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African Population Studies
Union for African Population Studies
ISSN: 0850-5780
Vol. 20, Num. 1, 2005, pp. 119-139

African Population Studies/Etude de la Population Africaine, Vol. 20, No. 1, 2005, pg. 119-139

L'entrée des jeunes dans la vie professionnelle à Dakar : moins d'attente et plus de précarité

Alioune Diagne

IRD-Equipe Jeremi UR 47 Cipré-Dial Dakar-Sénégal

Code Number: ep05007

Résumé 

Le contexte, particulièrement, morose que traverse l’économie sénégalaise depuis la fin des années 1970, ne favorise plus comme par le passé, l’insertion des jeunes sur le marché de l’emploi. En effet, bien qu’il existe très peu d’études récentes sur l’emploi des jeunes à Dakar, il n’en demeure pas moins que les rares travaux qui existent dans ce domaine, font état des difficultés de plus en plus grandes que rencontreraient les nouvelles générations pour s’insérer dans la vie active, en particulier, à Dakar (Antoine & al., 1995 ; Bocquier, 1996). Par ailleurs, les études montrent, également, qu’en limitant les possibilités d’embauche aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé, les contraintes qui pèsent sur le secteur moderne entraîneraient un phénomène de repli des jeunes vers certaines activités économiques jugées peu rentables et instables du secteur informel (Antoine & al., 2001). Dés lors, le secteur informel deviendrait, actuellement, pour les jeunes sénégalais, l’expression des nouvelles stratégies d’insertion professionnelle. Cette situation a d’importantes conséquences dans la vie des jeunes. En effet, du fait des difficultés de plus en plus grandes qu’ils rencontrent pour se réaliser professionnellement, les jeunes se trouvent de plus en plus contraints de rester plus longtemps dans le domicile familial et se marient de plus en plus tardivement (Galland, 1990). Ainsi, si les jeunes garçons qui sortent précocement du système scolaire se lancent presque aussitôt dans le monde du travail par l’apprentissage d’un métier dans le secteur informel, les filles, quand à elles, restent de plus en plus longtemps dans la sphère familiale et domestique où elles s’occupent des tâches ménagères en attendant un éventuel mariage. Pour les jeunes ayant terminé leurs études, entre la fin de celles-ci et l'entrée dans la vie professionnelle, s’ouvre, de plus en plus, une très longue période de recherche d’emploi, de chômage ou de stage. Dans ce cadre, pour mieux appréhender le vécu des jeunes à Dakar en particulier, il semble important d’identifier la situation des jeunes par rapport à l’emploi. L’étude dans une telle perspective porte sur l’analyse des modifications de la chance d’entrée dans la vie professionnelle à Dakar, liées aux déterminants démographiques et socio-économiques du parcours de la vie et à la conjoncture économique traversée. Pour ce faire, l’entrée dans la vie active a été essentiellement envisagée dans l’étude sous l’angle de l’accès à un premier emploi et définie comme le moment de la vie où l’individu accède pour la première fois à un emploi rémunéré. Les analyses descriptives effectuées dans ce cadre, montrent que du fait de la crise que traverse, actuellement, l’économie sénégalaise et ses conséquences sur le marché de l’emploi, tout se passe comme si à défaut de trouver "mieux" c'est à dire un emploi correspondant à leur profil et à leur niveau de formation, les jeunes dakarois n'ont plus d'autres alternatives que de choisir le premier emploi qui se présente à eux quelque que soit, par ailleurs, la qualité et la nature de cet emploi. Autrement dit, du fait de la baisse continue de l'offre d'emploi, les jeunes dakarois se trouvent de plus en plus obligés de s'adapter aux nouvelles réalités du marché de l'emploi en devenant "moins regardant" quand à la qualité des emplois qu'ils exercent lors de leur première insertion. Cette adaptation passe par l'occupation d'emplois plus précaires et une plus grande mobilité professionnelle. L'occupation de ces emplois, principalement exercés par les jeunes, est devenue au cours de ces dernières années, pour la grande majorité des jeunes dakarois, un passage quasi-obligé pour s'insérer dans la vie professionnelle à Dakar et apparaît de ce fait comme une issue contre le chômage.

Introduction        

Comme la plupart des pays africains, le Sénégal, traverse depuis la fin des années 70, une crise économique et sociale profonde. Pour faire face à cette crise, le gouvernement a adopté dès 1979, un programme de stabilisation, suivi entre 1980 et 1985 d’un plan de redressement économique et financier (PREF). Dans la période de 1985-1992, un plan d’ajustement à moyen et long terme (PAMLT) est venu renforcer le processus d’ajustement pour placer l’économie sénégalaise sur les sentiers de la croissance durable. Ces programmes, se sont efforcés, pour l’essentiel, de réduire la demande globale afin de l’adapter aux conditions de l’offre. Cependant ces efforts n’ont pas été suivis d’une réelle maîtrise de la composante naturelle de la demande globale.

En effet, depuis 1960, la population du Sénégal ne cesse d’augmenter passant de 3,1 en 1960 à environ 9,5 millions d’habitants en 2000, ce qui correspond à un taux de croissance annuel de 2,8 %. Les jeunes représentent plus de la moitié de cette population. Ainsi, en 1988, au moment du dernier Recensement Général de la Population et de l'Habitat (RGPH, 1988), 57 % de la population sénégalaise avait moins de 20 ans. Comme dans la plupart des pays africains, le niveau de la fécondité reste encore très élevé au Sénégal. L’indice synthétique de fécondité (ISF) qui mesure le nombre moyen d'enfants par femme, est dans plusieurs villes du pays supérieur à 5 enfants par femme. Du fait de cette forte fécondité, la croissance du revenu est absorbée par la croissance de la population. Ainsi, sur une longue période (de 1960 à 1997), le PIB par tête, du Sénégal, en volume a diminué de 16 %. De 1980 à 1993, le PNB du Sénégal a augmenté de 2,3 % par an soit nettement moins vite que la croissance démographique.

