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African Population Studies
Union for African Population Studies
ISSN: 0850-5780
Vol. 9, Num. 1, 1994
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African Population Studies/Etude de la Population Africaine,
Vol. 9, April/avril
1994
LA
DYNAMIQUE DE LA FECONDITE DES ADOLESCENTES AU SENEGAL
Nafissatou Jocelyne DIOP
Code Number: ep94005
I-INTRODUCTION
L'étude de la fécondité des adolescentes est en train
de devenir une sous-discipline principale des études de population (Westoff
et al., 1983). En Afrique, cette problématique ne fait que commencer à soulever
l'intérêt. Dans plusieurs pays, elle est encore reçue avec
beaucoup de scepticisme car elle n'est pas encore perçue comme un problème.
Pourtant si l'on se place dans une perspective de diminution de la fécondité,
l'apport des naissances des adolescentes est considérable, puisque dans
la plupart des pays africains les naissances d'adolescentes comptent pour 20
% des naissances totales (United Nations, 1989). Les cas de grossesses avant
le mariage deviennent également de plus en plus importantes (Nichols
et al., 1986; Gyepi-Garbrah, 1985) avec des conséquences souvent dramatiques.
En effet, le nombre des avortements illégaux a considérablement
augmenté avec des conséquences néfastes sur la santé ;
des abandons scolaires quand la grossesse survient chez les adolescentes en
scolarité ; une augmentation de l'infanticide ; et des répercussions
sur la santé des enfants (Omu, 1981; Senderowitz et Paxman, 1986; Akuffo,
1987; Hobcraft, 1987; Adetoro et Agah, 1988).
Ainsi grâce à la littérature plusieurs aspects pertinents
pour une recherche sur la fécondité des adolescentes en Afrique
ont été identifiés. Parmi ces aspects figurent en bonne
place la préoccupation pour l'activité sexuelle des jeunes filles
célibataires, urbaines et en scolarité. Cependant, les explications
avancées comme déterminantes de cette activité sexuelle
sont tirées de contextes d'études trop restrictifs (Ladipo et
al., 1983; Akuffo, 1987; Gyepi-Garbrah, 1985; Nichols et al.,1986).
La fécondité des adolescentes mariées a quant à elle
fait l'objet de très peu d'études, ce qui, dans les pays développés
se justifie amplement car plus de 90% des adolescentes y sont célibataires.
Mais, dans les pays africains, cette situation est simplement inadmissible.
En effet dans ces pays, c'est plus de la moitié des adolescentes qui
sont mariées. De surcroît, elles vivent dans les milieux ruraux
et n'ont aucune instruction. En adoptant ce cadre d'étude restrictif,
seule une minorité d'adolescentes seront concernées alors que
c'est la grande majorité de ces femmes qui sont intéressées
car ce sont elles qui ont besoin d'un programme d'intervention.
L'objet de cette étude est d'analyser la fécondité durant
l'adolescence d'une manière plus générale, afin de mieux
percevoir les changements qui ont eu lieu. Cette étude part de l'hypothèse
de base que les changements socio-économiques importants intervenus
dans les sociétés africaines durant les dernières décennies,
ont perturbé les trajectoires de vie des adolescentes.
Dans la plupart des dictionnaires, l'adolescence est définie comme "le
processus à travers lequel un individu fait la transition du stade de
l'enfance à celui d'adulte". L'adolescence se caractérise par
des efforts pour atteindre "un développement social, physique, mental
et émotionnel" (Elder, 1980). Si, dans la plupart des cultures, c'est
le début de la puberté qui marque le début de l'adolescence,
la fin de l'adolescence n'est pas, quant à elle, clairement définie
(Senderowitz et Paxman, 1985; WHO, 1986). Senderowitz et Paxman (1985) pensent
que la définition de l'adolescence peut varier d'une culture à l'autre
et tant que certains critères reconnus comme ceux d'un adulte ne se
sont pas manifestés, on ne pourra pas parler d'adolescent dans cette
culture. Aussi ce qui définit l'adolescence n'est pas la puberté,
ou la croissance soudaine, ou le processus de maturation générale,
mais plutôt la perception de cette maturation communement admise dans
la société considérée. Or le mariage est synonyme
de respectabilité, de maturité et de statut d'adulte. La maternité également
est reconnue comme telle, et même quand elle arrive en dehors du mariage,
l'adolescente perd tous ses privilèges de jeune fille, dont la prise
en charge matérielle et sociale par les parents. Ainsi dans la société sénégalaise,
la fin de l'adolescence est marquée par le mariage ou la maternité.
