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African Population Studies
Union for African Population Studies
ISSN: 0850-5780
Vol. 21, Num. 2, 2006, pp. 95-124
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African Population Studies/Etude de la Population Africaine, Vol. 21, No.
2, 2006, pp. 95-124
Développement local, pauvreté et pratique contraceptive
en Côte dIvoire
Édouard TALNAN, *Patrice VIMARD
ENSEA, 08 BP 3, Abidjan 08,
Côte dIvoire,
Marseille
cedex 3, France
*Université de Provence 151, Centre,
St Charles, 3 pl. V. Hugo, 13331,
Marseille cedex 3, France
Code Number: ep06013
Résumé
La Côte dIvoire fait
partie des pays dAfrique subsaharienne nayant pas connu de politique de
planification familiale jusquà la fin des années 1990. En revanche, une baisse
de la fécondité peut être constatée depuis les années 1980, baisse qui sarticule
avec une certaine progression de la prévalence contraceptive. Ce début de
transition de la fécondité, qui se développe avec de fortes distinctions selon
les milieux de résidence et les niveaux dinstruction, sopère sous leffet
conjugué des facteurs de modernisation (urbanisation, développement de
léducation et des services de santé, amélioration du statut de la femme,
baisse de la mortalité des enfants, etc.). Mais cette transition sinscrit
également dans un contexte daccroissement des contraintes économiques
sexerçant sur les ménages et les individus, de paupérisation et de précarité
croissante de certaines couches de la population.
En
utilisant les données de lEDS de 1994 et un modèle danalyse multi niveau, cet
article étudie la pratique contraceptive en Côte dIvoire en vue didentifier
les facteurs individuels et contextuels explicatifs du recours aux méthodes de
contraception, modernes dun coté, naturelles et traditionnelles de lautre.
Les questions suivantes sont explorées dans le texte : les différences
socio-économiques locales et individuelles, et notamment la pauvreté
inégalement répartie des conditions de vie, influencent-elles lusage de la
contraception ? Les différences daccessibilité aux services de
planification familiale, selon le secteur de résidence, contribuent-elles à la
distinction des prévalences contraceptives ? Quels sont les effets des
interactions entre léducation et les variables des contextes régionaux et
locaux sur la pratique contraceptive ?
Lanalyse
multivariée, utilisée dans cette étude, permet de répondre à ces différentes
questions parce quelle met en évidence la variation de la pratique
contraceptive entre les milieux et les facteurs individuels et contextuels
intervenant à lintérieur de chacun deux. Concernant les facteurs individuels,
limportance de linstruction de la femme, et dans une moindre mesure de son
conjoint qui est généralement son chef de ménage, est démontrée ;
concernant les facteurs du ménage et du contexte local, leffet primordial du
niveau de vie est mis en valeur. Lensemble des résultats confirme
lassociation de la pauvreté humaine, caractérisée dans létude par un faible
niveau dinstruction et des conditions de vie familiale et locale précaires,
avec la faible pratique contraceptive.
La Côte dIvoire fait
partie des pays dAfrique subsaharienne qui nont pas eu de réelle politique de
planification familiale jusquà la fin des années 1990, tout en connaissant un
début de baisse de leur fécondité et un relatif progrès de la contraception. Au
cours des vingt années qui ont suivi son accession à lindépendance en 1960, le
pays a connu un taux de croissance démographique lun des plus élevés au monde.
Cette croissance de la population était due en partie à une hausse de la fécondité
favorisée par la politique pro nataliste adoptée par le gouvernement.
Celle-ci sest traduite durant les années 1960 et 1970 par ladoption du code
pénal français interdisant lavortement et la pratique contraceptive et ladoption dune
politique dallocation familiale qui consistait à verser des primes spéciales
aux travailleurs du secteur moderne selon le nombre denfants vivants quils
avaient à leur charge. Au-delà de cette politique dencouragement à la
fécondité, le pouvoir politique ivoirien, incarné par la personne du président
Félix Houphouët Boigny, avait également jugé nécessaire de favoriser
limmigration des populations étrangères pour combler le déficit de
main-duvre afin dassurer le développement économique du pays à travers
lexploitation des zones forestières. La politique de population existait en
tant que politique de valorisation des ressources humaines et navait pour
seuls objectifs que d'assurer l'autosuffisance alimentaire, la formation et
l'éducation des populations, de fournir des emplois aux populations urbaines et
dorienter les productions agricoles dans les zones rurales. Cest donc cette
orientation politique qui était supposée, en l'absence totale dune politique
de planification familiale, déterminer l'évolution démographique. Et ce nest
quau début des 1990 que le pays a amorcé une politique de planification
familiale, le gouvernement ayant reconnu, après la Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD) tenue au Caire en
septembre 1994, sous la pression des organisations internationales, la
nécessité de développer des programmes pour offrir aux populations des services
de qualité en matière de santé de la reproduction.
En
parallèle à cette évolution politique, la population a amorcé une véritable
transition de la fécondité. Lindice synthétique de fécondité est passé de 7,2
enfants par femme dans la période 1975-1980 à 5,2 enfants par femme lors de la
période 1994-1998. Encore relativement élevé au niveau national, cet indicateur
varie en fonction du secteur de résidence : la ville dAbidjan ayant le
niveau le plus bas avec 3,4 enfants par femme, suivie des autres centres
urbains (4,9 enfants par femme) et des zones rurales où lon dénombre en
moyenne 6 enfants par femme. Les niveaux de fécondité diffèrent également selon
le niveau dinstruction atteint par la femme : 2,3 enfants pour les femmes
dinstruction secondaire ou supérieur, 4,7 enfants pour les femmes
dinstruction primaire et 6,1 enfants pour les femmes sans instruction. Ainsi, la
transition de la fécondité, amorcée vers le milieu des années 1970,
saccélère-t-elle au cours de ces vingt dernières années, sous leffet conjugué
des facteurs de modernisation tels que lurbanisation, le développement de
léducation et des services de santé, lamélioration du statut de la femme, la
baisse de la mortalité des enfants, etc. (Vimard et al., 2002). Mais
cette transition sinscrit également dans un contexte daccroissement des
contraintes économiques sexerçant sur les ménages et les individus, de
paupérisation et de précarité croissante de certaines couches de la population
et de développement des inégalités induit par la crise des années 1980, la
baisse du pouvoir dachat des populations et le désengagement de lEtat du
soutien aux services publics.
Ce
début de diminution de la fécondité sest articulé avec des progrès de la
pratique contraceptive. En 1980 la prévalence contraceptive était de 0,6 %
pour les méthodes modernes et 3,2 % pour les méthodes naturelles ou
traditionnelles. Dix-huit ans plus tard, en 1998-99, cette prévalence
contraceptive est de 9,8 % pour les méthodes modernes et 10,9 % pour
les méthodes naturelles ou traditionnelles. Lutilisation de la contraception
est plus élevée dans les groupes socio-économiques les plus favorisés et plus
faibles dans les groupes démunis. Par exemple chez les femmes mariées, la
prévalence contraceptive est de 40,3 % chez les femmes dinstruction
secondaire ou supérieur, et de 7,7 % seulement pour les femmes sans
instruction (INS et ORC Macro, 2001).
Dans
la mesure où les progrès économiques et sociaux ont concerné de manière très
inégale les différentes populations ivoiriennes et où les services de
planification familiale ont été mis en place lentement et avec de fortes
inégalités spatiales, les villes étant plus favorisées que les zones rurales,
les régions forestières du sud létant davantage que celles de savane au nord
(Anoh et al., 2005), on pourrait sattendre à ce que leurs effets sur
les comportements de fécondité se traduisent par une hétérogénéité entre les
contextes locaux. Les évolutions de la contraception risquent, par conséquent,
dêtre différentes entre les régions et les localités à lintérieur de ces
régions, selon les capacités dinnovation technologique ou institutionnelle des
populations, les opportunités économiques et foncières, les efforts réalisés
pour améliorer le cadre de vie des populations, les possibilités déchanges et
la qualité des infrastructures permettant de communiquer avec les autres
régions du pays et avec le monde.
