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Femmes et migration en Côte dIvoire : le mythe de lautonomie Elise Fiédin COMOE Université de Montréal Canada Code Number: ep05004 Résumé En Côte divoire, comme dans dautres pays africains les migrations traditionnellement dominées par les hommes se féminisent progressivement. Les résultats de lEnquête Ivoirienne sur les Migrations et lUrbanisation (1993) indiquent clairement que les femmes migrent presque autant sinon plus que les hommes, notamment en ce qui concerne les migrations urbaines. Parallèlement à cette forte migration féminine, se déroulent dautres processus dont celui de lautonomisation des femmes migrantes très longtemps négligées et considérées comme des « migrantes passives ». Des études récentes montrent que les femmes sont de plus en plus autonomes dans leur migration par rapport à la famille, dautres insistent sur le rôle déterminant des rapports de genre qui obligent les femmes à migrer en association avec un autre membre de sa famille. Dans ce contexte, comment interpréter limportante migration féminine actuelle ? Est-elle le signe dune plus grande autonomie ou alors la conséquence de laffaiblissement du contrôle familial et social ? Sagit-il dune évolution des migrations en général ou tout simplement une mutation de la situation et des aspirations personnelles des femmes ? Quels liens peut-on établir entre ces migrations et les relations de genre ? Cet article réexamine la question de lautonomie des femmes dans la migration. Lanalyse est axée sur la prise de décision et le motif de la migration et utilise les données de lEnquête Ivoirienne sur les Migrations et lUrbanisation (EIMU). Elle montre que pour les femmes, la famille et les rôles sexuels restent déterminants dans la capacité à prendre une décision individuelle ou pour faire une migration économique indépendante. Lautonomie des femmes dans la migration est par conséquent très limitée et reste un mythe. Introduction La migration féminine na pas toujours reçu lattention dont elle fait objet aujourdhui dans la littérature. Pendant longtemps, lhypothèse très souvent utilisée qui considère la migration comme un phénomène qui concerne essentiellement les jeunes hommes à la recherche dun travail a éclipsé la présence des femmes dans les migrations. Elles étaient soit totalement ignorées, soit directement considérées comme des migrantes second plan, ne participant pas au phénomène principal étudié. Au-delà du problème de faibles effectifs des femmes migrantes, la question de la participation des femmes au marché du travail se trouve au centre de ce désintérêt scientifique (Findley, 1989 ; Adepoju, 1983 et 1995). Pour le cas des pays africains, la non-visibilité des femmes dans la migration est renforcée par deux problèmes : dabord, le marché du travail mis en place dans les principales villes était favorable aux hommes. Les femmes qui arrivaient en ville étaient considérées comme des migrantes « passives » qui suivent les hommes à la recherche dun emploi (Zulma, 1988 ; Olurode, 1995). Ensuite, le système traditionnel des rapports de genre ne valorise pas la migration dune femme seule en dehors de ses rôles traditionnels. La migration de la femme est valorisée, cest-à-dire migrer avec le conjoint, le rejoindre ou encore suivre un membre de sa famille. Parallèlement, la migration de lhomme nest soumise à aucune restriction familiale ou sociale. Ce dernier est au contraire encouragé à se déplacer ; dans certaines sociétés, la migration représente une étape obligatoire pour accéder au statut dadulte (Lim, 1993 ; Gardner and Rilley, 1993; Hugo, 1993 et 2000). Cependant, depuis les années 80, des études révèlent limportance numérique de la migration féminine par rapport à celle des hommes ainsi que lapparition de migrations féminines autonomes. La migration féminine est ainsi désormais reconnue comme un sujet dintérêt scientifique, et est à ce jour lun des thèmes les plus abordés dans les études sur les migrations en général (Hondagneu-Sotelo et Cranford, 1999 ; Kanaiaupuni, 2000; Halfacree & Boyle, 1999; Comoé, 1997;Findley, 1997). Sur lensemble des pays en développement, des études récentes révèlent que les femmes représentent pratiquement la moitié des migrants internes (Bilsborrow, 1993 ; Gugler & Gudrun, 1995). Dans le cas spécifique de lAfrique de louest, les courants migratoires traditionnels dominés par les hommes se féminisent progressivement (Adepoju, 2002 ; Findley, 1989 ; Oppong, 1997). Dans certaines villes du Zaïre, du Ghana et de la Guinée Équatoriale, le ratio homme-femme est passé dans les années 80 en faveur des femmes dans certaines villes (Chant et Radcliffe, 1992). En Côte dIvoire, entre la fin des années 80 et le début des années 90, les femmes représentaient 63% des flux migratoires internes et 69% des flux entre le milieu rural et le milieu urbain (Bocquier, et Traoré, 2000 ; Antoine et Sow, 2000).Par ailleurs, les femmes se montrent de plus en plus autonome vis-à vis de leur famille. En Amérique Latine, en lIndonésie et au Ghana les femmes ayant un minimum déducation migrent pour chercher du travail (Chant et Radcliffe, 1992). Au Kenya, au fil des années, les femmes ont surmonté les craintes sociales et linsécurité pour safficher comme des migrantes autonomes à la recherche dun travail (Nelson, 1992). Pour Morokvasic (1984), avec lintense migration féminine actuelle, les femmes africaines représentent désormais une réserve certaine de main dœuvre pour les industries. En un mot, cest un fait que les femmes aussi migrent, elles sont visibles et autonomes. Cest aussi un fait que ces migrations ne peuvent échapper aux rapports de genre qui confinent chaque sexe dans des rôles et des tâches spécifiques. Cela soulève la question des limites entre lautonomie et linfluence des rapports de genre. Peux-t-on réellement parler dautonomie migratoire des femmes ? Les hommes et les femmes migrent-ils dans les mêmes conditions ? Ont-ils les mêmes chances de migrer pour chercher du travail ? Ont-ils le même pouvoir de décider de leur migration ? Cette recherche vise à montrer le rôle des rapports de genre dans les conditions de départ en migration, principalement le mode de décision et le motif principal de la migration. A ce propos, nous posons comme hypothèse que le genre est le principal facteur explicatif de la décision et du motif principal de la migration des hommes et des femmes. Ainsi, les femmes, migrent essentiellement dans le cadre de leurs rôles familiaux et sociaux (mariage, suivre un membre de la famille) ; par ailleurs le conjoint et les parents sont les principales personnes qui décident de leur migration. A la différence des femmes, les hommes sont plus