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African Population Studies
Union for African Population Studies
ISSN: 0850-5780
Vol. 12, Num. 2, 1997
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African Population Studies/Etude de la Population Africaine, Vol. 12,
No. 2, September/septembre 1997
Une enquête à passages répétés sur la
santé des enfants au Sud du Nigéria
Elizabeth OMOLUABI-SIEGERT
Département de Sociologie,
Université de Witwatersrand, Afrique du Sud
Code Number: ep97015
RÉSUMÉ
La santé des enfants du Nigéria a été étudiée
grâce à des mesures anthropométriques simples (le poids,
la taille, le périmètre brachial et le rythme de croissance)
provenant de trois enquêtes dont une à passages répétés.
Les enfants nigérians naissent avec un poids et une taille au-dessus
du standard international. Cet avantage ne dure que quelques mois. Dès
l'âge de six mois une dégradation de plus en plus importante de
l'état nutritionnel s'installe caractérisée par un 'changement
de couloir de croissance' et la banalisation des mensurations anthropométriques
proche de 2 écarts types en dessous du standard international. Le retard
de croissance staturale a plus d'ampleur que celui de la croissance pondérale,
les enfants nigérians bénéficiant souvent d'un effet de "rattrapage" du
poids pendant la saison sèche après la récolte. Le risque
de malnutrition est particulièrement important entre l'âge d'un
an et trois ans, avec un pic à deux ans, l'âge qui correspond
souvent à l'arrivé d'un cadet. L'importance des saisons, notamment
le danger de la saison des pluies pour la santé des enfants a été confirmée
par l'étude. En milieu rural la saison des pluies est une période
de crise où pénurie alimentaire et forte morbidité concourent à fragiliser
la santé des enfants et à les tirer vers la mort. La "surmortalité après
l'âge d'un an", une particularité de la mortalité infanto-juvénile
en Afrique de l'Ouest pourrait s'expliquer par la dégradation de la
santé des enfants et le changement de couloir de croissance mis en évidence
ici.
ABSTRACT
Childrens health in Nigéria was studied using simple anthropometric
measures (weight, height, brachial perimeter and pace of growth) derived
from three surveys, one of which is a multiple round. Nigerian children are
born with weights and heights above the international standard. This advantage
however, only lasts a few months. As early as the age of six months, an increasing
degradation of the nutritional status sets in, characterized by a change
of birth track and the trivialisation of anthropometric measurements close
to two standard deviations below the international standard. The delay in
stature development is more significant than weight growth since, Nigerian
children often benefit from a catch-up effect of the weight during the
dry season after the harvest. The malnutrition risk is particularly greater
between the age of one to three years, with a peak at two years of age that
often corresponds with the arrival of the next child. The importance of the
seasons, particularly the danger of the rainy season for the childrens health
was confirmed by the study. In the rural areas, the rainy season is a period
of crisis during which food shortage and high morbidity are factors that
weaken childrens health and further expose them to death. Excess mortality
after the age of one year, a characteristic of infant childhood mortality
in West Africa could be explained by the deterioration of childrens health
and the change of birth track highlighted here.
INTRODUCTION
Des études sur la mortalité des enfants en Afrique se contentent
souvent de mesurer le taux de mortalité ou d'énumérer
ses facteurs. Ces derniers sont tels quil est pratiquement impossible den
choisir un ou deux comme cible sur laquelle agir pour faire baisser la mortalité.
Les facteurs comme linstruction de la mère, la résidence en
milieu urbain favorisent la survie des enfants mais ils sont trop complexes
pour guider la mise au point dun programme de santé.
Aujourd'hui, il est temps, nous semble-t-il, détudier de plus
près le processus qui conduit un enfant d'un état de bonne santé à la
mort. Il est important de comprendre ce chemin vers la mort, de décortiquer
les différents éléments de la synergie sociale qui y sont
impliqués et d'étudier leur influence sur la santé. Nous
avons choisi cette démarche pour mieux comprendre la mortalité des
enfants en Afrique et notamment la persistence dune forte mortalité après
lâge dun an alors que partout ailleurs la part de la mortalité juvénile
sur la mortalité de 0-5 ans est très faible. Aussi, nous avons
choisi ici détudier la santé des enfants en vie au lieu danalyser
les caractéristiques des enfants décédés. Etudier
la santé des enfants grâce à des mesures simples telles
que nous en offre l'anthropométrie peut permettre de jeter un nouveau
regard sur la relation entre état nutritionnel, morbidité et
mortalité.
Dans notre étude sur la santé des enfants au Nigéria,
nous considérons la santé comme une variable intermédiaire
de la mortalité. Des facteurs sociaux et économiques qui influencent
le risque de décès se retrouvent dans la santé. Dans ce
schéma, l'état de santé d'un enfant à un moment
donné devient un indicateur de la position de l'enfant " sur une
gamme qui va de la bonne santé à l'invalidité menaçant
de mort" (Mosley, 1985b). C'est dans ce cadre que nous situons notre étude
sur la santé des enfants du Nigéria. Nous nous proposons d'utiliser
un indicateur simple, reflétant un aspect de la santé, mais particulièrement
significatif et bon indicateur du risque de mortalité : la croissance
des enfants. On tentera de discerner grâce à l'Enquête démographique
et de santé (EDS) au Nigéria, l'EDS à Ondo State et à notre
propre enquête à passages répétés, comment
jouent les principaux facteurs qui pèsent sur la santé des enfants
en mesurant leur influence sur le rythme de croissance de ces enfants. On s'intéressera
en outre à quelques aspects de la morbidité en relation avec
la croissance.
La croissance des enfants
La défaillance de croissance chez l'enfant est un phénomène
courant dans les pays en voie de développement. Une des principales
causes en est l'instabilité du stock alimentaire en milieu rural. Plusieurs études
ont signalé chez des enfants du milieu rural une baisse de rythme de
croissance pendant la saison des pluies, avant les récoltes (Rosetta
L, 1988; Kielmann et McCord, 1978; Rowland et al., 1988; Omoluabi, 1992). Paradoxalement,
c'est aussi durant cette période qu'on enregistre une baisse de vigilance
de la part des parents dont tous les efforts se concentrent sur la récolte,
principale source de nourriture pour l'année entière et de semences
pour l'année d'après. Généralement, il y a un rattrapage
plus ou moins important du poids après les récoltes car il y
a assez à manger et que les travaux champêtres pèsent moins
sur l'emploi du temps des parents. Si après les récoltes, et
pour raison de maladie ou autre, certains enfants n'arrivent pas à rééquilibrer
leur poids, ils s'exposent à une nette augmentation du risque de décès.