Notre
article vise par conséquent à identifier les facteurs explicatifs du recours
aux méthodes contraceptives modernes, naturelles ou traditionnelles de en Côte
dIvoire, et notamment de différencier ceux qui relèvent des caractéristiques
individuelles des femmes de ceux qui concernent leur contexte local de vie. Les
questions suivantes sont explorées dans le texte : les différences
socio-économiques locales et individuelles, et notamment la pauvreté
inégalement répartie des conditions de vie, influencent-elles les comportements
de fécondité notamment le recours aux méthodes contraceptives ? Quelles
sont, selon le secteur de résidence, les différences en matière daccessibilité
aux services de planification familiale ? Comment le manque daccès aux services
de planification familiale et les conditions de vie dans le ménage peuvent-ils
expliquer les différences en matière de pratique contraceptive en Côte
dIvoire ? Ces questions sont particulièrement importantes pour évaluer
les efforts en matière de politique de population et orienter les programmes de
planification familiale dans les années à venir, en fonction des niveaux et des
types de pauvreté.
Les
études sur la transition de la fécondité en Côte dIvoire ainsi que les
approches méthodologiques jusque là utilisées nous ont semblé peu adaptées pour
répondre à ces questions. Cest pourquoi nous avons opté pour une approche
contextuelle susceptible de nous aider à mieux cerner les facteurs associés à
lutilisation des méthodes contraceptives. Notre attention sest donc portée
plus particulièrement sur les modèles multi niveaux dont la pertinence pour une
analyse explicative des comportements de fécondité a été mise en évidence dans
la littérature des vingt dernières années. Lutilisation de ces modèles doit
nous permettre destimer linfluence différentielle de la disponibilité des
services de planification familiale selon le niveau de capital social des
groupes de population, mais aussi la relative conjugaison des niveaux de
pauvreté (contextuel, familial et individuel) dans limpossibilité pour
certains individus daccéder à la contraception moderne et à la pleine maîtrise
de leur vie reproductive1.
I.
Sources de données et méthodes danalyse
I.1.
Présentation des sources de données
Les
données utilisées dans cette étude proviennent principalement de lenquête
démographique et de santé (EDS) conduite en 1994 par lInstitut national de la
statistique, en collaboration avec Macro International2. Dans notre
étude, seules les femmes en union au moment de lenquête ont été prises en
compte pour la simple raison, quavec la progression rapide du VIH/Sida, un
nombre important de femmes nétant pas en union utilise le condom avec leur
partenaire en vue de se préserver contre cette pandémie, de sorte quil est
difficile de distinguer celles utilisant le condom pour se protéger du VIH de
celles lutilisant pour éviter une grossesse. Sur les 246 grappes enquêtées,
238 pour lesquelles nous avons pu disposer de données complètes sur les
infrastructures sociales et économiques ont été retenues, ce qui correspond à
un effectif total de 5 029 femmes mariées dont 2 850 en milieu rural
et 2 179 en milieu urbain. Le fait domettre certaines grappes dans notre
échantillon danalyse na aucun effet sur les résultats.
Outre
les données de lenquête démographique de 1994, nous avons utilisé celles du
Recensement général de la population et de lhabitat (RGPH) de 1998 qui a
collecté des informations sur les communautés, notamment la présence de
certaines infrastructures socio-économiques. Ces informations ont permis de
compléter les données communautaires de lEDS de 1994. Un fichier « multi niveau »
a donc été constitué à laide du progiciel SPSS (version 10.0) et MLWin
(version 1.10) en combinant les informations sur les caractéristiques
communautaires fournies par le recensement avec des données individuelles
collectées dans le questionnaire individuel de lEDS. Pour cela, nous avons
considéré quune infrastructure existait dans la localité si sa réalisation
était antérieure à 1994. Ceci nous permet dévaluer le niveau de développement
socio-économique de la localité et la disponibilité de services de
planification familiale pour chaque localité rurale ou chaque quartier
urbain ; en effet, pour les besoins de lanalyse, nous distinguons le
milieu urbain du milieu rural.
I
- 2. Définition des variables détude
Les
variables dépendantes
Notre
variable dépendante principale est lutilisation de la contraception par les
femmes en union. Parce que nous avons des données récentes sur les
caractéristiques contextuelles et individuelles des femmes, nous avons jugé
plus pertinent de limiter notre analyse à lutilisation dune méthode
contraceptive moderne, naturelle ou traditionnelle au moment de lenquête. Ce
choix répond aux critiques de DeGraff et al. (1997, cités par
Schoumaker, 2001a) lorsquils proposent de mettre les comportements récents en
relation avec les conditions contextuelles récentes ou antérieures, même si on
peut sinterroger sur le temps nécessaire pour que les changements intervenus
au niveau du contexte puissent entraîner des modifications au niveau des
comportements individuels (Bhattacharyya, 1989). Lun des problèmes liés à la
variable « utilisation dune méthode de contraception dans le
passé », relevé par Alaudin (1983), est le fait que la variable dépendante
peut être antérieure à certaines des variables explicatives, aussi nous navons
pas retenu ce type de variables.
Les
femmes qui utilisent les méthodes naturelles ou traditionnelles ont été
également prises en compte dans cette analyse, parce quà défaut de pouvoir
accéder aux méthodes modernes, lutilisation de ces méthodes peut révéler
lefficacité des stratégies dinformation, déducation et de communication sur
lespacement ou la limitation des naissances, et traduire la volonté des femmes
de contrôler leur fécondité. Notre variable dépendante a donc deux composantes
qui sont lutilisation de la contraception moderne et lutilisation des
méthodes naturelles ou traditionnelles. Elles ont toutes deux un caractère
dichotomique et prennent la modalité « oui=1 » pour toutes les femmes
ayant déclaré utiliser une méthode de contraception au moment de lenquête et
la modalité « non=0 » lorsque ce nest pas le cas.
Les variables déterminantes : caractéristiques
individuelles, caractères du ménage et conditions de vie locales en termes
daccès aux infrastructures socio-économiques modernes
Pour
décrire les conditions de vie des femmes de notre échantillon, nous avons
utilisé trois types de variables choisis au niveau individuel et communautaire
dans une perspective multi niveau. Ces variables permettent de prendre en
compte les différences culturelles ainsi que les écarts socio-économiques, liés
à lacquisition dun certain capital humain, et les disparités environnementales
relatives à lamélioration du cadre de vie. Au niveau individuel, les variables
retenues concernent les caractéristiques démographiques et socio-économiques de
chaque femme enquêtée : âge, ethnie, religion, milieu de socialisation3,
instruction, secteur dactivité, expérience vécue à propos de la mortalité ou
du confiage dun enfant. Plusieurs études ont par exemple montré que les femmes
mieux instruites ont aujourdhui une meilleure chance de pratiquer la
contraception moderne que leurs paires dont léducation est moins poussée, et
quelles risquent par conséquent moins, surtout dans les endroits où les
programmes de planification familiales sont efficaces, davoir des grossesses
non désirées (Kalam et Khan, 1996). De même, il est établi dans la littérature
que les femmes qui exercent une activité économique dans le secteur moderne ont
une meilleure connaissance des méthodes de contraception et les utilisent plus
que leurs homologues qui nont jamais travaillé dans ce secteur et qui sont
dans le secteur agricole ou informel.
Au
niveau de lunité domestique, nous utilisons comme indices de conditions de vie
des femmes le niveau dinstruction du chef de ménage, la structure familiale du
ménage de résidence4, et le niveau de vie du ménage. Celui-ci est
mesuré par un indicateur composite construit sur la base de variables relatives
à la disposition dun certain type de biens matériels (télévision, radio,
frigidaire, voiture, etc.) et aux caractéristiques du logement (nature du
plancher ou du sol, approvisionnement en eau, mode déclairage, type de
toilettes utilisées) qui permet de distinguer les femmes selon quelles
appartiennent à un ménage dont le standing de vie est élevé, moyen ou bas.
