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African Journal of Reproductive Health
Women's Health and Action Research Centre
ISSN: 1118-4841
Vol. 8, Num. 2, 2004, pp. 145-163

African Journal of Reproductive Health, Vol. 8, No. 2, Aug, 2004 pp. 145-163

Genre et sexualité des Jeunes à Bafoussam et Mbalmayo, Cameroun

Rwenge Mburano Jean-Robert

Correspondance: Rwenge Mburano Jean-Robert, Enseignant et Chercheur, IFORD, Université de Yaoundé II, Cameroun.

Code Number: rh04036

Résumé

En recourant aux données de penquête sur culture, genre, comportements sexuels et MST/SIDA  réalisée au Cameroun, à Bafoussam (milieu Bamiléké) et Mbalmayo (milieu Bëti), nous nous sommes entre autres fixés comme objectif de cerner, en nous orientant vers la perspective de genre, les facteurs sociaux prédisposant les jeunes à prendre des risques dans l'activité sexuelle. L'analyse de ces données a d'abord révélé que l'idéologie de la masculinité et celle de la féminité prévalent dans les populations étudiées, mais dams le groupe Bamilíké, ou le système de genre est défavorable aux femmes, les jeunes adhèrent moins à ces idéologies que leurs parents. Nos données ont aussi révélé que dan ce groupe les garcons ont un niveau de connaissance des modes de transmission des MST/SIDA et présentent un degré d'acceptabilité des condoms plus élevé que les filles et ceux-là ont des attitudes plus favorables aux condoms que celles-ci. Il est aussi ressorti que les jeunes Bëti sont plus enclins à prendre des risques dans l'activité sexuelle que les Bamiléké. Il en est aussi ressorti que les garçons sont plus enclins que les filles à être infidèles à leurs partenaires régulières mais les premiers sont plus enclins à utiliser les condoms que les secondes. Enfin, nos données ont révélé que l'âge et d'autres caractéristiques des partenaires sexuels réguliers des jeunes font partie des facteurs prédisposant ceux-ci à prendre des risques dans l'activité sexuelle, particulièrement chez les filles. L'on devrait améliorer les programmes d'information et d'éducation des populations étudiées sur la santé des jeunes en tenant compte de l'ensemble de ces éléments. (Rev Afr Santé Reprod 2004; 8[2]: 145-163)

Mots Cles: Comportements sexuels, genre, jeunes, Afrique, Cameroun

Abstract

Gender and sexuality of youths in Bafoussam and Mbalmayo, Cameroon. This paper outlines, while resorting to the gender perspective, the social factors that predispose youths to risky sexual practices using data from a survey of culture, gender, sexual behaviour and STD/AIDS carried out in Cameroon, at Bafoussam (Bamileke area) and Mbalamayo (Bëti area). Analysis revealed that the ideology of masculinity and feminity prevail in the populations studied, but in the Bamileke group, where gender system is unfavourable to women, young people adhere less to these ideologies than their parents. Our data also revealed that the level of the knowledge of the modes of transmission of STD/AIDS and the degree of acceptability of condoms in this group are higher among boys than girls. The young Bëti were more inclined to take risks in sexual activities than the Bamileke. It was equally found that boys were more inclined than girls to be unfaithful to their regular partners, while the boys were more inclined to use condoms than girls. Finally, our data revealed that age and other characteristics of the regular sexual partners of young people influence, among others, the probability of being engaged in risky sex especially among girls. Health education and information programmes can be improved amongst these youth populations by taking into account the totality of these elements. (Afr J Reprod Health 2004; 8[2]: 145-163)

Introduction

Un cinquième de la population mondiale - plus d'un milliard de personnes - a entre 10 et 19 ans et plus d' une personne sur quatre dans le monde est âgée de 10 à 24 ans.1 Parmi ces jeunes, quatre sur cinq vivent dans les pays en développement, proportion susceptible d'augmenter de 87% d'ici l'an 2020.2

Dans ces pays, le taux de nouvelles infections au VIH/SIDA est très élevé chez les jeunes de moins de 25 ans, les jeunes femmes étant généralement plus nombreuses que les jeunes hommes à contracter le VIH/SIDA.3 Après plusieurs années de sensibilisation et d'éducation des populations sur cette maladie, leur niveau de connaissance des modes de transmission et de prévention du VIH/SIDA a sensiblement augmenté, alors que leurs comportements n'ont pas significativement changé. En se référant, par exemple, aux données du Cameroun on observe, notamment chez les jeunes de 15-24 ans ayant participé à l'Enquête Démographique et de Santé (EDS), que 80% des jeunes femmes et 60% des jeunes hommes ont déclaré avoir déjà eu les rapports sexuels au cours de leur vie, contre 53% et 55% qui ont déclaré avoir été sexuellement actifs au cours du mois précédent l'enquête. La même tendance se dégage de l'étude menée par Rwenge4 à Bamenda. Il est aussi ressorti de cette étude qu'une proportion importante des jeunes changent fréquemment de partenaires sexuels et ont des rapports sexuels avec des personnes ayant d'autres partenaires. Cette activité sexuelle est d'autant plus pleine de risque qu'elle est vécue sans préservatif, chez les jeunes filles en particulier. Plusieurs facteurs expliquent selon certains chercheurs le décalage entre niveau de connaissance du VIH/sida et niveau d'utilisation des condoms:

  • Il ressort des études réalisées au près des adolescents par Abdool et Morar en Afrique du Sud5, Uwakwe et ses collègues au Nigeria6, Helitzer-Allen au Malawi7 et Vasconcelos et ses collègues au Brésil8 que l'homme ou la femme qui demande à sa (son) partenaire d'utiliser les condoms est perçu (e) comme étant infidèle ou n'ayant pas confiance à celle-ci (celui-ci) et l'utilisation des condoms est un signe de manque d'amour.
  • Selon Oyekamni9, une autre raison pour laquelle les condoms sont faiblement utilisés est que la plupart des individus, en particulier les hommes, pensent qu'ils diminuent le plaisir sexuel.
  • D'autres chercheurs font état des rumeurs défavorables à l'utilisation du condom, notamment de l'idée selon laquelle il entraînerait le cancer de l'utérus chez la femme s'il se déchire dans son vagin et rendrait chez elle les rapports sexuels douloureux.10
  • L'existence du sida est encore un mythe pour certains individus.
  • Le faible degré de perception que les jeunes ont des conséquences néfastes du VIH/SIDA sur leur vie individuelle, familiale ou communautaire.
  • Selon Rwenge4 et bien d'autres chercheurs, les comportements des jeunes changent difficilement même s'ils sont sensibilisés et informés, en raison de nombreux facteurs sociaux interdépendants le prédisposant à prendre des risques.

Nous nous proposons d'inscrire cette dans cette dernière perspective en nous orientant vers l'approche de genre. Celle-ci nous semble pertinente à l'explication des différences des comportements sexuels entre garçons et filles, particulièrement au niveau de l'utilisation des condoms. C'est par là que nous comprendrons mieux pourquoi la prévalence du VIH/SIDA est davantage élevée chez celles-ci que chez ceux-là.

L'étude porte sur les jeunes Bëti de Mbalmayo et Bamiléké de Bafoussam. Si l'on en croit notamment Yana11, Rwenge12,13 et Rwenge et Kandem14, ces deux sociétés patriarcales ont des cultures différentes en matière de sexualité et de genre. Dans la première, les rapports de genre sont souples et les mœurs sexuelles permissives alors que dans la seconde le degré de domination des femmes est élevé et les mœurs sexuelles sont rigides. Par ailleurs, le culte des ancêtres, davantage pratiqué en milieu Bamiléké, permet à la famille de contrôler les attitudes et comportements des individus et de renforcer la solidarité et la cohésion familiales. Cette étude sera pour cela comparative.

Méthodologie

Définition des Concepts

L'étude que nous menons porte sur les jeunes. Il s'agit ici des individus âgés de 15-24 ans révolus. Ce sont des individus qui traversent le passage de l'enfance à l'âge adulte.

Le concept de genre exprime le fait qu'au-delà des différences biologiques qui caractérisent chaque sexe, les différences de statut entre hommes et femmes et les rapports qui en découlent ont un caractère socialement construit.15 Ce concept recouvre donc les différences entre les rôles qui sont assignés aux hommes et aux femmes, aux garçons et aux filles, en fonction de la culture et la société dans lesquels ils évoluent. On n'attend pas ainsi la même chose des garçons et des filles et surtout lorsqu'il s'agit de l'activité sexuelle. Et cela a des répercussions importantes sur les comportements sexuels des jeunes.

Dans cette étude nous entendons par éducation sexuelle des jeunes le fait qu'ils discutent avec leurs parents, camarades, enseignants, etc. des sujets sur la sexualité. Ces derniers comprennent non seulement les considérations psychologiques, affectives, socioculturelles et morales fonda-mentales de la sexualité mais aussi les données biologiques et les aspects sanitaires.

Le terme partenaire régulier (ère) sera utilisé ici pour désigner une personne de sexe opposé avec qui le jeune a habituellement des rapports sexuels. Ces derniers sont, dans ce cas, intimes, stables et prioritaires par rapport à d'autres relations. En revanche, nous entendons ici par partenaire occasionnel (le), une personne avec qui le jeune a eu des rapports sexuels de façon fortuite et avec qui il n'a pas l'intention de continuer dans l'activité sexuelle. Il s'agit, par exemple, d'une prostituée, d'un client des prostituées, d'une personne rencontrée occasionnelle-ment lors d'un voyage, etc. Nous entendons ici par rapports sexuels « extra-couples » les rapports sexuels que les jeunes ont eus avec des partenaires autres que leurs partenaires réguliers (ères). De même, nous désignons par rapports sexuels occasionnels les rapports sexuels qu'ils ont eus avec des partenaires occasionnels.