La baisse du poids des enfants associée à l'importance des infections
peut aboutir à un état de malnutrition chronique révélé par
une faible taille, ou même à une malnutrition aiguë qui se
traduit par un faible poids pour une taille donnée, comparé à un
standard de référence international.
a) La croissance et la définition de la malnutrition
A travers la croissance d'un enfant on pourrait mesurer les conséquences
de son régime alimentaire, et aussi celles des maladies qu'il a contractées
dans le passé. Ces dernières provoquent souvent un "rabougrissement",
terme introduit par Waterlow (1972) pour décrire un déficit dans
la taille atteinte par un enfant en comparaison avec des références
internationales. La taille peut ainsi être considérée comme
un indicateur de malnutrition chronique. Les enfants dont la taille se situe à 2 écart-types
en dessous de la moyenne de référence sont classés dans
la catégorie de malnutrition chronique.
Certains auteurs s'intérrogent sur la validité du retard de
croissance comme indicateur linéaire de malnutrition dans les pays du
Sud puisque ce retard peut être le résultat de facteurs génétiques
ou d'environnement autre que des carences nutritionnelles (Waterlow, 1992).
En effet, on a remarqué qu'au lendemain d'une rougeole les enfants ont
tous un déficit de poids et de taille. Il semble que dans ce cas l'organisme
tente d'abord de rattraper la perte de poids, et c'est seulement quand le poids
retrouve un niveau convenable qu'on remarque une amélioration de la
croissance staturale (Keller, 1988). Le "rabougrissement" dans ce cas est signe
d'une vulnérabilité de l'enfant devant toute nouvelle agression
de son système immunitaire.
Certains auteurs vont jusqu'à prétendre que le déficit
de taille chez des enfants des pays du Tiers-monde constitue une "adaptation
nutritionnelle" et que "petit, c'est sain" (Seckler et Sukhatme, 1982), ce
qui peut être ironique pour des enfants originaires des milieux pauvres
du Tiers-monde car d'autres études soulignent que les enfants originaires
des milieux aisés sont nettement plus grands que leurs homologues du
même âge originaires des milieux plus défavorisés
(Gopalan, 1988).
b) Les problèmes associés aux standards de référence
On oublie souvent quand on se sert des standards de référence
internationaux que les calculs d'écarts à la moyenne ne sont
rien d'autre que la base d'un raisonnement statistique. On peut commettre une
erreur en considérant comme souffrant de malnutrition l'enfant dont
le poids est inférieur dau moins 2 écarts-types à la
moyenne. C'est l'erreur dite de type 1. Le risque de commettre cette erreur
dans une distribution normale est estimé à 2,5 p.100. De la même
façon, on pourrait commettre l'erreur de type 2 si l'on considère
comme non pathologique un poids supérieur de plus de 2 écart-types à la
moyenne pour un enfant.
L'intérêt majeur d'étudier les indicateurs de développement
staturo-pondéral chez l'enfant est de pouvoir comparer des enfants du
même âge entre eux. Cette comparaison perd de sa valeur si l'âge
des enfants n'est pas connu avec précision. Or, sur le terrain, les
enquêteurs se heurtent régulièrement aux difficultés
d'estimation de l'âge des enfants. L'EDS du Mali a mesuré 1538
enfants de moins de quatre ans mais l'information pour 40 % d'entre eux était
inutilisable faute de précision sur l'âge (CERPOD et IRD/Macro,
1989). Pour l'EDS du Nigéria les mensurations étaient soit inutilisables
soit absentes pour plus de 35 % des enfants. On peut se demander dès
lors, si les mensurations considérées dans ces enquêtes
sont vraiment représentatives compte tenu d'une telle perte d'information.
Quand on identifie un enfant comme étant à deux écart-types
en dessous de la référence en poids ou en taille pour son âge,
ceci suggère une malnutrition qui reste à confirmer en tenant
compte de certains autres facteurs tels que la génétique. Des
mesures anthropométriques devraient être confrontées à des
mesures cliniques avant qu'on puisse se prononcer sur l'état nutritionnel
de tel ou tel enfant. En effet, si une enquête DHS montre que 35 %
des enfants d'un pays sont à moins de 2 écart-types du standard
de référence pour le poids-par-âge, cela ne veut pas dire
que 35 % des enfants souffrent de malnutrition aiguë. Un enfant en
très bonne santé peut se trouver à plus de 2 écart-types
au dessous d'un standard de référence s'il est "naturellement" petit.
D'un autre côté, un enfant souffrant de malnutrition telle que
le Kwashiorkor avec oedème peut avoir un bon score sur un indicateur
anthropométrique. Van des Broeck et al. (1994) ont observé en
République démocratique du Congo que 18 % des enfants dont
le poids était au dessus de -2 écart-types du standard NCHS pour
leur âge avaient des signes cliniques de malnutrition tels que l'atrophie
des muscles, présence des oedèmes, perte de graisse sous-cutanée,
structures squeletales anormalement visibles, peau fine et flasque etc. Les
mesures anthropométriques de ces enfants avaient pourtant indiqué un état
nutritionnel normal. La technique de l'enquête à passages répétés
qui permet de suivre l'évolution du poids d'un même enfant pendant
une période relativement longue est de ce point de vue très précieuse.
Elle permet de calculer le rythme de croissance en rapportant le gain ou la
perte du poids à l'intervalle de temps pendant lequel il sest produit.
c) Indicateurs anthropométriques employés
Les quatre indicateurs de croissance employés dans cette étude
sont les suivants :
- le poids en kilogrammes
- la taille en centimètres
- le rythme de croissance en g/jour
- le périmètre brachial en mm
Le standard de référence choisi est celui du Centre international
pour l'Enfance, Paris (Sempé et al, 1979). Les enfants sont classés
selon l'écart au standard pour leur âge.