En tant que capitale du pays, Dakar est le lieu d'exacerbation de cette crise. En effet, l'agglomération dakaroise abrite environ 54 % de la population urbaine et 21 % de la population totale du pays (DPS, 1998). Cette forte concentration de la population va de pair avec un regroupement des activités économiques et administratives du pays. Ainsi, en 1985, l'agglomération dakaroise, contribuait à 67 % de la production industrielle du pays et à 73 % de la valeur ajoutée nationale (Antoine et al. 1995).

Cependant, malgré cette forte concentration des activités économiques et administratives dans la capitale, le niveau des équipements et des emplois n’y suit pas le rythme de la croissance urbaine. En effet, la région de Dakar est caractérisée par une crise sévère de l'emploi. Ainsi, en 1988, 24 % de la population active était en de chômage à Dakar. C'est, surtout, au sein de la tranche des 20-24 ans, que l'on note le plus fort taux de chômage dans la capitale. Dans ce groupe, 35 % des hommes et 44 % des femmes étaient en chômage en 1988 (DPS, 1991). Les chômeurs n'ayant jamais travaillé représentaient 14 % de la main-d'œuvre masculine et 6,5 % de la main-d'œuvre féminine (Antoine et al. 1995).

Ce contexte économique particulièrement morose, ne favorise plus comme par le passé l'insertion des jeunes dans la vie professionnelle, en particulier, dans la capitale. En effet, du fait de la crise que traverse l'économie sénégalaise et ses conséquences sur le marché de l'emploi, il devient de plus en plus difficile pour les jeunes dakarois d'obtenir un emploi stable et se réaliser professionnellement. Leurs chances d'entrée dans la vie active, ayant été fortement réduites par les effets de la crise économique (Antoine & al, 1995 ; 1998 ; Bocquier P., 1996). Une telle situation a d’importantes conséquences dans la vie des jeunes.

En effet, le manque d’opportunité de travail se traduit par le retard du calendrier d’entrée dans la vie adulte et allonge la période de dépendance économique vis-à-vis des aînés. En ce sens l’entrée dans la vie professionnelle semble conditionner en grande partie le départ des jeunes du domicile familiale, la constitution de la famille et l’autonomie résidentielle (Galland, 1990).

Dans ce cadre, pour mieux comprendre le vécu des jeunes à Dakar et rendre compte des difficultés de plus en plus grandes qu’ils rencontrent, actuellement, pour passer d’un statut à un autre, il nous semble nécessaire d’identifier les mécanismes par lesquels ils parviennent à s’insérer dans la vie active et à se réaliser professionnelle. Pour ce faire, l'entrée dans la vie active sera, principalement, envisagée sous l'angle de l'accès à premier emploi rémunéré et définie comme le moment de la vie où l’individu obtient pour la première fois un emploi rémunéré. Ainsi, dans nos analyses nous essayerons de voir comment les jeunes à Dakar parviennent à accéder à ce type d'emploi. L’accès à un premier emploi rémunéré a t-il été plus difficile au cours de ces dernières années ? Quels sont les facteurs qui déterminent cette transition ? Quelles sont les stratégies mises en œuvre par les jeunes dakarois pour  trouver  des emplois stables et se réaliser professionnellement ?

Données et méthodologie d’analyse

Source des données : "Enquête jeunesse et devenir de la famille à Dakar"

Cette recherche est basée, exclusivement, sur l’exploitation des données de "l'Enquête jeunesse et devenir de la famille à Dakar". Cette enquête avait été réalisée entre mars et août 2001, par l’IRD [Institut de Recherche pour le Développement] et l’IFAN [Institut Fondamental d’Afrique Noire], grâce à un financement du CODESRIA et de l’IRD. Elle avait pour but d’étudier les conséquences de la crise économique sur les comportements démographiques des populations dakaroises, en particulier, sur les recompositions familiales, sur l’entrée des jeunes dans la vie adultes et sur les stratégies familiales d’éducation. Au total 546 ménages dakarois avaient été tirés et enquêtés, ce qui correspond à un effectif de 1290 individus représentatifs de l’ensemble de la population dakaroise.

L’enquête ménage effectuée préalablement avait servi de base au tirage d’un sous échantillon pour l’enquête biographique après stratification par âge, sexe et cohorte de naissance. Les cohortes de naissance retenues dans cette base de données ont connu des contextes économiques, sociaux et politiques fort variées. Elles sont, donc, arrivées sur le marché de l’emploi à des périodes différentes. De ce fait, l’effet de génération représente, donc, la trace spécifique qu’a laissé l’histoire et qui peut avoir des conséquences sur les difficultés éventuelles que peuvent rencontrer les jeunes générations pour accéder sur le marché de l'emploi

Les méthodes d’analyse des données

Les données qui sont présentées dans cette recherche proviennent, exclusivement, de l’enquête biographique réalisée dans la seconde phase de "l'Enquête jeunesse et devenir de la famille à Dakar". Ces données permettent de faire des analyses couvrant l’ensemble de la vie scolaire et active de l’individu de ses six ans jusqu’à la date de l’enquête (en 2001). Grâce à ces données, on peut, ainsi, connaître à chaque instant du temps, les différentes caractéristiques d’un individu, comme par exemple son niveau d'instruction, sa situation par rapport à l’emploi, son état matrimonial, son statut résidentiel etc.

Pour rendre compte du passage d’un état à un autre, différentes analyses sont, ensuite, possibles. Certaines de ces analyses sont purement descriptives. Elles permettent de mieux appréhender les changements intervenus au cours du temps. Les autres sont plus approfondies. Elles permettent de prendre en considération les divers états traversés par l’individu et de prendre en compte la dimension du temps dans l’analyse causale (Bocquier, 1996). Pour effectuer ces analyses nous avons eu recours à deux outils essentiels de l’analyse des biographies : l’estimateur de Kaplan-Meier et la méthode de la régression sémi-paramétrique à risques proportionnels dite de Cox (1972). Le premier a servi pour effectuer les analyses descriptives et le second pour bien cerner les éléments qui déterminent l’accès à un premier emploi rémunéré à Dakar (Courgeau D et Lelièvre E. 1989).

