African Population Studies
Union for African Population Studies
ISSN: 0850-5780
Vol. 10, Num. 1, 1995
African Population Studies/Etude de la Population Africaine, Vol. 10,
November/novembre
1995
Etat nutritionnel des enfants réfugiés :
Synthèses des cas des Libériens en Guinée et
en Côte-d'Ivoire et des Somaliens en Ethiopie
Kuakuvi Gbenyon
Code Number: ep95007
Résumé
Les réfugiés constituent une catégorie assez particulière
de la population., pour laquelle se pose un problème de définition
qui n'est pas abordé par les différentes études qui lui
sont consacrées.
Lorsqu'on considère l'état nutritionnel des enfants réfugiés âgés
de 0 à 5 ans, celui-ci est souvent des plus précaires. Les synthèses
faites montrent qu'un des facteurs qui favoriserait le maintien d'un état
nutritionnel satisfaisant pour les populations, après les troubles sociaux,
est l'intégration de la population réfugiée dans la population
autochtone sans construction de camps de réfugiés.
Ainsi, les enfants réfugiés libériens en Guinée
et en Côte-d'Ivoire en 1990-1992, intégrés dans la population
autochtone, avaient un état nutritionnel satisfaisant, identique à celui
de la population autochtone, tandis que ceux de la Somalie réfugiés
en Ethiopie en 1988-1989, accueillis dans des camps de réfugiés,
avaient un mauvais état nutritionnel comparativement à celui
de la population autochtone.
L'étude montre que les stratégies efficaces de prise en charge
des réfugiés et d'amélioration de leur état nutritionnel,
surtout celui des enfants, pourraient comporter:
La distribution régulière et complète de rations
alimentaires comportant des aliments riches en vitamine C, et
l'extension des programmes d'alimentation d'appoint et de thérapeutique
pour une meilleure couverture de la population réfugiée.
Summary
Refugees constitute a rather special category of the population. For this
sub-group of the entire population, a problem of definition is raised which
unfortunately has not been addressed by the different studies devoted to
the refugee population.
When we consider the nutritional status of refugee children aged between
0 and 5 years, it appears that it is of the most precarious ones. The syntheses
made show that one of the factors which would favour the maintenance of a
satisfactory nutritional status for the populations, following social unrest,
is the integration of the refugee population into the indigenous population
without the construction of refugee camps.
Thus, liberian refugee children in Guinea and in Côte d'Ivoire in
1990-1992, who are integrated into the indigenous population, had a satisfactory
nutritional status identical to that of the indigenous population, whereas
those somali refugees in Ethiopia in 1988-1989, hosted in refugee camps,
had a poor nutritional status when compared to that of the indigenous population.
The study shows that efficient strategies of refugee management and
improvement of their nutritional status, especially that of children, might
comprise:
the regular and complete distribution of food ratios comprising foods
rich in vitamin C and,
the extension of makeshift food and therapy programmes for a better
coverage of the refugee population.
Introduction
Il est généralement admis que l'anthropométrie est l'outil
le plus commode d'évaluation de l'état nutritionnel des enfants,
bien que les variations des courbes de croissance tiennent à diverses
raisons (maladies par exemple) et non pas seulement à la nutrition.
Toutefois, on peut remarquer que les propositions sur l'utilisation des données
relatives au poids et à la taille des enfants sont largement acceptées.
Dans cette optique, nous nous proposons de faire la synthèse de trois
cas d'utilisation des indices poids-taille dans l'évaluation de l'état
nutritionnel des enfants en Afrique, dans un contexte de troubles sociaux ou
de guerre civile. Nous tenterons ainsi d'apprécier l'effet des troubles
sociaux sur l'état nutritionnel des enfants.
Nous examinerons le cas des enfants réfugiés Libériens
en Côte-d'Ivoire et en Guinée (cas de malnutrition satisfaisant),
et celui des Somaliens en Ethiopie (cas de malnutrition grave). Il s'agit donc
de l'étude d'un sous-groupe particulier, celui des enfants réfugiés,
dont l'état de santé, la morbidité et la mortalité sont
généralement mal connus.
Auparavant, nous apprécierons la pertinence de l'utilisation de la
population de référence du United States National Center for
Health Statistics (NCHS) pour l'évaluation de l'état nutritionnel
des enfants, étant donné que cet usage soulève quelques
questions méthodologiques auxquelles il convient d'apporter des réponses.
