaluer le temps nécessaire pour obtenir un premier emploi ou pour mieux comprendre ce qui mène au premier emploi rémunéré. Les caractéristiques individuelles (sexe, niveau dinstruction), et les informations recueillies sur lorigine familiale (lactivité du père et de la mère), et lethnie sont utilisées comme variables de contrôle. Lintroduction de ces variables nous permet de mettre en évidence les effets nets du statut migratoire et de la génération, au-delà des effets dus aux différences de marchés du travail et de qualifications. RésultatsLe marché du travail au moment de lenquête La situation de lemploi au moment de lenquête est une première indication de la performance des migrants et des non migrants sur le marché du travail. Trois indicateurs du moment sont retenus ici : le chômage, le statut dans lactivité principale et le secteur dactivité. Sagissant du chômage (tableau 2), on constate comme cela est souvent le cas dans les villes africaines, quil est très faible pour tout le monde quoique légèrement plus élevé chez les hommes. En fait, la notion de chômage a peu de pertinence dans des situations où la législation sociale (e.g. assurance chômage) est inexistante pour la vaste majorité de la population (Pott, 2000). Ceci dit, en comparaison avec Dakar en 1989 et Bamako en 1992 où les proportions de chômage étaient plus élevées (respectivement de 15% et 10% pour les hommes et 4% et 5% chez les femmes ; Bocquier et LeGrand, 1998), les niveaux estimés ici semblent particulièrement faibles. Outre les différences de dates des enquêtes, cette différence peut sexpliquer entre autres par un sous enregistrement des chômeurs. Par exemple, linstruction suivante a été donnée aux enquêteurs : « lorsquune personne se déclare « chômeuse » et mène une activité ou plusieurs activités secondaires, on doit la considérer comme « au travail »(manuel de lenquêteur, page 11) ». Enfin, notons que les différences entre migrants et non-migrants, tout en étant faibles, montrent un léger avantage pour les migrants et les migrantes. En examinant le statut dans lactivité (tableaux 3 et 4), on constate que les différences entre migrants et non-migrants sont négligeables sauf pour la jeune génération des hommes pour laquelle les migrants se retrouvent en plus grand nombre que les non-migrants dans des secteurs rémunérateurs (e.g. comme indépandants et salariés). Par contre, la répartition par secteurs informel et formel (tableau 5) indique que les hommes migrants sont davantage dans le secteur formel que les non-migrants alors que pour les femmes il ny a pas de différences. Bref, il semble que pour les hommes du moins, le statut migratoire favorise les migrants sur le marché du travail. Il est par ailleurs remarquable que les jeunes générations, quel que soit le statut migratoire ou le sexe, sont nettement défavorisées (e.g. moins dindépendants et de salariés du public). Toutefois, linterprétation des différences par génération avec des données transversales sont hasardeuses dans la mesure où les jeunes générations ont eu moins de temps pour accéder aux emplois mieux rémunérés. Il faut attendre lanalyse longitudinale effectuée plus loin pour conclure sur cette question. Soulignons que les données présentées jusquici sont de nature transversale et donnent une idée de la distribution des emplois au moment de lenquête. Par contre, elles sont muettes sur les processus qui amènent tel groupe à accéder à un emploi donné par rapport à un autre groupe et ne permettent donc pas une véritable analyse des liens entre migration et emploi. Lanalyse rétrospective du premier emploi demeure une voie privilégiée à ce titre : les chances daccès au premier emploi, de même que la nature du premier emploi occupé, demeurent de puissants déterminants de lavenir. Cest cette voie que nous explorons dans les sections qui suivent. Accès au premier emploiNous traitons de linsertion différentielle des migrants, dabord de façon statique en considérant les différents statuts occupés lors du premier emploi, puis, en incluant le facteur temps (i.e. la rapidité avec laquelle le premier emploi est obtenu). Gardons également à lesprit que, contrairement au non-migrants, les migrants constituent une main-dœuvre très hétérogène, puisque pour une fraction importante (entre 30 et 45%, tableau 6) il ne sagit pas de leur premier emploi. Néanmoins, ce qui nous intéresse ici cest la performance sur le marché du travail de Ouagadougou. Nous reprenons ici deux des trois indicateurs retenus pour lanalyse de la situation au moment de lenquête, soit le statut dans lemploi et le secteur dactivité. Les tableaux 7, 8 et 9 présentent des données descriptives concernant le statut dans lemploi et le secteur dactivité en fonction du statut migratoire. Pour les hommes, sauf pour la plus vieille génération, les migrants sont davantage dans des statuts non rémunérés (apprenti et aide familial) et dans le statut dindépendant (tableaux 7 et 8). Pour les femmes, le statut migratoire joue peu. Par contre, les hommes migrants des deux générations plus jeunes se retrouvent légèrement plus que les migrants dans le secteur formel (tableau 9). Ici aussi le statut migratoire joue peu pour les femmes. Une autre approche descriptive de lanalyse du premier emploi est destimer la vitesse daccès à un premier emploi (ici rémunéré) en tenant compte du statut