Dans un premier temps, l'âge de l'enfant n'est pas essentiel puisque
nous étudierons l'évolution de la courbe de poids de chaque enfant
par rapport à son poids au début de l'étude. Dans un second
temps, cependant, l'âge redeviendra important quand il s'agira d'étudier
l'évolution du poids et du périmètre brachial entre les
enfants de différents groupes d'âge. Grâce à ces
indicateurs anthropométriques nous allons pouvoir dans les chapitres
qui suivent comparer les enfants à différentes saisons, à différents
groupes d'âge et de différents groupes socio-économiques.
d) Source de données
Les informations analysées ici proviennent de trois enquêtes.
La première, l'Enquête démographique et de santé (EDS),
(FOS et IRD/Macro, 1992), est une enquête à passage unique réalisée
en 1990 et basée sur un échantillon représentatif de l'ensemble
du Nigéria. La deuxième EDS est limitée au seul Etat dOndo
dans le Sud-Ouest du Nigéria (Ministry of Health, Akure et IRD/Macro,
1986). Ces deux enquêtes ont fourni des informations notamment sur la
relation entre l'état nutritionnel mesuré par un indicateur anthropométrique,
et plusieurs variables démographiques et socio-économiques. La
troisième source de données est une enquête à quatre
passages réalisée à Akure dans le Sud-Ouest du Nigéria,
entre 1991 et 1992 (Omoluabi, 1995).
e) L'enquête à passages répétés, Akure,
Nigéria
Grâce aux données de l'EDS pour lEtat dOndo, il a été possible
de concevoir sur le même site notre enquête à passages répétés,
qui devait approfondir certains sujets évoqués par l'EDS et étudier
notamment l'évolution de la croissance et de la morbidité des
jeunes enfants au cours de douze mois d'observation. Il m'a paru important
de suivre les enfants pendant une année entière pour pouvoir
tenir compte de l'influence des saisons (et en prendre éventuellement
la mesure) sur les différents aspects de la vie de l'enfant - de la
nourriture disponible, aux maladies qui le guettent.
Cinq villages du district de Akure (capitale dOndo State) ont été choisis
au hasard et dans chacun d'entre eux des ménages ayant au moins un enfant âgé de
moins de quatre ans ( et qui ne soit pas lainé) ont été sélectionnés
pour participer à l'étude1. Pour cela, il a fallu
recenser préalablement tous les ménages dans chaque village.
Une enquête pilote auprès de 118 ménages (140 enfants de
moins de 4 ans) dans deux villages a eu lieu en février 1991, ce qui
a permis d'adapter le questionnaire aux conditions du terrain et de former
les cinq enquêteurs retenus pour la collecte. Ensuite, d'autres passages,
auprès de l'ensemble de l'échantillon, ont eu lieu en mai, juillet
et octobre 1991 et une dernière visite en février 1992. En tout,
399 enfants de moins de quatre ans ont été sélectionnés
dans 182 ménages.
À chaque visite, la mère a répondu à un questionnaire
spécifique, cependant les quatre questionnaires avaient tous un tronc
commun soit des questions sur les épisodes de maladies des deux semaines
précédant la visite des enquêteurs, ainsi que les mesures
anthropométriques de l'enfant. Ces mesures étaient le poids de
l'enfant, mesuré avec une balance de TALC2 (Angleterre) et
le périmètre du bras, mesuré à l'aide d'un mètre
flexible de TALC.
Au fur et à mesure, l'échantillon d'enfants a diminué de
399 au départ à 302 en février 1992, soit une perte de
presque 25 %. Cette diminution est liée à plusieurs facteurs
notamment la migration des familles. En effet, la plupart des familles travaillaient
dans l'agriculture et celles qui n'avaient pas leur propre terrain proche du
village étaient souvent itinérantes. La proximité de la
capitale a aussi contribué à l'effritement de l'échantillon,
plusieurs enfants partant avec leurs mères ou les deux parents vivre
en ville chez d'autres membres de la famille élargie entre deux visites
d'enquêteurs. Il y eu 5 décès d'enfants dont trois parmi
les familles absentes.
Tableau 1 : Nombre dobservations au cours des différents passages
Date du passage |
Nombre d'enfants
recensés |
Nombre de mesures
acceptés |
Février 1991 |
140 |
140 |
Mai 1991 |
399 |
374 |
Juillet 1991 |
321 |
290 |
Octobre 1991 |
329 |
301 |
Février 1992 |
302 |
278 |
Nombre total d'observations |
1491 |
1383 |
Les données ont été étudiées de deux manières,
soit en considérant chaque passage comme une enquête à part
entière, dans quel cas on peut comparer les mesures entre différents
passages, soit en regroupant toutes les mesures au cours des douze mois de
collecte, ce qui, en donnant un nombre important d'observations, permet des
analyses semblables à celles que lon peut entreprendre avec les EDS.
II. La croissance et son évolution par âge.
La figure 1. (ci-après) représente l'évolution du poids
des enfants nigérians entre 1 mois et 5 ans. L'allure de cette courbe
montre que jusqu'à l'âge de six mois le poids des enfants se situe
au niveau de la moyenne de référence du Centre international
pour l'enfance (CIE). L'évolution de la taille est même plus favorable
au départ, puisque jusque vers six mois, les enfants Nigérians
sont légèrement au-dessus du standard (figure 2.). De fait,
il semble que pendant les six premiers mois de la vie l'enfant africain connaît
une croissance plus rapide que celle de l'enfant européen (Gentilini
et Duflo, 1988). Il jouit de conditions exceptionnelles : nourri
au sein à volonté et porté constamment sur le dos de sa
mère, il est relativement protégé contre les infections
de son environnement. Après l'âge de six mois, la situation change
rapidement. D'une part, le pouvoir protecteur des anticorps maternels s'atténue
pour être remplacé par le système immunitaire propre à lenfant.
D'autre part, le lait maternel ne suffit plus aux besoins caloriques de l'enfant.
En réponse à ses réclamations constantes, la mère
commence en fait dès l'âge de trois mois à lui donner un
supplément en forme de bouillie de maïs, mil ou manioc. C'est à ce
moment, alors que son système immunitaire est à peine développé,
que l'enfant doit affronter les premiers contacts avec les parasites de son
environnement, mais il est encore protégé par les anticorps maternels. À partir
de l'âge de six mois cette protection s'efface, linsuffisance de l'alimentation
(ou son inadaptation) et les infections répétées vont
alors se combiner pour perturber le rythme de croissance de l'enfant.