indépendants de la famille, ils migrent pour des motifs économiques et décident personnellement de leur migration. Pour vérifier ces hypothèses, nous utilisons les données de la première Enquête Ivoirienne sur les Migrations et lUrbanisation (EIMU) réalisée en 1993. Femmes et migrations : entre autonomie Dynamisme, autonomie et stratégie de survie sont les termes que lon rencontre principalement dans la littérature des deux dernières décennies pour qualifier la migration des femmes pour chercher du travail (Adepoju, 1995). Dans une revue des études portant sur 60 pays africains, Findley, 1989 souligne limportance de ce phénomène, en effet plus de la moitié (52%) des femmes de ces pays africains étudiés ont migré pour des motifs économiques. Néanmoins, il apparaît des différences au sein du continent africain notamment entre les femmes de lAfrique Subsaharienne qui effectuent plus de migrations indépendantes par rapport à celles de lAfrique du Nord, de même que celles du Moyen-Orient et de lAsie du Sud. En plus migrer plus souvent pur chercher du travail, les femmes de lAfrique au Sud du Sahara se distinguent de celles des autres régions sus-mentionnées par leur forte implication dans les activités commerciales qui souvent vont au-delà des frontières régionales ou nationales (Sudarkassa, 1977 ; Chant et Radcliffe, 1992). Généralement, ces femmes qui migrent de façon autonome sont jeunes, instruites et célibataires ; mais on trouve aussi parmi elles des femmes dun âge avancé sans enfants, les divorcées, les veuves ou séparées (Morokvasic, 1884). Déjà dans les années 1960, Caldwell soulignait laugmentation progressive de la migration féminine consécutive au relèvement progressif du niveau dinstruction des femmes. Pour ces femmes, le milieu rural noffre plus assez dopportunités pour réaliser leurs ambitions, et avec ce capital humain, elles migrent vers la ville et se présentent sur le marché du travail très longtemps resté favorable aux seuls hommes (Thadani et Todaro, 1984 ; Zulma, 1988). De plus, depuis lavènement de la crise économique en Afrique subsaharienne consécutive à la chute des prix des produits agricoles, le milieu rural parvient de moins en moins à retenir les femmes. Elles qui jadis assuraient la survie du secteur agricole, migrent aussi vers les villes pour chercher du travail. Les migrations autonomes des femmes peuvent aussi revêtir un aspect de lutte pour le pouvoir entre hommes et femmes. A ce sujet, Etienne (1983) rapporte lexemple des femmes du groupe ethnique Baoulé en Côte dIvoire qui voient dans la migration vers la ville un moyen de sassurer des revenus et rétablir leur pouvoir socio-économique sur les hommes comme cétait le cas dans la société traditionnelle matrilinéaire dorigine. On peut aussi évoquer le cas des femmes qui fuient loppression de la hiérarchie patriarcale et migrent de façon autonome (Ouedraogo, 1990 ; Wright, 2000). et contrôle social et familial Contrairement à cette image de la femme qui migre seule pour chercher du travail indépendamment de sa famille, les rapports de genre, autrement dit les normes culturelles et les rôles sociaux assignés à chaque sexe constituent des contraintes incontestables pour la migration de la femme (Tahdani et Todaro, 1984). Conformément à ces prescriptions sociales, les femmes qui migrent seules sexposent à un jugement négatif pouvant aller jusquà la déviance. Ceci est plus visible dans les sociétés très attachées aux valeurs traditionnelles (Lim 1993). Ainsi, chez les Haussa du Nord du Nigeria, par exemple, la migration féminine est très intense mais se déroule essentiellement dans le cadre des stratégies matrimoniales. La migration indépendante de la femme est très vite associée à la prostitution (Pittin, 1984). Ainsi, la migration de la femme est valorisée seulement si elle se fait pour une raison socialement acceptable, cest à dire migrer en association avec la famille ou dans le cadre de la vie de couple (migrer avec ou rejoindre un conjoint), alors que lhomme bénéficie dun encouragement sociale permanent pour les migrations. Dans certaines sociétés, la migration de lhomme est même une étape nécessaire pour le passage à la vie dadulte (Morokvasic, 1983 ; Lim, 1988 ; Pedraza, 1991). Dans sa théorie sur les déterminants de la migration Lee (1966) reconnaît limportance des rapports sociaux lors du départ en migration. Lauteur compare alors la dépendance de la femme envers son conjoint à celle qui lie un enfant à ses parents. Cette idée est aussi reprise par Amin (1974)[1] qui assimile la migration féminine à un phénomène essentiellement motivée par la vie de couple. Dans le même ordre didées, Houstons, Kramer, et Barrett (1984) estiment que la migration féminine est un phénomène dérivant de la migration économique des hommes. Pour ces auteurs, les femmes migrent principalement pour créer ou réunir une famille. Cest le cas an Tanzanie où 75% des femmes migrantes à DarEs-Salam disent avoir migré pour rejoindre un conjoint ou avec un membre de la famille (Findley, 1989). Au Burkina Faso aussi, plus de 80% des femmes ont migré pour le mariage (Cordell, Gregory, et Piché, 1996). De même, dans la société traditionnelle malienne, Diallo et Findley (1993) rapportent que la femme nest pas supposée migrer pour chercher du travail; quand elle le fait, cest pour remplir ses rôles de mère, dépouse ou de fille, en dautres termes elle ne peut migrer quen association avec la famille. En Côte dIvoire, les résultats de lEnquête Ivoirienne sur les Migrations et lUrbanisation laissent voir que limportante migration féminine (63% des migrants internes) est en réalité liée à lévolution de la migration masculine. Les hommes migrent pour des destinations plus éloignées, les périodes dabsence sont de plus en plus longues et donnent lieu à des migrations plus souvent définitives. Ces nouveaux comportements favorisent les migrations féminines daccompagnement dans le but dassurer la survie des couples Bocquier et Taroré (2000). En somme, les femmes sont certes désormais des migrantes reconnues, mais cette mobilité reste largement assujettie aux rapports de genre qui influencent leur capacité à effectuer une migration autonome (De Jong, 2000 ; Hugo, 1993 ; Chant, 1992 ; Todaro et Thadani, 1984 ; Petit, 1998). Le cadre conceptuel ci-dessous inspiré de ceux de De Jong, (2000) et de Bilsborrow, (1993)[2], montre comment les rapports de genre et dautres facteurs sociaux, familiaux et personnel influencent la décision et le motif principal de la migration. Au niveau global, interviennent les rapports de genre que nous définissons comme un lensemble de rôles, de perceptions, didéologie et de comportements et fondés sur une interprétation de la différence