Pour les besoins de l'analyse, nous avons adopté la définition
de travail suivante : "tout événement survenu avant l'âge
de vingt ans marque la fin de l'adolescence". Et cela pour toutes les générations
de l'enquête.
Les déterminants proches qui permettent d'expliquer la fécondité des
adolescentes sont au nombre de quatre:1) La puberté qui marque biologiquement
le début d'exposition au risque de grossesse; 2) Le mariage qui marque
socialement le début de l'exposition au risque de grossesse; 3) La contraception
dont l'utilisation empêche la grossesse; 4) Et l'avortement provoqué qui
met fin à une grossesse non-désirée.
Dans cet article nous ne retenons que deux déterminants proches : la
puberté et le mariage.
II-SOURCE DES DONNÉES ET MÉTHODOLOGIE
a- Source des données et limites de l'étude
Cette étude utilise l'Enquête démographique et de santé du
Sénégal (EDS) qui a été réalisée
par la Direction de la Statistique et des Enquêtes Démographiques
d'avril à août 1986. L'enquête individuelle a porté sur
4415 femmes âgées de 15 à 49 ans. Nous allons mener une
analyse longitudinale à partir des trois événements que
sont la puberté, le mariage, la première maternité. Cette
approche longitudinale permet de faire ressortir les effets de génération
et donc montre l'évolution des événements avant l'âge
de 20 ans pour les générations de femmes de 15 à 44 ans.
L'inconvénient majeur de ce type d'analyse réside dans les erreurs
de déclarations aux questions rétrospectives, surtout lorsque
les événements sont très anciens. Pour cette raison, nous
avons préféré éliminer le groupe d'âge 45-49
ans. Cependant, la fécondité des adolescentes n'étant
qu'un aspect particulier de la fécondité féminine en général,
elle reste très influencée par les caractéristiques collectives
liées au milieu socio-culturel et contextuel.
b. Méthode d'analyse
La méthode la mieux adaptée à ce type d'étude
utilise les tables de survie. En effet celles-ci permettent d'éviter
des erreurs systématiques, d'utiliser toutes les données et de
tirer parti de l'information des histoires incomplètes (Le Bourdais
et Desrosiers, 1990).
Dans une enquête transversale comme celle de l'EDS, l'expérience
de certaines femmes de l'échantillon ou leur exposition à un
risque sont interrompues par l'enquête car les événements
ultérieurs qu'elles vivront ne seront pas pris en compte. Par exemple,
les histoires des générations de 15-19 ans et de 20-24 ans sont
incomplètes car un nombre important de femmes n'auront pas encore vécu
l'événement étudié: ce sont les cas tronqués.
Il existe une hypothèse fondamentale qui s'applique à toute table
d'éventualité: c'est l'hypothèse markovienne où l'on
suppose que la probabilité de transition d'un individu ne dépend
que de l'état où il se trouve au début de chaque période
de transition (Aumont, 1987). Etant donné la spécificité de
cette étude, seuls les phénomènes de rang 1 sont pris
en compte : le premier mariage et la première naissance.
Pour la plupart des tables où l'on compare les générations,
nous utilisons des tables brutes qui décrivent l'apparition d'événements
en l'absence de phénomènes perturbateurs et permettent la description
d'un phénomène à l'état pur (Smith, 1980). Ainsi
une table nette fondée sur deux phénomènes concurrents
est construite en considérant deux causes d'éventualité:
les conceptions prénuptiales et les conceptions après le mariage.
Nous utilisons également des tests d'égalité des courbes
de survie et des tests d'associations des variables. Quand on mène une
analyse comparative entre plusieurs courbes de survie, il est utile d'avoir
recours à des tests pour synthétiser les différences entre
des fonctions de survie sur toute la période de l'étude (Kalbfleisch
et Prentice, 1980). La seule manière de tester les distributions des
tables d'éventualité est d'utiliser les tests de rangs à scores
exponentiels. Ces tests sont destinés à comparer le calendrier
de plusieurs tables d'éventualité ayant la même allure.
III-RÉSULTATS
a- La puberté
Dans l'EDS, il a été demandé à l'enquêtée "l'âge
atteint au moment de l'apparition des menstruations". La qualité de
cette variable est difficile à mesurer, car nous n'avons pas de données
comparatives. Mais nous estimons que l'apparition des menstruations étant
un événement marquant pour la jeune fille, les risques de déplacement
ne sont pas plus importants que ceux liés aux déclarations des
dates de mariage ou de la première maternité.