Par
ailleurs, les analyses contextuelles des vingt dernières années ont montré que
le développement communautaire et les institutions locales sont des facteurs
importants de changement social au niveau de ces localités (De Jong et al.,
1989 ; Bilsborrow et al., 1989 ; Schoumaker, 2001b). Ainsi, si
lattitude des femmes envers la planification familiale varie selon les
caractéristiques socio-économiques individuelles ou familiales, elle est
également influencée par différents facteurs exogènes à lindividu relevant
aussi bien de lenvironnement géographique que de la disponibilité ou de
laccessibilité des services de planification familiale, et du groupe social et
culturel auquel elles appartiennent (Kouamé et al, 2002). Si bien que, pour
mieux comprendre la réalité de lassociation entre les conditions de vie des femmes
et leurs pratiques en matière de contraception, il nous est apparu important de
prendre en compte le contexte social et économique dans lequel se trouve la
femme au moment de lenquête en vue destimer leffet de certaines variables
non individuelles pouvant être à lorigine des décisions en matière de pratique
contraceptive. Dans le cadre de cette étude, trois groupes de variables ont été
retenus pour caractériser le contexte dans lequel les décisions de recours aux
méthodes contraceptives sont prises dans les ménages : les variables qui
caractérisent le mieux le système de production de la communauté notamment le
type dagriculture dexportation pratiquée principalement dans la localité, le
niveau de développement social et économique de la localité et celles qui
rendent compte des efforts du gouvernement et des autres institutions en
matière de politique de planification familiale. En effet, lune des
caractéristiques des pays en développement est la persistance dinégalités
sociales dues en grande partie à une mauvaise répartition des ressources
nécessaires pour assurer de meilleures conditions de vie aux populations
(Vimard et al., 2002).
À
cause de la crise économique et lajustement structurel, les investissements
ont été globalement faibles et inégalement répartis en Côte dIvoire au cours
des années 1990. Les conséquences sur les secteurs sociaux se sont notamment
traduites par une réduction des ressources financières et une dégradation des
structures existantes, qui démontrent lincapacité actuelle de lEtat à couvrir
les besoins des populations en matière de santé et déducation. Selon une étude
réalisée récemment par Mancini et al. (2003), les services de
planification familiale existent dans seulement 4 régions sur les 19 que compte
le pays.
Cest
pour ces raisons que, pour caractériser le contexte socio-économique local,
nous avons considéré, pour cette étude, la principale culture dexportation, le
niveau de la mortalité des enfants de moins de cinq ans, la proportion
dadultes ayant été scolarisés et le pourcentage denfants de moins de 16 ans
fréquentant lécole au moment de lenquête. La technique de lanalyse
factorielle a été utilisée pour construire un indicateur agrégé de
développement socio-économique communautaire dans chaque secteur de résidence
basé sur la présence dun certain nombre dinfrastructures sociales et
économiques, qui, en ville comme dans les zones rurales, sont supposées être
favorables à un accroissement de la pratique contraceptive. En milieu rural,
cet indicateur est basé sur la proximité du village à un chef-lieu de
sous-préfecture et la présence de certaines infrastructures socio-économiques
telles que lélectrification, la source dapprovisionnement en eau, la voie
daccès à la localité, lexistence et la proximité dun service de santé, le
mode de collecte des ordures et dévacuation des eaux usées et lexistence dun
certain nombre détablissements ou de services (école primaire, gare routière,
marché de vivres et marchandises, dépôt de médicaments).
Dans
les zones urbaines, les variables suivantes ont été retenues pour la
construction de cet indicateur : mode dévacuation des eaux usées et des
ordures, voie daccès à la localité, statut administratif de la localité
(Abidjan, chef-lieu de département, chef-lieu de sous-préfecture), proportion
dacteurs ruraux dans la localité, type de formation sanitaire existant dans la
localité, année douverture de cette formation sanitaire, et existence dun
certain nombre détablissements (centre culturel, foyer féminin, centre social,
équipement agricole). Compte tenu de la présence décoles et de structures
sanitaires dans la plupart des villes ivoiriennes, la simple existence de ces
deux services na pas été retenue pour la construction de cet indicateur en
milieu urbain.
Sagissant
des efforts politiques et institutionnels en matière de santé reproductive,
nous avons utilisé comme variable explicative contextuelle laccessibilité aux
services de planification familiale dans la localité mesurée par la présence
dun agent ou dun animateur de planification familiale, lexistence dune
campagne de planification familiale ou dun centre de santé délivrant des
services de planification familiale et les conditions pour y accéder. Ces
variables sont disponibles dans le fichier communautaire de lenquête
démographique et de santé de 1994 et elles sont identifiées, dans la
littérature, comme faisant partie des facteurs les plus pertinents, dun point
de vue contextuel, en étant susceptibles dinfluencer significativement les attitudes
et comportements individuels en matière de fécondité. Leurs effets sur la
pratique contraceptive ont particulièrement été mis en évidence dans plusieurs
pays à travers le monde à laide des enquêtes mondiales de fécondité
(Casterline, 1985 ; Entwisle et al., 1986) et des enquêtes
démographiques et de santé (Guilkey et Jayne, 1997 ; Nguyen et Nguyen,
2002). Lhypothèse à la base de cette relation étant que la présence de ces
services influence les décisions et les comportements des femmes en matière de
planification familiale de sorte que les femmes qui ont un accès facile à ces
services sont davantage susceptibles dy recourir pour limiter ou espacer leurs
naissances que celles qui ny ont pas facilement accès. Toutes ces variables
ont été ensuite transformées en variables dichotomiques prenant la valeur 1 si
le service en question existe dans la localité et 0 dans le cas contraire. Un
indice composite daccessibilité aux méthodes modernes de planification
familiale, construit en faisant la somme de ces quatre variables indicatrices,
permet de classer les communautés selon quelles ont un accès facile, moyen ou
difficile à ces services5.
I.3.Méthode danalyse
Nous
avons effectué une analyse explicative, à laide du modèle de régression
logistique multi niveau, en vue de cerner les facteurs contextuels et
individuels qui déterminent le recours à la contraception par les femmes et le
mécanisme par lequel les variables de contexte influencent la fécondité via les
caractéristiques individuelles. Nous nous sommes limités à deux niveaux
danalyse : la femme et son ménage au premier niveau et le contexte local
(du village ou du quartier) au second niveau.
II. Les résultats
II.1.
Facteurs individuels et contextuels de la pratique contraceptive
Dans
cette partie de notre analyse, nous tenterons de circonscrire, à partir dune
analyse de régression multiple, leffet propre de chacune des caractéristiques
décrivant les conditions de vie des femmes sur leurs comportements en matière
de régulation de la fécondité. Pour chacune de ces méthodes contraceptives,
deux modèles ont été estimés en plus du modèle vide6 (modèle 1). Le
modèle 2 contient des variables explicatives relatives aux caractéristiques de
la femme et de son ménage dappartenance. Le modèle 3 intègre lensemble des
variables contextuelles décrivant les caractéristiques du village ou du
quartier de résidence de la femme en plus de lensemble des variables relatives
aux individus et aux ménages introduites dans le modèle 2. Les coefficients de
régression sont des Odd Ratio et sont interprétés comme étant des rapports de
chance de lutilisation de la contraception chez une catégorie de femmes quand
on les compare aux femmes ayant la modalité de référence7.
Lanalyse multi niveau de la contraception
en milieu urbain
Les
résultats du modèle vide (modèles a.1 et b.1 du tableau 1) montrent quen
moyenne, 7,7 % des femmes urbaines utilisent une méthode contraceptive
moderne au moment de lenquête et 10,7 % dentre elles utilisent une
méthode traditionnelle ou naturelle. Mais le niveau de la pratique
contraceptive varie significativement (p<0.01) en fonction des aires
géographiques (correspondant aux grappes enquêtées) avec une variance
contextuelle de 0,3 pour les méthodes modernes et 0,451 pour les méthodes naturelles
ou traditionnelles. La prise en compte des caractéristiques individuelles de la
femme annule la variation de la pratique contraceptive moderne entre les
grappes (de 0,3 à 0,000) et réduit fortement, de 62,7 %, celle des
méthodes naturelles ou traditionnelles (de 0,451, elle passe à 0,169 dans le
modèle 2). La nullité ou le caractère non significatif de la variance
contextuelle dans les modèles 2 et 3 montre que la prise en compte des
variables explicatives correspondantes contribue à une meilleure spécification
de ces modèles. Autrement dit, linclusion dautres variables explicatives
napporterait pas déléments importants supplémentaires à lexplication de la
variation de la pratique contraceptive entre les aires géographiques ou les
quartiers.