biologique entre les sexes (Veron, 1997 ; Bidet-Mordel et Bidet, 2001 ; Mackie, 1987). Ces rôles sexuels assignés par la société influencent directement dune part les caractéristiques individuelles et dautres parts la décision et le motif de migration des hommes et des femmes. Cette influence est aussi médiatisée par la famille à travers laquelle se transmettent les normes et valeurs associées à chaque sexe. On reconnaît aussi à ce niveau des facteurs liés au marché du travail et au milieu de résidence antérieur. Le marché du travail, fait référence à la disponibilité des emplois ; les opportunités demplois (à lorigine et à larrivée) agissent sur les stratégies ou les choix de la famille en matière de migration. Par ailleurs, le milieu de résidence antérieur permet de prendre en compte la variation des conditions de vie (économique, sociale) entre le milieu rural et le milieu urbain. Le milieu de résidence antérieur est un facteur important qui influence les caractéristiques familiales. Ensuite, au niveau familial, on voit que la famille est continuellement sous linfluence des facteurs sociaux. Elle perpétue les normes et valeurs sociales de chacun de ses membres, par conséquent le motif principal de la décision ainsi que le mode décision de chaque personne découlent des choix familiaux et sociaux. Par exemple, selon quon est chef de famille, époux ou encore épouse, le motif de départ et le mode de prise de la décision seront différents. La capacité financière de la famille est aussi un élément qui lui permet de contrôler les mouvements de ses membres. Elle peut élaborer sa stratégie de survie ou de diversification des risques en décidant de financer le départ de certains de ses membres selon leurs caractéristiques ou les attentes. Enfin le schéma montre que la décision et le motif principal de la migration sont directement déterminés par les caractéristiques personnelles. Au-delà de leurs sens biologiques, institutionnels ou professionnelles, ces caractéristiques sont avant tout des indicateurs de linfluence des rapports de genre. Par exemple, le fait dêtre un homme ou une femme fait appel à tout un ensemble de rôles et de contraintes liées au genre qui définit les conditions de départ en migration. De même, le statut matrimonial (conçu comme un ensemble de rôles familiaux), linstruit, les qualifications professionnelles, lautonomie financière pour ne citer que celles des caractéristiques qui ont une incidence déterminante sur la décision et le motif de migration. (Figure 1) Source de données, variables et méthodes danalyseNous utilisons pour ce travail, les données de lEnquête Ivoirienne sur les Migrations et lUrbanisation en 1993 (EIMU) organisée dans le cadre du Réseau des Enquêtes sur les Migrations et lUrbanisation en Afrique de lOuest (REMUAO[3]). En plus dêtre la première enquête nationale sur les migrations en Côte dIvoire, cette enquête a retenu notre attention pour plusieurs raisons. Dabord elle poursuit des objectifs intéressants qui vont dune meilleure compréhension du phénomène à lexplication de ses implications économiques, sociales et culturelles ; elle vise aussi à analyser des stratégies dadaptation des migrants. Ensuite, elle sintéresse à tous les aspects de la migration, les migrants, les non-migrants, les migrants de retour, à chacun de ses groupes sapplique un questionnaire approfondi. Enfin, elle donne lopportunité dappliquer la problématique du genre à lanalyse de la migration. Entre autres, les questions sur le motif principal de la migration et le niveau de prise de la décision de migrer sont des avantages dans ce sens. Dans cette enquête, un migrant est une personne qui a changé de localité de résidence (village ou sous-préfecture) pour une période dau moins 6 mois. Le questionnaire-migrants approfondi que nous utilisons a été appliqué aux migrants de 15 ans et plus et aborde les sections suivantes: les de conditions de départ, les conditions daccueil, de migration et famille, les activités avant la migration, les activités à larrivée, les activités actuelles, les biens possédés, les relations sociales, les envois, les apports et la réception dargent ou de biens et enfin des intentions de migrer et de lopinion sur la migration. On peut par ailleurs souligner deux problèmes liés à ce questionnaire. Dabord dans limpossibilité denquêter tous les migrants âgés de 15 ans et plus, les autorités de lEIMU ont choisit dinterroger 3 migrants par district de recensement[4]. Malheureusement dans cette démarche, les chefs de ménage ont été sur-enquêtés par rapport aux autres membres de la famille, surtout les femmes. Ensuite, les déplacements entre un village et la ville de la même sous-préfecture nont pas été enregistrés comme une migration, seules les déplacements entre deux sous-préfectures étaient considérés comme telle. Par contre, sagissant de la ville dAbidjan, les déplacements dune commune à une autre ont été considérés comme une migration. Ces défaillances sont néanmoins corrigées à partir des coefficients de pondération qui sont appliquées dans toutes les analyses[5].En définitive, nous travaillons avec un échantillon de 2257 personnes représentatives du phénomène en Côte divoire. Variables danalyseNous expliquons dans cette étude la décision de migrer et le motif principal de la migration. Pour la décision de migrer, il sagit didentifier la principale personne qui a décidé de la migration à partir de la question suivante : qui a le plus participé à votre décision de quitter votre dernière résidence ?[6]. Les différentes réponses possibles sont : individuelle, cest-à-dire la décision prise par la personne elle-même, la décision du conjoint, la décision des parents et enfin la décision dun employeur ou dun ami. Au regard de notre préoccupation relative aux rapports de genre, lanalyse explicative portera exclusivement sur les trois premières modalités, cest-à-dire la décision personnelle, celle du conjoint et enfin la décision prise par les parents. Au niveau du motif principal de la migration, nous nous référons aussi à une question précise : Quel est le motif principal de votre migration? A partir des modalités proposées, nous dégageons pour les analyses les groupes de motifs suivants : la recherche dun travail, les motifs familiaux (suivre ou rejoindre un conjoint, migrer avec un membre de la famille ), les études et dautres motifs. Par ailleurs, lune des particularités de lEIMU était de retenir « laventure » comme un motif de migration. Nous faisons ressortir limportance de ce motif dans les analyses exploratoires car il traduit une situation bien réelle en Côte divoire. Il sagit généralement des personnes qui migrent pour chercher du travail, mais face à lincertitude