L'enfant nigérian change ainsi de "couloir de croissance", pour
se retrouver sur une trajectoire proche du deuxième écart type
en dessous de la moyenne de référence (figure 1).
De la même façon, sa croissance staturale est très
bonne jusqu'à l'âge de 12 mois, mais après cet âge,
on observe un changement de "couloir de croissance": à partir de
28 mois, la taille de l'enfant nigérian se situe au deuxième écart-type
en dessous du standard (figure 2).
Même s'ils suivent une évolution similaire à celle des
autres enfants nigérians, le poids et la taille des enfants dOndo sont
supérieurs aux moyennes nationales jusquà 3 ans, témoignant
ainsi de la situation relativement favorisée de cet Etat du Sud-Ouest.
La courbe quelque peu "accidentée" du poids des enfants d'Akure est
plus proche de la moyenne pour l'Etat dOndo que la moyenne nationale. Ceci
confirme une fois encore, la situation particulière dOndo.
Une comparaison des courbes de poids et de celles de la taille montre que
le retard de croissance staturale chez les enfants nigérians est plus
important que le retard pondéral. En effet, le changement de couloir
est précoce pour le poids et vers l'âge de 30 mois, il se stabilise à mi-chemin
entre le standard et 2 écarts types en dessous. La taille des enfants
nigérians se détache du standard plus tardivement et dès
le deuxième anniversaire, s'installe à la limite de 2 écarts
types sous le standard. Il semblerait donc que dans l'ensemble, les enfants
nigérians sont petits pour leurs âges. Le retard de croissance
pondérale existe, mais il est moins important que celui de la taille.
Près de 20 % des enfants ont une taille inférieure de plus
de 3 écarts types au standard, alors que seuls 10 % affichent un
tel retard de croissance pondérale (Tableau 2). Les enfants de l'Etat
dOndo connaissent, eux aussi, un changement de couloir de croissance. Cependant,
ce changement est nettement plus progressif, et même si à l'âge
de six mois et vers 30-35 mois les deux courbes se rejoignent, le poids moyen
des enfants dOndo est supérieur à la moyenne nationale pour
presque tous les âges où nous disposons de données comparables.
Les EDS n'ayant pas mesuré le tour du bras des enfants, nous disposons
de cette information seulement pour les enfants de Akure.
Tableau 2 : Caractéristiques de léchantillon de lenquête à passages
répétés
Caractéristiques |
Fréquence au
premier passage |
Fréquence tous
passages confondus |
|
Nombre |
% |
Nombre |
% |
Groupe dâge
Moins d1 an
1 an
2 ans
3 ans
4 ans |
133
91
82
45
23 |
35,6
24,3
21,9
12,0
6,1 |
412
541
442
341
122 |
22,0
28,9
23,6
18,2
7,1 |
Rang de naissance
2-4
5 et plus |
217
157 |
58,0
42,0 |
1165
795 |
59,4
40,6 |
Age de la mère
Moins de 20 ans
20-34 ans
35 ans et plus |
24
258
92 |
6,4
69,0
24,6 |
130
1360
470 |
6,6
69,4
24,0 |
Sexe
Masculin
Féminin |
199
174 |
53,4
46,6 |
1040
915 |
53,2
46,8 |
Gemellité
Singleton
Jumeau |
355
19 |
94,9
5,1 |
1865
95 |
95,2
4,8 |
Décès dun ainé
Décès
Pas de décès |
182
192 |
48,7
51,3 |
930
1030 |
47,4
52,6 |
Saison de naissance
Hivernage
Saison sèche |
182
191 |
48,7
51,1 |
940
1005 |
48,3
51,7 |
Niveau dinstruction de la mère
Illettrée
Instruction primaire |
171
168 |
0,4
49,6 |
890
865 |
50,7
49,3 |
Niveau dinstruction du père
Illettré
Instruction primaire |
77
165 |
31,8
68,2 |
410
860 |
32,3
67,7 |
Mensurations inférieures de plus de 2 écart types au standard
Poids
Périmètre brachial |
73
74 |
22,1
22,6 |
406
301 |
30,5
21,9 |
Ces mesures ont été recueillies au cours de notre enquête à passages
répétés (Figure 3). Le périmètre brachial
est relativement élevé avant l'âge de 5 mois dépassant
le standard, pour ensuite connaître une période critique entre
l'âge de 6-28 mois où on retrouve le changement de couloir déjà évoqué.
Les trois mesures anthropométriques donnent des résultats concordants
sur l'évolution de la croissance des enfants et notamment sur le changement
de couloir de croissance, phénomène dramatique qui témoigne
d'une crise nutritionnelle chez l'enfant nigérian entre le premier et
le troisième anniversaire. On observe un bond spectaculaire de la morbidité entre
l'âge de 6 et 18 mois. Les diarrhées sont deux fois plus importantes
dès le sixième mois et la fréquence de la fièvre
passe de 23 % pour les enfants de 0-5 mois à 40 % pour les
enfants âgés de 12-17 mois. Les diarrhées aiguës constituent
une des principales causes de malnutrition et de mortalité infanto-juvénile
en milieu tropical (Gentilini et Duflo, 1986), mais au Nigéria la plupart
des diarrhées infantiles ne sont pas soignées.
III. Le début de la malnutrition et comment elle sinstalle
Le déplacement du couloir de croissance qui commence à partir
de l'âge de 5-6 mois, témoigne d'un stress nutritionnel et d'une
dégradation de la situation alimentaire dès que le lait maternel
ne suffit plus aux besoins protéino-caloriques de l'enfant. On peut
concrètement saisir ce changement d'état nutritionnel en termes
de risque de malnutrition à partir de l'âge de 9 mois, où l'on
voit des enfants afficher de plus en plus de signes de malnutrition - retard
de croissance staturale ou pondérale
a) Croissance staturo-pondérale
Le poids des enfants connait des perturbations qui peuvent aboutir à un état
de malnutrition chronique (tableau 3). Près d'un enfant nigérian
sur trois a un poids inférieur d'au moins 2 écarts types au standard.