Toutes
choses égales par ailleurs, lâge nest pas un facteur statistiquement
significatif de lusage de la contraception (la seule relation significative
concerne lâge au carré et lutilisation dune méthode moderne, mais leffet
est très faible). Par contre, léducation, mesurée par le niveau dinstruction
de la femme, est un facteur discriminant de lutilisation des méthodes
contraceptives (p<0,01). Son effet sur lutilisation des méthodes modernes
est manifeste et conforme aux hypothèses émises dans la théorie de la
transition de la fécondité en Afrique et dans dautres régions du monde en
développement. Avec un rapport de chance respectivement de 2,046 et 2,083, il
traduit le fait que les femmes qui ont atteint un niveau dinstruction élevé,
équivalent au niveau primaire ou au niveau secondaire ou supérieure, sont
davantage susceptibles dutiliser une méthode contraceptive moderne. Elles ont
également respectivement 1,711 et 3,380 fois plus de chance dutiliser une
méthode contraceptive traditionnelle ou naturelle lorsquon les compare aux
femmes sans instruction. Il en est de même pour les femmes dont le chef de
ménage est instruit au niveau primaire ou au niveau secondaire ou supérieur,
qui ont respectivement 1,551 et 1,714 fois plus de chance dutiliser une
méthode traditionnelle ou naturelle (P<0,05). Mais les résultats de notre
analyse montrent que contrairement à léducation de la femme, leffet de
linstruction du chef de ménage sur la pratique contraceptive moderne nest pas
significatif au seuil de 5 %. Autrement dit, il ny a aucune différence du
point de vue de lutilisation des méthodes contraceptives modernes entre les
femmes dont le chef de ménage (qui est généralement le conjoint) est instruit
et celles qui vivent dans des ménages dont le chef na aucun niveau
dinstruction.
La
décision pour une femme mariée vivant en ville de recourir à la contraception
moderne dépend aussi du groupe ethnique auquel elle appartient. Ainsi,
comparées aux femmes du groupe akan, si les femmes krou nont pas de comportements
significativement différents vis-à-vis de ces méthodes, les analyses montrent
que celles des deux groupes mandé, comme les femmes provenant des autres pays
africains, ont des chances significativement plus faibles de pratiquer une
contraception au moment de lenquête (p<0,01). Le niveau de vie du ménage
ninfluence pas de manière très significative la décision des femmes de
recourir aux méthodes contraceptives modernes (P<0,1). Cependant, on note
que les femmes qui ont un niveau de vie élevé ont plus de chance (OR=4,845)
dutiliser une méthode de contraception moderne par rapport à leurs homologues
dont les conditions de vie dans le ménage sont précaires. De même, celles qui
vivent dans des ménages dont les conditions de vie sont moyennes ont 2,565 fois
plus de chance dutiliser une méthode contraceptive moderne par rapport aux
femmes pauvres. Aucune différence significative, à moins de 5%, nest observée
concernant lusage des méthodes traditionnelles et naturelles.
Lintroduction
des variables contextuelles dans le modèle modifie légèrement les coefficients
sans apporter un changement dans le sens de la relation entre les
caractéristiques individuelles et la pratique contraceptive. Les estimations à
partir du modèle a.3 montrent également que le niveau de développement
socio-économique local, la proportion denfants ou dadultes scolarisés dans le
quartier sont des facteurs contextuels importants pour la pratique
contraceptive chez les femmes citadines. On constate quau seuil de 1 % (P<0,01),
le fait de vivre dans un quartier où la proportion de personnes ayant été
scolarisées est supérieure ou égale à 50 % entraîne une probabilité moins
élevée chez la femme de déclarer lutilisation dune méthode contraceptive
moderne (OR=0,493). Ce résultat, surprenant au premier abord, est en réalité
normal car leffet que peut avoir un milieu de forte instruction sur la
pratique contraceptive est médiatisée par dautres variables telles que
linstruction individuelle de la femme, celle de son conjoint, la scolarisation
des enfants ou les conditions de vie des populations. En dautres termes, le
caractère négatif de leffet de la variable relative au niveau global de
scolarisation de la population sur la pratique contraceptive indique que si
toutes les femmes avaient les mêmes caractéristiques individuelles et vivaient
dans les mêmes conditions de développement, la propension à utiliser la
contraception moderne serait moins élevée dans les quartiers où le niveau de la
scolarisation est plus fort. La proportion denfants scolarisés a un effet
significatif sur lutilisation de la contraception moderne, avec un rapport de
chance de 1,027 pour une augmentation de 1 % de la proportion denfants
scolarisés dans le quartier (p<0,01), comme de la contraception naturelle ou
traditionnelle, avec un rapport de chance de 1,015 (p<0,05).
Par
contre le niveau de développement socio-économique local ne semble pas être un
facteur statistiquement discriminant de lusage de la contraception, même si on
peut constater quà P<0,1, les femmes qui vivent dans des localités avec un
niveau de développement moyen ont plus de chance dutiliser la contraception
moderne, avec un rapport de chance de 1,543. Il en est de même pour le niveau
de la mortalité infantile qui na pas deffet significatif sur la contraception
en milieu urbain.
Tableau
1 : Les facteurs de la pratique contraceptive chez les femmes mariées en milieu urbain. Côte dIvoire. eds 1994
Variables explicatives
|
Méthodes modernes
|
Méthodes naturelles
ou traditionnelles
|
Modèle
a.1
|
Modèle
a.2
|
Modèle
a.3
|
Modèle
b.1
|
Modèle
b.2
|
Modèle
b.3
|
Constante
a
|
7,7 ***
|
0,08 ***
|
0,037 ***
|
10,7 ***
|
33,9 ns
|
28,7 ns
|
Variables
individuelles
|
|
|
|
|
|
|
Age
de la femme
Age
au carré
|
-
-
|
1,153 ns
0,998 **
|
1,137 ns
0,998 **
|
-
-
|
0,943 ns
1,001 ns
|
0,937 ns
1,001 ns
|
Milieu
de socialisation (Villages)
Grandes
villes
Petites
villes
|
-
-
|
1,584 **
1,357 ns
|
1,526 ns
1,354 ns
|
-
-
|
0,968 ns
0,894 ns
|
0,975 ns
0,895 ns
|
Religion
(Musulmane)
Chrétienne
Autre
religion/sans religion
|
-
-
|
0,600 ns
0,837 ns
|
0,572 ns
0,823 ns
|
-
-
|
1,320 ns
0,854 ns
|
1,245 ns
0,829 ns
|
Ethnie
de la femme (Akan)
Krou
Mandé
du Nord et Gur
Mandé
du Sud
Autres
africains
|
-
-
-
-
|
0,660
ns
0,310 ***
0,506 **
0,311 ***
|
0,679
ns
0,306 ***
0,495 **
0,319 ***
|
-
-
-
-
|
0,678 ns
0,540 **
0,695 ns
0,327 ***
|
0,684 ns
0,562 **
0,695 ns
0,332 ***
|
Confiage
des enfants (Au moins un enfant confié)
Aucun
enfant confié
|
-
|
0,640 **
|
0,639 **
|
-
|
0,969 ns
|
0,966 ns
|
Instruction
(Sans instruction)
Primaire
Secondaire
& supérieure
|
-
-
|
2,046 ***
2,083 ***
|
2,026 ***
2,040 ***
|
-
-
|
1,711 ***
3,380 ***
|
1,711 ***
3,294 **
|
Secteur
dactivité (Agriculture)
Sans
activité
Formel
Informel
|
-
-
-
|
2,392 ns
2,125 ns
3,732 *
|
2,333 ns
2,014 ns
3,554 *
|
-
-
-
|
0,901 ns
0,954 ns
1,004 ns
|
0,920 ns
0,966 ns
1,014 ns
|
Instruction
du CM (Sans instruction)
Primaire
Secondaire
& +
|
-
-
|
0,841 ns
1,330 ns
|
0,883 ns
1,311 ns
|
-
-
|
1,551 **
1,714 **
|
1,549 **
1,684 **
|
Structure
du ménage (Sans famille nucléaire)
Nucléaire
monogame et polygame
Elargie
monogame
Elargie
polygame
|
-
-
-
|
1,044 ns
1,652 ns
1,435 ns
|
1,013 ns
1,642 ns
1,507 ns
|
-
-
-
|
0,567 **
0,668 **
0,904 ns
|
0,559 **
0,660 **
0,923 ns
|
Niveau
de vie du ménage (Bas)
Elevé
Moyen
|
-
-
|
4,845 ***
2,565 ns
|
4,212 ***
2,368 ns
|
-
-
|
0,904 ns
0,741 ns
|
0,878 ns
0,745 ns
|
Variables
liées au contexte local
|
|
|
|
|
|
|
Niveau
de développement local (Bas)
Elevé
Moyen
|
-
-
|
-
-
|
1,539 ns
1,543 ns
|
-
-
|
-
-
|
0,996 ns
0,784 ns
|
Pourcentage
de personnes scolarisées (<50 %)
³ 50 %
|
-
|
-
|
0,493 **
|
-
|
-
|
0,786 ns
|
Mortalité
des enfants (< 125 pour 1000)
³ 125 pour 1000
|
-
|
-
|
1,081
ns
|
-
|
-
|
0,946 ns
|
%
denfants scolarisés dans le quartier
|
-
|
-
|
1,027
***
|
-
|
-
|
1,015 **
|
Variance
au niveau des grappes (sn2)
Variance
au niveau des individus (se2)
|
0,300 **
1,000 ***
|
0,000
1,000 ***
|
0,000
1,000 ***
|
0,451 ***
1,000 ***
|
0,169 ns
1,000 ***
|
0,158 ns
1,000 ***
|
*** Significatif à p<0,01 **
Significatif à p<0,05 ns Non significatif à p<0,1 ( )
Modalité de référence
a : exprimée en % de femmes
mariées utilisant une méthode de contraception dans lensemble de la
population étudiée.