Enfin, nous entendons par comportements sexuels « à risque » ceux qui exposent les jeunes au risque de contamination par les MST/SIDA. Il s"agit ici des rapports sexuels extra-couples, occasionnels ou de la non utilisation des condoms.

Hypothèses

Les hypothèses vérifiées dans cette recherche sont les suivantes:

(H1) Les jeunes adhèrent moins à l'idéologie de la « masculinité » et à celle de la « féminité » que leurs parents.

(H2) Dans le groupe Bamiléké, où les rapports sociaux de genre sont défavorables aux femmes, le niveau de connaissance des modes de transmission des MST/SIDA et le degré d'acceptabilité des condoms sont davantage élevés chez les garçons que les filles.

(H3) Dans les même groupe, les premiers ont des attitudes plus favorables aux condoms que les secondes.

(H4) Les comportements sexuels des jeunes varient selon le genre.

(H5) Les caractéristiques des partenaires sexuel (le)s des jeunes déterminent leur engagement dans l'activité sexuelle « à risque ».

Données

Les données utilisées sont issues d'une enquête sur « Culture, Genre, Comportements Sexuels et MST/sida au Cameroun » réalisée en mars-avril 2000 à Mbalmayo (milieu Bëti) et Bafoussam (milieu Bamiléké). C'est une equête par grappes à deux degrés. Au premier degré, un certain nombre de quartiers ont été sélectionnés au hasard, proportionnelle-ment à leurs tailles, et au second degré, le long de leurs axes de communication, les ménages, dans lesquels tous les individus, mariés et célibataires âgés de 15-49 ans, ont été enquêtés. Cette enquête a porté sur 1679 hommes et femmes âgés de 15-49 ans parmi lesquels on retrouve 684 jeunes âgés de 15-24 ans révolus.

Des données quantitatives ont été collectées pendant l'enquête. Elles portent sur les caractéris-tiques socio-économiques et démographiques, les opinions des individus sur les statuts et rôles des femmes et les rapports de genre, leurs opinions sur la sexualité, leur connaissance et prise de conscience des MST/SIDA, leur connaissance et acceptabilité des condoms, leur pouvoir de prise de décision dans le domaine de la sexualité et leurs comportements sexuels.

Cette enquête a permis aussi de collecter des données qualitatives détaillées sur des questions en rapport avec le genre et la sexualité. Celles-ci sont issues des entretiens et discussions de groupe réalisés dans chaque milieu étudié. Elles ont été utilisées pour identifier les raisons pour lesquelles les jeunes, particulièrement les filles, adoptent des comportements sexuels « à risque » et n'utilisent pas assez les condoms.

Méthodes d'Analyse

Une analyse descriptive a permis de connaître les caractéristiques des jeunes enquêtés selon le sexe et le groupe ethnique. Elle a aussi permis d'identifier, non seulement les perceptions que les jeunes ont de leur sexualité et de leur fécondité et les perceptions que les parents ont de la sexualité de leurs enfants mais aussi les connaissances des jeunes sur les MST/SIDA, leurs connaissances et acceptabilité des condoms, leurs comportements sexuels et les caractéristi-ques de leurs partenaires sexuel (le) s.

Les méthodes multivariées de régression logistique ont été utilisées pour cerner les facteurs de l' « infidélité » chez les jeunes (c'est-à-dire de l'occurrence chez les jeunes des rapports sexuels « extra-couples »), les facteurs de l'utilisation des condoms chez les jeunes et les facteurs explicatifs de la différence chez eux du risque d'utiliser les condoms selon le genre.

En ce qui concerne les données qualitatives, nous avons recouru à la technique d'analyse du contenu.

Résultats

Caractéristiques des Jeunes Enquêtés

Le Tableau 1 donne la répartition des jeunes enquêtés selon leurs caractéristiques, le groupe ethnique et le genre. Le pourcentage de jeunes célibataires est plus important (80,4%) que celui de mariés (19,6%). Dans chaque groupe ethnique on observe une association significative entre le genre et l'état matrimonial. Le pourcentage de jeunes mariés est en effet plus élevé chez les filles (31,5% dans le groupe Bamiléké et 30,4% dans le groupe Bëti) que chez les garçons (respectivement 3,5% et 15,2%). C'est le signe d'un plus grand encadrement social des filles dans les deux groupes. Lorsqu'on distingue les unions libres des autres, on constate que les premières sont davantage représentées, aussi bien chez les garçons que chez les filles, dans le groupe Bëti (résultats non présentés). C'est le signe, non seulement de la liberté des garçons et filles Bëti dans le choix de leurs conjoints, mais aussi de leur liberté sexuelle.