La population cible et le risque étudié

Cette recherche vise à mieux appréhender le processus d'entrée des jeunes dans la vie active à Dakar. Elle se propose d'identifier les mécanismes d'accès au travail et les différentes mutations qui s'opèrent sur le marché dakarois de l'emploi. Pour ce faire, l'entrée dans la vie professionnelle sera surtout envisagée sous l'angle de l'accès à un premier emploi rémunéré et définie comme étant "un processus au cours duquel l’individu passe d’une situation d’étude, d’inactivité ou de chômage à celle où il est actif occupé et qu’il reçoit une rémunération sous forme de salaire".

Pour rendre compte de cette transition, nos analyses ont porté uniquement sur les hommes et femmes ayant été socialisé à Dakar et appartenant aux trois groupe de générations que sont: les groupes d’individus nés entre 1942-56, 1957-66 et 1967-76. Les individus issus de la génération 1942-56 avaient entre 45-59 ans, au moment de l’enquête, ceux de la génération 1957-76 avaient entre 35-44 ans, et ceux de la génération 1967-76 avaient entre 25-34 ans. Autrement dit, l’entrée dans la vie active des individus appartenant à ces trois groupes de génération s'est donc inscrite dans des contextes politiques, économiques et sociaux radicalement distincts et on ne sera pas surpris que les modalités de leur insertion sur le marché dakarois de l’emploi soient différentes d’une génération à l'autre. La comparaison d'une génération à l'autre nous permet de faire un retour sur le passé et de nous rendre compte de l'état du marché de l'emploi dans le passé.

L’accès au premier emploi rémunéré

La question liée à l'accès à l'emploi constitue, actuellement, une des questions les plus préoccupantes auxquelles sont confrontés les pouvoirs publics au Sénégal. En effet, au cours de ces vingt dernières années cette question est apparue, dans ce pays, comme étant une nouvelle donne dans la problématique générale de l’emploi et du traitement du chômage. Durant les deux premières décennies de l’indépendance du Sénégal, il n’était pas fait cas de la situation particulièrement difficile des jeunes sur le marché de l'emploi. Et pour cause, durant cette période, dite, "des vingt glorieuses", l'Etat avait mis en place une politique de développement économique et social consistant à "offrir du travail à presque l'ensemble des jeunes sénégalais, en particulier, aux diplômés de l’enseignement supérieur et professionnel" (Fall, 1997). Par cette politique, l'objectif de l'Etat était de recruter un nombre important de nationaux capables d’occuper, progressivement, "les postes laissés vacants par le départ du colonisateur pour asseoir une politique de développement économique et social rapide" (Sarr, 1990). Dans ce cadre, l'arrivée, des cohortes de demandeurs d'emploi sur le marché du travail passait, alors, presque inaperçue. Leur absorption par la fonction publique ou les grandes entreprises du secteur public ou parapublic était quasi-automatique et instantanée.

Si pendant longtemps ce modèle d'insertion professionnelle a prévalu, au Sénégal, en permettant une très grande fluidité du marché du travail, il n'en demeure pas moins, qu'aujourd'hui, sous l'effet de la situation économique, particulièrement difficile, que traverse le pays, il se fissure et laisse, place à un nouveau modèle dont la principale caractéristique est l'accès de plus en plus difficile et de plus en plus incertaine des jeunes dans la vie active. Autrement dit, du fait de la crise et ses conséquences sur le marché de l'emploi, les jeunes sont devenus, actuellement, au Sénégal, la catégorie de la population la plus touchée par le chômage et la précarité de l'emploi.

Ainsi, si les jeunes garçons qui sortent précocement du système scolaire se lancent presque aussitôt dans le monde du travail par l’apprentissage d’un métier dans le secteur informel, les filles, quand à elles, restent de plus en plus longtemps dans la sphère familiale et domestique où elles s’occupent des tâches ménagères en attendant un éventuel mariage. Pour les jeunes ayant terminé leurs études, entre la fin de celles-ci et l'entrée dans la vie professionnelle, s’ouvre, de plus en plus, une très longue période de recherche d’emploi, de chômage ou de stage. Dans ce cadre, pour rendre compte de l'ensemble de ces évolutions deux indicateurs ont été calculés: il s'agit de l'âge d'obtention du premier emploi rémunéré et le temps d'attente à la fin des études. Ces deux indicateurs permettent de mettre en évidence les éventuelles difficultés que rencontrent les jeunes dakarois pour s'insérer dans la vie active.

L'âge au premier emploi rémunéré

L'évolution de l'âge d'accès à un premier emploi rémunéré permet de mieux appréhender les difficultés de plus en plus grandes que rencontrent les jeunes pour entrer dans la vie professionnelle. Les courbes de Kaplan-Meier représentent la proportion des individus "n'ayant pas encore obtenu un premier emploi rémunéré" à chaque âge selon la cohorte de naissance. Dans ce cadre, en comparant le sort des hommes et des femmes appartenant au trois groupes de générations qui ont été retenus dans nos analyses, il semble que, si pour les hommes, le profil de l'âge d'accès au premier emploi rémunéré a très peu évolué au cours de ces dernières années, pour les femmes, par contre, on note, une légère évolution des délais d’accès au premier emploi, allant surtout, dans le sens de la prolongation (Figure 1).

En effet, l'analyse des données concernant l'âge d'accès au premier emploi rémunéré montre que chez les hommes, par rapport à leurs aînés, les jeunes obtiennent un premier emploi rémunéré quasiment au même âge. L'âge médian d'accès à un premier rémunéré ayant très peu évolué chez les hommes. En effet, dans ce groupe, l'âge médian d'obtention du premier emploi rémunéré est passé de 22 ans pour les individus appartenant à la génération la plus ancienne (G1942-56) à 21 ans pour les individus appartenant aux deux jeunes générations (G1957-66 et 1967-76). Soit seulement un retard d'un an entre la génération la plus ancienne et celles qui viennent après elle. Les tests statistiques effectués par la suite révèlent que, dans l'ensemble, les différences sont très peu significatives entre les trois générations, les calendriers d'obtention du premier emploi rémunéré étant quasiment les mêmes dans les trois groupes d'âge.

