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African Population Studies
Union for African Population Studies
ISSN: 0850-5780
Vol. 9, Num. 1, 1994
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African Population Studies/Etude de la Population Africaine, Vol. 9, April/avril
1994
POURQUOI LES FEMMES ARRÊTENT-ELLES D'UTILISER
LA CONTRACEPTION? L'EXEMPLE DU BOTSWANA
Pierre NGOM
Code Number: ep94003
RÉSUMÉ
Cette étude examine les causes de l'arrêt des méthodes
de régulation de la fécondité au Botswana en se basant
sur les données de son Enquête Démographique et de Santé menée
en 1988. La majorité des femmes qui ont arrêté l'utilisation
de leur méthode de planification familiale ont évoqué deux
causes principales: les problèmes de santé rencontrés
et le désir d'avoir d'autres enfants. L'opposition du mari (ou du partenaire
sexuel) est l'une des autres raisons importantes mentionnées par les
femmes. L'auteur identifie ensuite les facteurs socio-économiques et
culturels qui peuvent influencer les femmes à arrêter leur méthode
de régulation de la fécondité. Finalement, quelques implications
pour les programmes africains de planification familiale sont discutées.
INTRODUCTION
Deux raisons majeures expliquent pourquoi les programmes de planification
familiale s'intéressent aux causes et conséquences de l'arrêt
de l'utilisation des méthodes contraceptives. D'une part, lorsqu'une
femme décide de ne plus pratiquer la contraception, elle est, en moyenne,
exposée à un risque beaucoup plus élevé de contracter
des grossesses répétées. D'autre part, plusieurs recherches
sur l'arrêt des méthodes contraceptives montrent que, le plus
souvent, celui-ci reflète la qualité même des services
de planification familiale (Bruce 1990, Foreit 1991, Williamson et al. 1991).
Peu de recherches sur l'arrêt de l'utilisation des méthodes contraceptives
en Afrique sont actuellement disponibles. Cette situation est certainement
due au fait que, dans beaucoup de pays en Afrique au Sud du Sahara, l'un des
objectifs principaux des programmes de planification familiale est d'accroître
le niveau national de la prévalence contraceptive. Toutefois, une proportion élevée
de femmes qui arrêtent l'utilisation de leur méthode de régulation
des naissances peut avoir un effet négatif sur la prévalence
contraceptive d'un pays donné, même si la proportion de nouvelles
recrues qui adoptent la planification familiale reste stable dans le temps.
Une autre conséquence de l'arrêt des méthodes contraceptives
est que celui-ci peut avoir indirectement un impact négatif sur la proportion
de femmes qui décident d'adopter la contraception. Les femmes qui arrêtent
d'utiliser la pilule, parce qu'elle leur cause des vertiges par exemple, peuvent
en parler à leurs amies qui, conséquemment, seront découragées
d'adopter une telle méthode.
Les enquêtes démographiques menées récemment au
Botswana montrent que l'indice synthétique de fécondité est
passé de 7,1 en 1981 à 6,5 en 1984 et 5,0 en 1988 (Lesetedi et
al. 1989). Ces changements sont essentiellement attribuables au succès
du programme national de planification familiale mis en place depuis 1973.
La proportion des femmes en union, utilisatrices de méthodes modernes
de contraception, est passée de 19% en 1984 à 33% en 1988. Toutefois,
d'après les données de l'Enquête Démographique et
de Santé au Botswana de 1988, plus de la moitié des femmes ayant
pratiqué la contraception au cours des cinq dernières années
précédant la date de cette enquête ont eu à arrêter
l'utilisation d'au moins une méthode.
La présente étude aborde les aspects majeurs de l'arrêt
de l'utilisation des méthodes contraceptives au Botswana. Les implications
pour les programmes de planification familiale en Afrique y sont également
examinées. Plus précisément, nous répondrons aux
trois questions suivantes: quelles est l'ampleur de l'arrêt des méthodes
de régulation de la fécondité au Botswana? Pourquoi les
femmes arrêtent-elles d'utiliser la contraception au Botswana? Et, quelles
en sont les implications pour les programmes africains de planification familiale?