Nous parlerons aussi de la fiabilité des indices, de l'échantillonnage
et du problème de définition des réfugiés.
Considérations méthodologiques
Utilisation de la population de référence du NCHS
Les études de cas dont nous allons faire état se réfèrent
toutes à la norme du NCHS. Un tel usage est-il justifié ?
Les débats se sont poursuivis ces dernières années pour
savoir s'il est nécessaire et adéquat d'utiliser une norme internationale
pour évaluer l'état nutritionnel des enfants.
En fait, la justification de l'utilisation d'un standard a été apporté par
certains auteurs (Habicht et al., 1974) lorsqu'ils ont démontré que
dans diverses populations, l'effet des différences ethniques sur la
croissance des enfants est peu important comparativement aux effets de l'environnement.
Il est admis qu'il peut y avoir quelques différences ethniques entre
les groupes de populations, comme c'est le cas des différences génétiques
entre individus, mais ces différences ne sont pas significatives pour
invalider l'utilisation à grande échelle de la population du
NCHS à la fois comme population de référence et comme
standard. Ce point de vue a été appuyé dans un rapport
conjoint de la FAO, de l'OMS et des Nations-Unies (WHO, 1985).
Dans les pays où des standards ont été conçus
(Colombie, Mexique et Pérou), on a remarqué que ces standards
différaient peu de la norme du NCHS. En outre, le développement
de normes nationales statistiquement valides est souvent coûteux par
rapport aux avantages obtenus et se heurte à des problèmes logistiques,
notamment lorsque l'effectif de la population à étudier est grand
si bien que la mise au point de normes locale ou nationale ne semble pas être
un problème prioritaire. D'un autre côté, un problème
demeure, celui de la fiabilité des indices utilisés pour mesurer
l'état nutritionnel des enfants et la caractérisation de ce dernier.
Fiabilité des indices et caractérisation de la malnutrition
Les variables généralement prises en compte dans l'évaluation
de l'état nutritionnel des enfants sont l'âge, le poids et la
taille. La mesure de ces variables pose des problèmes de fiabilité et
de précision que nous nous contenterons de rappeler. Ceci dit, le poids,
pris isolément, n'a pas grande signification à moins qu'il ne
soit mis en relation avec l'âge ou la taille. Aussi, les indices requis
pour l'analyse sont une combinaison de ces variables.
Pour les enfants, l'utilisation de deux indices, le "poids selon la taille" et
la "taille selon l'âge" sont utiles pour la plupart des besoins.
Dans certains cas, l'indice "poids selon l'âge"peut être
plus utile pour donner une vue générale sur la distribution des
problèmes nutritionnels dans un pays.
Les trois études de cas dont nous allons faire la synthèse ont
surtout utilisé l'indice du "poids selon la taille", qui est
particulièrement important pour la description de l'état actuel
de santé des enfants, et pour l'évaluation du nombre d'enfants
sous-alimentés. D'une manière générale, cet indice
est également utilisé pour identifier des groupes-cibles ou des
zones géographiques nécessitant des actions prioritaires. Son équivalent
est la mesure de la "circonférence du bras selon la taille".
En ce qui concerne la caractérisation de la malnutrition, étant
donné que l'amaigrissement et le retard de croissance se réfèrent à deux
processus biologiques différents de malnutrition, il faut noter que
l'indicateur du "poids selon la taille" se réfère à l'amaigrissement,
tandis que l'indicateur de la "taille selon l'âge" a trait au retard
de croissance (WHO, 1986, p.938).
Echantillonnage
La taille de l'échantillon tout comme le nombre de mesures à effectuer
dépendent des ressources financières disponibles. Ainsi, les
tailles d'échantillon utilisées dans les trois études
de cas ainsi que d'autres caractéristiques se présentent comme
suit (tableau 1):
Etant donné que les groupes-cibles d'enfants examinés sont variables,
tout comme le milieu d'enquête (urbain ou rural), nous ne pourrons pas
rapprocher les cas somalien et libérien et faire des comparaisons valides;
aussi procéderons-nous à une synthèse de chaque cas en
veillant à faire ressortir les points communs.