|
Lanalyse multi niveau de la contraception en
milieu rural
En
milieu rural, le pourcentage de femmes utilisatrices de méthodes contraceptives
est de 2,17 % pour les méthodes modernes contre 4,9 % pour les
méthodes traditionnelles ou naturelles (tableau 2, modèles a.1 et b.1). Dans
lensemble, il ny a aucune variation significative entre les villages du point
de vue de lutilisation moyenne des méthodes modernes (la variance contextuelle
nest pas significative au seuil de 5 %). Parmi les variables explicatives
individuelles choisies pour tester le modèle 2, seules linstruction de la
femme, son milieu de socialisation et la structure familiale du ménage
apparaissent comme des facteurs significatifs de la pratique des méthodes
contraceptives modernes.
Comparées
aux femmes non instruites, celles qui ont atteint le niveau primaire ont 2,765
fois plus de chance de déclarer lutilisation dune méthode contraceptive
moderne, et celles de niveau dinstruction supérieur ou secondaire, 5,296 fois
plus de chance. Cela confirme lhypothèse selon laquelle léducation de la
femme favorise la pratique contraceptive dans les zones rurales (P<0,01).
Les femmes qui ont grandi dans une ville secondaire ont plus de chance de
déclarer lutilisation dune méthode contraceptive moderne (OR=2,016 avec
P<0,05). Par contre, celles qui ont été socialisées dans une grande ville
nont pas dattitude significativement différente vis-à-vis de ces méthodes
lorsquon les compare aux femmes qui ont grandi au village. Le fait de vivre
dans un ménage dont la structure familiale est élargie monogame ou polygame
augmente les chances de recourir à ces méthodes (le rapport de chance étant
respectivement de 3,939 et 3,714 avec p<0,05). La prise en compte des
variables explicatives contextuelles, comme le niveau de développement social
et économique du village, la principale culture dexportation pratiquée dans le
village, le pourcentage denfants qui y sont scolarisés, le niveau de la
scolarisation des adultes ou le quotient de mortalité des enfants de moins de
cinq ans ne modifient pas significativement le sens de la relation obtenue
précédemment. Et aucune de ces variables contextuelles nest associée
significativement à la pratique contraceptive moderne.
Sagissant
de lutilisation des méthodes naturelles ou traditionnelles, le modèle vide
(modèle b.1) montre des différences significatives entre les villages qui se
traduisent par une variance contextuelle de 0,643 (p<0.01). En considérant
les seules caractéristiques individuelles de la femme ainsi que celles
relatives à son ménage de résidence (modèle b.2), on saperçoit que lethnie,
léducation de la femme, le secteur dactivité, linstruction du chef de ménage
et la structure familiale du ménage de résidence sont les principaux facteurs
responsables des différences dutilisation des méthodes contraceptives
naturelles ou traditionnelles. En effet, par rapport aux femmes akan, toutes
les femmes des autres groupes ethniques ont moins de chance de déclarer la
pratique dune méthode contraceptive naturelle ou traditionnelle au moment de
lenquête avec une différente plus importante et très significative chez les
femmes ressortissantes des autres pays africains (P<0,01). Avec un rapport
de chance de 0,216, elles sont nettement moins susceptibles de déclarer
lutilisation dune méthode contraceptive traditionnelle ou naturelle. En
réalité, il sagit de femmes non instruites en majorité épouses de travailleurs
burkinabés ou maliens qui ne fréquentent généralement pas les centres de santé
et sont moins portées vers ladoption de stratégies visant à contrôler leur
fécondité.
Comme
dans les zones urbaines, les femmes instruites ont de meilleures chances
dutiliser les méthodes contraceptives naturelles ou traditionnelles par
rapport à celles qui nont aucun niveau dinstruction. Le rapport de chance est
de 2,930 pour le niveau primaire et de 4,332 pour le niveau secondaire ou
supérieur (p<0,01). Les femmes agricultrices ont moins de chance dutiliser
les méthodes contraceptives naturelles ou traditionnelles par rapport aux
femmes qui exercent dans les secteurs modernes formels ou informels (OR=0,495
avec p<0,01). La structure familiale du ménage de résidence de la femme au
moment de lenquête ainsi que léducation du chef sont également des facteurs
associés à lutilisation des méthodes contraceptives naturelles ou
traditionnelles en milieu rural. En particulier, les femmes appartenant aux
ménages nucléaires utilisent moins ces méthodes que celles dont le ménage est
sans famille nucléaire et généralement composé de famille monoparentale ou dun
chef de ménage seul sans enfants (OR=0,520 avec p<0,05). En milieu rural ivoirien,
le fait de vivre dans un ménage dont le niveau dinstruction du chef est élevé
accroît la probabilité de recourir aux méthodes contraceptives naturelles ou
traditionnelles. Cest ainsi que, par rapport aux femmes résidant dans des
ménages dont le chef est sans instruction, celles qui vivent dans des ménages
dont le niveau dinstruction du chef est le primaire ont 2,109 fois plus de
chance de faire usage de ces méthodes au moment de lenquête ; ce rapport
de chance est de 3,050 quand cette instruction atteint le niveau secondaire ou
supérieur (P<0,01).
Dans
le modèle 3, on note que le niveau de développement économique et social du
village ninfluence pas le niveau de la pratique contraceptive naturelle ou
traditionnelle chez les femmes rurales, même si les femmes qui vivent dans un
village dont le niveau de développement est moyen ont 1,735 fois plus de
chance dutiliser ces méthodes (p<0,1) par rapport aux femmes des villages
défavorisés. Par contre, une variable contextuelle ayant un lien étroit avec la
pratique des méthodes traditionnelles ou naturelles est le niveau de la
mortalité des enfants de moins de cinq ans : une mortalité des enfants
supérieure à 125 pour mille suscite chez les femmes un risque moindre de
lordre de 0,535 dutiliser une méthode contraceptive traditionnelle ou
naturelle (p<0,01).