entourant cette entreprise, elles préfèrent parler daventure ou de tenter leur chance ailleurs. Pour lexplication, nous analysons la migration économique (Recherche dun travail) en rapport avec la migration familiale (mariage, raisons de familles). Les variables indépendantes utilisées dans ce travail découlent du cadre conceptuel présenté plus haut et dans la mesure des possibilités offertes par les données utilisées. Nous ne disposons certes pas de variables opérationnelles pour mesurer les normes familiales en matière de migration, la stratégie familiale de survie et les attentes familiales envers les enfants, mais nous formulons lhypothèse que les autres caractéristiques utilisées sont dominées par contrôle familial. Nous regroupons ces variables en quatre groupes : individuelles, familiales, économiques et socio-culturelles. Au niveau individuel, nous avons dabord le sexe qui est la principale variable explicative et aussi lindicateur des relations de genre. Dans les faits, les différences sexuelles vont au-delà de différences physiques, les hommes et les femmes vivent des expériences migratoires spécifiques conformément aux rapports de genre. De fait, toutes les analyses se font par sexe dans le but de saisir les conditions spécifiques à chaque groupe de personnes. Ensuite, nous avons retenu lâge de départ en migration car dans les sociétés africaines, lâge détermine aussi la place et le rôle de chaque individu dans sa famille et dans la société en général. Ainsi, le pouvoir de décider de sa migration pour un motif donné devrait varier selon quon migre jeune ou à un âge élevé. Le statut matrimonial est aussi une variable individuelle qui permet pour sa part de prendre en compte les contraintes et exigences liées à la vie de couple. Le passage du statut de célibataire à celui de marié est susceptible de provoquer dimportants changements dans les comportements migratoires. Enfin, la variable niveau dinstruction mesure leffet de léducation sur la décision et le motif de migration. Considéré comme lun des principaux facteurs qui atténuent le contrôle familial et social, on sattend à des différences importantes entre les migrants (es) sans instruction et ceux et celles qui sont instruits. Pour ce qui concerne les aspects économiques, le mode de financement de la migration et laccès au marché du travail avant la migration sont les deux variables qui retiennent notre attention. Ces deux caractéristiques mesurent limpact de lautonomie financière sur le motif et le pouvoir de décider de sa migration. Par ailleurs, nous utilisons le milieu de résidence antérieur comme une variable mesurant la socialisation. Les conditions de vie propres à ces milieux, le niveau dinfluence des valeurs traditionnelles induisent généralement des comportements spécifiques à leurs résidents. Et cette variable donne aussi lopportunité de voir les différences entre les migrants internes et les migrants internationaux. Enfin, au niveau des variables socio-culturelles, nous avons retenu la religion et lethnie comme des proxy. Nous considérons que ces deux caractéristiques participent de la formation de la culture dun groupe qui à terme influence lattitude de ses membres dans la migration. Méthodes danalyse Nous utilisons deux méthodes danalyse, une bivariée et descriptive et lautre explicative. La description se fait à partir de graphiques et de tableaux croisés entre les deux variables à expliquer et les principales variables indépendantes. Cette analyse permet principalement dévaluer la distribution des variables dépendantes par rapport aux variables indépendantes. A ce niveau, nous recherchons leffet brut de chacune de ces variables indépendantes. Lexplication du mode de prise de la décision et du motif principal de la migration se fait respectivement avec une régression logistique multinomiale et une régression logistique simple. Ces deux méthodes statistiques simposent en rapport avec la nature des variables à expliquer, la première est qualitative avec plus de deux modalités non ordonnées et la deuxième est aussi qualitative mais dichotomique. Ces deux méthodes sont fondées sur le même principe danalyse, nous recherchons dans chacun des cas les chances ou les risques (odds ratios) de réalisation de lévénement par rapport à une variable de référence. Par ailleurs pour respecter les exigences des rapports de genre, nous faisons pour chaque variable trois modèles, un modèle par sexe et un troisième modèle pour lensemble des migrants. Résultats La décision de migrer, la place des relations de genre Le graphique 1 ci-dessous montre que le mode prise de la décision de migrer varie considérablement selon le sexe. La décision individuelle est plus fréquente chez les hommes pendant que les femmes migrent principalement sur une décision du conjoint. Environ 60% des hommes prennent seuls la décision de migrer, contre seulement 25% chez les femmes. Par ailleurs, la décision du conjoint est quasiment exclusive aux femmes, 49% dentres elles ont désigné le conjoint comme la personne qui a décidé de leur départ. Cependant on note un même niveau dimplication des parents dans la décision de migrer des hommes et des femmes 23%. Le dernier niveau de décision, cest à dire celle dun employeur ou dun ami concerne pour sa part principalement les hommes, 17% contre seulement 3% de femmes. Ces différences sexuelles montrent déjà que le mode de décision est principalement lié aux rôles sexuels, les hommes migrent seuls et sur une décision personnelle pendant que les femmes migrent avec le conjoint ou les parents sur leur décision. Outre ces inégalités sexuelles, les résultats présentés aux tableaux 1 et 2 laissent apparaître dimportantes variations dans le mode de décision des hommes et des femmes selon leurs caractéristiques propres. Ainsi, on note que le niveau de la décision individuelle augmente avec lâge de départ en migration chez les hommes et les femmes. Chez les hommes on passe de 37% avant 20 ans à 66% chez ceux qui ont migré à partir de 40 ans, et chez les femmes, cette décision individuelle passe de 12% et 54% pour les mêmes groupes dâges. Conséquence de laugmentation de la décision individuelle avec lâge, linfluence des parents qui baisse avec lâge de départ. Cette décision citée par 43% des femmes qui migrent avant 20 ans, tombe à 10% chez celle qui avaient 40 ans et plus au moment du départ. Chez les hommes la situation est légèrement différente, cest entre 20 et 39 ans que linfluence des parents est la plus faible (21%). Au niveau de la décision du conjoint, elle est surtout fréquente chez les jeunes femmes en âge de se marier. Elle touche 42% des femmes qui ont migré avant 20 ans et 56% de celles qui ont migré entre 20 et 39 ans. On