Par contre, la méthode de sondage mise en oeuvre pour les trois études
est celle du sondage en grappes avec probabilités proportionnelles à la
taille des populations.
Par ailleurs nous évoquerons un problème commun à toutes
les enquêtes auprès des réfugiés: celui de la définition
du réfugié. Nous ne ferons que le soulever, puisque les cas que
nous avons recueillis ne donnent aucune indication sur la définition
de la population réfugiée adoptée; ce qui n'autorise pas
non plus une comparaison valide.
Décompte des réfugiés : un problème de définition
Dans la plupart des programmes d'assistance administrés par le Haut
commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (UNHCR), le
terme "population réfugiée" peut renvoyer à l'un des cinq
groupes qui sont les suivants (UNHCR, 1993, p.7) :
le nombre de réfugiés enregistrés par le gouvernement
du pays hôte (problème de la mauvaise conception du terme réfugié,
double décompte, manipulation, etc.);
le nombre de personnes prises en charge ou reconnues par l'UNHCR;
le nombre de personnes supposées recevoir une assistance;
le nombre de personnes présentes dans un camp de réfugiés
ou dans une zone correspondante (certaines personnes peuvent ne pas être
des réfugiés);
enfin le nombre de personnes bénéficiant dans le présent
d'une assistance.
En réalité, les besoins en données chiffrées
d'un fonctionnaire du HCR (agent chargé de la protection ou de l'information
publique, etc.) peuvent différer de ceux d'un nutritionniste ou d'un
spécialiste de la santé publique. Aussi, il peut être plus
réaliste de penser en termes de différents groupes-cibles de
réfugiés plutôt que d'une population unique de réfugiés.
Face à la diversité des définitions qui peut biaiser
les comparaisons internationales, les efforts de collecte des données
statistiques devraient partir d'une définition claire et sans équivoque
de la population concernée. Ceci nous amène à examiner
les objectifs assignés aux évaluations des cas qui nous concernent.
Objectifs des différentes évaluations
L'utilité d'une évaluation anthropométrique porte sur
plusieurs aspects, allant de la planification nationale à l'identification
des personnes à risques. Les enquêtes présentées
ici ont été menées dans le cadre de l'assistance médicale à apporter
aux réfugiés. Toutefois, quelques objectifs spécifiques étaient
assignés à ces enquêtes.
a). Dans le cas des enfants réfugiés libériens en
Côte-d'Ivoire, il s'agissait de déterminer la prévalence
de la malnutrition chez les enfants réfugiés et non réfugiés
résidant en milieu rural et de comparer l'état nutritionnel de
la population réfugiée à celui de la population autochtone
(Soro, 1993).
b). En ce qui concerne les enfants réfugiés libériens
en Guinée, il s'agissait, outre la comparaison de l'état nutritionnel
de la population autochtone à celui des réfugiés :
d'établir les priorités voulues en matière de
secours;
de déterminer : l'état vaccinal pour la rougeole;
la présence d'un oedème prétibial (signe de
Kwashiorkor); la survenue d'épisodes
diarrhéiques ou d'autres maladies; les signes
cliniques d'avitaminose A; enfin,
c). pour ce qui est des enfants réfugiés somaliens dans l'Est
de l'Ethiopie, les enquêtes effectuées (huit en tout entre septembre
1988 et mai 1989) rentraient dans le cadre de la surveillance nutritionnelle
de routine dans les camps de réfugiés.
A quels résultats a-t-on abouti ?
Etat nutritionnel des enfants réfugiés libériens et
somaliens : principaux résultats
Cas des enfants Libériens âgés de 6 mois à 5
ans en Côte-d'Ivoire
Les troubles sociaux débouchant sur une guerre civile ont débuté en
décembre 1989 au Libéria. Ils ont entraîné d'importants
mouvements de réfugiés à destination des pays limitrophes,
notamment la Côte-d'Ivoire et la Guinée.
La population totale réfugiée en Côte-d'Ivoire représentait
environ 220821 personnes en 1991 (Bocoum, 1991) dont 175000 répartis
dans les départements de Danané, de Guiglo et de Tabou. Seuls
les villages des zones d'accueil des départements de Danané et
de Guiglo ont servi de base de sondage à la présente évaluation().
Dans ces deux départements, la population réfugiée vivait
dans les villages ivoiriens, "intégrée" aux familles autochtones;
il n'y avait donc pas de camps de réfugiés.