L'augmentation du nombre denfants affichant un retard de croissance entre
l'âge de 2 et 3 ans, très sensible pour la taille (tableau 4),
est à peine perceptible pour le poids.
Tableau 3 : Proportion (%) d'enfants affichant un déficit de
croissance pondérale selon lâge
|
Situation de la taille par rapport au standard
du CIE |
Age révolu |
Plus de 3 écarts types sous le standard |
2 à 3 écarts types sous le standard |
|
Nigéria |
Etat dOndo |
Akure |
Nigéria |
Etat dOndo |
Akure |
Moins d1 an
1 an
2 ans
3 ans
4 ans |
3,9
12,4
14,4
11,8
8,6 |
1,9
4,5
6,2
4,3
- |
5,8
11,7
12,2
10,2
10,2 |
8,9
23,7
22,3
20,8
21,2 |
10,4
18,3
23,4
25,5
- |
12,0
25,6
18,9
20,4
26,2 |
Ensemble
(0-4 ans) |
9,7 |
4,5* |
10,3 |
18,9 |
18,3 |
20,2 |
* Ensemble (0-3 ans)
Sources : FOS et IRD/Maroc, 1992 ; Ministry of Health Akure, 1989
et notre enquête à passages répétés
Tableau 4 : Proportion (%) d'enfants affichant un déficit de
croissance staturale selon l'âge
|
Situation de la taille par rapport au standard
du CIE |
Age révolu |
Plus de 3 écarts types sous le standard |
2 à 3 écarts types sous le standard |
|
Nigéria |
Etat dOndo |
Akure |
Nigéria |
Etat dOndo |
Akure |
Moins d1 an
1 an
2 ans
3 ans
4 ans |
5,7
14,7
29,4
27,7
25,0 |
2,5
6,3
20,4
19,1
- |
-
-
-
-
- |
6,1
15,1
20,9
19,6
18,0 |
6,3
15,1
19,9
8,6
- |
-
-
-
-
- |
Ensemble
(0-4 ans) |
19,3 |
10,6* |
- |
15,6 |
14,3* |
- |
* Ensemble (0-3 ans)
Sources : FOS et IRD/Maroc, 1992 ; Ministry of Health Akure, 1989
et notre enquête à passages répétés
Notre enquête à passages répétés auprès
des enfants d'Akure a enregistré 10,3 % d'enfants dont le poids
est au dessous de 3 écarts types du standard et 20,2 % avec un
poids situé entre 2 et 3 écarts types en dessous du standard.
Ce résultat est proche de la moyenne nationale, mais nettement supérieur à la
moyenne pour l'Etat dOndo à cause peut-être du fait que l'échantillon
d'Akure est rural. L'EDS dOndo a en effet révélé que
la proportion d'enfants dont le poids est inférieur de plus de 2 écarts
types au standard était deux fois plus importante en milieu rural qu'en
ville (Ministry of Health Akure, 1989). L'EDS s'est servi d'un autre standard
international, celui du NCHS/CDC/OMS.
L'évolution par âge des signes de malnutrition à Akure
est aussi légèrement différente de celle au niveau national.
Dans les villages d'Akure, au lieu d'une amélioration de l'état
nutritionnel entre l'âge de 4 à 5 ans, on observe le contraire, notamment
des signes de malnutrition légère.
b) Le périmètre brachial
Les mesures du périmètre brachial provenant de l'enquête à passages
répétés, montrent que 22 % des enfants d'Akure ont
un tour du bras situé entre 2 et 3 écarts types en dessous du
standard et 5 % un tour de bras inférieur de plus de 3 écarts
types (tableau 5). Ces derniers peuvent être décrits comme affichant
des signes de malnutrition sévère. Dans les standards du CIE,
ce critère d'identification de la malnutrition par le périmètre
brachial semble être moins sévère que celui du poids. Avec
les seules mensurations du poids et pour la même population d'enfants,
on observe une défaillance de croissance chez 30,5 % d'entre eux
contre 22 % par le biais du périmètre brachial.
Tableau 5 : Proportion (%) d'enfants dont le périmètre
brachial est inférieur d'au moins de 2 écarts types au standard
selon l'âge : Akure, Sud-Ouest Nigéria
Situation du périmètre
brachial par rapport au standard du CIE |
Age révolu |
Plus de 3 écarts
types sous
le standard |
2 à 3 écarts
types sous
le standard |
Nombre dobservations |
Moins d1 an
1 an
2 ans
3 ans
4 ans
Ensemble (0-4 ans) |
3,9
6,0
6,2
4,8
5,1
5,3 |
8,5
27,4
21,5
23,5
32,3
21,9 |
259
398
339
277
99
1372 |
Source : Daprès notre enquête à passages répétés,
Akure
Le périmètre brachial est une mesure relativement facile à prendre
durant une collecte, cependant, son interprétation doit se faire avec
beaucoup de précautions car il est très sensible au moindre changement
nutritionnel. Nous avons observé en comparant les mesures des mêmes
enfants, que chaque fois qu'un enfant avait été malade au cours
des deux semaines précédant un passage, son périmètre
brachial affichait une baisse qui pouvait aller de 0,5 cm à 2 cm,
une variation importante sur un tour de bras moyen de 14 cm.(Tableau 6).
Tableau
6 : Changement du périmètre brachial entre deux
passages selon que lenfant a été malade ou non au cours des
deux semaines précédent le deuxième passage (enfants
de plus de 6 mois)
Etat de santé au
deuxième passage |
Périmètre brachial |
Différence (b-a) |
|
Premier passage (&) |
Deuxième passage (b) |
|
Enfant malade
Enfant pas malade |
14,4
14,4 |
12,8
14,5 |
-1,63 cm
+0,11 cm |
Source : Notre enquête à passages répétés,
Akure
c) Rythme de croissance et lâge de lenfant
Pendant sa première année, l'enfant va presque tripler son
poids de naissance. Ensuite, le poids n'augmente plus que de 20 % entre
le premier et le deuxième. Le rythme de croissance évolue avec
l'âge de l'enfant. Il est très rapide au départ/anniversaire
et ce rythme de croissance va continuer à se ralentir jusqu'à la
fin de l'enfance (Sempé et al., 1979). Notre enquête à passages
répétés fournit pour le Sud-Ouest du Nigéria des
données sur le rythme de croissance des enfants. Les résultats
montrent que les enfants âgés de 1-3 mois au début de l'enquête
ont pris 3 kg en moyenne en douze mois, alors que le poids du groupe d'enfants
les plus âgés (45-48 mois) n'a augmenté que de 1 kg
pendant la même période. Le tableau 7 montre le rythme de croissance
des enfants selon les groupes d'âges dans le Sud-Ouest du Nigéria.