Ces questions seront abordées en utilisant les donnés collectées
par l'Enquête Démographique et de Santé au Botswana (EDSB)
de 1988. L'EDSB avait interrogé 4.368 femmes âgées de 15 à 49
ans révolus. Pour chaque femme enquêtée, des informations
ont été recueillies sur les dates de début d'utilisation
et d'arrêt des deux dernières méthodes contraceptives.
Pour réduire les biais éventuels dûs aux défauts
de mémoire, seule la dernière méthode contraceptive fera
l'objet des analyses qui vont suivre. Toutefois, Il se peut que certains de
ces arrêts soient temporaires: l'enquêtée peut décider
d'utiliser une autre méthode immédiatement après la date
de l'enquête.
Arrêt des méthodes de régulation de la fécondité au
Botswana
A partir des données de l'EDSB, il est possible de construire une table
de survie pour l'arrêt des méthodes de régulation de la
fécondité. Une telle table a pour but de présenter le
devenir d'une cohorte de contraceptrices durant les 12 premiers mois suivant
leur début d'utilisation d'une méthode moderne. Pour la reconstitution
de cette cohorte, l'échantillon a été restreinte aux femmes
qui ont entamé l'utilisation de leur dernière méthode
au cours de la période tri-annuelle précédant la date
de l'enquête. Les probabilités de survie obtenus à chaque
durée mensuelle ont été légèrement corrigées
pour tenir compte de l'effet de censure introduit par la date de l'enquête.
Les résultats d'un tel procédé figurent au Tableau 1.
Les résultats du tableau 1 suggèrent que 17% des femmes du Botswana
qui adoptent une méthode contraceptive l'abandonnent au terme de la
première année d'utilisation. En guise de comparaison, le pourcentage
correspondant est seulement de 6% pour des pays comme la Colombie et la Thailande
(Bulatao, 1993). Le pourcentage trouvé pour le Botswana est comparable à celui
du Paraguay (18%) qui, selon Bulatao (1993: 43), est considérablement élevé.
L'arrêt des méthodes de régulation de la fécondité est
donc d'une ampleur sérieuse au Botswana. Il est par conséquent
important d'identifier les principales causes qui sous-tendent de tels arrêts.
Pourquoi les femmes arrêtent-elles d'utiliser la contraception au
Botswana?
L'enquête Démographique et de Santé du Botswana a demandé à chaque
femme, qui a arrêté l'utilisation d'une méthode contraceptive,
la raison qui l'a conduite à entreprendre une telle action. La figure
1 présente les trois principales causes évoquées par les
femmes qui ont arrêté une méthode contraceptive dans les
trois dernières années précédant la date de l'enquête
(les autres causes sont présentées au Tableau 2). Ces causes
ont été arrangées selon le type de méthode contraceptive:
Pilule, dispositif intra-utérin (DIU), et injections. Du fait de la
faiblesse des effectifs en présence, les méthodes traditionelles
(abstinence, retrait) et le condom ne sont pas inclus au sein du tableau 1.
Concernant le DIU, la pilule et les injections, la plupart des femmes ont
indiqué qu'elles ont arrêté leur utilisation à cause
de problèmes de santé. Bien que l'EDSB n'ait pas collecté des
données détaillées sur la nature de ces problèmes
de santé, il est bien connu que l'insertion du DIU est souvent associée à des
effets secondaires réels tels que des crampes menstruelles ou des saignées
anormales (Mauldin 1978). D'autres complications médicales, bien que
rares, peuvent être également causées par l'utilisation
du DIU: par exemple, inflammations du pelvis, perforations de l'utérus,
etc. (Kraeger 1977).