Au total, 2019 enfants ont été examinés répartis
comme suit :
A Danané, 509 enfants libériens et 504 enfants ivoiriens;
A Guiglo, 511 enfants libériens et 495 enfants ivoiriens.
L'indice utilisé pour mesurer la prévalence de la malnutrition
chez les enfants était le rapport poids/taille (PT) exprimé en écarts-types
(ET). C'est un indice, particulièrement important pour la description
de l'état de santé du moment et approprié pour décrire
l'état de santé des enfants. Au niveau individuel, la malnutrition
aiguë a été définie comme la présence d'un
indice PT inférieur à moins deux écarts-types. Au niveau
de la population, la prévalence de la malnutrition est la proportion
d'enfants ayant un indice PT inférieur à moins deux écarts-types
(SORO, 1993, p.6).
Sur cette base, les résultats suivants ont été obtenus
:
Les prévalences observées ont révélé un état
nutritionnel identique dans les populations réfugiées et autochtones
(Tableau 2).
La couverture vaccinale contre la rougeole est très faible chez
les enfants Libériens 1% contre 32% chez les enfants Ivoiriens.
Rappelons que dans la population de référence (NCHS), par définition,
2,3% des sujets ont un indice PT <-2 ET. Cependant, cet indice
PT exprimé en ET considère l'état nutritionnel d'une population
comme :
Satisfaisant, si la proportion d'enfants malnutris est inférieure à 5%;
Précaire, si cette proportion est comprise entre 5% et 10%;
Sévère, si elle est comprise entre 10% et 15%;
Très sévère à partir de 15%.
L'étude a par ailleurs montré, lorsqu'on considère
la distribution par âge des enfants, une prédominance
de la malnutrition chez les enfants de moins de deux ans aussi bien chez les
réfugiés que chez les autochtones, à Guiglo, comme à Danané.
Une explication plausible est le sevrage difficile pour cette tranche d'âge.
Toutefois, il y a un certain nombre de questions auxquelles l'étude
n'apporte pas de réponses :
a). La proximité géographique ou ethnique des réfugiés
et des autochtones peut-elle expliquer l'identité des résultats ?
b). Quels ont été les effets, sur le résultat, des
programmes alimentaires des organismes humanitaires qui ont oeuvré dans
ces départements ?
c). Quels ont été les facteurs socio-économiques et
culturels favorisants ?
La réponse à ces questions permettrait de mieux comprendre les
résultats précédents pour mieux orienter les actions humanitaires
dans d'autres régions du pays ou ailleurs.
Qu'en est-il des enfants libériens réfugiés en Guinée
?
Cas des enfants libériens âgés de 6 mois à 5
ans en Guinée
Ici, l'ensemble des réfugiés (tous âges confondus) se
sont d'abord installés dans la région des forêts où ils
ont été accueillis par des membres des mêmes groupes ethniques
(principalement Gio et Mano) résidant dans cette zone; les autochtones
leur ont offert toit et nourriture. Le nombre des réfugiés a
cependant dépassé la capacité des villages concernés à satisfaire
leurs besoins fondamentaux; aussi des camps ont-ils été installés;
les réfugiés de ces camps ont bénéficié d'une
aide extérieure importante (WHO, 1991, p.112).
De mai à décembre 1990, le nombre de réfugiés
de ces camps est passé de 80 000 à 400 000 individus.
L'indice utilisé ici, bien que basé sur le poids par rapport à la
taille, est légèrement différent du cas précédent.
En effet, les résultats anthropométriques ont été calculés à partir
des scores centrés-réduits et des pourcentages de la médiane
de la population de référence du NCHS.
Ainsi la malnutrition aiguë a été définie comme
un poids par rapport à la taille inférieur à 80% de la
médiane de la population de référence (ce qui correspond à un
score centré réduit poids/taille inférieur à -2 ET
du tableau précédent).
Les résultats obtenus ont montré que :
la prévalence de la malnutrition était la même chez
les enfants guinéens et les enfants libériens;
0,3% et 0,5% des enfants guinéens et libériens respectivement
souffraient de la malnutrition grave (poids par rapport à la taille
inférieur à 70% de la médiane de la population de référence)
(tableau 3);
1% des enfants montraient un signe du Kwashiorkor;
aucun enfant d'un sous-échantillon de 200 enfants examinés
ne présentait des signes cliniques d'avitaminose A.