Les tables de survie portant les données du Sénégal montrent
qu'il n'y a pas eu de changements majeurs pour les générations
nées entre 1940 et 1971, comme l'indique l'allure générale
des courbes (figure 1). Cependant les générations nées
entre 1966 et 1971 ont eu leurs menstruations légèrement plus
tôt que les générations nées entre 1951 et 1956,
entre les âges de 14 et 16 ans. Mais la différence reste très
faible et n'a pas l'ampleur de la baisse constatée en France qui a été de
2 ans et 4 mois en 46 ans, ou celle constatée aux Etats-Unis, un an
par génération.
A 18 ans, l'âge auquel toutes les femmes doivent être pubères,
aucune tendance ne se dégage. L'âge médian cependant laisse
apparaître une baisse à peine sensible dans la dernière
génération (Tableau 1). Il faudrait cependant mener l'observation
sur une période plus longue pour confirmer ou infirmer la tendance à la
baisse de la puberté, bien que l'Enquête Sénégalaise
sur la Fécondité de 1978 ait donné les mêmes résultats.
Un test de rangs à scores exponentiels mené sur l'association
entre l'âge à la puberté et les deux variables explicatives
que sont le lieu de résidence et le niveau d'éducation a révélé qu'aucune
des deux variables n'est en réalité significative quand tous
les groupes d'âge sont considérés. L'instruction et le
lieu de résidence ne déterminent donc pas le calendrier de l'âge à la
puberté quand on prend en considération toutes les générations.
Les conditions de vie, en particulier le niveau de nutrition dans le milieu
urbain et le milieu rural, peuvent avoir été longtemps les mêmes,
avec quelquefois de meilleures conditions dans les campagnes, qui sont les
principales sources de production alimentaire. La nourriture est plus facile à trouver,
et à des prix plus abordables. Cependant avec la sécheresse qui
a commencé vers le milieu des années 1970 au Sahel et la crise économique,
l'équilibre alimentaire des campagnes s'est complètement bouleversé.
Les conditions de vie ont commencé à être nettement meilleures
dans les villes.
Relation entre la puberté, le premier mariage et la première
naissance
Le calendrier du mariage selon l'âge auquel les femmes ont eu leur puberté a
montré que quand l'âge à la puberté est précoce,
l'âge au mariage l'est également, l'intervalle entre la puberté et
le mariage étant très court. Ainsi, parmi les femmes qui ont
eu leurs menstruations à 13 ans, 83 % étaient déjà mariées à 18
ans, alors que parmi celles qui ont eu leurs menstruations à 16 ans,
61 % l'étaient à 18 ans également (figure 2).
Le tableau 2 montre aussi qu'un nombre non négligeable de femmes sont
mariées avant l'apparition de leur puberté. Si culturellement
cela se conçoit dans certaines ethnies comme chez les Poulars et les
Soninké où les filles sont promises en mariage à une autre
famille dès l'enfance, nous ne devrions pas les voir apparaître
ici, car avant la puberté, l'union n'est en principe jamais consommée.
Or l'objectif de l'EDS était de déterminer l'âge à la
consommation du mariage afin de cibler les femmes soumises au risque de conception.
C'est pourquoi théoriquement l'âge au mariage que nous utilisons
est en réalité l'âge à la consommation du mariage.
Nous pensons pouvoir ainsi éviter les confusions qui pourraient provenir
du caractère spécifique du mariage traditionnel au Sénégal.
La relation entre les menstruations et la maternité qui vient d'établir
que les femmes qui ont eu leur menstruation précocément ont eu également
une première naissance précoce, est manifeste pour les âges
aux menstruations de 14, 15 et 16 ans. Mais cette relation est encore plus
apparente aux jeunes âges, et s'atténue au fur et à mesure
que l'âge augmente. Ainsi à l'âge de 23 ans, la proportion
des femmes qui ont déjà eu un enfant est pratiquement la même
quel que soit l'âge auquel la puberté est survenue (figure 3).
Cette relation mérite d'être soulignée car elle confirme
que dans des populations non malthusiennes, le début de la fécondité est
déterminé également par l'âge à la puberté.
Cependant, entre les générations nées entre 1946 et 1971,
la baisse de l'âge aux menstruations n'est pas aussi manifeste. Il faudrait
une observation plus longue et des données plus fiables pour pouvoir
tirer des conclusions plus nettes. L'apparition des menstruations chez une
adolescente est également interprétée comme un signe indiquant
que l'adolescente peut être donnée en mariage et consommer ce
mariage. En effet la relation qui a été établie entre
l'âge à la puberté et l'âge au mariage a montré que
dans la société, l'apparition des menstruations signifie que
la fille est physiquement mature pour la reproduction et donc pour le mariage.