Près de la moitié des jeunes enquêtés sont scolarisés (47,1%). Lorsqu'on tient compte du genre on constate que la proportion des jeunes scolarisés est plus élevée dans les deux groupe ethniques chez les garçons (52,5% dans le groupe Bamiléké et 53,6% dans le groupe Bëti) que chez les filles (40,8% quel que soit le groupe ethnique). Dans l'ensemble, 22,7% des jeunes sont de niveau primaire, 52% de niveau secondaire premier degré et 25,3% de niveau secondaire second degré ou supérieur. Dans les deux groupes ethniques étudiés, le niveau d'instruction des garçons est plus élevé que celui des filles. Dans le groupe Bamiléké, par exemple, 16,7% des garçons sont de niveau primaire, 40,6% de niveau secondaire premier degré et 42,7% de niveau secondaire second degré ou supérieur. Chez les filles, les pourcentages de jeunes de niveau primaire (32,7%) et de niveau secondaire premier degré (47,3%) sont davantage élevés au contraire notamment de celui de jeunes de plus haut niveau d'instruction (20%). C'est la même tendance qui ressort dans l'autre groupe mais ici l'écart entre garçons et filles est faible.

Dans l'ensemble des jeunes enquêtés, 13,9% ont déclaré être inactifs, 47,1% élèves ou étudiants, 15,5% agriculteurs, 15,2% cadres ou employés et 8,5% commerçants. Dans les deux groupes ethniques, le pourcentage de jeunes inactifs (c'est-à-dire qui ne vont pas à l'école et ne travaillent pas) est davantage élevé chez les filles (26,8% et 25,5% respectivement dans les groupes Bamiléké et Bëti) que chez les garçons (respectivement 1,5% et 1,8%). Parmi les filles qui exercent une activité, on retrouve davantage les agricultrices, particulièrement dans le second groupe. En revanche, les jeunes commerçants, cadres ou employés sont davantage représentés dans les deux groupes chez les garçons que chez les filles.

Au moment de l'enquête, 74% des jeunes ont déclaré ne pas avoir d'enfant, 17,6% ont déclaré avoir un enfant et 8,6% deux enfants. Dans les deux groupes ethniques, le pourcentage de jeunes ayant au moins un enfant est plus élevé chez les filles (33,8% dans le groupe Bamiléké et 50% dans le groupe Bëti) que chez les garçons (10,1% et 16,3% respectivement). On constate aussi que la fécondité des jeunes est davantage intense dans ce dernier groupe que dans le premier.

Perceptions que les Jeunes ont de leur Sexualité et de leur Fécondité

La perception que les jeunes ont de la virginité des filles avant le mariage varie selon le groupe ethnique. Le pourcentage de jeunes favorables à cela est, en effet, plus élevé dans le groupe Bamiléké (50,9%) que dans le groupe Bëti (41,5%) (Tableau 2). La perception que les jeunes ont de la virginité des filles ne varie du tout pas selon le genre dans les deux groupe.

De même, les jeunes défavorables à l'occurrence de la première expérience sexuelle des garçons avant le mariage sont davantage représentés dans le premier groupe (39,5% contre 24,4%). On observe que dans le groupe Bamiléké, les filles (29,4%) sont moins défavorables à cela que les garçons (50,5%).

Les jeunes Bëti (20,7%) sont plus favorables à la fécondité pré-maritale des filles que les Bamiléké (13,5%). Cette relation persiste lorsqu'on tient compte du genre. On observe aussi, dans ce cas, que les filles sont, quel que soit le groupe ethnique, plus favorables (28,6% et 18,5% respectivement) à leur fécondité pré-maritale que les garçons (14,1% et 7,6% respectivement). Le pourcentage de jeunes favorables à la fécondité pré-maritale des garçons est davantage élevé que celui observé dans le cas de la fécondité pré-maritale des filles (36,2% contre 20,7% dans le groupe Bëti et 26% contre 13,5% dans le groupe Bamiléké). De même, on observe que les Bëti sont plus favorables à la fécondité pré-maritale des garçons que les Bamiléké. C'est uniquement dans ce dernier groupe que les filles (30,6%) sont plus favorables à cela que les garçons (20,8%). Le pourcentage de jeunes favorables à leu éducation sexuelle est élevé dans les deux groupes socioculturels, mais davantage dans le groupe Bamiléké (84,7% dans le cas des filles et 84,9% dans celui des garçons) que dans le groupe Bëti (70,3% et 74,8% respectivement). Cette dernière relation persiste lorsqu'on tient compte du genre. Quel que soit le groupe, la perception que les jeunes ont de leur éducation sexuelle ne varie pas selon le genre.

Les jeunes garçons et filles pensent, dans les deux groupe ethniques, que dans le cadre familial, le père devrait s'occuper de l'éducation sexuelle des garçons et la mère de celle des filles (résultats non présentés). Ils pensent de même, qu'en dehors du cadre familial, les filles devraient discuter des sujets sur la sexualité davantage avec leurs camarades de même sexe qu'avec ceux de sexe opposé alors qu'ils n'imposent pas cette restriction aux garçons (résultats non présentés). Cependant, il est ressorti des interactions entre jeunes filles, pendant les discussions de groupe, que certaines d'entre elles sont contre ce modèle qu'elles qualifient de « traditionnel »; l'extrait suivant tiré du discours des jeunes informatrices Bamiléké le montre: ce sont les mamans qui s'occupent généralement des filles dans ce cas mais si les pères pouvaient aussi le faire, elles seraient davantage mieux préparées à éviter les risques des MST/sida associés à leur activité sexuelle.