Cas des enfants réfugiés somaliens âgés de moins
de 5 ans en Ethiopie
Pendant l'été 1988, jusqu'à 400 000 réfugiés
venus du nord de la Somalie sont entrés dans des régions isolées
de l'Est de l'Ethiopie. Ils ont été répartis dans plusieurs
camps :
l'un situé près du hameau de Hartisheik,
l'autre à Harshin, à environ 50 km de Hartisheik, et
trois camps près d'Aware.
Il n'y avait de points d'eau à aucun de ces endroits; l'eau pourrait
cependant être transportée par camion depuis la ville de Jijiga,
située à 100 km.
Dans le cadre de la surveillance nutritionnelle de routine dans les camps,
des enquêtes par sondage ont été conduites à Hartisheik
et harshin entre septembre 1988 et mai 1989 par le Fonds "Save The Children" du
Royaume-Uni, organisation privée travaillant avec le gouvernement éthiopien
et des institutions des Nations-Unies.
La médiane de la population de référence du NCHS a été utilisée
comme dans le cas des Libériens en Guinée.
Ici aussi la malnutrition grave a été définie comme correspondant à des
valeurs inférieures à 70% de la médiane de la population
de référence NCHS (Tableau 4) et la malnutrition modérée
comme correspondant à des valeurs situées entre 70% et 79% de
la médiane du NCHS.
Ainsi 40% des enfants de moins de 5 ans ont été jugés
atteints de malnutrition modérée ou grave au cours de l'enquête
de janvier 1989; de ce fait, ils ont été inscrits pour les programmes
d'alimentation d'appoint dans les camps.
Il apparaît (tableau 4) que le problème de la malnutrition chez
les enfants réfugiés somaliens dans les deux camps de l'est de
l'Ethiopie était critique. En effet, le taux de prévalence de
la malnutrition chez ces enfants de réfugiés étaient nettement
plus élevés que ceux enregistrés au sein des populations
des réfugiés du Libéria. La présence d'enfants
de moins de 6 mois dans l'échantillon somalien peut-elle expliquer ces
différences ? Il semble que des taux analogues ont été observés
dans des populations de réfugiés au sein desquelles a été enregistré un
taux élevé de mortalité (Soudan par exemple). Aussi le
HCR a-t-il recommandé l'établissement systématique de
statistique de mortalité dans les camps de réfugiés. "De
telles statistiques sont particulièrement importantes dans les cas où les
taux de malnutrition sont élevés, car les décès
survenus chez les plus mal nourris peuvent réduire le nombre et la prévalence
des survivants mal nourris et compliquer ainsi l'interprétation des
résultats des enquêtes nutritionnelles conduites par les organismes
de secours" (WHO, ibid, p. 95.).
Quelle synthèse pouvons-nous faire des résultats précédents ?
Discussion des résultats et synthèse
En guise de synthèse, il convient de répondre à la question
suivante: la guerre civile, ou d'une manière plus générale,
les troubles sociaux ont-ils eu un impact néfaste sur la santé et
l'état nutritionnel des enfants réfugiés libériens
et somaliens ?
La réponse à cette question nécessiterait que nous comparions
deux états nutritionnels des enfants réfugiés: celui d'avant
la guerre ou les troubles sociaux, et celui d'après l'exode; or les
données de la première évaluation font défaut.
Néanmoins, on peut prendre le risque d'émettre certaines hypothèses
:
a). Pour les enfants réfugiés libériens en Côte-d'Ivoire
et en Guinée, on peut dire, qu'étant donné que l'état
nutritionnel des enfants réfugiés libériens diffère
peu de celui des enfants de la population autochtone (population plus "stable" n'ayant
pas connu de troubles sociaux), les troubles sociaux ont eu peu d'impact
sur leur état nutritionnel. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette
absence d'influence des troubles sociaux; parmi eux, nous pouvons citer :
L'intégration des réfugiés libériens aux
populations autochtones sans création de "camps de réfugiés":
ceci était vrai en Guinée où, au début de l'exode,
c'était les mêmes groupes ethniques d'accueil. C'était
vrai également en Côte-d'Ivoire où il y a eu une prise
en charge de la population réfugiée par la population autochtone;
en effet, on a observé que "dans les villages, régnait une certaine
harmonie entre communautés libériennes et communautés
ivoiriennes; de nombreux Libériens se sont vu prêter des portions
de terre par leurs tuteurs ivoiriens pour la culture du riz et du manioc" (Bocoum,
1991).