Si pour les hommes, le profil de l'âge d'accès au premier emploi a très peu évolué durant ces dernières années, ce n'est pas le cas des femmes. En effet, dans ce groupe, il semble que, par rapport à leurs aînées, les jeunes filles se démarquent progressivement par une entrée plus tardive et plus incertaine dans le monde du travail. Concrètement cette situation se traduit, par le recul d'une génération à l'autre de l'âge médian d'accès à un premier emploi rémunéré dans le groupe des femmes. Cet indicateur est passé de 21 ans chez les femmes appartenant à la génération la plus ancienne (1942-56), à 25 ans pour les femmes issues de la génération la plus jeune (1967-76). Soit un recul de quatre ans, entre les deux groupes d'âges. Est-ce l’effet de la prolongation des études ?

Le temps d'attente à la sortie du système scolaire

Tout comme l'âge d'accès à un premier emploi rémunéré, le temps d'attente à la sortie du système scolaire est également un bon indicateur pour mieux appréhender les difficultés auxquelles sont confrontés les jeunes en quête d'un emploi rémunéré. Cet indicateur permet de mesurer la durée qui sépare la fin des études et le début du premier emploi rémunéré pour les individus ayant été l'école. Rappelons que ces individus sont, par rapport à ceux qui n'ont jamais fréquenté le système scolaire, supposés avoir plus d'atouts pour s'insérer dans la vie professionnelle et s’y maintenir.

Les tableaux ci-dessous donnent le profil scolaire individus concernés par notre étude. Il s’agit des personnes socialisées à Dakar avant l’âge de 15 ans et appartenant aux trois groupes de générations suivant : génération 1942-56, génération 1957-66 et génération 1967-76.

La comparaison d’une génération indique une nette amélioration du système scolaire sénégalais. Cette amélioration se traduit par l’augmentation, d’une génération à l’autre, de la proportion des personnes scolarisées, en particulier chez les femmes (Tableau 1).

En effet, si pour les hommes, la proportion des scolarisés a très peu évolué au cours de ces dernières années passant seulement de 85 % pour les individus issus de la génération la plus ancienne (génération 1942-56) à 88% pour les individus appartenant à la jeune génération (génération 1967-76), pour les femmes, par contre, les changements sont de plus grandes ampleurs. La proportion de femmes scolarisées est, ainsi, passée de 42 % dans la génération la plus âgée (génération 1942-56) à 71,6 % dans la génération la plus jeune (génération 1967-76). Soit une croissance de 29,6 % entre ces deux groupes d’âges.

En termes relatifs, ces chiffres ne donnent pas la véritable mesure des progrès accomplis par le gouvernement sénégalais dans le domaine de la scolarisation. Pour cela, il convient de tenir compte de la croissance démographique élevée du pays (3 % par an) pour mieux apprécier l’accroissement de la demande scolaire.

En ce qui concerne la durée des études, tous cycles confondus, alors qu’elle varie très peu chez les hommes (tableau 2) chez les femmes par contre, il semble que la jeune génération (génération 1967-76) se démarque progressivement des deux plus anciennes (générations 1942-56 et 1957-66) par une durée des études plus longue. En effet, par rapport à leurs aînées, les femmes issues de la jeune génération restent plus longtemps dans le système scolaire. Pour ces femmes la durée moyenne des études atteint pratiquement 9 ans (8,7 ans) alors qu’elle est seulement de 8 ans pour les femmes issues de la génération intermédiaire (génération 1957-66) et de 6 pour celles qui sont issues de la génération la plus ancienne (1942-56) (tableau 2).

En somme, au regard de ce qui précède il semble que la scolarisation s’est nettement améliorée à Dakar bien que le profil scolaire soit nettement différent selon qu’il s’agisse des hommes ou des femmes. Dans ce cadre, les changements qui ont eu lieu au cours de ces dernières années concernant la scolarisation ont davantage touché les femmes que les hommes. Dans les analyses il s’agira surtout de voir si les jeunes ayant fréquenté le système scolaire s’insèrent plus vite ou plus tardivement dans la vie professionnelle ?

Pour répondre à cette question, nous ne faisons aucune distinction entre les niveaux d'instruction atteints par les individus avant que le phénomène étudié ne se réalise. Dans ce cadre, l'examen de l'évolution des délais d'attente avant l'obtention d'un premier emploi rémunéré montre que, par rapport à leurs aînés, les jeunes accèdent beaucoup plus tardivement à un premier emploi rémunéré après la fin de leurs études. Cette situation se traduit par l'augmentation, d'une génération à l'autre, de la durée séparant la fin des études et l'obtention du premier emploi rémunéré. Cette durée est plus longue dans les jeunes générations que dans les générations précédentes. Chez les hommes, cette durée est passée de 4 ans, seulement, pour la génération la plus ancienne (1942-56) à 10 ans pour la génération la plus jeune (1967-76). Soit une augmentation de six ans entre les deux groupes d'âges.

C'est surtout dans le groupe des femmes que la différence est encore plus marquée. En effet, dans ce groupe, par rapport aux individus appartenant aux générations les plus anciennes, les jeunes filles, sont celles qui obtiennent plus tardivement un premier emploi au terme de leurs études. Dans la jeune génération, seulement, 81 % des individus avaient pu obtenir du travail à l'issu de leurs études. Dans la génération la plus ancienne cette proportion était de loin plus importante. Elle était estimée à 91 % des femmes ayant fréquenté le système scolaire (Figure 2).

L'augmentation de la durée séparant la fin des études et l'obtention d'un premier emploi rémunéré, observée principalement dans les jeunes générations, montre que dans le contexte actuel d'aggravation de la crise, l'école ne garantit plus, comme par le passé, l'obtention d'un emploi rémunéré. Autrement dit, il existe une déconnexion entre le système de formation en vigueur dans le pays et le marché de l'emploi. Celui-ci ne parvient plus, comme par le passé, à absorber, le nombre de plus en plus croissant de jeunes qui sortent chaque année des écoles de formation ou de l'université.