Perceptions que les Parents ont de la Sexualité et Fécondité de Leurs Jeunes Enfants

Les parents Bamiléké sont davantage favorables (53,7%) que les Bëti (41,8%) à la virginité de leurs filles avant le mariage (Tableau 3). La différence entre les deux groupes persiste lorsqu'on tient compte du genre mais elle est davantage grande chez les femmes que chez les hommes. Dans les deux groupe ethniques, l'association entre genre et perception de la virginité des filles est non significative, particulièrement dans le groupe Bamiléké.

Le pourcentage de parents favorables à ce que la première expérience sexuelle de leurs jeunes garçons se déroule avant le mariage est plus important dans le groupe Bëti (72,9%) que dans le groupe Bamiléké (64,5%). Cependant lorsqu'on tient compte du genre, on observe la même relation uniquement chez les femmes. L'association entre genre et perception de la première expérience sexuelle pré-maritale des jeunes garçons s'observe uniquement dans le groupe Bëti, les femmes (78,6%) étant plus favorables à cela que les hommes (67,0%).

On observe de même ici, dans les deux groupe ethniques, quel que soit le sexe des répondants, que les parents sont plus favorables à la première expérience sexuelle pré-maritale de leurs jeunes garçons qu'à celle de leurs jeunes filles.

En ce qui concerne la fécondité pré-maritale des jeunes filles, un faible pourcentage de parents est favorable à cela dans les deux groupes ethniques. Dans l'ensemble, la différence entre les deux goupes est non significative. Mais lorsqu'on tient compte du genre, on observe, notamment chez les hommes, que les parents Bëti (19,1%) sont plus favorables à la fécondité pré-maritale des jeunes filles que les Bamiléké (11,5%). On observe aussi chez ces derniers que les femmes (20,6%) sont plus favorables à cela que les hommes (11,5%). Les mêmes tendances se dégagent lorsqu'on examine les perceptions que les parents ont de la fécondité pré-maritale de leurs jeunes garçons. Enfin, on observe de même ici, que les parents sont, quels que soient le groupe ethnique et le genre, plus favorables à la fécondité pré-maritale de leurs jeunes garçons qu'à celle de leurs jeunes filles.

Dans l'ensemble, la majorité des parents sont favorables à l'éducation sexuelle de leurs jeunes enfants. Cependant, au contraire notamment de ce qui ressort dans le groupe Bëti, où le pourcentage de parents favorables à l'éducation sexuelle de leurs jeunes filles ne varie pas selon le genre, dans l'autre groupe, les hommes sont plus favorables à cela que les femmes. C'est le même schéma qui se reproduit lorsqu'on examine les perceptions que les parents ont de l'éducation sexuelle des jeunes garçons.

Enfin, lorsqu'on compare les perceptions des parents à celles de leurs jeunes enfants, on remarque qu'elles se ressemblent dans le cas où le sujet abordé est la virginité des filles. Dans le cas de la sexualité des garçons, on n'observe le contraire que dans le groupe Bamiléké, lorsqu'on compare notamment les perceptions des hommes à celles de leurs garçons, les premiers étant davantage favorables à cela que les seconds. Dans le cas de la fécondité pré-maritale des filles, la différence entre les perceptions des parents et celles de leurs jeunes enfants ne s'observe que dans le groupe Bëti chez les femmes, les jeunes filles étant davantage favorables à cela que leurs mères. Dans le cas de la fécondité pré-maritale des garçons, la différence entre les deux groupes s'observe chez les hommes, dans le groupe Bamiléké, et chez les femmes, dans le groupe Bëti; dans le premier, les jeunes sont davantage défavorables à cela, au contraire de ce qui ressort dans le second. Donc, dans le groupe Bëti, les jeunes filles sont davantage favorables que leurs mères à leur fécondité pré-maritale et à celle des garçons. En ce qui concerne l'éducation sexuelle des jeunes, les perceptions des parents diffèrent de celles de leurs enfants uniquement dans le groupe Bamiléké, ces derniers étant plus favorables à cela que les premiers.

Connaissances des MST/SIDA et Sources d'Informations sur ces Maladies

Dans les deux groupes ethniques, presque la totalité des jeunes enquêtés connaissent les MST. Cependant, lorsqu'on tient compte du genre, on constate que dans le groupe Bamiléké le pourcentage de jeunes garçons (98,9%) qui connaissent ces maladies est significativement plus élevé que celui de jeunes filles (90,6%) (Tableau 4).