La mise en oeuvre d'une stratégie efficace d'assistance aux réfugiés,
tant en matière de santé qu'en ce qui concerne le maintien d'un équilibre
entre les rations alimentaires octroyées aux réfugiés
et l'état nutritionnel de la zone d'accueil.
b). Par contre, pour les enfants réfugiés somaliens dans
l'est de l'Ethiopie, les troubles sociaux ont eu de graves effets sur
leur santé et leur état nutritionnel. En outre, lorsqu'on a
considéré 66 663 réfugiés Somaliens, tous âges
confondus, on a noté que:
2,1%, soit 1437 réfugiés, étaient atteint de scorbut
clinique (saignement des gencives et articulations douloureuses, enflées
par exemple) dû au fait que les rations alimentaires ne contenaient pas
souvent la dose minimale quotidienne de vitamine C fixé à 6 mg
et aussi à la thermostabilité de la vitamine C;
60 personnes étaient atteintes d'hépatite, avec 4 décès
liés à l'hépatite (sans identification du type d'hépatite
A ou B).
Dans le cas présent, plusieurs facteurs explicatifs peuvent être
pris en compte (WHO, 1990) :
Difficultés d'approvisionnement des camps en eau;
Intermittence dans la distribution des rations alimentaires (céréales,
huile végétale et légumineuses);
Irrégularité de l'approvisionnement en lentilles et huile
végétale, de telle sorte que les céréales ont constitué la
seule source continue de calories;
Retard dans la distribution des rations dû aux lacunes des recensements
effectués dans les camps (rations de 10 jours pour des périodes
de trois à quatres semaines pour certaines familles).
Conclusion
Nous concluerons cette étude par trois observations:
D'abord, il faut noter que la définition de la "population réfugiée" doit
apparaître clairement dans les études réalisées
et publiées sur ce sous-groupe de population afin de permettre des comparaisons
valides.
Ensuite, l'utilisation de la population de référence de NCHS
ne souffre pas de limitation et ne constitue pas un obstacle à l'évaluation
de l'état nutritionnel des enfants ailleurs qu'aux Etats-unis.
Enfin, il convient de noter que les réfugiés sont en général
tributaires des rations alimentaires fournies par les donateurs internationaux
et transportées et distribuées par les institutions des Nations-Unies
et le gouvernement du pays hôte. De ce fait, les stratégies efficaces
de prise en charge des réfugiés et d'amélioration de l'état
nutritionnel des réfugiés, surtout des enfants, pourraient comporter
(US CCCD, 1989):
La distribution régulière et complète de rations
alimentaires comportant des aliments riches en vitamine C (légumes et
fruits frais par exemple) pour contenir les risques mortels de scorbut; ce
qui suppose l'aplanissement des difficultés d'ordre logistique;
L'extension des programmes d'alimentation d'appoint et de thérapeutique
pour une meilleure couverture de la population d'enfants mal nourris;
La collecte de données de morbidité plus complètes;
et enfin le maintien de la surveillance de l'état nutritionnel
des enfants.