Dans ce cadre, si pour les individus issus des générations les plus anciennes l'intégration dans la vie active était plus facile après la fin de la scolarité, aujourd'hui, étant donné, la conjoncture économique particulièrement difficile que traverse le pays, on assiste de plus en plus à l'allongement de cette durée. Une telle situation a pour conséquence la prolongation du temps de chômage entre la sortie du système scolaire et l'accès à un premier emploi rémunéré. Cette période de transition professionnelle deviendrait, ainsi, plus longue que par le passé. Elle se caractérise par la pluralité des situations au niveau des jeunes. En effet, du fait de la précarité de l’insertion professionnelle, il semble que dans l’attente d’un emploi, les jeunes connaissent une situation transitoire au cours de laquelle ils cherchent à se positionner sur le marché du travail. Dans ce cadre, si certains jeunes essaient à travers l'activation des réseaux sociaux (famille, voisinage etc.) d'obtenir soit un stage dans le secteur moderne, d’autres par contre s’en détourne pour mettre en place de petites activités génératrices de revenus dans le secteur informel. Le développement considérable de certaines activités essentiellement tenues par des jeunes (décodage de téléphone portable, gestion de télé centre et de cybercafé, location de chaîne à musique etc.) illustre cette situation. Ces petites activités constituent, le plus souvent, pour les jeunes, des occupations provisoires, en attendant un éventuel emploi plus stable.

La nature du premier emploi : vers plus de précarité professionnelle

La faible capacité d'absorption des jeunes par le secteur moderne de l'économie est devenue, au cours de ces dernières années, une caractéristique fondamentale de l'évolution des emplois à Dakar. En effet, étant donné l'arrêt des recrutements au niveau de l'administration, le non remplacement des fonctionnaires décédés ou à la retraite et le gel partiel des emplois dans le secteur privé durant les années 80, les opportunités d'emploi dans le secteur moderne deviennent de plus en plus rares.

Dans ce contexte, pour s'insérer dans la vie professionnelle, les jeunes n'ont plus d'autres alternatives que de se rabattre sur les emplois les moins "qualifiés"[**] que sont les "emplois subalternes"[††] ou ceux du secteur informel. L'exercice de ces emplois, est devenu pour un nombre deplus en plus croissant de jeunes dakarois, un passage quasi-obligé pour s'inscrire durablement dans la vie active et apparaît, de ce fait, comme une issue au chômage.

En effet, du fait de la baisse continue de l'offre d'emploi dans le secteur moderne de l'économie, tout se passe, actuellement, comme si à défaut de trouver "mieux" c'est à dire un emploi correspondant à leur profil et à leur niveau de formation, les jeunes dakarois n'ont plus d'autres alternatives que de choisir le premier emploi qui se présente à eux quelque que soit, par ailleurs, la qualité et la nature de cet emploi. L'essentiel, pour ces jeunes, étant surtout de "travailler", à tout prix pour pouvoir, ensuite, être autonome financièrement et sortir de la situation de dépendance dans laquelle ils se trouvent placer du fait de l'incertitude de l'insertion professionnelle. Dans ce cadre, l'examen du panorama des emplois occupés par les jeunes en début de vie active, illustre bien cette situation (Figure 3)

En effet, chez les hommes l'âge de 25 ans, seulement 7 % des individus appartenant à la jeune génération (G1967-76) avaient pu obtenir un emploi "qualifié" alors que dans les générations précédentes cette proportion était nettement plus importante. Elle était de 9 % dans la génération intermédiaire (1957-66) et de 20,32 % dans la génération la plus ancienne (G1942-56). C'est dans le groupe des femmes que la différence est encore plus marquée. En effet, dans ce groupe, la proportion individus ayant pu obtenir un emploi "qualifié" était estimée à seulement 2 % des femmes appartenant à la génération la plus jeune. Dans la génération la plus ancienne cette proportion était de loin plus importante. Elle était estimée à 10% de l'effectif de ces femmes. Parallèlement, à cette situation, on note une forte augmentation des individus ayant obtenu un premier emploi subalterne en particulier chez les hommes. En effet, dans ce groupe, la proportion des individus ayant obtenu ce type d'emploi passe, à l'âge de 25 ans, de 37 % pour les individus appartenant à la génération la plus ancienne (G1942-56) à 43 % pour ceux de la jeune génération (1967-76). Chez les femmes, la proportion de celles qui ont obtenu un emploi subalterne à l'âge de 25 ans, était de 9,5 % dans la génération la plus ancienne. Dans les générations suivantes, cette proportion va passer respectivement de 13 % pour la génération intermédiaire à ensuite 17 % pour la génération la plus jeune.

S'agissant du secteur informel, ce secteur apparaît, actuellement, comme une des filières les plus utilisés par les jeunes pour s'insérer dans la vie professionnelle (Niang, 1997). Cela se traduit, parune nette augmentation de la proportion des jeunes ayant obtenu un emploi dans ce secteur, en particulier, chez les hommes. En effet, dans ce groupe, la proportion des individus ayant obtenu un emploi dans le secteur informel est passée à l'âge de 25 ans de 20 % pour les hommes issus de la génération la plus ancienne à 25 % pour les hommes appartenant à la génération la plus jeune.

Si chez les hommes, on assiste à l'augmentation de la proportion des actifs ayant obtenu un premier emploi dans le secteur informel, chez les femmes, par contre, la tendance est plutôt à la baisse. En effet, les jeunes trouvent de moins en moins des opportunités d'emplois dans le secteur informel. Ainsi, parmi celles qui rentrent dans la vie active pour la première fois, il y a en très peu qui obtiennent un premier emploi rémunéré dans l'informel. Cela se traduit par une baisse progressive de la proportion des femmes ayant obtenu un premier emploi rémunéré dans le secteur informel. Cette proportion est ainsi passée de 44 % pour les femmes appartenant à la génération la plus ancienne (G1942-56) à 24 % pour celles qui sont issues de la génération la plus jeune (G1967-76).