En plus de ces effets secondaires réels, il faut également noter
que certains des problèmes de santé évoqués par
les femmes peuvent refléter les rumeurs qui circulent à propos
des méthodes contraceptives. L'imagerie populaire au Botswana véhicule
un ensemble de croyances négatives concernant les méthodes contraceptives
et celles-là influencent certainement les femmes qui utilisent de telles
méthodes. Larson (1983), au terme d'une enquête sur de telles
croyances, montre que la plupart des femmes du Botswana croient que, pendant
les relations sexuelles, le DIU peut aller se loger au niveau du cerveau ou
de la gorge de la femme; que le DIU cause des maladies vénériennes,
et que la taille du DIU augmente énormément au sein de l'organisme
de la femme de laquelle elle peut ne plus être enlevée. Cette
même étude indique également que les femmes du Botswana
croient que la pilule accroît anormalement le poids du nouveau-né et
qu'elle cause le cancer. De telles croyances sont effrayantes et peuvent aussi
expliquer la proportion élevée de femmes qui ont arrêté les
injections pour des raisons de santé (Figure 1).
La deuxième raison la plus importante évoquée par les
femmes qui arrêtent d'utiliser la contraception concerne le désir
d'avoir un autre enfant. Ceci reflète certainement, comme l'indiquent
van de Walle et van de Walle (1991), que la demande de contraception pour des
besoins d'espacement des naissances reste encore très élevée
pour les pays de l'Afrique subsaharienne. Au Botswana, beaucoup de femmes utilisent
la contraception pour espacer leurs naissances et arrêtent la pratique
de la planification familiale dès qu'elles veulent avoir d'autres enfants.
Cependant un certain nombre de femmes qui utilisent la contraception et qui
tombent accidentellement enceinte auront tendance à considérer
une telle grossesse comme étant désirée.
L'opposition du mari ou du partenaire sexuel est la troisième raison évoquée
par les femmes qui ont arrêté l'utilisation de leur méthode
de régulation des naissances. La décision d'utiliser la contraception
ne dépend pas d'un seul individu: dans les sociétés où les
femmes subissent la dictature des hommes (par exemple: Afrique, Japon), le
résultat précédant n'est pas surprenant. Que l'influence
du mari dans l'arrêt des méthodes contraceptive arrive seulement
en troisième position (Figure 1) est dû au fait que c'est généralement
par la suite d'un consensus au sein du couple que les femmes en question avaient
décidé d'utiliser de telles méthodes.
Les raisons qui sous-tendent l'arrêt des méthodes de régulations
des naissances sont également liées aux caractéristiques
socio-économiques et culturelles des utilisatrices de la contraception.
Influence des variables socio-économiques et culturelles sur l'arrêt
de l'utilisation des méthodes contraceptives.
Quelques exemples suffisent pour introduire ce que nous entendons par variables
socio-économiques et culturelles influençant l'arrêt de
l'utilisation des méthodes de régulation des naissances. Par
exemple, les femmes n'ayant jamais été à l'école
ont probablement plus tendance à arrêter l'utilisation de leur
méthode contraceptive pour des raisons de santé étant
donné qu'elles sont plus exposées aux rumeurs qui circulent concernant
les effets secondaires fictifs de telles méthodes. En outre, les femmes
qui ont un niveau scolaire élevé sont généralement
plus motivées à utiliser de façon continue la contraception,
probablement par ce qu'elles doivent travailler dans le secteur moderne de
l'économie ou simplement parce qu'elles sont plus attirées par
la famille nucléaire de type occidentale. Les femmes qui n'ont pas beaucoup
d'enfants évoqueront certainement leur désir d'avoir d'autres
enfants comme étant la raison qui les pousse à arrêter
leur méthode de planification familiale. Une bonne connaissance de la
nature de ces relations est très importante surtout lorsqu'il s'agit
d'élaborer des stratégies de promotion de la planification familiale
destinées à des population cibles bien déterminées.
Comme l'indiquent Dackam Ngatchou, Mfoulou et Sala-Diakanda (1990: 115): "l'utilisation
des services de planning familial dépend évidemment des croyances
et des traditions, du niveau d'instruction, etc.... Les APF [Association pour
la Planification Familale] doivent en tenir compte dans leurs activités
d'IEC pour orienter les information adéquates selon la population cible
retenue".