migratoire, du sexe et de la génération (voir la série des courbes Kaplan-Meier : graphique 1, 2, 3, 4, 5, à 6) qui suivent). Le temps nétant pas défini de la même façon selon le statut migratoire, on ne peut pas mettre les courbes sur le même graphique. Comme nous lavons mentionné plus haut, pour les non-migrants le temps commence à 12 ans alors que pour les migrants le temps commence au moment de leur arrivée à Ouagadougou. Néanmoins, en examinant les deux premiers graphiques, on peut en déduire que les migrants accèdent plus rapidement que les non migrants à leur premier emploi à Ouagadougou. Cela va dans le même sens que les résultats antérieurs obtenus pour Bamako et Dakar (Piché et Gingras, 1998). Par contre, un résultat qui est très différent des enquêtes antérieures est le peu de différence entre les hommes et les femmes, surtout chez les migrants. Ceci reflète bien le résultat de la stratégie de collecte qui a mis laccent sur une mesure plus approfondie de lemploi féminin. Lanalyse par génération confirme également les résultats antérieurs à savoir que, quel que soit le statut migratoire ou le sexe, la jeune génération accède plus tardivement (statistiquement significative) à un premier emploi rémunéré que les autres générations (graphiques 3, 4, 5, à 6). Les déterminants de laccès à un premier emploi rémunéré Afin de bien comprendre le lien entre migration et emploi, nous privilégions ici le premier emploi rémunéré (notre variable dépendante). Les travaux récents sur linsertion économique des migrants insistent sur un certain nombre de facteurs clé tant au niveau macro que micro (Piché, 2004). La variable clé au niveau macro est létat du marché du travail : ici, nous utilisons la génération comme indicateur (« proxy ») de cet état. En effet, chaque génération a connu des contextes différents, reflétant la situation du marché, et par conséquent au même âge, leurs conditions de vie peuvent ne pas être identiques. Au niveau micro, quatre déterminants importants sont reliés au capital humain (léducation), au genre (sexe), à lorigine sociale (activité du père et de la mère) et enfin à lorigine ethnique (voir tableau 10). Le modèle 1 du tableau 10 montre leffet du statut migratoire en contrôlant pour la génération : il confirme ce qui avait été trouvé avec les tableaux croisés, à savoir que les migrants accèdent plus rapidement à leur premier emploi à Ouagadougou que les non migrants et que la jeune génération prend beaucoup plus de temps à accéder à son premier emploi rémunéré que les générations précédentes. Le modèle 2 introduit la variable sexe et confirme ce qui est maintenant largement documenté, à savoir lavantage quont les hommes sur les femmes du moins en ce qui concerne à lemploi rémunéré. Le dernier modèle du tableau 10 introduit les autres variables (éducation, origines sociale et ethnique). Dabord, on voit que lintroduction de ces variables ne changent pas leffet net du statut migratoire : les migrants, quel que soit leur origine, accède plus facilement à un premier emploi que les non migrants. Il est intéressant de noter que cest le fait davoir effectué une migration rurale-urbaine qui augmente le plus les chances daccéder à un premier emploi rémunéré. Quant au rôle de léducation, on constate que les non instruits accèdent plus rapidement à lemploi rémunéré que les autres catégories dinstruits. Ce résultat peut sembler contradictoire avec la théorie du capital humain, mais en fait, dans une approche longitudinale, léducation a comme effet de retarder laccès à lemploi. Les non instruits accèdent ainsi plus vite à lemploi pendant que les autres vont à lécole. Des analyses plus approfondies (en cours) montrent que les non instruits se retrouvent davantage dans des petits emplois de commerce par exemple et que les instruits accèdent davantage au secteur formel. Sagissant de lorigine sociale mesurée par lactivité du père, elle nest pas significative alors quelle lest lorsque mesurée par lactivité de la mère. En effet, les chances daccès à un premier emploi rémunéré diminuent de façon significative lorsque la mère est salariée (versus mère indépendante). Peut-être peut-on voir là un indicateur du caractère familial du secteur informel et leffet dune stratégie familiale où les mères travaillant comme indépendantes dans le secteur informel font davantage appel au travail de leurs enfants. Enfin, lorigine ethnique semble jouer très peu : seul lethnie « bobo » semble avoir un avantage sur lethnie « mossi ». Ce résultat méritera dêtre approfondi par des analyses plus qualitatives. Conclusion et discussionQuel est le rôle de la migration sur laccès à lemploi ? Les analyses présentées ici suggèrent quatre conclusions importantes. Premièrement, le rôle de la migration sur laccès à lemploi joue très peu pour les femmes. Quel que soit leur statut migratoire, celles-ci sont toujours désavantagées sur le marché de lemploi rémunéré : elles sont confinées dans le secteur informel comme indépendantes (essentiellement le petit commerce). De plus, le fait quil sagisse dune sphère où le travail familial est important pourrait expliquer leffet de lactivité indépendante de la mère sur les chances daccès plus rapide à un premier emploi rémunéré, lui aussi probablement appartenant à la même sphère. Cela confirme la nécessité de théories migratoires spécifiques