Les facteurs associés à l’obtention du premier emploi rémunéré

Les analyses exploratoires présentées précédemment sont insuffisantes pour introduire les variables explicatives concernant l'accès à un premier emploi rémunéré et comparer dans une même analyse les parcours professionnels des hommes et des femmes appartenant aux trois groupes de générations retenus. Pour ce faire, nous avons fait appel aux régressions à risques proportionnels selon le modèle de Cox. Ces régressions permettent de mesurer les déterminants du délai d’attente avant l’obtention éventuelle d’un premier emploi rémunéré. (Tableau 3). Les résultats de ces régressions montrent que les facteurs associés à la transition étudiée, sont nettement différents beaucoup selon qu’il s’agisse des hommes ou des femmes.

A) L'effet de la génération de naissance est plus marqué chez les  femmes que chez les hommes.

Les résultats des régressions concernant les cohortes de naissance confirment ceux tirés des courbes de séjour présentées plus haut. En effet, si pour les hommes il n'existe aucune différence significative entre les trois groupes de générations, pour les femmes par contre, il semble que, par rapport à la génération la plus ancienne (1942-56: groupe de référence dans le modèle), la génération 1957-66 entre le plus tardivement dans la vie professionnelle. Ainsi, les femmes appartenant à la génération intermédiaire auraient 1,5 fois moins de chances d'obtenir un premier emploi rémunéré. 

B) L'école : un passage obligé pour s'inscrire dans la vie   professionnelle pour les hommes

Pour rendre compte de l'influence de l'école dans le processus étudié, nous avons tenu compte du niveau d'instruction atteint par l'individu à la fin de la période de ces études. Introduite dans le modèle, cette variable permet de mesurer l’effet de la scolarisation dans le processus d'acquisition d'un premier emploi rémunéré à Dakar. Pour ce faire, les enquêtés ont été regroupés selon qu’ils n’avaient suivi aucune scolarité (non scolarisé), qu’ils avaient le niveau de l’enseignement primaire, du collège (secondaire 1) et du lycée (secondaire 2).

Etant donné que les individus ayant atteint le niveau du supérieur sont très peu nombreux dans l'échantillon, ils ont été regroupés dans le dernier groupe. Les individus n'ayant jamais fréquentél'école constituent le groupe de référence. Dans les analyses qui suivent on s'attend à ce que le niveau d'étude influence donc positivement le modèle, en accélérant la vitesse de la transition. Qu'en est-il exactement ?

En ce qui concerne l'effet de la scolarisation sur la probabilité d'accéder à un premier emploi rémunéré, l'analyse des résultats des régressions confirme en partie nos attentes, en particulier chez les hommes. En effet, dans ce groupe, par rapport à ceux qui n'ont jamais fréquenté le système scolaire (groupe de référence), les individus ayant fait des études ont plus de chances d'obtenir un emploi rémunéré même si seul le coefficient relatif aux hommes ayant atteint le primaire est vraiment significatif. Les individus ayant atteint le niveau du primaire ont, ainsi, par rapport aux non scolarisés, 1,67 fois plus de chances d'obtenir un premier emploi rémunéré alors que pour ceux qui atteignent le niveau du secondaire 1 et du secondaire 2 les chances d'obtenir ce type d'emploi sont multipliées respectivement par 1,47 et 1,67, par rapport aux groupes de référence.

C) Les Hal Pulaar et Sereer trouvent plus rapidement un emploi

L'ethnie est considérée, dans cette recherche, comme étant « un ensemble d’individus que rapprochent un certain nombre de caractères de civilisation notamment la langue et la culture » [Robert, cité par Vallin, 1985]. Introduite dans nos analyses, cette variable témoigne de l'accès à certains réseaux culturels, sociaux et professionnels qui pourraient jouer un rôle, particulièrement, important dans l'attribution des emplois. Dans ce cadre, pour rendre compte de l’effet de l’appartenance ethnique sur le risque d'obtenir un premier emploi rémunéré, nous avons tenu compte du fait que les individus proviennent des groupes suivants: Wolof, Hal Pulaar, Sereer, Diola, autres. Le groupe de référence étant constitué par l’ethnie Wolof.

L'analyse des régressions concernant l'appartenance ethnique montre, dans ce cadre, que chez les hommes, hormis les Hal Pulaar et les Sereer, la probabilité d’obtenir un premier emploi rémunéré semble être la même dans tous les groupes ethniques. L’accès plus rapide des Hal Pulaar (1,42 fois plus vite) et des Sereer (1,67 fois plus vite) sur le marché de l'emploi provient, du fait que les individus appartenant à ces groupes font souvent appel à la solidarité communautaire pour accéder à certains emplois. En effet, dans ces groupes les premiers à avoir réussi à obtenir un premier emploi se doivent d'aider les plus jeunes à en trouver. De ce fait, l’activation des réseaux est supposée, dans ces communautés, être une stratégie « payante » pour l’accès à l’emploi en particulier pour le cas des hommes. On retrouve, d'ailleurs, ce même schéma chez les femmes, en particulier, chez celles qui sont issues de l'ethnie Sereer. En effet, par rapport aux Wolof, ces femmes entrent plus vite dans la vie professionnelle (1,55 fois plus vite).

D) Le mariage diminue les chances de trouver un emploi dans le groupe des femmes

Pour rendre compte de l'influence de l'état matrimonial sur le processus étudié, nous avons pris en compte certaines variables représentant les périodes de vie matrimoniale de l’enquêté. Ces périodes étant représentées par les périodes de célibat, de mariage ou de séparation[‡‡]. La période de référence étant constituée des périodes de célibat. Dans le groupe des femmes, certaines de ces périodes sont supposées influencer positivement le modèle (séparation), en accélérant la vitesse de la transition tandis que les autres (mariages) diminuent les chances d’obtenir un premier emploi. Pour les hommes, on s'attend à ce que l'entrée en union accélère leur accès au premier emploi par rapport au statut de célibataire. Dans ce cadre, les résultats des régressions concernant le statut matrimonial confirment les hypothèses formulées antérieurement.