note par ailleurs que la décision individuelle naugmente pas avec le niveau dinstruction, ni chez les femmes ni chez les hommes. Cest plutôt les femmes (27%) et les hommes (65%) du niveau primaire qui présentent les niveaux les plus élevés de décision individuelle. Cependant, la décision du conjoint diminue plus les femmes ont un niveau dinstruction élevé ; elle passe de 56% moins de chances chez celles qui nont jamais été scolarisé à 40% chez les femmes du niveau primaire et enfin à seulement 38% chez celles qui ont un niveau dau moins secondaire. Par ailleurs, le niveau dinstruction semble accroître le niveau dintervention des employeurs ou des amis dans la décision de migrer chez les hommes, avec 23% chez ceux qui ont un niveau secondaire et plus. Au niveau du statut matrimonial, il apparaît que la décision individuelle est plus fréquente quand les femmes ne sont pas encore en union, 37% des femmes célibataires ont migré sur cette décision contre 19% de femmes mariés. Chez les hommes par contre, le pouvoir de décider personnellement de leur migration ne varie pas vraiment selon leur statut matrimonial. Cette variable semble par contre très importante pour les femmes et les femmes quand on sintéresse à la décision de la famille. Les femmes mariées migrent principalement sur une décision du conjoint (69%) pendant que les parents sont les principaux agents de décision quand elles sont encore célibataires (57%). Chez les hommes, la décision des parents est plus fréquente avant leur entrée en union (44%). Les résultats des deux variables économiques révèlent aussi des situations intéressantes. Dabord le fait dexercer une activité rémunérée avant le départ en migration ne semble pas influencer la décision individuelle des femmes, les hommes par contre, ont plus tendance à migrer sur une décision individuelle quand ils nont pas dactivité avant le départ (75%). Lautonomie financière paraît plus importante pour les femmes que les hommes quand il sagit de prendre une décision individuelle. Ainsi, pendant que seulement 12% des femmes dont la migration a été financée par une autre personne ont déclaré avoir migré sur une décision individuelle, cette proportion est de 65% chez les hommes dans la même situation. Ensuite, on peut voir dans les tableaux 1 et 2 que le fait dexercer une activité avant la migration ne réduit pas linfluence de la famille. Ainsi, plus de la moitié (54%), des femmes qui avaient une activité avant la migration ont tout de même migré sur une décision du conjoint ; et 56% des hommes du même groupe ont pour leur part migré sur une décision des parents. Au niveau du milieu de résidence, on note que les femmes urbaines ont un plus grand pouvoir de décider individuellement (35% à Abidjan et 26% dans les autres villes) de leur migration par rapport à celles du milieu rural. De même, la décision du conjoint est très faible chez ces femmes dorigine urbaine surtout celles dAbidjan (5%). Par ailleurs, il ressort que par rapport aux migrantes internes, les immigrantes arrivent principalement sur une décision du conjoint (74%). Elles présentent le plus faible niveau de décision individuelle, seulement 12%. Les facteurs explicatifs de la décision de migrerPour respecter les exigences du genre, nous utilisons trois régressions multinomiales. Le premier modèle porte sur lensemble de la population et permet de vérifier dans quelle mesure les différences sexuelles observées dans lanalyse exploratoire persistent, les deux autres modèles portent sur les hommes et les femmes. Pour pouvoir comparer les résultats de ces trois modèles, nous avons fixé une modalité de référence pour tous, il sagit de la décision individuelle. Ainsi, nous analysons les risques de migrer sur une décision du conjoint ou des parents plutôt que sur une décision individuelle. Les résultats sont présentés dans le tableau 3a, 3b. Dans le modèle 1, on saperçoit que le sexe est significatif seulement quand on compare la décision du conjoint à celle prise individuellement. Même en contrôlant son effet par les autres caractéristiques, les femmes ont en effet environ 40 fois plus de chances que les hommes de migrer sur une décision du conjoint que dune décision individuelle. Ce résultat soulève la question générale des rapports de genre, mais plus spécifiquement la place de la femme ou son pouvoir de décision dans son ménage. Conformément aux rôles sexuels assignés aux hommes et aux femmes à travers le processus de socialisation, lhomme est le principal agent de décision du couple, et la femme suit son conjoint. Par contre, les hommes et les femmes ont les mêmes chances de subir la décision des parents. Autrement dit, les parents peuvent décider sans distinction de sexe denvoyer un de leurs enfants en migration. Avec le relèvement du niveau dinstruction des femmes, ainsi que la prise de conscience sur leurs capacités à travailler à la suite de la montée du féminisme depuis les années 80, les femmes ont aujourdhui prennent progressivement une place importante sur le marché du travail. Par conséquent, les parents peuvent sattendre à autant sinon plus de retours de biens et dargent en envoyant une fille ou un garçon en migration. Dans le modèle femmes, il ressort que le mode de financement de la migration, lexercice dune activité avant la migration, lâge de départ en migration, le statut matrimonial et la résidence antérieure sont les principales variables significatives. On peut voir tout dabord que la décision du conjoint est bien évidemment importante chez les femmes mariées, elles ont en effet environ 40 fois plus de chances que les célibataires de migrer sur une décision du conjoint plutôt que sur une décision individuelle. Par ailleurs, comme on sy attendait, les parents perdent toute influence sur la décision de leurs filles de migrer après le mariage. Les femmes mariées ont 40% moins de chances que les célibataires de migrer sur décision des parents que sur une décision individuelle. Le niveau très significatif du mode de financement de la migration en rapport avec la décision des parents peut dailleurs être considéré comme une manifestation de cette stratégie familiale. En effet, pour les femmes dont la migration a été financée par une autre personne, les chances de subir la décision des parents est évaluée à 10 fois plus que celles qui ont financé elles mêmes leur migration de migrer sur une décision des parents que dune décision individuelle. De même, on note que quand les femmes font financer leur migration, elles augmentent leurs chances de migrer sur une décision du conjoint. Ainsi, celles qui ont fait financer leur migration ont 31 fois plus de chances que celles qui ne lont pas fait de migrer sur une décision du conjoint