Nous utiliserons un modèle explicatif qui relie le risque mensuel d'arrêter
d'utilisation d'une méthode contraceptive et les caractéristiques
socio-économiques et culturelles suivantes: le niveau d'éducation
de la femme (n'a jamais fréquenté l'école, niveau primaire,
niveau secondaire ou plus), son âge à la dernière maternité,
le type de méthode contraceptive utilisée (pilule, DIU, injections,
autres méthodes), sa religion (chrétienne/protestante, traditionnelle,
autre/sans religion) et son milieu de résidence (urbain ou rural). L'influence
de ces variables sur l'arrêt des méthodes de régulation
des naissances a été démontrée par plusieurs autres études
(Grady et al. 1988, Hammerslough 1984, Schirm et al. 1982). Ce modèle
permettra de comparer le risque d'arrêter d'une méthode contraceptive
pour les groupes de femmes appartenant aux différentes catégories
d'une même variable socio-économique ou culturelle donnée,
tout en assurant que les différences qu'elles peuvent avoir sur les
autres variables soient éliminées (Tableau 3). En d'autres termes,
ce modèle permet de répondre à des questions du genre
: en supposant que deux femmes utilisent la même méthode contraceptive,
sont toutes deux du milieu rural, ont le même âge à la dernière
maternité, mais ont des niveaux d'éducation différents,
quelle est celle qui est soumise à un risque plus élevé d'arrêter
d'utiliser la contraception. Les résultats provenant d'un tel modèle
sont présentés au tableau 3.
Toutes choses étant égales par ailleurs, le risque d'arrêt
de l'utilisation des méthodes de régulation des naissances décroît
lorsque le niveau d'éducation augmente. Le tableau 3 indique que les
femmes ayant au moins le niveau d'éducation secondaire ont un risque
d'arrêt de leur méthode contraceptive 52% fois moins élevés
que celui des femmes sans niveau d'éducation. Aucune différence
substantielle n'a été observée entre les femmes de niveau
d'éducation primaire et celles n'ayant jamais fréquenté l'école.
Il est fort plausible qu'en fait le niveau secondaire soit le seuil à partir
duquel la motivation des femmes du Botswana pour arrêter la contraception
ait un effet significatif. Les femmes de niveau secondaire (ou plus) ont probablement
plus de chances de travailler dans le secteur moderne de l'économie,
alors que quelques années d'éducation primaire ne permettent
nécessairement pas l'accès à de tels débouchés.
Mais il est également possible que les femmes ayant au moins le niveau
d'éducation secondaire soient plus réceptives aux campagnes d'Information,
d'Education et de Communication sur les méthodes de régulation
de la fécondité.
Le tableau 3 montre également que le risque d'arrêter la pratique
de la régulation des naissances baisse lorsque l'âge à la
dernière maternité augmente. Les femmes dont l'âge à la
dernière maternité est élevé sont en fait les femmes
ayant une parité plus élevée que la moyenne. Ces femmes
ont donc certainement plus de chances d'avoir atteint le nombre d'enfants desiré et
sont donc beaucoup plus motivées de ne pas arrêter la pratique
de la contraception. Les femmes à parité élevée
sont également plus motivées à espacer leurs naissances
que celles qui n'ont pas beaucoup d'enfants. Grady et Billy (1989) soutiennent
que cet effet négatif du nombre d'enfants nés vivants sur le
risque de d'arrêter l'utilisation des méthodes de régulation
des naissances est lié au fait que les femmes à parité élevée
sont plus sensibles aux coûts (monétaires, psychologiques, et
sociaux) que leur imposerait une grossesse non planifiée.