En effet, l'examen de ces résultats montre que si pour les hommes l'entrée en union a un effet positif sur le modèle, en accélérant la vitesse de la transition, pour les femmes par contre, il semble que le fait de se marier diminue les chances d'obtenir un premier emploi. En effet, chez les hommes, par rapport aux célibataires, les mariés accèdent vite sur le marché de l'emploi. Leur chance d'obtenir un premieremploi étant multipliée par trois (2,72 fois plus vite) par rapport aux périodes de célibat. Les chances plus grandes d'entrer dans la vie active observées chez les hommes proviennent du fait qu'ils sont appelés à prendre entièrement en charge les besoins de leur ménage. De ce fait, ils s'investissent plus que les célibataires dans la recherche d'un emploi rémunéré.

Si dans le groupe des hommes, le mariage joue un rôle particulièrement important dans l'accélération du processus, chez les femmes, par contre, ce phénomène a plutôt tendance à freiner la vitesse de cette transition. En effet, pour les femmes, l’entrée en union réduit par presque 4 les chances d’accéder à un premier emploi rémunéré. Les femmes qui ne travaillaient pas avant le mariage ont encore moins de chance de trouver rapidement un travail après. L’accès plus rapide (2,26 fois plus vite) après une séparation sur le marché de l’emploi traduit le fait que certaines femmes doivent faire face toutes seules à certaines charges inhérentes à l’entretien de leurs ménages. De ce fait, elles sont obligées de s’investir plus que les autres dans la recherche d’un emploi rémunéré. Ce qui n’est pas le cas des femmes mariées ou célibataires qui sont prises en charge soit par leurs parents, soit par leurs maris.

E) L'effet de la naissance d'enfant

Avec la naissance d'enfant, on s'attend à ce que le fait d'être père ou mère contribue à accélérer l'accès au premier emploi à Dakar. Ainsi, nous testerons la différence d'effet qu'exercerait, par rapport au fait de ne pas avoir d'enfant, le fait d'en avoir un ou plusieurs. Comme on pouvait s’y attendre, alors que dans le modèle féminin d'entrée dans la vie professionnelle, le fait d'avoir des enfants influence négativement le modèle, en diminuant la vitesse de la transition. Dans le modèle masculin par contre, on ne voit pas un effet sensible du nombre d’enfants sur le risque de trouver un emploi rémunéré.

F) Les individus ayant un logement autonome trouvent plus rapidement un emploi que celles qui sont hébergées chez leurs parents

Dans le processus d'acquisition d'un emploi rémunéré, l'obtention d'un logement autonome peut influencer positivement le modèle en accélérant la vitesse de cette transition en particulier pour les hommes. Ainsi, les hommes disposant d'un logement autonome sont supposés s'investir plus que les autres dans la recherche d’un emploi rémunéré dans la mesure où ils ont plus de charges que ceux qui ont le statut d'hébergé. Cette hypothèse est confirmée par les résultats du modèle. En effet, comme, on pouvait s'y attendre, par rapport individus vivant encore chez leurs parents, ceux qui une résidence autonome accèdent deux fois plus vite à un emploi rémunéré. Dans le groupe des femmes, se sont surtout celles qui résident chez leur belle-famille qui se démarquent des autres groupes par leur entrée plus tardive dans la vie professionnelle. En effet, par rapport aux femmes hébergé chez leurs parents, celles qui vivent dans leur belle-famille ont moins de chances (0,42 fois moins vite) de trouver un premier emploi rémunéré. Les chances plus faibles de ces femmes d'accéder aux emplois proviennent sans doute du fait que tant qu'elles sont chez leur belle-famille les femmes sénégalaises sont soumises à de nombreuses pressions de la part de la famille du mari. Pour ces femmes, il serait mal vu qu'elles cherchent du travail dans la mesure où elles doivent s'occuper aussi bien de leur mari que de la famille de celui-ci. De ce fait, elles ont, par rapport aux célibataires moins de temps de s'investir dans une recherche d'emploi. 

G) Lien entre type d’activité et accès à un emploi rémunéré

Le lien entre le type d’activité et la probabilité d’accéder à un premier emploi rémunéré est mesuré par des variables dépendantes du temps représentant les différentes périodes d’activité vécues par l’enquêté avant la réalisation du risque étudié. Il s’agit des périodes : d’apprentissage, de chômage, d’études ou d’inactivité. La période de référence étant constituée des périodes d’inactivité. Les liens hypothétiques entre les activités courantes et l'accès à un premier emploi rémunéré s'établissent comme suit :

Etudiants : par rapport aux inactifs, les étudiants sont supposés avoir des chances de transition les plus élevées. En effet, étant donné que le passage à l'école est le plus souvent un pré requis pouraccéder à certains postes, en particulier ceux du secteur moderne, on peut de ce fait supposer que les étudiants ont plus de chances que les inactifs pour trouver un emploi.

Les chômeurs : tout comme les étudiants, les chômeurs sont également supposés, par rapport au inactifs, avoir plus de chances de trouver un premier emploi rémunéré. En effet, ces individus disposent de plus de temps libre pour entreprendre une recherche d'emploi, ce qui augmente leurs chances de succès (Fields, 1990).

Apprentissage : l'apprentissage est un moyen très répandu, au Sénégal, pour acquérir les compétences nécessaires à l'obtention d'un emploi, en particulier, dans le secteur informel. Ceux qui choissent cette filière d'insertion professionnelle éprouvent moins de difficultés pour accéder sur le marché de l'emploi dans la mesure où, à l'issue de leur formation, ils peuvent travailler pour leur propre compte, en s'auto employant ou pour le compte d'une autre personne ou d'une entreprise.

Les résultats des analyses confirment nos hypothèses. En effet, selon ces résultats, il semble qu'aussi bien chez les hommes que chez les femmes, les chances de trouver un premier emploi rémunéré sont fortement liées aux différentes périodes d'activité vécues antérieurement par l'enquêté avant son entrée dans la vie professionnelle. Ainsi, pour le cas des hommes, par rapport au inactifs (groupe de référence dans le modèle), les individus en situation de chômage, étudiants et apprentis accèdent plus vite dans la vie active bien que le seul coefficient significatif soit seulement celui des apprentis. Les chances d'obtenir un emploi sont, ainsi, multipliées par 1,42 pour les apprentis, 1,33 pour les étudiants et 1,31 pour les chômeurs. Pour les femmes, on retrouve un schéma identique à celui des hommes. En effet, tout comme pour les hommes, chez les femmes aussi il semble que ce sont surtout, les individus se trouvant en situation de chômage (2,28 fois plus vite), les étudiantes (2,22 fois plus vite) et les apprentis (1,90 fois plus vite) qui accèdent plus vite dans la vie professionnelle. L'accès plus précoce de ces femmes sur le marché du travail est lié à leur situation par rapport à l'emploi. En effet, par rapport aux femmes inactives, les individus appartenant à ces groupes sont plus disposés à obtenir un premier emploi.