plutôt que sur une décision individuelle. Cette décision du conjoint demeure prééminente chez les femmes même quand elles avaient une activité rémunérée avant la migration. Celles-ci ont en effet 2 fois plus de chances que celles qui nen avaient pas de migrer sur une décision du conjoint que sur une décision individuelle. En fin de compte, lautonomie financière ou lexpérience professionnelle sont des caractéristiques très peu pertinentes dans la décision dune femme de migrer, il sagit plutôt pour elle, de respecter les exigences de la vie de couple prescrites par les rapports de genre. Pour ce qui concerne lâge de départ en migration, on constate que pour les femmes qui partent en migration avant 20 ans ou entre 20 et 39 ans, les chances de migrer sur une décision du conjoint sont très grandes par rapport à celles qui ont migré après 40 ans. Les femmes qui ont migré dans ces deux groupes dâges ont respectivement 7 et 6 fois plus de chances que les plus âgées (celles qui ont migrés après 40 ans) de migrer sur une décision du conjoint que dune décision individuelle. On peut comprendre quà partir de 40 ans les femmes qui migrent, en majorité ne sont plus en union, mais aussi à cet âge, il arrive quelles accèdent à un statut social dans la famille qui leur donne une certaine autonomie de décision et de mouvement. Nous observons par ailleurs la même tendance au niveau de la décision des parents, limplication des parents dans la décision des filles décroît avec lâge. On passe ainsi de 10 fois plus de chances pour celles qui migrent avant 20 ans à 3 fois plus de chances pour celles qui ont migré entre 20 et 39 ans. Enfin, on note une plus forte implication du conjoint dans la décision des femmes immigrantes que les migrantes internes. On estime quelles ont environ 3 fois plus de chances que les femmes migrantes internes dorigine rurale de migrer sur une décision du conjoint que dune décision individuelle. Chez les hommes, seuls les parents ont une influence effective sur leur décision de migrer, et le mode de financement de la migration, lâge de départ et le motif principal de la migration sont les caractéristiques significatives (tableau 3a, 3b). Dabord, les hommes qui ont déclaré avoir fait financer leur migration ont 14 fois plus de chances que ceux qui ont financé eux mêmes leur départ de subir la décision des parents que de migrer sur une décision personnelle. Ainsi, la capacité financière est un point essentiel de lautonomie migratoire, la famille utilise ce moyen pour contrôler la mobilité de ses enfants. Ensuite au niveau de lâge de départ en migration, il ressort que linfluence des parents est significative seulement chez ceux qui migrent très jeunes cest-à-dire avant 20 ans. Ainsi, par rapport aux hommes qui partent en migration à partir de 40 ans, ceux qui ont migré avant leur 20 ans ont 2 fois plus de chances de partir sur une décision des parents plutôt que sur une décision individuelle. Enfin on note que les hommes qui migrent pour des motifs économiques prennent leur décision indépendamment de la famille. Ainsi, les hommes qui ont migré principalement pour chercher du travail ont en effet 47% moins de chances que ceux qui ont migré pour des motifs directement liés à la famille de migrer sur une décision des parents que dune décision individuelle.En définitive, on peut dire que les hommes et les femmes nont pas les mêmes chances de décider de leur migration, chaque groupe doit se conformer aux rôles sexuels qui définissent à terme le niveau et le pouvoir de décision. Le motif principal de la migration, entre rôle économique et familial Le graphique 2 ci-après présente la répartition des principaux motifs de migration selon le sexe, il montre clairement que les hommes effectuent principalement des migrations économiques cest-à-dire la recherche dun travail (46%), pendant que les femmes sont plus concernées par les migrations familiales (70%). Nous entendons par migration familiale les motifs liés à la vie de couple (mariage, divorce et autres évènements familiaux), le fait de suivre un membre de sa famille. Gordon et al (1981) utilisent le concept « affiliation » pour désigner ce type de migration car selon eux, elle a un lien direct avec les valeurs et les contraintes sociales[7]. Les traditions matrimoniales (exogamie) et les exigences de résidence (virilocales), font des femmes les principales concernées par ce motif. Ainsi, le motif principal de la migration est avant tout un indicateur des rôles sociaux des hommes et des femmes, conformément à son rôle de chef de famille, lhomme migre pour chercher du travail et la femme suit pour assurer son rôle dépouse ou de soutien à la famille. Cest dans ce contexte que Lim (1993) parle de tolérance sociale, cest à dire, la femme peut migrer, tout en respectant ses responsabilités de femme. Déjà avec ce premier résultat, nous pouvons voir que lautonomie des femmes dans la migration nest pas encore effective. En faisant une analyse par sexe, dabord pour la migration économique, on saperçoit que les mêmes caractéristiques nont généralement pas le même sens pour les hommes et les femmes (tableau 5). Ainsi, au niveau du statut matrimonial, on constate que les hommes mariés migrent plus souvent pour chercher du travail par rapport aux femmes du même statut. Ainsi, 51% des hommes mariés ont migré pour chercher du travail contre 7% chez les femmes mariées. Au niveau de lâge de départ en migration, les plus fortes proportions dhommes et de femmes qui migrent pour chercher du travail se situent entre 20 et 39 ans. Le niveau dinstruction semble pour sa part jouer très peu dans la recherche dun travail particulièrement chez les hommes. En effet, plus de la moitié des migrants qui nont aucun niveau dinstruction ont déclaré avoir migré pour chercher du travail (52%). Chez les femmes par contre, cest principalement celles qui ont au moins un niveau secondaire qui font une migration économique (13%). Par ailleurs, il apparaît que même quand les hommes ont une activité, ils migrent encore pour chercher du travail (52%) certainement dans lespoir daméliorer leur situation. Chez les femmes par contre, seulement 11% de celles qui avaient une activité avant la migration ont migré pour chercher un autre travail. Par rapport au milieu dorigine, on note que les hommes du milieu rural effectuent plus souvent une migration économique que ceux des autres milieux (63%). Pendant que chez les femmes, cest plutôt parmi celles qui résidaient en ville quon compte le plus de migrantes économiques (15%). Notons enfin que limmigration est économique est surtout masculine, 42% des immigrants ont évoqué la recherche dun emploi contre 4% de femmes immigrantes. Pour la migration familiale, les