Tableau 7 : Rythme de croissance selon le groupe d'âges : Sud-Ouest
Nigéria, 1991-92
Groupe dâge des enfants en début
de lenquête |
Prise de poids en g/jour |
Augmentation totale du poids dans lannée
(g) |
Moins d1 an
1 an
2 ans
3 ans
4 ans
Ensemble (0-4 ans) |
6,4
5,3
4,1
3,7
4,0
4,5 |
2290
1935
1497
1354
1442
1646 |
Source : Enquête à passages répétés,
Akure, 1991-92
Tableau 8 : Proportion (%) de garçons et de filles dont les
mensurations sont inférieures de plus de 2 écarts types au
standard
|
Mensurations |
Sexe de lenfant |
Poids |
Périmètre brachial |
Masculin
Féminin
Résultat du test du X² |
34,7
25,8
p = 0,0004 |
23,3
20,3
NS |
Source : Daprès notre enquête à passages répétés :
Akure, 1991-92
Tableau 9 : Rythme de croissance (g/jour) des garçons et des
filles, selon l'âge à Akure, Sud-Ouest du Nigéria
Age révolu |
Garçons |
Filles |
Ensemble |
Moins d1 an
1 an
2 ans
3 ans
4 ans
Ensemble |
7,2
6,2
4,2
3,1
3,9
4,7 |
5,5
3,2
3,7
5,5
4,5
4,5 |
6,4
4,9
3,9
3,7
4,3
4,3 |
Source : daprès notre enquête à passages répétés :
Akure, 1991-92.
Lenquête à passages répétés a mis en évidence
une importante variation saisonnière dans la croissance des enfants
du Nigéria. Même si les villages étudiés sont à moins
de 10 kilomètres de la capitale régionale, ils sont essentiellement
ruraux et la vie y est régie par les deux grandes saisons : la
saison des pluies qui va d'avril à octobre, et la saison sèche,
le reste de l'année. C'est une région à forte pluviométrie
avec des précipitations annuelles de 1300 mm en moyenne (OMM, 1971).
Les enfants de léchantillon ont été classés en
16 groupes d'âge, de 0-2 mois à 45-47 mois, mais pour des raisons
de clarté nous n'affichons ici que 8 groupes d'âge. Le poids et
le périmètre brachial ont été mesurés à chaque
visite entre février 1991 et février 1992. Celles-ci ont eu lieu à des
dates variables mais à intervalles assez courts. La première
a été effectuée le 25/2/1991, la deuxième le 25/5/1991,
la troisième le 5/7/1991, la quatrième le 5/10/1991 et la dernière
le 20/2/1992. Les courbes (Figure 5), sont constituées de cinq points
correspondant au poids ou au périmètre brachial des enfants aux
différentes visites. Elles montrent l'évolution des mensurations
en 12 mois et l'influence des différentes saisons sur la croissance
des enfants au sud du Nigéria.
Entre le mois de février et le mois de juillet, période de soudure,
la plupart des enfants ont connu des pertes de poids plus ou moins importantes.
Dès la deuxième visite en mai, qui correspond à la saison
des pluies, nous avons enregistré chez un bon nombre d'entre eux une
baisse nette de poids. Les seuls enfants qui n'ont pas perdu de poids entre
le mois de février 1991 et mai 1991 sont les bébés de
moins de 3 mois. La perte de poids chez ces enfants, plus tardive, sobserve
vers le mois de juillet-aôut. À la troisième visite en
juillet-aôut, on constate une faible reprise de poids chez les enfants
qui avaient de 0-11 mois en février 1991 (figure 4). Les enfants plus âgés
qui ont aussi perdu du poids entre février et mai n'affichent aucune
reprise à la troisième visite. En six mois, ils ont perdu en
moyenne 0,5 kg.
La baisse de poids généralisée durant la saison des pluies
n'est pas spécifique au Nigéria. Elle a aussi été observée
en Gambie (Rowland et al., 1988 ; Pickering, 1985), au Sénégal
(Rosetta, 1988), et au Népal (Nabarro, 1986) et semble caractériser
les pays en voie de développement. Elle ne concerne pas que les enfants
du milieu rural car en ville aussi les enfants perdent du poids pendant l'hivernage.
Cela tient à la diminution du stock alimentaire et à l'augmentation
des maladies hydriques telles les diarrhées et le paludisme. La vie
des habitants du milieu rural des pays pauvres est largement rythmée
par les saisons. Plusieurs études ont mis en évidence un ralentissement
du rythme de croissance qui peut aller jusqu'à une inversion avec des
pertes de poids importantes pendant les mois précédant la récolte
(Rowland et al., 1988; Rosetta, 1988; Kielmann et al., 1978).
Au Congo Démocratique, Van den Broeck et al., (1993 b) ont trouvé que
la prévalence de la malnutrition sévère durant la saison
des pluies était deux fois supérieure à celle de la saison
sèche. La période à laquelle les mesures anthropométriques
sont effectuées joue donc un rôle important sur le pourcentage
d'enfants mal nourris identifiés, ce qui exige d'interpréter
avec prudence les résultats de toute mesure de ce type.