La puberté est donc un déterminant non négligeable pour
la formation des familles. La procréation suit très vite.
b. L'entrée en union
L'exposition au risque de concevoir est déterminée aussi bien
par des facteurs physiologiques comme la puberté, que par des facteurs
de comportement. Le premier facteur nécessaire pour qu'il y ait exposition
au risque de grossesse se trouve être l'existence préalable de
rapports sexuels. Ceux-ci peuvent avoir lieu dans le mariage ou en dehors de
tout lien matrimonial. En particulier dans une société islamisée
avec des normes sociales traditionnelles encore très fortes comme celles
du Sénégal, le mariage demeure le seul cadre socialement admis
pour les relations sexuelles. La plupart des études faites sur la fécondité reconnaissent
que le mariage sanctionne l'entrée dans la vie féconde.
Il ressort de l'analyse bivariée que 17,4 % de l'ensemble des femmes
se sont mariées avant leur quinzième anniversaire, mais que le
plus grand nombre de mariage (43,6 %) intervient entre 15 et 17 ans (Rapport
EDS-Sénégal, 1988). Au total c'est près de 89 % des femmes
mariées qui l'ont été avant 20 ans, ce qui confirme la
très forte intensité du mariage durant la période de l'adolescence.
Les données du tableau 2 font apparaître une modification de
la nuptialité. En effet il y a eu une élévation de l'âge
au premier mariage. Pour un âge donné d'entrée en union,
les proportions cumulées de non mariées sont d'autant plus fortes
entre les différentes générations que la génération
est jeune. Les jeunes générations sont donc entrées en
union plus tardivement que leurs aînées ou leurs mères.
Si l'on considère les mariages qui ont été conclus avant
15 ans, donc à un âge très précoce, au 15ième
anniversaire, 20 % des femmes âgées de 40-44 ans, 17% des femmes
de 25-29 ans et 13 % des femmes de 15-19 ans étaient déjà mariées.
On est donc en présence d'une régression régulière
des mariages précoces des vieilles générations aux générations
les plus jeunes. Les mutations les plus importantes se sont produites chez
les générations qui sont nées entre 1966 et 1971 (figure
4). En effet l'écart d'entrée en union entre les générations âgées
de 15-19 ans et 20-24 ans est assez important pour conclure que l'âge
au mariage a régulièrement baissé depuis 20 ans, mais
qu'il y a eu une accélération ces dernières années.
Cependant une partie de cette baisse est surestimée puisqu'il y a eu
une sous-estimation des femmes mariées dans le groupe d'âge 15-19
ans, selon le rapport d'évaluation des Enquêtes Démographiques
et de Santé.
Si les proportions de célibataires sont de plus en plus fortes à mesure
que la génération est jeune, la tendance à la hausse que
nous avons remarquée de l'âge au premier mariage n'est pas très
nette dans tous les groupes d'âge. On peut également voir au tableau
2 que le nombre de femmes qui se marient entre 15 et 19 ans a régulièrement
baissé, passant de 61 % pour les 40-44 ans à 38 % pour les 15-19
ans. Au total à 19 ans, c'est une femme sur 5 qui est encore célibataire
dans le groupe d'âge 40-44 ans et c'est une femme sur 2 qui est encore
célibataire dans le groupe d'âge 15-19 ans. Et ce sont surtout
les mariages conclus entre 15 et 17 ans qui ont baissé de moitié.
La proportion de femmes mariées avant 20 ans a donc régulièrement
diminué au fil du temps. Le test du khi² se révèle significatif
au seuil de 1 %.
Etant donné que le mariage marque socialement la fin de l'adolescence,
l'adolescence s'est donc progressivement allongée. Si quatre-cinquième
de la génération née en 1941-1947 n'étaient plus
adolescentes avant d'atteindre le vingtième anniversaire, c'est seulement
la moitié de la génération née en 1966-1971 qui
ne l'est plus avant d'atteindre le vingtième anniversaire. Pour
mieux expliquer les variables associées au temps de sortie du célibat,
nous avons retenu 5 variables qui pourraient avoir une influence: la résidence
et l'éducation, l'âge à la puberté, et la survie
de la mère et du père au moment du mariage. Ces deux dernières
variables sont pertinentes dans la mesure où le mariage est une affaire
de famille. En outre, l'autorité des parents étant prééminente
en Afrique, ces variables nous permettent de mieux appréhender le contrôle
familial.
Ces variables sont toutes significatives dans le test univarié de Wilcoxon
où elles sont examinées une à une, toute chose égale
par ailleurs. Selon le test univarié du Log rank, l'âge à la
puberté n'est pas significatif. Dans la réalité, il est
difficile de chercher à isoler les variables puisqu'il existe des interactions
entre elles. Dans les deux cas, c'est l'instruction qui est la variable la
plus fortement associée à l'âge d'entrée en union,
suivie par la résidence. L'âge à la puberté vient
en 3ème position. Par contre si la survie du père au moment du
mariage est significative, celle de la mère ne semble pas jouer un rôle
important dans le retard ou la précocité de l'âge au mariage.