résultats des tableaux 4 et 5 ci-dessus, montrent quelle est importante à tous les niveaux du cycle de vie des femmes. Quel que soit lâge de départ, les femmes présentent de fortes proportions de migration familiale pendant que chez les hommes elle baisse avec lâge de départ et le niveau le plus élevé concerne ceux qui migrent avant 20 ans (29%). De même, avant leur entrée en union, 48% des jeunes filles célibataires participent à ces migrations familiales, et ces motifs familiaux deviennent particulièrement importants quand elles se déclarent mariées (79%) et persistent quand elle divorcent ou deviennent veuves (67%). Chez les hommes par contre, les motifs familiaux sont importants seulement quand ils sont célibataires (22%). Par ailleurs, le motif familial demeure important chez les femmes même quand elles sont instruites. Plus de la moitié (52%) de celles qui ont un niveau secondaire et plus ont migré pour ces motifs, contre seulement 13% chez les hommes du même niveau. Il ressort aussi que lexercice dune activité avant la migration ne parvient pas non plus à infléchir limportance de la migration familiale chez les femmes. Exactement 67% de ces femmes ont migré pour des motifs non économiques contre 14% chez les hommes. De plus la majorité (74%) de celles qui ont fait financer leur migration ont migré dans un cadre familial tout comme les hommes de la même catégorie (24%). En outre, les femmes dorigine rurale (76%) migrent plus souvent pour des motifs non économiques que celles qui vivent en ville pendant que ce motif est plus fréquent chez les hommes qui ont migré à partir du milieu urbain (18%). Comme on sy attendait, les femmes immigrantes sont essentiellement des migrantes familiales (72%) contre seulement 14% dimmigrants. La migration pour les études, de son côté, touche les hommes (6%) et les femmes (5%) presque dans les mêmes proportions. Ce motif est particulièrement remarquable aussi bien chez les hommes que chez les femmes qui migrent avant 20 ans, célibataires et ayant un niveau secondaire et qui migrent à partir du milieu urbain. Les facteurs du motif principal de la migration Lanalyse explicative porte sur une variable dichotomique, il sagit de rechercher les facteurs explicatifs de la migration économique par rapport à la migration familiale. Les résultats du modèle 1 (tableau 6) démontrent dimportantes différences, les hommes et les femmes nont pas les mêmes chances deffectuer une migration économique. Les hommes ont 11 fois plus de chance que les femmes deffectuer une migration économique plutôt quune migration familiale. Ce résultat confirme que la migration nest pas un fait individuel surtout pour la femme, elle répond à des exigences sociales, pendant que pour les hommes, migrer pour chercher du travail fait partie intégrante de ses responsabilités envers la famille. Chez les femmes, on constate que toutes les variables du modèle ont une influence significative sur le motif principal de la migration. On peut néanmoins les classer en deux groupes, dun côté les variables qui favorisent la migration économique et de lautre celles qui diminuent cette chance. Les femmes qui ont plus de chances de faire une migration économique plutôt quune migration familiale, sont jeunes au moment de leur départ, avaient une activité avant la migration, ont migré sur une décision de leur employeur enfin ont migré à partir dune ville. Par rapport à celles qui ont migré après 40 ans, les femmes âgées entre 20 et 39 ans au moment de leur migration ont 2 fois plus de chances de migrer pour chercher du travail. De même, celles qui avaient une activité rémunérée avant le départ en migration ont elles aussi 2 fois plus de chances que les femmes qui navaient pas dactivité de faire une migration économique. Comme nous lévoquions dans la section sur le mode de prise de la décision de migrer, la décision dun employeur est à mettre en rapport avec les mutations professionnelles ou la recherche dun emploi dans le cadre des réseaux sociaux. Ainsi, les femmes qui ont migré sur cette décision ont de très fortes chances de migrer pour un travail, leurs chances sont évaluées à 2 fois plus que celles qui ont migré sur une décision personnelle. Par ailleurs, les femmes qui ont migré à partir des villes ont 2 fois plus de chances de migrer pour chercher du travail que celles qui ont migré à partir du milieu rural. Par contre, les femmes mariées, celles dont le conjoint a décidé de la migration, de même que celles qui ont fait financer leur migration et enfin les musulmanes et animistes ont très peu de chances de faire une migration économique. Les femmes mariées ont 59% de chances de moins que les célibataires de migrer pour chercher du travail. Cela se confirme aussi avec le mode de prise de décision, car quand cest le conjoint qui décide de la migration, elles ont aussi 59% de chances de moins de faire une migration économique. Toujours dans le même ordre didée, on constate que les femmes qui ne disposent pas dune autonomie financière pour assurer elles même les dépenses de leur migration ont plus de chances de migrer dans le cadre de la famille. Elles ont en effet 49% moins de chances que celles qui ont financer elles mêmes leur départ de migrer pour chercher du travail. Enfin, on note que par rapport aux chrétiennes, les femmes de religion musulmane et animiste ont de moindres chances deffectuer une migration économique. On évalue respectivement à 51% et 47% de chances de moins pour ces femmes de migrer pour chercher du travail par rapport aux chrétiennes. Chez les hommes, lâge de départ en migration, le statut matrimonial, le milieu dorigine et le mode de décision sont les variables significatives. Tout comme chez les femmes, cest aux âges actifs que les chances de faire une migration économique sont importantes. Ainsi, par rapport aux hommes qui ont migré après 40 ans, ceux qui ont migré entre 20 et 39 ans ont 4 fois plus de chances de migrer pour chercher du travail. Les mariés ont 2 fois plus de chances que les célibataires de migrer pour chercher du travail. Ce qui nest pas le cas chez les femmes pour qui de telles chances samenuisent quand elles sont mariées. Par ailleurs, il apparaît que les hommes qui font une migration économique sont principalement originaires du milieu rural. On constate que ceux qui ont migré à partir dAbidjan, des autres villes du pays et de lextérieur du pays ont tous de très faibles chances par rapport aux ruraux de migrer pour chercher du travail. Discussion des résultats et conclusion Comme annoncé dans nos hypothèses, les analyses effectuées dans cette recherche confirment que le mode de prise de la décision et le motif principal de la migration sont fondamentalement