pour les hommes et les femmes. La deuxième conclusion sur le rôle de la migration concerne les hommes. Pour ces derniers, les données au moment de lenquête semblent indiquer un léger avantage des migrants sur les non migrants, avantage mesuré ici par un plus faible taux de chômage et des proportions plus élevées dans des emplois rémunérés et dans le secteur formel. Les analyses multivariées effectuées sur le premier emploi rémunéré confirment lavantage « net » des migrants sur les non-migrants. Pour expliquer ce résultat, certains auteurs avancent lhypothèse que les migrants nont pas le choix de rester longtemps en situation dinactivité et doivent donc accepter nimporte quel emploi (Obérai et Singh, 1984) ou alors retourner en milieu rural, laissant dans la ville ceux qui auraient « réussi » leur insertion économique (Pott, 2000). Ces deux hypothèses ne semblent pas rendre compte de la dynamique migration-emploi dans le cas de Ouagadougou. Dans le premier cas, il faut noter que les migrants accèdent également plus rapidement au secteur formel (Bocquier et Le Grand, 1998).[7] Dans le deuxième cas, lenquête étant nationale, nous avons pu tenir compte de lensemble de la population ayant séjourné au moins une fois à Ouagadougou. Ainsi malgré la présence des absents de Ouagadougou dans notre population « exposée aux risques », le statut migratoire demeure un déterminant puissant de laccès au premier emploi rémunéré. Bref, les théories migratoires qui considèrent les migrants comme venant rejoindre les marginaux et les chômeurs urbains doivent être complètement revues. Deux facteurs peuvent expliquer leffet positif de la migration : la sélectivité migratoire et le système dinformation propre aux migrants. Le premier facteur est plus connu et avancé surtout par les économistes : ceux qui migrent seraient les plus dynamiques. Le deuxième facteur, relié à la théorie de la recherche demploi, est moins documenté pour les pays en développement mais est au cœur des théories du marché du travail dans les pays développés (Granovetter, 2000). Ainsi, le migrant potentiel est tenu au courant de létat du marché du travail, soit par ses réseaux familiaux et damis, soit par des visites de courte durée sur son futur lieu dembauche. Il ne viendrait à la ville que sil sait quil a de fortes chances de trouver un emploi. La troisième conclusion a trait au rôle de lorigine ethnique. Dans la littérature sur les pays développés, les inégalités ethniques sur le marché du travail sont largement documentés (Reitz, 1997) et constituent une pièce maîtresse des théories de limmigration (Piché, 2004). Les résultats présentés ici montre le peu dimpact de lorigine ethnique sur laccès à lemploi. Cela ne veut pas dire que les réseaux ethniques ne sont pas à lœuvre (au contraire nous y faisons référence ci-haut) mais que le marché du travail ne serait pas structuré sur une base ethnique. Enfin, la dernière conclusion liée aux effets de génération nous permet de revenir, en terminant, à la question de la pauvreté. Si la migration continue à jouer un rôle positif sur le marché du travail en lan 2000 à Ouagadougou, son effet nélimine pas leffet de génération. En effet, la jeune génération née entre 1976 et 1985, et qui entre sur le marché du travail au cours de la période 1990-2000, se trouve nettement défavorisée par rapport aux générations précédentes. Rappelons la diminution drastique de la proportion des travailleurs salariés du public dans cette génération, indépendamment du sexe ou du statut migratoire. Cest le groupe de population qui commence son entrée dans la vie active à la fin des années 1980. Or, depuis le début des années 1980, le pays, affecté par des déficits budgétaires grandissants et une récession économique persistante, continu le gel des embauches accompagné de réduction des effectifs dans le secteur public suite à ladoption de programmes dajustement structurel. On pourrait dailleurs se demander si ce nest pas la limite demploi du secteur public, source de maintien hors de la pauvreté, qui est à lorigine de laugmentation de la pauvreté à Ouagadougou. Bibliographie
[1] En 1998 le seuil de pauvreté est de 82672F CFA par adulte et par an alors quen 1994 , actualisé en coûts réels aux prix de 1998, il était de 72690F CFA [2] Kishimba (2002 : 208) trouve des résultats contraires pour Yaoundé, les migrants (définis ici par le lieu de naissance) obtenant plus tardivement que les natifs leur premier emploi. [3] Nos analyses en cours semblent indiquer que cest la deuxième hypothèse qui prévaut, i.e. ce sont les plus performants qui seraient partis. [4] Certes, nous ignorons toujours lexpérience des personnes ayant vécu à Ouagadougou et vivant à létranger au moment de lenquête. Tout porte à croire que lhypothèse de la sur-performance de ces migrants sapplique également à elles. [5] Sur la pertinence de lorigine ethnique, voir Traoré, 1997. [6] Cette enquête a été réalisée par lUnité dEnseignement et de Recherche en Démographie (UERD) de lUniversité de Ouagadougou en partenariat avec le Centre dEtudes et de Recherche sur la Population pour le Développement (CERPOD) et le Département de Démographie de lUniversité de Montréal. [7] Nos analyses en cours sur Ouagadougou confirment également laccès plus rapide des migrants au secteur formel. Copyright 2005 - Union for African Population Studies |