Tableau
2 : Les facteurs de la pratique contraceptive chez les femmes mariées en milieu rural. Côte dIvoire. eds 1994
Variables explicatives
|
Méthodes modernes
|
Méthodes naturelles ou
traditionnelles
|
Modèle
a.1
|
Modèle
a.2
|
Modèle
a.3
|
Modèle
b.1
|
Modèle
b.2
|
Modèle
b.3
|
Constante
a
|
2,17 ***
|
0,311***
|
0,184 ***
|
4,9 ***
|
0,801 ***
|
0,486 ***
|
Variables
individuelles
|
|
|
|
|
|
|
Age
de la femme
Age
au carré
|
-
-
|
1,021 ns
1,000 ns
|
1,017 ns
1,000 ns
|
-
-
|
1,202**
0,997 ns
|
1,218 ***
0,997 ns
|
Milieu
de socialisation (Villages)
Grandes
villes
Petites
villes
|
-
-
|
1,323 ns
2,016 **
|
1,290 ns
2,015 **
|
-
-
|
0,974 ns
0,807 ns
|
0,961
ns
0,862 ns
|
Ethnie
de la femme (Akan)
Krou
Mandé
du Nord et Gur
Mandé
du Sud
Autres
africains
|
-
-
-
-
|
2,106 **
0,807 ns
0,954 ns
1,069 ns
|
1,956 ns
1,039 ns
1,133 ns
1,234 ns
|
-
-
-
-
|
0,563 ns
0,495 **
0,448 **
0,216 ***
|
0,729 ns
0,787 ns
0,683 ns
0,258 ***
|
Instruction
(Sans instruction)
Primaire
Secondaire
& supérieure
|
-
-
|
2,765 ***
5,296 ***
|
2,596 ***
4,711 ***
|
-
-
|
2,930 ***
4,332 ***
|
2,989 ***
4,455 ***
|
Secteur
dactivité (Formel / informel)
Sans
activité
Agriculture
|
-
-
|
0,478 ns
0,430 ***
|
0,505
ns
0,469 ***
|
-
-
|
1,055 ns
0,495 ***
|
1,053 ns
0,490 ***
|
Instruction
du CM (Sans instruction)
Primaire
Secondaire
& supérieure
|
-
-
|
1,096 ns
1,570 ns
|
1,032 ns
1,565 ns
|
-
-
|
2,109 ***
3,050 ***
|
2,100 ***
3,196 ***
|
Structure
du ménage (Sans famille nucléaire)
Nucléaire
monogame et polygame
Elargie
monogame
Elargie
polygame
|
-
-
-
|
0,585 ns
3,939 **
3,714 **
|
0,595 ns
3,995 **
3,732 **
|
-
-
-
|
0,520 **
0,779 ns
0,696 ns
|
0,571 **
0,837 ns
0,699 ns
|
Niveau
de vie du ménage (bas)
Elevé
Moyen
|
-
-
|
1,578 ns
0,573 ns
|
1,336 ns
0,559 ns
|
-
-
|
0,887 ns
0,724 ns
|
0,935 ns
0,706 ns
|
Variables
liées au contexte local
|
|
|
|
|
|
|
Produits
agricoles dexportation (café/cacao)
Coton/anacarde
|
-
|
-
|
0,740 ns
|
-
|
-
|
0,572 ns
|
Niveau
de développement local (Bas)
Elevé
Moyen
|
-
-
|
-
-
|
1,742 ns
0,996 ns
|
-
-
|
-
-
|
0,966
ns
1,735
**
|
Pourcentage
de personnes scolarisées <25 %)
greater than or equal to 25 %
|
-
|
-
|
0,924 ns
|
-
|
-
|
0,864 ns
|
Mortalité
des enfants (< 125 p.1000)
greater than or equal to 125 p.1000
|
-
|
-
|
0,800
ns
|
-
|
-
|
0,535 ***
|
%
denfants scolarisés dans le village
|
-
|
-
|
1,020
ns
|
-
|
-
|
1,006 ns
|
Variance
au niveau des grappes (sn2)
Variance
au niveau des individus (se2)
|
0,294 ns
1,000 ***
|
0,000
1,000 ***
|
0,000
1,000 ***
|
0,643 ***
1,000 ***
|
0,385 **
1,000 ***
|
0,206 ns
1,000 ***
|
*** Significatif à p<0,01 **
Significatif à p<0,05 ns Non significatif à p<0,1
() Modalité de référence
a : Exprimée en % de femmes
mariées utilisant une méthode de contraception dans lensemble de la
population étudiée.
|
II.2.
Instruction, développement local et pratique contraceptive
Léducation,
en particulier celle de la femme, est apparue comme le principal facteur
responsable de lutilisation de la contraception en Côte dIvoire, en milieu
urbain comme en milieu rural. Or, cette variable peut interagir avec les
caractéristiques globales ou contextuelles. En clair, les bénéfices liés à la
mise en place dinfrastructures sociales et sanitaires et à la réalisation de
projets de développement, exprimés en termes démographiques, seraient différents
selon le niveau dinstruction des femmes. Les résultats obtenus dans plusieurs
pays du monde en développement ont en effet confirmé ce résultat en montrant
que les investissements consentis pour le bien-être des populations profitent
en général moins aux populations analphabètes quà celles qui ont déjà atteint
un niveau élevé dinstruction. En Côte dIvoire et au Ghana par exemple, une
étude de Benefo et Shultz (1996), basée sur les données des enquêtes
permanentes auprès des ménages réalisées au cours des années 1980, a montré que les programmes de développement profitaient différemment aux femmes en fonction de
leur niveau déducation. Au Ghana, cette étude a montré que la disponibilité
dune source dapprovisionnement en eau potable contribue plus à réduire la
mortalité des enfants chez les femmes instruites par rapport aux femmes non
instruites. De même, léducation de la femme a un effet réducteur plus fort sur
la mortalité des enfants en milieu rural quen milieu urbain. En Côte dIvoire,
la même étude a montré que dans les communautés où il existe des latrines
aménagées, leffet de linstruction sur la mortalité des enfants est plus fort
que dans les autres communautés. Elle a donc conclu que léducation de la femme
était un complément indispensable à des programmes de développement.
Cette
approche peut être utilisée pour analyser la relation entre linstruction de la
femme et la contraception en fonction du contexte local. Dans ce cas,
lhypothèse serait que dans les quartiers ou les villages où existent des
infrastructures et des services socio sanitaires ou des programmes de
développement visant à offrir de meilleures conditions de vie aux populations,
les femmes instruites seraient plus disposées à utiliser une contraception pour
contrôler leur fécondité par rapport aux femmes non instruites. Cependant,
lexistence dun centre ou dune campagne de sensibilisation en faveur de la
planification familiale tendrait à réduire les différences induites par
léducation des femmes en ce qui concerne lutilisation des méthodes
contraceptives. Par exemple, là où laccès aux méthodes contraceptives est
facile pour toutes les couches sociales, la différence entre la prévalence
contraceptive des femmes instruites et celle mesurée chez les femmes non
instruites ne serait pas significative (Ainsworth et al., 1996).
Pour
tester la validité de cette hypothèse, nous avons construit dans cette dernière
partie de larticle un modèle dutilisation de la contraception dans lequel
sont considérées comme variables explicatives le niveau dinstruction de la
femme que nous mettons en interaction avec chacune des caractéristiques
décrivant les conditions de vie dans la localité de résidence de la femme, à
savoir le secteur géographique de cette localité (forêt ou savane), le niveau
de développement social et économique du contexte local, lexistence et le
nombre détablissements délivrant des services de planification familiale,
lexistence dune campagne de planification familiale, le niveau de la
mortalité des enfants. Nous considérons comme variables dépendantes
lutilisation dune méthode contraceptive au moment de lenquête avec une
distinction selon le type de méthode. Les variables originales utilisées pour
créer les variables dinteraction (instruction de la femme, niveau de
développement, mortalité des enfants, etc.) ne sont pas incluses dans le modèle
compte tenu de leurs fortes corrélations avec les variables dinteraction.
Toutes les autres variables (âge, lieu de socialisation, religion, etc.) sont
incluses dans le modèle comme des variables de contrôle (tableau 3).
Les
résultats obtenus montrent quen milieu urbain, il y a un effet dinteraction
entre linstruction de la femme et le secteur géographique de résidence.
Leffet de cette interaction se manifeste par le fait que les femmes instruites
dans les zones de savane ont plus de chance de pratiquer la contraception que
celles résidant à Abidjan ou dans les zones forestières dotés du même niveau
dinstruction : cet effet est significatif pour les méthodes modernes
(1,176 fois plus de chance) comme pour les méthodes naturelles ou
traditionnelles (1,102 fois plus de chance) (P<0,05). Par contre, les autres
variables dinteraction nont pas deffet significatif sur lusage de la
contraception moderne. En revanche, linstruction a un effet plus fort sur
lutilisation dune contraception naturelle ou traditionnelle dans les
quartiers les mieux équipés en infrastructures et en services (P<0,01).
Ainsi, dans ces quartiers dotés dun meilleur niveau de développement, les femmes
instruites ont 1,181 plus de chance dutiliser une méthode naturelle ou
traditionnelle que dans un quartier de faible niveau de développement. Il en
est sensiblement de même dans les quartiers ayant bénéficié de campagnes de
planification familiale, où les femmes instruites ont 1,105 plus de chance
dutiliser une méthode par rapport à celle résidant dans les quartiers qui nen
ont pas été dotés (P<0,05).
En
milieu rural, de même quen zone urbaine, linteraction entre linstruction et
le lieu de résidence a un effet significatif sur lutilisation des méthodes
contraceptives. Cet effet est plus significatif pour les méthodes naturelles et
traditionnelles lorsque la femme réside dans les régions de savane que dans
celles de forêt (OR=1,169 et p<0,01). Par contre, si toutes les autres
interactions observées indiquent un effet variable de linstruction selon la
nature du contexte, cet effet nest pas significatif au seuil de 0,10.