Durée du premier emploi

La faible durée du premier emploi constitue un indicateur de l'instabilité professionnelle qui caractérise, actuellement, les jeunes générations. Elle traduit une volonté de mobilité de la part des jeunes afin de multiplier les expériences professionnelles et d'être plus compétitifs sur le marché de l'emploi. En effet, on peut conseiller aux jeunes qui veulent avancer dans leur vie professionnelle de ne pas rester trop longtemps à un même emploi ou dans une même entreprise pour faire montre de dynamisme et multiplier les expériences. Dans ce cadre, en comparant les itinéraires professionnels des individus appartenant aux trois groupes de générations retenus, on remarque que contrairement à leurs aînés les jeunes se caractérisent par une sortie plus précoce du premier emploi (figure 3).

En effet, la durée du premier emploi est nettement plus faible dans les jeunes générations que dans les générations les plus anciennes. Chez les hommes, la durée médiane du premier emploi rémunéré est passée de 12 ans pour les individus nés entre 1942-56 à 8 ans pour les individus nés entre 1967-76. Soit une baisse de quatre ans entre les deux groupes d'âge. C'est surtout dans le groupe des femmes que la différence est encore plus marquée. En effet, dans ce groupe, la durée médiane du premier emploi était seulement de 8 ans pour les individus appartenant à génération la plus jeune (1967-76), alors que dans les deux générations précédentes cette durée était de loin plus importante. Elle était de 13,5 ans pour les individus issus de la génération intermédiaire (G1957-66) et 30 ans pour ceux qui proviennent de la génération la plus ancienne (G1942-56). En fait, la faible durée du premier emploi, constatée au niveau des jeunes générations, apparaît surtout comme étant l'expression du caractère provisoire du premier emploi. Autrement dit, pour les jeunes, le premier emploi n'est plus "définitif" comme par le passé mais plutôt comme étant une étape transitoire avant la stabilisation dans la vie professionnelle. En effet, pour la grande majorité de la population juvénile l'essentiel n'est plus comme par le passé de faire "carrière" lors de leur première insertion, mais plutôt àmultiplier les expériences professionnelles en attendant de trouver "mieux" c'est-à-dire un emploi mieux rémunéré et de meilleur qualité. Dans ce cadre, la stabilisation dans l'emploi, apparaît comme étant l'aboutissement d'un long parcours caractérisé par la diversité des situations professionnelles et des stratégies mises en place par les jeunes en vue de leur insertion sur le marché du travail.

(Figure 4)

Conclusion

Au Sénégal, la capacité de l'Etat à mener à bien une politique garantissant de meilleures conditions d'accès à la vie professionnelle est de toute évidence mise à rude épreuve par une conjoncture économique largement défavorable. En choisissant de rendre compte du processus d'insertion professionnelle des jeunes à Dakar, nous voulons, surtout, vérifier l'hypothèse selon laquelle l'accès à l'emploi constitue, actuellement, la base matérielle des différentes stratégies mises en place par les jeunes en vue de leur insertion économique et sociale (mariage, naissance d'enfants, accès à un logement autonome) et permet par ailleurs d'assurer les conditions de la reproduction familiale.

Nous avons tout particulièrement insisté sur l'évolution d'une génération à l'autre des conditions d'entrée dans la vie active à Dakar, en montrant que les jeunes éprouvent de plus en plus de difficultés pour entrer dans la vie active et s'y maintenir durablement. Leurs chances de trouver un emploi rémunéré ayant été fortement réduites par la baisse de l'offre d'emplois dans le secteur moderne. Dans cecadre, pour s'insérer dans la vie professionnelle, les jeunes se trouvent de plus en plus contraints d’accepter le premier emploi qui se présente à eux. Les emplois disponibles sur le marché étant constitué, essentiellement, par des emplois dégradés, ils n'ont plus d'autres alternatives que de se rabattre sur ces emplois en attendant de trouver "mieux" bien que leur niveau de formation ne cesse de s'améliorer. Autrement dit, il apparaît que du fait de la crise les jeunes dakarois se trouvent de plus en plus obligés de s'adapter aux nouvelles réalités du marché de l'emploi en devenant "moins regardant" quand à la qualité des emplois qu'ils exercent lors de leur première insertion. Cette adaptation passe par l'occupation d'emplois plus précaires et une plus grande mobilité professionnelle. L'occupation de ces emplois, principalement exercés par les jeunes, est devenue au cours de ces dernières années, pour la grande majorité des jeunes dakarois, un passage quasi-obligé pour s'insérer dans la vie professionnelle à Dakar et apparaît de ce fait comme une issue contre le chômage.

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[**] Dans cette étude, nous avons rassemblé sous ce terme les emplois dont l'exercice nécessite des compétences techniques ou administratives avérées. Il s'agit en particulier des professions libérales (avocat, notaires, médecin dans le privée, consultant etc..). Les professions intellectuelles et politiques (professeurs d'université, politicien etc.), des cadres supérieurs (ingénieurs, directeurs de sociétés etc.) et des cadres moyens (journalistes, techniciens supérieurs, instituteurs, comptables etc.).

[††] On rassemble sous ce vocable un groupe assez hétérogène comprenant les employés de bureau, de commerce, les pompistes, le personnel de maison (bonnes, boys, gardiens), les ouvriers qualifiés, les manœuvres etc. Les personnes occupant ces emplois sont tous salariés mais ne bénéficient pas tous d'un contrat de travail ou de fiche de paie.

[‡‡] Nous considérons les périodes de séparation comme étant celles où l’individu est divorcé ou veuf 

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