La plupart des jeunes connaissent dans les groupe ethnique étudiés les MST les plus fréquents notamment la syphilis, la blennorragie et le sida. Cette dernière maladie, la plus dangereuse des trois, est mieux connue, notamment dans le groupe Bamiléké, par les garçons que les filles. Le pourcentage de ceux là (92,4%) qui connaissent que le sida est une maladie sexuellement transmissible est, en effet, significativement plus élevé que celui de celles-ci (84,7%).

La totalité des jeunes enquêtés ont déjà entendu parler du sida dans les populations étudiés mais davantage des jeunes filles (32,9%) que des jeunes garçons (21,6%) continuent à penser, particulièrement chez les Bëti, que cette maladie ressemble à d'autres MST. Lorsqu'on compare les deux groupe ethniques, on constate que la proportion des jeunes ayant cette perception du sida est, quel que soit le genre, plus élevé dans le groupe Bëti que dans le groupe Bamiléké (15,5% chez les filles et 11,6% chez les garçons).

La plupart des jeunes connaissent dans les populations étudiés le principal mode de transmission du sida dans leur localité de résidence, à savoir la transmission via les rapports sexuels. Lorsqu'on tient compte du genre on observe, dans le groupe Bamiléké notamment, que le pourcentage de jeunes garçons (88,7%) connaissant ce mode de transmission est significativement plus élevé que celui de filles (78,6%). En revanche, les autres modes de transmission sont connus par une proportion plus élevée des filles que des garçons.

Connaissance, Acceptabilité et Attitudes vis-à-vis des Préservatifs

Presque la totalité des jeunes ont entendu parler des condoms. Cependant, une proportion non négligeable des jeunes, particulièrement des filles, n'ont pas encore vu ou touché un condom. Dans le groupe Bamiléké, par exemple, le pourcentage de jeunes ayant déjà vu un condom est de 91,1% et celui de jeunes l'ayant déjà touché de 60,6% (Tableau 5).

Lorsqu'on tient compte du genre, le pourcentage de garçons l'ayant déjà vu (95,1%) est significativement plus élevé que celui de filles (87,9%). L'écart entre les deux sexes s'agrandit lorsqu'on examine le pourcentage de jeunes ayant déjà touché un condom (76% contre 48%). Il importe de faire remarquer qu'une différence significative entre les Bëti et Bamiléké est observée dans ce dernier cas.

Le pourcentage de jeunes qui accepteraient d'utiliser les condoms est très élevé dans les deux groupes ethniques (85% dans le groupe Bamiléké et 87,4% dans le groupe Bëti). Dans le premier groupe, on observe que les garçons (88,8%) en sont plus favorables que les filles (81,9%). Les conditions d'acceptabilité des condoms sont les mêmes dans les deux groupes, à savoir éviter les MST et retarder ou éviter une grossesse. Lorsqu'on tient compte du genre, on constate que le pourcentage de jeunes ayant explicitement fait allusion au sida parmi leurs conditions d'acceptabilité des condoms est davantage élevé chez les garçons que les filles.

Les attitudes des jeunes vis-à-vis des individus condamnant dans leur localité l'utilisation des condoms ne varie pas significativement selon le groupe ethnique. Lorsqu'on les examine selon le genre, on remarque, dans le groupe Bamiléké, que le pourcentage de jeunes ayant des attitudes favorables est davantage élevé chez les filles que chez les garçons. De même, le pourcentage de jeunes filles Bamiléké ayant des attitudes favorables est plus élevé que celui de B ëti.

Certains jeunes sont dans les deux milieux étudiés favorables aux individus qui condamnent l'utilisation des condoms parce que celle-ci favorise selon eux l'infidélité et la prostitution, limite les plaisirs sexuels et entraîne des problèmes de santé chez la femme (intervention chirurgicale consécutive à la déchirure du condom dans le vagin, cancer de l'utérus, etc) (résultats non présentés). Les raisons religieuses ont été aussi évoquées mais par la minorité des jeunes.

Comportements sexuels

La majorité des jeunes ont déjà eu leurs premiers rapports sexuels dans les populations étudiées. Cependant, on observe que le pourcentage de jeunes ayant déjà eu leurs premiers rapports sexuels est plus élevé dans le groupe Bëti que dans le groupe Bamiléké (Tableau 6). Lorsqu'on tient compte du genre, c'est dans ce dernier groupe qu'il est plus élevé chez les garçons (76,1%) que chez les filles (68,9%).

Le pourcentage de jeunes ayant eu leurs premiers rapports sexuels avant 16 ans est de quatre sur dix dans le groupe Bëti (43,3%) alors que dans l'autre groupe il est deux fois moins élevé (23,0%). Cette relation persiste lorsqu'on tient compte du genre. Quel que soit le groupe considéré, le pourcentage de garçons (52,5% et 29,9% respectivement) ayant eu leurs premiers rapports sexuels avant 16 ans est plus élevé que celui de filles (32,4% et 16,8% respectivement).