Les résultats du Tableau 3 démontrent que les femmes qui utilisent
le DIU arrêtent dans une proportion plus faible la pratique de la contraception
que celles qui utilisent la pilule. Le rapport des risques - ou risque relatif
- d'arrêter l'utilisation de la contraception entre ces deux groupes
de femmes est de 38%. Le fait que le DIU soit plus performant que les autres
méthodes est partiellement lié à certaines caractéristiques
de cette méthode. D'une part la technologie du DIU a été substantiellement
modifiée afin de réduire les risques de saignée ou d'inflammation
du pelvis (Lee et al. 1988). D'autre part l'efficacité même du
DIU a été largement améliorée: Segal(1989) a estimé que
moins de 1% des femmes qui utilisent correctement le TCU-380 contractent une
grossesse non désirée. Les autres facteurs qui expliquent la
performance du DIU sont relatifs aux caratéristiques des femmes qui
l'utilisent. Une fois que le DIU est inséré, il n'est plus sous
l'influence de certains facteurs (tels que l'oubli ou l'utilisation incorrecte)
qui jouent un rôle négatif sur la pratique continue des autres
méthodes contraceptives telles que la pilule ou le condom. Il faut noter
aussi que les femmes qui utilisent le DIU sont, en général, celles
qui veulent strictement réguler leur fécondité. Au Botswana,
une femme n'est autorisée d'utiliser le DIU que lorsqu'elle a déjà atteint
le nombre d'enfants désiré (voir Lesetedi et al. 1989: 6).
Le tableau 3 suggère enfin que les femmes affiliées aux religions
traditionelles africaines arrêtent dans une proportion plus grande les
méthodes de régulation des naissances que celles qui sont adeptes
des autres religions (protestantisme, catholicisme, et celle n'ayant aucune
religion). Selon Caldwell et Caldwell (1988), ces différences sont dues
au fait qu'être affilié à une religion africaine signifie être
moins exposé aux idées provenant du monde occidental. Mais une
telle explication ne peut être soutenue ici puisque les différences
dues au niveau d'éducation (qui mesure certainement mieux le degré d'exposition
au monde occidental) ont été éliminées. Nous croyons
que les différences observées sont liées au fait que religions
traditionelles africaines et croyances populaires vont de paire, et que les
croyances populaires au Botswana véhiculent un certain nombre de rumeurs
qui peuvent décourager l'utilisation continue des méthodes de
régulation des naissances. Les religions traditionelles africaines impliquent également
une conformité stricte avec les exigences des ancêtres qui considèrent
la régulation des naissances comme un péché qui mérite
une sévère punition (Molnos 1968).
Les causes qui sous-tendent l'arrêt des méthodes de régulation
de la fécondité sont donc diverses. Au Botswana, les femmes arrêtent
l'utilisation de telles méthodes pour deux raisons essentielles: les
problèmes de santé (réels ou fictifs) causés par
ces méthodes, et le désir d'avoir d'autres enfants. Une autre
raison avancée par les femmes concerne l'opposition de leur mari. Nous
avions également montré qu'être affilié à une
religion africaine, avoir une parité peu élevée, avoir
un bas niveau d'éducation, et utiliser une méthode contraceptive
autre que le DIU sont des facteurs qui influencent les femmes à arrêter
leur méthode de régulation de la fécondité.
Quelques implications de l'arrêt des méthodes de régulation
de la fécondité pour les programmes africains de planification
familiale
Pour mieux comprendre l'importance qui doit être accordée à la
recherche sur les causes et conséquences de l'arrêt des méthodes
de régulation des naissances, il est important d'étudier la relation
qui existe entre la proportion de femmes qui arrêtent la pratique de
la contraception et le niveau national de la prévalence contraceptive.
La figure 2 a été obtenue à partir d'un modèle
de simulation comprenant trois variables: la prévalence contraceptive
annuelle, la proportion de femmes qui arrêtent leur méthode contraceptive
après moins d'un an d'utilisation, et la proportion de nouvelles recrues
par le programme national de planification familiale (Williamson et al. 1991,
Jain 1989, Mauldin 1978, Bruce et Jain 1991).