En
définitive, on constate par cette analyse que leffet de linstruction varie
significativement selon la région de résidence et lon peut considérer que plus
la région est globalement démunie, comme cest le cas des régions de savane
vis-à-vis de celles de forêt et plus encore vis à vis dAbidjan, plus le
progrès de linstruction a un impact positif sur la pratique contraceptive. En
revanche, lorsque lon observe les interactions avec des facteurs qui relèvent
davantage de caractéristiques locales (niveau de développement, centres ou
campagnes de planification familiale), limpact de linstruction sur la
contraception ne varie pas significativement, surtout en milieu rural.
Tableau 3. Effet des variables dinteraction en
milieu urbain et milieu rural. Côte dIvoire. EDS 1994
Variables
explicatives
|
Milieu urbain
|
Milieu rural
|
Méthodes modernes
|
Méthodes
traditionnelles ou
naturelles
|
Méthodes modernes
|
Méthodes
traditionnelles ou
naturelles
|
Constante
a
|
0,001 ***
|
0,003 ***
|
0,002 ***
|
0,002 ***
|
Variables
individuelles
|
|
|
|
|
Age
de la femme
Age
au carré
|
1,358 ***
0,995 ***
|
1,194 ***
0,997 ***
|
1,087 ns
0,999 ns
|
1,284 ***
0,995 ***
|
Lieu
de socialisation (Village)
Grandes
villes
Petites
villes
|
1,735 ***
1,449 ***
|
0,953 ns
0,925 ns
|
1,514 ns
1,912 ***
|
1,200 ns
1,103 ns
|
Religion
(Musulmane)
Chrétienne
Autres
religion/Sans religion
|
0,729 ns
1,006 ns
|
1,130 ns
0,910 ns
|
2,052 **
0,996 ns
|
1,134 ns
1,069 ns
|
Ethnie
de la femme (Akan)
Krou
Mandé
du Nord et Gur
Mandé
du Sud
Autres
africains
|
0,766 ns
0,699 ns
0,754 ns
0,496 ***
|
0,971 ns
0,624 **
1,107 ns
0,412 ***
|
2,954 ***
1,078 ns
1,662 ns
1,960 ns
|
1,249 ns
0,910 ns
1,241 ns
0,381 ***
|
Situation
matrimoniale (célibataires)
En
union monogamique
En
union polygamique
Veuves/divorcées/séparées
|
0,662 ***
0,494 ***
0,543 ***
|
0,620 **
0,499 ***
0,795 ns
|
0,505 ***
0,324 ***
0,598 ***
|
0,628 ***
0,780 ns
0,919 ns
|
Expérience
du décès dun enfant (Aucun)
Au
moins un décès
|
0,897 ns
|
0,929 ns
|
1,012 ns
|
0,824 ns
|
Confiage
des enfants (Au moins un enfant confié)
Aucun
enfant confié
|
0,555 ***
|
1,060 ns
|
0,958 ns
|
0,754 ns
|
Activité
de la femme (Agricultrice)
Sans
activité
Formel
Informel
|
1,645 ns
1,285 ns
2,063 ns
|
1,639 ns
1,525 ns
1,786 ns
|
|
|
Activité
de la femme (Formel/informel)
Sans
activité
Agricultrice
|
|
|
0,455 ***
0,471 ***
|
1,071 ns
0,571 ***
|
Variables
liées au ménage
|
|
|
|
|
Structure
du ménage (Sans famille nucléaire)
Nucléaire
monogame ou polygame
Élargie
monogame
Élargie
polygame
|
0,670 **
0,847 ns
1,041 ns
|
0,848 ns
0,945 ns
0,871 ns
|
0,538 ns
0,929 ns
1,241 ns
|
0,694 ns
0,980 ns
0,768 ns
|
Niveau
de vie du ménage (bas)
Élevé
Moyen
|
1,759 ns
1,085 ns
|
0,613 **
0,622 **
|
1,230 ns
0,726 ns
|
0,724 ns
0,753 ns
|
Variables
liées au contexte local
|
|
|
|
|
Scolarisation
des adultes <50 %
(<25 % en milieu rural)
greater than or equal to 50 % (greater than or euqal to 25 % en milieu
rural)
|
1,665 ***
|
0,780 ns
|
0,852 ns
|
1,050 ns
|
%
dutilisatrices de méthodes contraceptives
%
denfants scolarisés
|
1,026 ***
1,004 ns
|
1,053 ***
0,986 **
|
1,030 **
1,001 ns
|
1,092 ***
0,976 ***
|
Variables
dinteraction
|
|
|
|
|
Instruction
/ Région de résidence
Instruction
/ Niveau de développement
Instruction
/ Nombre de centres délivrant la PF
Instruction
/ Campagne de PF
Instruction/
Mortalité des enfants
|
1,176 **
1,027 ns
1,025 ns
1,060 ns
1,095 ns
|
1,102 **
1,181 ***
0,975 ns
1,105 **
1,055 ns
|
1,158 ns
0,979 ns
0,933 ns
1,097 ns
0,936 ns
|
1,169 ***
0,989 ns
1,035 ns
1,041 ns
0,965 ns
|
Variance
au niveau des grappes (σn2)
Variance
au niveau des individus (σe2)
|
0,000
1,000 ***
|
0,000
1,000 ***
|
0,000
1,000 ***
|
0,000
1,000 ***
|
*** Significatif à p<0,01 **
Significatif à p<0,05 ns Non significatif à p<0,1
( ) Modalité de référence
a : Exprimée en % de femmes
utilisant une méthode de contraception dans lensemble de la population
étudiée.
|
II.3.
Limites de lanalyse
La
principale limite de lanalyse réside dans la façon dont la variable dépendante
a été opérationnalisée. Deux sous variables dichotomiques ont été construites à
partir des modalités de réponse dune question générale sur la pratique
actuelle de la contraception : lutilisation actuelle des méthodes
modernes et lutilisation actuelle des méthodes traditionnelles. La modalité
« oui = 1 » pour la première sous variable concerne toutes les femmes
qui utilisent une méthode de contraception moderne et la modalité « non =
0 » concerne les autres cas. Ainsi, la modalité « non = 0 » de
la variable utilisation des méthodes modernes inclut également les femmes qui
utilisent les méthodes traditionnelles. De même, la modalité
« non=0 » de la variable utilisation des méthodes traditionnelles
inclut à la fois les femmes qui nutilisent aucune méthode et celles qui
utilisent les méthodes modernes. Nous reconnaissons quune telle approche
comporte un certain biais lié au mélange de deux catégories de
populations : celles qui nutilisent pas de méthodes de contraception et
celles qui utilisent les méthodes alternatives. Cette façon de procéder est de
nature à diminuer quelque peu les différences entre les catégories sociales et
leur précision statistique. Il serait donc indiqué dans une étape ultérieure de
recherche dutiliser le modèle de régression logistique multinomial en
construisant une variable dépendante avec trois modalités : (i) celles qui
utilisent les méthodes modernes ; (ii) celles qui utilisent les méthodes
traditionnelles et (iii) celles qui nutilisent aucune méthode contraceptive.
Une autre limite de notre étude réside dans le fait que, la transition de la
fécondité en étant à ses débuts en Côte dIvoire, le niveau de la pratique
contraceptive est faible et les effets contextuels ne sont pas assez
perceptibles.
Conclusion
Notre
analyse a porté sur la relation entre les conditions de vie des femmes et leurs
pratiques en matière de planification familiale, avec lobjectif de montrer
comment les inégalités sociales, et plus particulièrement linégale répartition
de la pauvreté des conditions dexistence, ont un impact significatif sur les
pratiques en matière de contraception. Pour cela, nous avons distingué le
milieu urbain du milieu rural en nous focalisant sur les femmes en union. Au
niveau individuel, cette pauvreté a été mesurée par labsence dinstruction,
linactivité ou lexercice dune activité dans le secteur agricole ou informel
et la précarité des conditions de vie dans le ménage. Au niveau contextuel,
elle a été appréhendée par le manque daccès à certaines infrastructures
socio-économiques modernes pour la satisfaction des besoins essentiels tels que
lélectricité, leau potable, les centres de santé, les établissements
scolaires, les routes, les équipements agricoles et les centres danimation
sociale et culturelle. Parce que nous disposions dinformations récentes sur le
statut socio-économique de la femme et les caractéristiques de son milieu de résidence,
nous avons jugé nécessaire de limiter lanalyse à lutilisation dune méthode
contraceptive au moment de lenquête en distinguant les méthodes modernes des
méthodes naturelles ou traditionnelles. Le modèle multi niveau a été utilisé
afin danalyser linfluence relative de chacune des variables retenues sur les
décisions individuelles en matière de contraception. Nous avions posé
lhypothèse que de meilleures conditions de vie des femmes iraient de pair avec
plus forte utilisation des méthodes contraceptives.