imprégnées par les rapports de genre. Contrairement au dynamisme migratoire des femmes de plus en plus annoncé dans la littérature, celles-ci migrent encore essentiellement pour assurer leur place auprès dun époux et dun membre de la famille. Plus spécifiquement au niveau de la décision, les résultats laissent voir que la famille (les parents et les conjoint) décide de la migration de la femme en conformité avec ses responsabilités assignées. Pour la femme, la migration est dabord une question de rôles, migrer sur une décision individuelle est un comportement contraire aux attentes de la société et donc considéré comme un acte non conforme. En contrôlant ainsi la mobilité des femmes, la famille assure un rôle de principale unité sociale dans laquelle se transmettent et se définissent les normes et les rôles pour les hommes et les femmes, et aussi dunité économique (Ocholla-Ayayo, 1997). Elle assure de cette façon la continuité de la culture du groupe social (incite par exemple les hommes à revenir se marier dans leur groupe culturel dorigine) et perpétue par la même occasion les rapports de genre inégalitaires (Tenda et Booth, 1988 ; Sawadogo, 1990 ; Gardner et Riley, 1993). Ce contrôle familial sur la décision des femmes reste omniprésente pendant presque tout le cycle de vie de la femme en passant de linfluence des parents quand elle sont jeunes à celle du conjoint quand elles vont en union. On peut aussi revenir sur le rôle de lautonomie financière et du niveau dinstruction dans le pouvoir des femmes à décider de leur migration. Ce travail montre en effet que même quand elles ont une activité qui rapporte de largent, et avec un niveau dinstruction élevé, le conjoint demeure le principal agent de décision quand elles migrent. On peut dire que, pour ces femmes, leur principal souci est dassurer leur rôle de femme, peu importe leurs capacités et leurs qualifications individuelles. Cette étude révèle par ailleurs que les hommes qui admettent que le conjoint a décidé de leur départ sont très rares. La femme na en aucun moment lopportunité dintervenir dans la décision de son conjoint. En dehors de leur décision personnelle, seule linfluence des parents est reconnue chez les hommes. Cette décision est présente quand ils sont jeunes ou quand ils nont pas une autonomie financière suffisante pour financer leur migration. Dans ce cas, la famille élabore sa stratégie de survie dans laquelle elle finance la départ des enfants afin quils leur viennent en aident pendant les moments difficiles. Ce propos, il faut souligner que les parents ne font aucune différence entre les enfants de sexe masculin ou féminin. En fin de compte, les filles ont autant de chances que les hommes de subir la décision des parents, et doivent en plus se soumettre à celle dun conjoint. Pour ce qui concerne le motif principal, la situation nest pas différente, les femmes migrent essentiellement dans le cadre familial, leur motif principal est presque toujours en relation avec cette structure. Dans lensemble, les femmes ont très peu de chances par rapport aux hommes de migrer pour chercher du travail. De même que la décision, les normes et valeurs sociales médiatisées par la famille ne valorisent pas la migration de la femme en dehors du cadre familial, une migration de la femme indépendamment de la famille reste stigmatisée par les stéréotypes, et le poids des traditions. Bâ (1999) arrive aux mêmes résultats pour le Sénégal, elle avance que la migration des femmes seules pour chercher du travail est exclue des normes structurelles de la société dorigine laquelle considère que toute migration des personnes de sexe féminin doit sinscrire dans le cadre du regroupement familial. Par conséquent, quand elles sont mariées, les femmes nont presque plus de chances deffectuer une migration économique. Même quand elles sont encore célibataires, limportance de lexogamie et la virilocalité font que les femmes ont de très fortes chances de migrer au moins une fois dans leur vie dans le cadre de cette vie de couple (Diallo et Findley, 1993 ; Dubar, 1991 Podlenski 1975, cité par Diaz-Briquet et al. 1977). Cette recherche montre que ces pratiques traditionnelles sont très présentes surtout en milieu rural, car les femmes qui vivent en milieu urbain présentent nettement moins de risques de suivre un conjoint ou de migrer avec un autre membre de leur famille. Au regard de la différence des niveaux de vie et des pouvoirs économiques entre la ville et la campagne, on peut penser que les femmes de la ville migrent moins en association parce quelles sont financièrement autonomes. Cela se vérifie, car les femmes qui ont migré dans le cadre de la famille navaient pas dactivité avant la migration et ont aussi fait financer leur migration. En somme, cette recherche montre bien que si on peut parler de dynamisme de la migration féminine, lautonomie vis à vis de leurs conjoints et de la famille est à relativiser. Même avec un capital humain élevé et une expérience professionnelle, les femmes ne peuvent prétendre prendre personnellement la décision de migrer, elles se situent essentiellement dans leurs rôles familiaux et sociaux. Ainsi, lautonomie des femmes vis-à-vis de la famille et du conjoint passerait par conséquent par une renégociation des rapports de sexe dans le couple et dans la famille. Bibliographie
[1] Women of the same age as the initial migration men accompagned by their children..tend to follow the men after an interval (1974, p 70) cité par Pitin, 1984). [2] Schéma élaboré en collaboration avec les Nations Unies en 1993 sur les migrations féminines internes dans les pays en développement. [3] Ce réseau regroupait huit pays dAfrique de lOuest: le Burkina Faso, la Côte dIvoire, la Guinée, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Nigeria et le Sénégal [4] Le pays a dabord été subdivisé en onze (11) strates, dix (10) premières correspondent aux régions géo-économiques (Centre, Centre-Nord, Centre-Est, Sud, Sud-Ouest, Nord,Nord-Ouest-, Nord-Est, Centre-Ouest, Ouest), et la onzième strate représente la ville dAbidjan. Ensuite chaque strate est subdivisée en sous strate urbaine et rurale, pour finir on a délimité les Districts de recensement relativement permanents et couvrant le territoire national dune manière exhaustive [5] Philipe Antoine, 1999. [6] Cette question aurait pu être formulée plus clairement, par exemple demander directement : « qui a décidé de votre migration? ». [7] Les auteurs citent le fait de vivre avec la famille, de se reconnaître comme un élément du groupe familial, et aussi de demeurer avec son conjoint comme des valeurs susceptibles dengendrer des migrations sociales. Copyright 2005 - Union for African Population Studies |