Ce modèle de simulation démontre que les efforts investis par
les programmes de planification familiale, afin d'augmenter la prévalence
contraceptive, peuvent bénéficier d'un effet d'entraînement
immense si la proportion de femmes qui arrêtent la pratique de la contraception
baisse. Nous avions indiqué que le taux annuel d'arrêt des méthodes
contraceptives est de 17% au Botswana où la prévalence contraceptive
est de 33%. Pour maintenir le taux de prévalence contraceptive à ce
niveau, il est nécessaire de recruiter, annnuellement, au moins 6% des
utilisatrices potentielles de la contraception. Supposons que, pour les dix
prochaines annés, le taux de recruitement reste constant à 6%,
mais que le programme national de planification familiale veuille accroître
la prévalence contraceptive de 33% à 50%. Les résultats
du modèle présenté au niveau de la figure 2 indiquent
qu'en réduisant le taux annuel d'arrêt des méthodes de
régulation de la fécondité de 17% à 12%, la prévalence
contraceptive augmenterait de 33% à 50%.
La réduction de la proportion de femmes qui arrêtent leur méthode
de régulation des naissances veut également dire qu'un nombre
de plus en plus élevé d'utilisatrices sont satisfaites de leur
méthode de choix. Celles ci peuvent en parler à leurs amies et
un effet boule de neige peut s'en suivre. Piotrow et Meyer (1991: 109) indiquent
que "les utilisatrices satisfaites sont une des sources de communication les
plus crédibles quand il s'agit d'atteindre des clients potentiels et
peuvent accroître le taux d'adoption [de la contraception]".
Un autre aspect des résultats présentés sur la figure
2 est la suivante: la prévalence contraceptive peut baisser si le taux
annuel d'arrêt des méthodes de régulation de la fécondité augmente,
et ce, même si la proportion de nouvelles recrues qui adoptent la planification
familiale reste stable dans le temps. Les programmes nationaux de planification
familiale doivent donc élaborer des stratégies appropriées
pour réduire la proportion de femmes qui arrêtent leur méthode
de régulation des naissances.
CONCLUSION
Une proportion élevée de femmes ont arrêté leur
méthode de régulation des naissances pour des raisons de santé.
En outre, la proportion de femmes qui arrêtent leur méthode contraceptive
est beaucoup plus élevée parmi celles ayant un bas niveau d'éducation
et celles affiliées aux religions traditionnelles africaines. Un remède
partiel à cette situation consiste à améliorer les campagnes
d'IEC. Cette amélioration sera mieux réussie si les responsables
des programmes de planification familiale sont au courant des rumeurs concernant
les méthodes contraceptives. Par exemple, si dans une zone donnée,
la rumeur la plus persistante est que "la contraception rend stérile",
ou que "un bébé X est né avec un stérilet dans
la main", les campagnes d'IEC doivent lutter contre de telles croyances. Mais
pour mener à bien cette lutte il faut d'abord que le contenu de ces
rumeurs soit connu.
La deuxième raison importante mentionnée par les femmes, qui
arrêtent d'utiliser les méthodes de régulation des naissances,
est qu'elles désirent avoir d'autres enfants. Un autre résultat
qui est rapprochable à celà est que les femmes à parité élevée
ont plus tendance à arrêter l'utilisation de telles méthodes.
Ces deux aspects suggèrent, si besoin en est, que l'arrêt de la
pratique de la régulation des naissances est étroitement lié à la
fécondité des utilisatrices des méthodes contraceptives.
Là intervient le rôle de la motivation de la femme (ou du couple) à exercer
un contrôle aussi bien sur son comportement procréateur que sur
le choix du type de méthode à utiliser. Il est plus indiqué de
fournir des méthodes temporaires (pilules, condoms, méthodes
vaginales) aux femmes qui veulent espacer leur naissances. Quant à celles
qui ne désirent plus avoir d'enfants les méthodes à long
terme (DIU) sont plus indiquées.