Ainsi le Sénégal garde encore un profil de société où le
mariage est précoce. Si l'on a pu assister à une hausse régulière
de l'âge d'entrée en union depuis 25 ans, celle-ci s'est accélérée
avec les générations nées en 1966. Il y a eu moins de
mariages entre 15 et 17 ans pour ces générations alors que les
mariages avant 15 ans sont restés presque constants.
Socialement la période d'adolescence s'est allongée avec la
jeune génération. Il semble que c'est l'instruction qui a joué un
rôle prédominant dans cet allongement de l'adolescence, puisque
plus les jeunes filles sont instruites moins leur sortie de l'adolescence est
précoce. Une instruction même légère produit un
allongement de la période d'adolescence. Cela est dû au fait que
les parents qui envoient leurs filles à l'école sont plus soumis à l'influence
de l'occident à travers les mass-médias, les ouvrages scolaires
et l'enseignement, qui véhiculent plus de liberté de l'individu.
Ces changements culturels peuvent se traduire par une augmentation de la préférence
et de la tolérance du libre choix d'un mari (Lesthaege et al., 1989;
Caldwell, 1990), ce qui se fait toujours plus tard que lorsque le mari est
imposé par la famille. Cependant même quand le choix est fait
individuellement, le contrôle et l'influence de la famille ont complétement
disparu.
L'âge à la puberté est donc intimement lié à la
durée de l'adolescence. Ainsi une jeune fille qui a ses menstruations
précocement est mariée également très tôt.
Mais les rapports entre la puberté et les autres facteurs ne sont pas
aussi contraignants.
Par contre la survie du père est positivement reliée à l'âge
au mariage, contrairement à l'hypothèse qui avait été faite.
La seule explication que nous pouvons trouver est que le père de famille étant
le soutien financier de la famille, son décès peut entraîner
le mariage précoce de la jeune fille, puisque le nouveau mari apportera
ainsi un nouveau soutien matériel à toute la famille. Cette explication
s'insère dans une stratégie de survie de la famille pour maintenir
son niveau de vie. Par contre la présence de la mère n'a pratiquement
aucun effet sur la durée de l'adolescence.
Les résultats obtenus avec l'EDS montrent donc que le début
de l'adolescence se fait en moyenne autour de l'âge de 15 ans, et cela
n'a pas changé depuis 6 générations au Sénégal.
La période d'adolescence est par conséquent assez courte, puisque
nous avons vu que la sortie de l'adolescence, qui est marquée par le
mariage, se fait en moyenne autour de 17 ans, donc deux ans après la
puberté pour l'ensemble des femmes. Cependant la fin de l'adolescence
se fait plus tard avec les plus jeunes générations.
Le schéma de l'augmentation du décalage "bio-social", nous a
montré que désormais, au Sénégal, le fossé s'agrandit
entre la période de début et celle de la fin de l'adolescence,
ce qui allonge la période sociale d'adolescence. Cet allongement n'est
pas dû à des changements dans la maturité biologique, mais
dans la maturité sociale.
c. La fécondité avant 20 ans
Pour mettre en évidence l'évolution de l'âge à la
maternité, nous avons fait une table de survie d'occurrence de la première
naissance par génération qui permet de mieux apprécier
ce que pourrait être le changement dans la jeune génération
qui n'a pas eu le temps de vivre toute la période qui précède
le 20ème anniversaire. La figure 6 montre que seule la courbe des 15-19
ans se détache réellement des autres. Les courbes des autres
générations sont confondues (figure 6), mais le test du Log-rank
nous montre qu'elles sont significativement différentes (seuil de 1%).
Le test de comparaison entre deux proportions n'est significatif que entre
les groupes 15-19 ans et 20-24 ans. En effet, au 18ème anniversaire,
pour les générations de 20 à 44 ans, le pourcentage des
femmes qui ont eu une naissance varie entre 39 et 40 %, alors qu'il est de
31 % pour les 15-19 ans. Il semble donc que c'est avec la génération
la plus jeune que l'on assiste à une baisse de la fécondité avant
20 ans (Tableau 4).
Les naissances très précoces survenues avant 15 ans sont relativement
rares. A 15 ans, pour les générations de 20 à 44 ans,
il y a eu environ 5 % de femmes qui ont eu une naissance. Pour le groupe d'âge
15-19 ans ce pourcentage est d'environ 3 %. Il y a donc eu une légère
baisse des naissances avant 15 ans.