De même, le pourcentage de jeunes ayant eu au cours des douze derniers mois des rapports sexuels «extra-couples» est plus élevé dans le groupe Bëti (41,7%) que dans le groupe Bamiléké (26,4%). La même tendance se dégage lorsqu'on compare les garçons entre eux et les filles entre elles. Quel que soit le groupe ethnique, les jeunes garçons sont plus enclins à «infidèles» que les filles. On aboutit aux mêmes relations lorsqu'on examine les pourcentages de jeunes ayant eu au cours de la même période des rapports sexuels occasionnels.

Au contraire notamment des jeunes Bamiléké, les Bëti (28,5%) sont moins enclins à utiliser les condoms que les premiers (51,1%). Lorsqu'on tient compte du genre, les jeunes filles sont, quel que soit le groupe ethnique, moins enclines à cela.

Dans les deux groupes ethniques, les jeunes filles recrutent leurs partenaires sexuels parmi les hommes plus âgés qu'elles (Tableau 7). En revanche, les jeunes garçons recrutent les leurs dans les groupes des jeunes. On observe, par exemple, dans le groupe Bamiléké, que 64,1% des filles ont des partenaires sexuels âgés au moins de 25 ans alors que chez les garçons seulement 1,2% des jeunes ont des partenaires de cet âge. C'est le même schéma qui se reproduit dans le groupe Bëti. Lorsqu'on compare les deux groupes ethniques, on constate que chez les Bëti 90,9% des jeunes garçons enquêtés ont des partenaires âgés de 14-19 ans et 7,3% des partenaires âgés de 20-24 ans. Chez les Bamiléké, ces proportions sont respectivement 72,8% et 25,9%. Ainsi, chez les Bëti, presque la totalité des jeunes garçons ans ont des partenaires âgés de 14-19 ans. Ce qui conforte l'idée d'une plus forte intensité de la sexualité des adolescentes dans le groupe Bëti que Bamiléké.

Au contraire notamment des filles, la plupart des jeunes garçons recrutent leurs partenaires sexuelles parmi leurs collègues de classe. Il en résulte que la plupart des filles ont des partenaires de niveau élevé d'instruction ou exerçant une activité économique.

Facteurs Prédisposant les Jeunes à l' «Infidélité»

L' «infidélité» est un comportement sexuel qui prédispose les jeunes à la contamination par les MST/SIDA. Le modèle multivarié de régression logistique a été utilisé pour identifier les facteurs qui prédisposent à ce comportement. L'essentiel des résultats obtenus est repris dans le Tableau 8.

Toutes choses égales par ailleurs, les jeunes filles ont 80% moins de risque d'avoir été infidèles à leurs partenaires sexuels réguliers au cours de la période de référence considérée. Si le partenaire est âgé de plus de 30 ans, le rapport sexuel a 2,62 fois plus de risque d'avoir été un rapport sexuel «infidèle».

On observe aussi un lien entre l'activité économique des répondants et leurs comporte-ments sexuels. Les jeunes commerçants sont 2,37 fois plus enclins à être infidèles que les élèves ou étudiants. De même, toutes choses égales par ailleurs, les jeunes qui recrutent leurs partenaires sexuels réguliers parmi les cadres ou employés ont 2,21 fois plus de risque d'avoir été infidèles que ceux qui les recrutent parmi leurs collègues élèves ou étudiants. Ceux qui les recrutent parmi des individus exerçant d'autres activités économiques ont 1,97 fois plus de risque d'avoir adopté ce comportement que ceux du groupe de référence.

Le niveau d'instruction du partenaire est aussi lié au comportement sexuel étudié. Lorsque les jeunes ont des partenaires sexuels réguliers de niveau primaire, leur risque d'être infidèles est 88% moins élevé que lorsqu'ils ont des partenaires de niveau d'instruction élevé.

Enfin, la situation matrimoniale des jeunes et leur appartenance ethnique sont aussi liées à leur comportement sexuel. Les jeunes vivant en union sont 90% moins enclins à être infidèles que les célibataires. Toutes choses égales par ailleurs, les Bëti sont 3,11 fois plus enclins à l'infidélité que les Bamiléké.

Facteurs de l'Utilisation des Condoms chez les Jeunes

Ici aussi, le modèle multivarié de régression logistique a été utilisé pour identifier les facteurs qui déterminent l'utilisation des condoms chez les jeunes enquêtés. Toutes choses égales par ailleurs, trois variables déterminent l'utilisation des condoms chez les jeunes enquêtés, à savoir leur activité économique, leur âge et leur appartenance ethnique. Les jeunes inactifs et agriculteurs sont moins enclins à utiliser les condoms que les élèves ou étudiants. Ils ont respectivement 69% et 70% moins de risque d'utiliser les condoms que ceux-ci (Tableau 9). Les jeunes âgés de 20-24 ans ont 1,93 fois plus de risque d'utiliser les condoms que les plus jeunes. Toutes choses égales par ailleurs, les Bëti ont 65% moins de risque d'utiliser les condoms que les Bamiléké.