La présente étude a aussi insisté sur le fait que beaucoup
de femmes arrêtent l'utilisation de leur méthode contraceptive
suite à des pressions exercées par leur mari. Il est donc urgent
que les programmes africains de planification familiale prennent en compte
l'opinion des hommes. Un rapport élaboré par la Fédération
Internationale pour le Planning Familial (IPPF 1984) suggère qu'une
façon d'atteindre un tel objectif consiste à mener des activités
d'information afin de gagner le support des maris.
Tableau 1 : Table de survie pour l'arrêt des méthodes de
régulation de la fécondité
Durée
d'utilisation
(en
mois exacts) |
Proportions
d'utilisatrices de la contraception |
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12 |
1,0000
0,9967
0,9769
0,9669
0,9378
0,9182
0,9053
0,8916
0,8843
0,8686
0,8504
0,8489
0,8341 |
Source: Base de données de l'Enquête Démographique
et de Santé au Botswana de 1988.
Tableau 2 : Distribution (en %) des femmes qui ont arrêté leur
dernière méthode de régulation des naissances durant
les trois années précédant l'enquête, selon la
cause évoquée
Causes de l'arrêt des méthodes de régulation de
la fécondité |
Type
de Méthode |
Pilule |
DIU |
Injections |
Désir d'avoir d'autres enfants
Méthode inefficace
Opposition du mari
Problèmes de santé
Difficile à obtenir
Difficile à utiliser
Sexuellement inactive
Fataliste
Autre
Total
Nombre de femmes ayant arrêté l'utilisation de la méthode |
13.6
0.3
5.2
58.9
3.4
0.9
5.0
0.8
11.4
100.0
189 |
25.5
1.3
3.3
46.4
0.0
1.3
3.3
1.3
17.7
100.0
44 |
8.9
0.0
2.6
77.1
0.0
0.0
0.0
0.0
11.5
100.0
56 |
Source: Base de données de l'Enquête Démographique
et de Santé au Botswana de 1988.
Tableau 3
: Régression1 du risque mensuel d'arrêter l'utilisation
de la contraception sur un certain nombre de caractéristiques socio-économiques
et culturelles (Botswana, 1988)
Caractéristiques socio-économiques et culturelles des
femmes |
Coefficients
Estimés |
Ecarts
types |
Risques
relatifs2 |
Education
Sans
Primaire
Secondaire ou plus
Religion
Chrétienne/protestante
Traditionelle
Autre/aucune
Age à la dernière maternité
Milieu de résidence
Urbain
Rural
Méthode contraceptive
Pilule
DIU
Injections
Others
Nombre de femmes
Nombre d'événements
Nombre d'utilisatrices au moment de l'enquête |
Référence
-0.322
-0.732
référence
0.553
0.186
-0.045
référence
0.052
référence
-0.957
0.446
0.534
1026
157
869 |
0.209
0.255
0.200
0.242
0.015
0.166
0.349
0.228
0.324 |
----
0.48
1.74
----
0.96
----
0.38
----
---- |
1 La méthode de régression utilisée ici
est celle proposée par Cox (1972) et connue sous le nom de model à risques
proportionels.
2 Le risque est exprimé ici relativement à la
catégorie de référence. Il est égal à l'exponentiel
du coefficient estimé en colonne 2 du même tableau. Le risque
relatif n'a pas été calculé lorsque le coefficient estimé n'est
pas statistiquement différent de zéro au seuil de 5% ( c'est-à-dire
généralement lorsque le double de l'écart type est supérieur
au coefficient estimé): dans ce cas il est sous-entendu que le risque
relatif est égal à l'unité.
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REMERCIEMENTS
L'auteur tient à remercier Etienne van de Walle et l'évaluateur
anonyme du présent journal pour leurs suggestions et commentaires. Une
version antérieure de cet article a été présentée à la
conférence de l'UEPA sur "La Reproduction et la Santé Familiale
en Afrique", Abidjan: 8-13/11/93.
Copyright 1994 - Union for African Population Studies.
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