L'âge de la première naissance n'a donc que légèrement
augmenté au fil du temps, le gain ayant été exclusivement
apporté par la jeune génération. La fécondité est
restée constante pendant trois générations, puis elle
a légèrement augmenté avec les générations
nées entre 1961 et 1966, et n'a commencé à baisser qu'avec
les générations nées après 1966. Et pourtant nous
avons vu que l'âge d'entrée en union a subi une augmentation graduelle
avec les générations : d'où la conclusion paradoxale que
malgré l'augmentation graduelle de l'âge au premier mariage, la
fécondité n'évolue pas d'une manière significative.
Différents arguments peuvent être avancées pour expliquer
ce constat :
. Les femmes les plus âgées ont déclaré les
dates de naissance de leur premier enfant plus tard qu'elles n'ont eu lieu,
cela conformément à la tendance des femmes de ce groupe d'âge à omettre
la première naissance ou à la déclarer comme plus tardive
qu'elle ne l'a réellement été (Trussell et Reinis, 1990).
Dans ce cadre, il faut rappeler que la déclaration de l'âge auquel
sont survenus les événements et la déclaration des événements
eux-mêmes sont des problèmes existant dans toutes les enquêtes
africaines. Cependant des efforts ont été faits dans l'EDS pour
que les déclarations de dates soient le plus près possible de
la réalité. D'autre part, les femmes de moins de 30 ans ont été identifiées
comme ayant les meilleurs enregistrements (Mboup, 1992). Or c'est chez ces
trois jeunes générations qu'on a constaté une hausse de
l'âge au mariage. Si la fécondité avant 20 ans avait réellement
subi une baisse régulière, on devrait la voir apparaître
avec ces trois générations.
- La mortalité intra-utérine a pu baisser suite à l'amélioration
des conditions sanitaires (Ndiaye et al., 1988).
- Il peut y avoir eu une augmentation de la fécondité avant
le mariage.
- Il peut y avoir eu un raccourcissement de l'intervalle protogénésique
lorsque l'âge au premier mariage augmente.
- Il peut y avoir une infécondité chez les adolescentes.
1. Les conceptions prénuptiales
Les conceptions prénuptiales comprennent toutes les naissances qui
ont eu lieu avant sept mois révolus après le mariage. Cette durée
de sept mois a été retenue afin d'éliminer les naissances
prématurées qui pourraient avoir lieu. En effet, la limite entre
conceptions prénuptiales et post-nuptiales fondée sur des durées
de mariage lors de la naissance, se définit difficilement en raison
de la variabilité de la durée de grossesse. Selon Pressat (1983),
on peut néanmoins opérer une séparation statistiquement
satisfaisante. Ainsi à 8 mois exacts de mariage, toutes les naissances
intervenues de 0 à 7 mois révolus seront considérées
comme résultant de conceptions prénuptiales, celles étant
intervenues au-delà étant attribuées à des conceptions
post-nuptiales. Toujours selon Pressat, ce mode de partage repose sur le fait
qu'il y a sensiblement compensation entre les naissances relevant de conceptions
prénuptiales et ayant lieu au delà de huit mois et celles relevant
de conceptions post-nuptiales et ayant lieu avant 8 mois. Au Sénégal,
les naissances avant le mariage et les conceptions prénuptiales représentent
29,8 % du total des premières naissances, alors qu'en ne considérant
que les naissances prénuptiales, ce pourcentage est de 17,3% (Tableau
5).
Pour mieux apprécier comment les femmes sénégalaises
entrent en maternité, et afin de remettre cet événement
dans une perspective de cycle de vie, nous utilisons une table de survie multidimensionnelle,
qui dans ce cas-çi est composée de deux événements
concurrents. Ce type de table rendra mieux compte des transitions effectuées
de l'état de jeune fille sans enfant à celui de mère,
en prenant en considération le statut matrimonial au moment où l'événement
se produit. Ainsi le premier événement est constitué des
conceptions et des naissances qui ont eu lieu avant le mariage, et le deuxième événement
des mariages ayant eu lieu avant les conceptions. Pour les besoins de l'élaboration
de la table nous avons regroupé les naissances prénuptiales et
les conceptions prénuptiales. C'est pourquoi, pour le reste de l'analyse
nous avons privilégié le terme de "conceptions" prénuptiales.
L'examen des tables nous montre que les proportions cumulées de conception
hors mariage avant 16 ans ont fortement baissé, alors qu'elles ont presque
stagné avant 18 ans. La légère baisse de ces proportions
cumulées avant 18 ans avec le groupe d'âge 15-19 ans doit être
interprétée avec beaucoup de prudence car ce groupe d'âge
vit encore l'événement (Tableau 6).