Les
résultats que nous avons obtenus ont permis de confirmer cette hypothèse. Dans
lensemble, ils restent conformes à ceux qui ont été obtenus par dautres
auteurs en montrant dune part, que la pratique contraceptive, quelle soit
moderne, naturelle ou traditionnelle, est plus répandue en milieu urbain quen
zone rurale. Dautre part, lusage de la contraception varie, à lintérieur de
chacune des zones de résidence, en fonction des caractéristiques
socio-économiques individuelles et collectives, et lon constate un très faible
niveau dutilisation des méthodes contraceptives dans les couches sociales
défavorisées du point de vue de leur accès aux moyens dinstruction, de même
que pour celles, souvent les mêmes, qui vivent dans des ménages et des
contextes locaux dotés dun faible niveau de vie. Tandis que dans les classes
les plus aisées et instruites de la société urbaine, cette prévalence
contraceptive est relativement élevée.
En
ville les caractéristiques favorables à la pratique contraceptive concernent
lappartenance ethnique de la femme, son niveau dinstruction et le niveau de
vie du ménage. Au plan contextuel, cest le niveau de développement scolaire du
quartier, dont les taux de scolarisation des enfants et des adultes sont des
révélateurs, qui a un effet positif sur la prévalence contraceptive moderne.
Ainsi en milieu urbain, le fait de vivre dans un ménage pauvre et un quartier
dont la population est faiblement scolarisée conduit à un faible taux
dutilisation de la contraception moderne.
En
milieu rural, linstruction et lactivité dans les secteurs secondaire ou
tertiaire, formel ou informel, ont un effet positif sur la pratique
contraceptive. Les femmes illettrées ou qui vivent dans des ménages dont le
chef est lui-même illettré sont moins susceptibles dutiliser une
contraception. Il en est de même des agricultrices et des femmes sans activité.
À léchelle contextuelle du village de résidence de la femme, aucune variable
na deffet sur lutilisation des méthodes contraceptives modernes, mais deux
dentre elles ont un lien significatif avec lutilisation des méthodes
naturelles ou traditionnelles : le niveau de développement
socio-économique du village et le niveau de la mortalité des enfants de moins
de cinq ans. En milieu rural, la pauvreté, associée aux conditions de vie les
plus basses et à la plus forte mortalité des enfants, correspond par conséquent
à la plus faible prévalence de la contraception naturelle ou traditionnelle et
se trouve donc associée à une moindre régulation de la fécondité.
Si
linstruction joue en elle-même un rôle très important, voire majeur, sur la
propension à utiliser une contraception, notre analyse des interactions a
montré quelle navait pas de véritable effet interactif avec les variables du
développement local que nous avons identifiées. Par contre son effet sur
laugmentation de la contraception est plus important dans les régions de
savanes, correspondant à la moitié nord du pays et à la zone la plus pauvre de
Côte dIvoire.
Lensemble de nos
résultats confirme lassociation de la pauvreté humaine, caractérisée dans
notre étude par un faible niveau dinstruction et des conditions de vie
familiales et locales précaires, avec la faible pratique contraceptive. Il
indique tout leffort qui reste à faire au niveau politique et institutionnel
pour étendre laccès à léducation à toutes les couches sociales et améliorer
les conditions de vie des populations. En attendant que linstruction et
linsertion des femmes dans les activités secondaires et tertiaires se
généralisent, des efforts doivent être entrepris pour faciliter laccès à la
planification familiale par les groupes confrontés à des problèmes et à des
obstacles particuliers, tels les analphabètes et les pauvres des zones rurales
qui sont pour la plupart très éloignés des centres de santé où se délivrent
généralement ces services (Vimard et al., 2002). Le gouvernement et les
prestataires des services de planification familiale ont la responsabilité de
sassurer que les interventions visant à accroître lusage des méthodes
contraceptives sont de qualité et quelles prennent suffisamment en compte les
préoccupations des catégories vulnérables de la population. Ils devraient aussi
travailler avec ces individus de manière à accroître leurs connaissances en
leur fournissant des informations pertinentes et objectives sur les propriétés
des différentes méthodes contraceptives en particulier celles des méthodes
modernes. Ils devraient chercher à accroître le soutien dont pourraient
bénéficier les femmes en prenant en compte les préoccupations des hommes en
matière de planification familiale. Car, il semble que les hommes ont besoin
dêtre motivés à lutilisation des méthodes contraceptives par les femmes. Il
est clair que notre analyse ne prend pas en compte toute la réalité
socioculturelle qui entoure la planification familiale dans le pays. Il importe
donc dapprofondir cette étude en intégrant des variables relatives aux normes,
aux contraintes économiques et au coût des méthodes contraceptives.
Note :
1) Pour une
approche plus complète de lévolution de la fécondité en Côte dIvoire, à
laide des modèles multi niveaux, on pourra se reporter à Talnan, 2005.
2) Lenquête
démographique et de santé de 1994 a été choisie de préférence à celle de
1998-99 car son échantillon est plus important et ses données apparaissent de
meilleure qualité.
3) Bien que traduisant le contexte
socioculturel de la femme, lethnie, la religion et le lieu de socialisation
sont utilisés ici comme des variables individuelles pour la simple raison quen
Côte dIvoire, il nest pas rare de trouver plusieurs femmes dethnies ou de
religion différentes cohabiter dans un même lieu de résidence à cause des
migrations internes et internationales. Cest ainsi quune femme peut se
retrouver dans une localité où lethnie et la religion dominantes ne sont pas
les siennes. Elle pourrait avoir tendance à se conformer aux règles prônées par
sa religion ou son ethnie pour ce qui est des pratiques reproductives surtout
lorsquelle na pas été socialisée dans ce lieu de résidence. En ce sens, ces
variables agissent comme des caractères individuels plutôt que collectif.
4) La structure
familiale du ménage de résidence est construite à partir du lien de parenté
avec le chef de ménage. Elle comportait au départ sept modalités : les
ménages sans famille nucléaire composés du chef de ménage et de ses enfants,
les ménages monoparentaux simples composés dun des parents et de ses enfants
sans la présence dune autre personne, les ménages monoparentaux élargis à
dautres personnes apparentées ou non au chef de ménage, les ménages nucléaires
monogames ou polygames et les ménages élargis monogames ou polygames. Mais
compte tenu de la rareté statistique qui caractérisait certaines modalités,
nous avons procédé à des regroupements pour aboutir à quatre modalités qui
sont : les ménages sans famille nucléaire composés des ménages où
le chef est seul sans épouses ni enfants, et des ménages monoparentaux (simples
ou élargis) ; les ménages nucléaires monogames ou polygames ; les
ménages monogames élargis ; les ménages polygames élargis.
5) Sur la base de cette
classification, 17,8 % des femmes de notre échantillon nont aucun accès
aux services de planification familiale en milieu urbain, 39,1 % ont un
accès très difficile, 24,7 % ont un accès difficile, 10,7 % ont un
accès facile et 7,7 % ont un accès très facile. Dans les zones rurales,
13,9 % des femmes nont pas du tout accès à ces services, 42,3 % y
ont accès très difficilement, 25 % y ont accès difficilement, alors que
13,7 % y ont accès facilement et 4,9 % ont un accès très facile à ces
services de planification familiale.
6) Lutilisation dun modèle vide
permet de mieux analyser les variations de la variance contextuelle au fur et à
mesure que lon introduit des variables explicatives dans le modèle.
7) Certaines variables telles que
laccessibilité à la planification familiale, le nombre de noyaux familiaux
présents dans le ménage autres que celui constitué par le chef de ménage et
lexpérience individuelle du décès dun enfant ont été exclues de lanalyse
parce quelles nont pas montré de liens significatifs avec la pratique
contraceptive en milieu urbain comme dans les zones rurales.
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Copyright 2006 - Union for African Population Studies
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