Tableau 10 : Mesures anthropométriques et saison d'EDS dans
différents pays d'Afrique de l'Ouest
Pays/région |
5Q0 |
Saison |
Proportion (%) denfants dont les mensurations sont inférieures
de plus de 2 écarts-types au standard NCHS/CDC/OMS |
|
|
|
Taille/âge |
Poids/Taille |
Poids/âge |
Sud Nigéria, 1990
NordNigéria, 1990
Mali, 1987
Cameroun, 1991
Sénégal , 1986
Sénégal, 1992
Burkina Faso, 1993
Zambie, 1992
Niger, 1992 |
155
230
250
126
191
131
187
191
318 |
Pluies
Pluies
Sèche
Pluies
Sèche
Sèche
Sèche
Sèche
Sèche |
36,1
51,2
24,0
24,4
22,7
21,7
29,4
39,6
32,3 |
11,7
6,6
11,0
3,0
5,8
8,7
13,3
5,1
15,8 |
44,2
28,3
31,0
13,6
21,6
20,1
29,5
25,1
36,2 |
Source : EDS, rapports respectifs
Dans le cas des EDS, le facteur saison pourrait expliquer le fait qu'un pays
comme le Mali, avec un niveau de mortalité plus élevé que
le Nigéria puisse avoir un pourcentage plus faible d'enfants mal nourris
(Tableau 10 ). Au Mali les mesures ont été prises en saison sèche
alors quau Nigéria elles ont été effectuées pendant
la saison des pluies.
Il semble aussi que la relation entre anthropométrie et risque de décès
varie considérablement selon la saison à laquelle les enfants
ont été mesurés. En effet, si les mesures ont été faites
en début de saison des pluies (période de soudure), le risque
de décès des enfants les plus mal nourris dans les 12 mois suivant
est huit fois supérieur au risque de décès des enfants
qui ont le meilleur rapport poids/taille. Cependant, si les mesures ont été faites
au début de la saison sèche où il y a une relative abondance
de stock alimentaire, les enfants les plus maigres ont le même risque
de décès que les enfants les plus gros (Bairagi et al.,
1985).
Tableau 11 : Influence des saisons sur le pourcentage des enfants
affichant des signes de malnutrition au Sud-Ouest du Nigéria, 1991
Mois de passage |
Proportion (%) dentants affichant
un déficit pondéral |
Février 1991
Mai 1991
Juillet 1991
Novembre 1991
Février 1992 |
22,1
36,2
36,4
30,0
27,2 |
Source : Daprès notre enquête à passages répétés
La perte de poids observée durant la saison des pluies correspond à une
augmentation du risque de malnutrition. En février 1991, 22 % des
enfants affichaient des signes de malnutrition pondérale, mais entre
mai et juillet, 36 % des enfants sont concernés (tableau 6.26).
Vers la fin de l'année, en saison sèche, le risque de malnutrition
diminue et en février 1992, 27 % des enfants en affichent les signes.
Le
tableau 12 tiré des résultats de l'enquête à passages
répétés d'Akure au Sud-Ouest du Nigéria montre
clairement une différence de fréquence des maladies infantiles
selon les saisons.
Tableau 12 : Fréquence (%) denfants malades à différents
passages, Akure, Sud-Ouest du Nigéria
Maladie |
Mois de passage |
|
Février 1991 |
Mai 1991 |
Octobre 1991 |
Diarrhée
Fièvre
Toux |
9,1
13,3
9,9 |
12,8
17,3
11,5 |
4,7
13,9
4,3 |
Source : Enquête à passages répétés,
Akure, 1991/92
Tableau 13 : Poids moyen (en kg) des enfants du même groupe
dâge mesuré à différentes dates
Groupe dâge
(mois) |
Date des mesures |
Poids moyen |
|
Février 1991 |
Mai
1991 |
Juillet
1991 |
Octobre 1991 |
Février 1992 |
Akure,
1991-92 |
Ondo-rural |
0-5
6-11
12-17
18-23
24-29
30-35
36-41
42-47
48 et plus |
5,7
8,0
9,0
9,8
11,1
11,6
12,1
13,2
13,4 |
6,0,
7,4
8,7
9,4
10,3
11,2
12,4
13,5
14,6 |
5,4
7,6
8,2
9,5
10,1
11,2
11,9
13,1
13,3 |
4,3
7,4
9,0
9,4
10,6
11,4
12,4
12,8
14,0 |
-
-
8,5
9,7
10,8
11,2
12,5
13,5
14,0 |
5,6
7,6
8,7
9,6
10,6
11,3
12,2
13,2
13,8 |
-
7,7
8,8
9,7
10,6
11,1
12,2
-
- |
Source : Daprès notre enquête à passages répétés
et lEDS Ondo, milieu rural.
Une partie de la différence de poids observée chez les enfants
du même groupe d'âge au cours de l'année (tableau 13) est
sans doute liée à la structure même de l'échantillon,
notamment au fait que léchantillon est tronqué à droite.
Ne rentre dans léchantillon que les enfants âgés de moins
de cinq ans, y compris ceux qui naissent pendant la période détude.
Cependant, entre chaque passage les enfants grandissant, changent de groupe
d'âge et certains émigrent. En février 1991, 69 enfants étaient âgés
de moins de six mois, mais en juillet-aôut, il n'en restaient que 12
et en octobre, 8 enfants. Ces derniers sont les enfants nés après
le premier passage de mères de l'échantillon, ce qui explique
la forte baisse du poids moyen de ce groupe d'âge en octobre-novembre.
À l'exception du premier groupe d'âge, le vieillissement des
enfants et les changements de groupe d'âge auraient dû aboutir à une
augmentation du poids moyen pour les autres groupes d'âge entre les différentes
visites. On observe au contraire, une baisse de poids généralisée
pendant la saison des pluies. Que le phénomène soit étudié de
manière longitudinale, en analysant l'évolution du poids des
enfants par "génération" fixée en début de l'enquête,
ou transversale, en comparant le poids moyen d'un même groupe d'âge
mesuré à différentes périodes de l'année,
on constate toujours une perte de poids pour la majorité des enfants
durant la saison des pluies entre avril et aôut.
Les fluctuations pondérales associées aux saisons sont très
importantes avant l'âge de trois ans. À tel point que la reprise
de poids qui survient après les récoltes (septembre-octobre)
ne permet pas dans plusieurs cas de retrouver le poids du début de l'année.
Le poids moyen des enfants d'un même groupe d'âge est souvent inférieur
en fin d'année à ce qu'il était en février-mars.