Par contre lorsque l'on regarde ce que représente en pourcentage ces
proportions cumulées de conceptions prenuptiales par rapport aux femmes
qui ont vécu un événement, on constate une différence
de comportement des deux plus jeunes générations. Le pourcentage
de femmes qui ont commencé leur vie adulte par une conception prénuptiale
a augmenté de 6 % en valeur absolue entre les 20-24 ans et les 25-29
ans, et de 3 % entre les 15-19 ans et les 20-24 ans. Pour les quatre groupes
les plus âgés, il y a eu une relative stabilité de ces
pourcentages et nous mettons les légères fluctuations sur le
compte des erreurs de déclaration (tableau 6).
Ainsi cette enquête n'a pas confirmé l'hypothèse de l'augmentation
des conceptions prénuptiales. Donc nous ne trouvons pas ici l'explication
de la faible évolution de la fécondité avant 20 ans, en
dépit de la modification de nuptialité.
Par contre cette étude des conceptions prénuptiales avant l'âge
de 19 ans par génération nous a permis de voir qu'un changement
a été amorcé avec les générations nées à partir
de 1961, puisque ces femmes ont été plus nombreuses à connaître
comme premier événement une conception prénuptiale (Tableau
6).
Autrement dit, lorsque la période d'adolescence s'allonge, avec l'augmentation
de l'âge au mariage, il se crée un décalage bio-social.
Ce décalage entre la maturité biologique et la maturité sociale
entraîne l'augmentation du nombre des femmes ayant connues une conception
prénuptiale en premier événement. En effet, nous avons
vu que c'est pour les deux générations les plus jeunes que l'allongement
de la période d'adolescence est la plus importante, et ce sont ces générations
qui ont vécu un plus grand nombre de conceptions avant le mariage comme
premier événement. Cependant c'est surtout pour la dernière
génération que le changement de comportement est le plus frappant.
Mais étant donné que ce groupe n'a pas fini de vivre l'événement,
son comportement actuel n'est certainement pas définitif.
Implications pour la politique de population
De cette recherche on peut tirer plusieurs implications:
1) Le mariage n'est pas le début de l'exposition au risque de grossesse,
comme l'ont fait croire la plupart des études sur la fécondité.
En effet nous avons vu qu'un pourcentage non négligeable de femmes ont
connu une conception prénuptiale comme premier événement.
2) Un décalage est en train de se produire entre la maturité sexuelle
et la maturité sociale, provoquant un allongement de la période
d'adolescence. Cet allongement de la durée de l'adolescence a pour effet
majeur d'augmenter le nombre de femmes qui connaissent une naissance ou une
conception avant le mariage comme premier événement, créant
ainsi des drames familiaux et sociaux.
C'est pourquoi il devient urgent de mettre en place des mesures d'accompagnement
pour pallier aux conséquences souvent dramatiques de cet allongement
de l'adolescence. Particulièrement en mettant en place une politique
de planification familiale spécifique aux jeunes.
Tableau 1: Proportion des femmes non pubères par génération
Age à l'enquête |
15-19 |
20-24 |
25-29 |
30-34 |
35-39 |
40-44 |
Année
de naissance |
1966-71 |
1961-66 |
1956-61 |
1951-56 |
1946-51 |
1941-46 |
Age
au début de l'intervalle |
|
|
|
|
|
|
11
12
13
14
15
16
17
18 |
0,9949
0,9877
0,9477
0,7959
0,5313
0,2031
0,1272
0,0985 |
0,9955
0,9944
0,9542
0,8302
0,5888
0,2145
0,1140
0,0782 |
0,9857
0,9749
0,9391
0,8019
0,5847
0,2005
0,1050
0,0716 |
0,9878
0,9848
0,9436
0,8125
0,5915
0,2226
0,1341
0,0899 |
0,9896
0,9833
0,9563
0,7979
0,5750
0,1729
0,1083
0,0708 |
0,9767
0,9667
0,9333
0,8200
0,6167
0,2367
0,1333
0,1033 |
Age
médian |
15,1 |
15,2 |
15,2 |
15,2 |
15,2 |
15,3 |
Test
d'homogénéité des courbes de transition |
Test |
Khi² |
DL |
Pr>Khi² |
-2
Log (LR) |
27.8031 |
6 |
0.0001 |
Note les années de naissance constituent la différence
en millésime entre la date de l'enquête et les âges exacts.
Source :
Enquête démographique et de santé du Sénégal
(EDS), 1986.