Tableau 1 : Taille d'échantillon, types de mesures effectuées,
catégories d'enfants concernées et périodes d'enquête
Type de réfugiés et pays d'accueil
Taille d'échantillon
Types de mesures effectuées
Catégories d'enfants (âges
exacts)
Période de la collecte
Libériens
Côte d'Ivoire
495 à 511
(milieu rural)
Poids/taille
6 mois à 5 ans
20 novembre au 6 décembre 1992
Guinée
590
Poids/taille
6 mois à 5 ans
Mai 1990
Somaliens
Ethiopie
720 à 1350
(passages répétés)
-Poids/taille
-Circonférence du bras
0 à 5 ans
Sept. 1988 à Mai 1989
Tableau 2 : Etat nutritionnel des enfants libériens en Côte
d'Ivoire selon le type de population
Régions et groupes-cibles
Sujets examinés
Bon état nutritionnel
Mauvais état nutritionnel
% des mal-nourris
> -2 ET
=< -2 ET
PT < 80 % de la médiane
Effectif
%
Effectif
% (*)
DANANE
Libériens
509
490
96.2
19
3.8 (1.5-6.1)
2.9
Ivoiriens
504
477
94.2
27
5.4 (2.6-8.2)
3.2
GUIBGLO
Libériens
511
489
95.7
22
4.3 (1.8-6.8)
4.3
Ivoiriens
495
479
96.8
16
3.2 (1.0-5.4)
3.2
Source : SORO, 1993, p.7
* Intervalle de confiance pour un risque
d'erreur de 5%
Tableau 3 : Pourcentage d'enfants libériens et guinéens
souffrant de malnutrition en Guinée, mai 1990
à la taille
Guinéens
Libériens
Total
(n=314)
(n=590)
(n=904)
Médiane de référence (a)
< 70 %
< 80 %
80-85 %
0.3
5.4
6.7
0.5
5.3
11.4
0.4
5.3
9.7
< -2 ET
7.3
8.4
8.0
Note : (a) Malnutrition aiguë : < 80% de la médiane
du poids par rapport à la taille ou <-2 ET
Malnutrition sévère ou grave: < 70% de la médiane
du poids par rapport à la taille. Source : WHO, 1990.
Tableau 4 : Etat nutritionnel des enfants réfugiés somaliens
de moins de 5 ans en Ethiopie, septembre 1988 - mai 1989
Camp
Période
Nombre de passage
Nombre d'enfants examinés
Pourcentage dont le poids pour la taille
est < 80 %
Pourcentage dont le poids pour la taille
est < 70 % (malnutrition grave)
Hartisheik
Sept. 1988
à Mai 1989
5
1080 à 1350
16.9 à 26.4
1.8 à 4.3
Harshin
Janvier à Mai 1989
3
690 à 810
12.5 à 29.5
1.8 à 4.9
Source : WHO, 1990, p.94.
Bibliographie
Bocoum M.D. (1991) Identification des besoins des réfugiés
Libériens: femmes, chefs de famille et mineurs non accompagnés
et propositions de programmes d'activités, UNHCR, Bureau du
chargé de
mission pour la Côte-d'Ivoire, Abidjan, décembre 1991, 30 p.
+ annexes.
Graitcer P. L., et Gentry M. (1981), `Measuring children: one reference
for all', Lancet, 2: 297-299.
Habicht J. P. et al.(1974) `Height and Weight standards for pre-school
children. How relevant are ethnic differences in growth potential ?', Lancet,
1: 611-615 (cité par WHO, 1986).
Soro B.N.(1993) Evaluation de l'état nutritionnel des enfants de
6 à 59 mois dans la zone d'accueil des réfugiés Libériens
en Côte-d'Ivoire (étude réalisée en milieu rural),
HCR/Délégation pour la Côte-d'Ivoire, Abidjan, janvier
1993, 16 p.
Togo, Direction de la Statistique (1989) "Anthropométrie de lapopulation
urbaine", Télégramme EBC, n° 4, Lomé, novembre
1989, pp. 1-18.
UNHCR (1993) Refugee enumeration and statistics: A review of UNHCR policies
and practices. Part one: Mass determination programmes, UNHCR, Central
Evaluation Section, EVAL/STAT/13, March 1993, pp. 1-11, 21-32.
US CCCD (1989) `Morbidity and mortality', Weekly Report, 38, n° 26,
US Centers for Disease Control.
WHO (1985) `Energy and protein requirements: report of
a joint FAO/WHO/ONU Expert consultation', Technical Report Series,
n° 724, OMS, (cité par WHO, 1986).
WHO (1986) `Use and interpretation of anthropometric indicators of nutritional
status', Bulletin of the World Health Organisation, 64(6): 929-941.
WHO (1990) "Etat nutritionnel des réfugiés Somaliens dans l'est
de l'Ethiopie", Septembre 1988 - Mai 1989, Relevé épidémiologique
Hebdomadaire, 1990, n° 13, pp. 93-95.
WHO (1991) "Etat de santé et état nutritionnel
des réfugiés du Libéria", Relevé épidémiologique
Hebdomadaire, 1991, n° 16, pp. 112-113.
Copyright 1995 - Union for African Population Studies