Si les mensurations anthropométriques et le risque de malnutrition
varient sensiblement selon les saisons pour des enfants africains, il en est
de même pour la mortalité. Les variations saisonnières
de la mortalité des enfants sont partout assez importantes mais la période
de l'année où le risque de décès infanto-juvénile
atteint son maximum est variable. Certains auteurs ont observé que les
mois d'hivernage sont les plus meurtriers, avec trois fois plus de décès
en moyenne que les mois de la saison sèche (van Ginneken et Teunissen,
1989). D'autres, au contraire, ont mis en évidence des pics de mortalité infanto-juvénile
durant les mois les plus chauds en plein milieu de la saison sèche (Fargues
et Nassour, 1988). Il nous semble que ces pics dépendent de l'écologie
et des types de maladies endémiques d'une région.
Tableau 14 : Proportion (%) denfants du milieu rural affichant un
déficit de croissance pondérale selon le niveau dinstruction
de la mère à Akure, Nigéria
Niveau dinstruction de la mère |
Situation du poids par rapport au standard
du CIE |
Nombre dobservations |
|
Plus de 3 écarts types sous le standard |
2 à 3 écarts types sous le
standard |
|
0-3 ans dinstruction
Plus de 3 ans dinstruction |
15,3
6,1 |
27,1
14,8 |
613
688 |
Source : Daprès notre enquête à passages répétés
V. Instruction de la mère
Le risque de connaître un déficit de croissance pondérale
diminue avec le niveau d'instruction de la mère comme en témoigne
les résultats du tableau 14. Des changements sont perceptibles dès
3 ans dinstruction. C'est au niveau du déficit de croissance sévère
(plus de 3 écarts types au dessous du standard) que l'on retrouve le
plus grand écart entre les deux catégories d'enfants. En milieu
rural, le fait d'avoir une mère ayant plus de 3 années d'instruction
peut diviser par deux le risque de malnutrition chez des enfants.
L'enquête à passages répétés a fourni des
données sur l'alimentation des jeunes enfants. À chaque passage
la mère indiquait ce que l'enfant avait mangé la veille. Il est
vite apparu que ces questions n'étaient pas assez détaillées
pour donner une image fiable de la situation alimentaire des enfants et sa
relation avec la malnutrition. Aucune relation statistiquement significative
na pu être mise en évidence entre l'alimentation des enfants
et les indicateurs anthropométriques utilisés dans l'étude.
Aucune relation non plus avec des variables telles que l'âge de la mère,
la taille du ménage, le nombre de femmes adultes dans le ménage
etc. On est frappé ici par l'homogénéité du comportement
de l'ensemble des familles rurales de notre échantillon. Au même âge,
les enfants mangent la même chose. L'allaitement est universel en moyenne
jusqu'à 20 mois, mais dès l'âge de trois mois on lui donne
en plus une bouillie à base de maïs fermenté et à partir
de six mois on le fait manger petit à petit la nourriture des adultes.
Il y a une absence presque totale de protéines dans le menu du jeune
enfant nigérian une fois sevré. On a remarqué seulement
que les femmes instruites avaient plus tendance à mettre du sucre et
du lait en poudre dans la bouillie de l'enfant. Elles semblent nourrir leurs
enfants plus volontiers à la cuillère alors que d'autres femmes
utilisent le biberon ou gavent l'enfant. Ces différences nétant
pas significatives statistiquement ne sont peut-être que locales.
CONCLUSION
La croissance des enfants témoigne de leffet conjoint de la nutrition
et de la morbidité. Nous navons pas cherché à analyser
ces deux phénomènes séparément, mais nous nous
sommes contentés de montrer lévolution du poids, de la taille,
du périmètre brachial et des signes de malnutrition chez des
enfants nigérians. Ceux-ci naissent avec un poids et une taille au-dessus
du standard, mais dès lâge de six mois on observe une dégradation
de plus en plus importante de létat nutritionnel caractérisée
par le changement de couloir de croissance et la banalisation des mensurations
anthropométriques proche de 2 écarts types en dessous du standard
international. Le retard de croissances staturale a plus dampleur que celui
de la croissance pondérale, les enfants nigérians bénéficiant
souvent dun effet de "rattrapage "du poids pendant la saison sèche
après la récolte. Le risque de malnutrition est particulièrement
important entre lâge dun an et trois ans, avec un pic à deux
ans, lâge qui correspond souvent à larrivé dun cadet.
Limportance des saisons, notamment le danger de la saison des pluies pour
la santé des enfants en milieu rural a été confirmée
par notre étude. En effet, la saison des pluies est une période
de crise où trois facteurs interviennent conjointement pour fragiliser
la santé des enfants. Premièrement, cest une période
de soudure, caractérisée par une relative pénurie alimentaire
et financière pour les familles rurales. Les enfants âgés
de 6 à 36 mois sont particulièrement vulnérables aux diarrhées
et à la malnutrition, lune entretenant lautre. Le coût "dissuasif "des
aliments de sevrage adaptés fait que ces enfants ne peuvent compter
que sur des bouillies de faibles apport protéinique, gardées à température
ambiante et dans des conditions dhygiène minimales. Deuxièmement,
les maladies tropicales, notamment le paludisme et les pneumopathies, se multiplient
chez ces mêmes enfants dont la résistance est déjà minée
par la malnutrition. Finalement, les parents, débordés par des
travaux champêtres, diminuent leur vigilance sur les enfants, les laissant à la
charge de frères ou soeurs, de voisins ou de personnes âgées
qui ne peuvent pas travailler dans les champs.
Ce concours de facteurs et les synergies biologiques et sociales quil traduit,
nexpliqueraient-ils pas en partie la particularité de la mortalité infanto-juvénile
africaine ? Limportance de la mortalité juvénile par rapport à la
mortalité infantile en Afrique de lOuest pourrait sexpliquer par la
dégradation de la santé des enfants dès lage de six mois
et qui se traduit par le changement de couloir de croissance mis en évidence
ici. Une manière prometteuse de baisser la mortalité des enfants
en Afrique de lOuest serait donc de promouvoir des programmes ayant pour objectif
déviter aux enfants ce changement de couloir de croissance en améliorant
les aliments de sevrage et la qualité des soins aux enfants.
NOTES
- Les enfants du premier rang ont un risque de décès
relativement élevé et nous craignions que cela perturbe les
résultats de létude.
- TALC: Teaching Aids at Low Cost.
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- Waterlow, J.C. 1992. Protein-energy malnutrition. London, Edward Arnold.
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Copyright 1997 - Union for African Population
Studies
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