Tableau 2: Proportion des femmes non mariées selon l'âge
au début de l'intervalle et la génération
Age à l'enquête |
15-19 |
20-24 |
25-29 |
30-34 |
35-39 |
40-44 |
Année
de naissance |
1966-71 |
1961-66 |
1957-61 |
1951-57 |
1947-51 |
1941-47 |
Age
au début de l'intervalle |
|
|
|
|
|
|
11
12
13
14
15
16
17
18
19 |
1
0.9990
0.9846
0.9405
0.8677
0.7175
0.6203
0.5330
0.4887 |
1
0.9955
0.9844
0.9341
0.8458
0.6514
0.5218
0.4123
0.3542 |
0.9988
0.9916
0.9809
0.9320
0.8305
0.6014
0.4618
0.3628
0.2983 |
1
1
0.9817
0.9284
0.8308
0.5640
0.4253
0.3247
0.2470 |
1
1
0.9792
0.9250
0.8042
0.5271
0.3813
0.2667
0.1854 |
1
1
0.9833
0.9200
0.8000
0.5133
0.3633
0.2567
0.1900 |
Age
médian |
18.74 |
17.20 |
16.73 |
16.46 |
16.19 |
16.09 |
Test
d'homogénéité des courbes de transition du mariage |
Test |
Khi² |
DL |
Pr>Khi² |
Log-Rank |
343.0535 |
6 |
0.0001 |
Source : Enquête démographique et de santé du
Sénégal (EDS), 1986.
Tableau 3: Test d'association entre l'âge à la première
union et les variables
|
Test du Khi² univarié
Long rank |
Wilcoxon |
Variables |
t- statistique |
t- statistique |
Survie de la mère
survie du père
Age à la puberté
Résidence
Education |
98.37**
74.13**
1694.1
-290.8***
420.8*** |
38.89**
50.83**
1392.2*
-192.0***
264.2*** |
Prise
en compte des interactions entre les variables |
Variables |
Incrément en Khi² |
Incrément en Khi² |
Education
Résidence
Age à la puberté
Survie du père
Survie de la mère |
140.8***
31.92***
7.14**
5.12*
2.98* |
277.8***
39.73***
7.458**
4.475*
2.113 |
Source : Enquête démographique et de santé du Sénégal
(EDS), 1986.
Note : ***, ** ou * signification à 0.01, 0.05, 0.10
Tableau 4: Proportion des femmes sans première naissance par
génération
Age au début de l'intervalle |
15-19 |
20-24 |
25-29 |
30-34 |
35-39 |
40-44 |
12
13
14
15
16
17
18
19
20 |
-
0.9979
0.9908
0.9713
0.9149
0.8044
0.6859
0.5751
- |
0.9989
0.9966
0.9888
0.9508
0.8615
0.7520
0.6011
0.4961
0.4056 |
0.9988
0.9964
0.9773
0.9403
0.8600
0.7279
0.6110
0.5048
0.3890 |
-
0.9970
0.9832
0.9405
0.8430
0.7104
0.6082
0.4985
0.4040 |
-
0.9958
0.9854
0.9583
0.8750
0.7292
0.5771
0.4729
0.3875 |
0.9933
0.9800
0.9300
0.8333
0.7067
0.6067
0.4633
0.3867 |
Age médian |
- |
18.96 |
19.04 |
18.18 |
18.74 |
18.74 |
Effectifs |
975 |
895 |
838 |
656 |
480 |
300 |
Source : Enquête démographique et de santé du
Sénégal (EDS), 1986.
Tableau 5: Répartition des femmes de 15-49 ans selon le type
de conceptions et de naissances.
Catégories |
Effectif |
Pourcentage |
Conception et naissance prénuptiales |
464 |
14.1 |
Conception avant et naissance après le mariage |
414 |
12.5 |
Naissance légitime |
2423 |
70.2 |
Naissances de mères encore célibataires à l'enquête |
107 |
3.2 |
Total |
3301 |
100 |
Source : Enquête démographique et de santé du
Sénégal (EDS), 1986.
Tableau 6: Proportions cumulées des conceptions avant
le mariage à l'âge de 18 ans selon la génération
Groupes
d'âge |
Proportions
cumulées de conceptions avant le mariage |
Rapport
sur les femmes ayant vécu un événement (%) |
Total |
15-19 ans
20-24 ans
25-29 ans
30-34 ans
35-39 ans
40-44 ans
Ensemble |
149
210
185
194
181
220
1853 |
35
32
26
26
21
27
27 |
975
895
838
656
480
300
4415 |
Source : Enquête démographique et de santé du
Sénégal (EDS), 1986
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