Les modèles pas-à-pas nous ont permis de mettre en exergue les mécanismes par lesquels certaines variables influencent l'utilisation des condoms. En effet, les variables comme genre, fréquence de la discussion au sein du couple et prise de décision étaient significativement liées à l'utilisation des condoms avant le contrôle de l'âge du partenaire mais après leurs effets sont devenus non significatifs. Dans le premier cas, les jeunes filles avaient 48% moins de risque d'utiliser les condoms que les jeunes garçons. Les jeunes qui discutent souvent avec leurs partenaires sexuels avaient 1,84 fois plus de risque d'utiliser les condoms que ceux qui n'en discutent jamais. Quel que soit le sexe du jeune enquêté, le risque d'utiliser les condoms était 2,23 fois plus élevé lorsque la fille prend les décisions sur la manière de faire les rapports sexuels que lorsque le garçon le fait.

C'est en contrôlant la parité atteinte que les différences des risques d'utiliser les condoms selon l'âge du partenaire sont devenues non significatives (résultats non présentés). En effet, avant la prise en compte de cette variable, les jeunes dont les partenaires sont âgés de plus de 25 ans avaient 59-61% moins de risque d'utiliser les condoms que ceux dont les partenaires sont plus jeunes.

Conclusions

Nos données ont révélé que les jeunes Bëti sont plus favorables à leur première expérience sexuelle pré-maritale que les Bamiléké. Elles ont de même révélé, dans ce dernier groupe ethnique, que les jeunes filles sont davantage favorables à la première expérience sexuelle pré-maritale de leurs camarades de sexe opposé. C'est grosso modo le même schéma qui est ressorti dans le groupe des parents mais, cette fois-ci, c'est dans le groupe Bëti que les femmes sont favorables à la première expérience sexuelle pré-maritale des garçons. Les jeunes et leurs parents se sont avérés, quelles que soient leurs caractéristiques, plus favorables à la sexualité pré-maritale des garçons qu'à celle des filles. Enfin, c'est uniquement dans le group Bêti que les jeunes garçons se sont avérés plus favorables à l'activité sexuelle pré-maritale de leurs camarades de même sexe que les filles.

Ces résultats confirment l'idée selon laquelle dans les deux sociétés patriarcales, on n'attend pas la même chose des garçons et filles dans l'activité sexuelle. Les premiers doivent être sexuellement expérimentés avant de se marier alors que les filles doivent rester vierges. Les jeunes ayant participé aux discussions de groupe justifient cela par la croyance selon laquelle c'est l'homme qui doit initier les rapports sexuels dans un couple et le lien positif entre la virginité de la fille et sa chance de se marier. En d'autres termes, le jeune garçon doit être suffisamment sexuellement expérimenté avant le mariage pour éviter d'être ridiculisé plus tard par sa future épouse. Balmer et ses collègues16 confortent cette hypothèse lorsqu'ils disent que dans certaines sociétés kenyanes on apprend aux filles d'être passives dans l'activité sexuelle, qu'elles ne devraient pas initier l'acte sexuelle ou être des actrices actives dans ce domaine. Il en est de même de Obbo17 lorsqu'elle dit ceci dans sa communication présentée au Colloque de Sali sur «Sciences sociales et SIDA en Afrique» «They [c'est-à-dire les femmes africaines] live in a milieu in which everyday gender ideology regards women as socially worthy only when they marry and have children. The ideology of wifehood and motherhood divides women into two categories: «good women» who are virgins before marriage and sexually monogamous when married; and «torse women» who are sexually «promiscuous» ». Weiss et ses collègues18 confortent aussi cette hypothèse dans leur étude sur la sexualité des adolescents dans les pays en développement. L'on devrait alors lutter contre les stéréotypes et changer les idéaux relatifs au genre d'autant plus qu'ils sont associés à l'adoption par les jeunes filles des comportements sexuels à «risque». 

Les différences ethniques observées au niveau des perceptions de la sexualité des jeunes confortent l'hypothèse issue des travaux réalisés par certains anthropologues sur les populations étudiées - Hurault19 dans le groupe Bamiléké et Ombolo20 et Alexandre et Binet21 dans le groupe Bëti - selon laquelle les mœurs sexuelles sont rigides dans le premier groupe et permissives dans le second. Il serait toutefois intéressant d'entreprendre d'autres études anthropologiques pour mettre en évidence les principles caractéristiques du modèle de sexualité dans la société actuelle Bëti. En effet, bien qu'elle reste permissive, les charactéristiques de son modèle de sexualité pourrait avoir changé avec l'influence du catholicisme, de l'urbanisation et de la scolarisation. Une étude similaire mériterait aussi d'être menée dans la société Bamiléké.

Les différences observées au niveau des perceptions de la fécondité pré-maritale confortent celles explicitées plus haut au niveau de la sexualité pré-maritale. Mais le fait que les filles se sont avérées plus favorables à leur fécondité pré-maritale que les garçons traduit le rôle que celle-ci joue dans la définition du statut social de la femme. En fait, certaines filles sont favorables à cela parce qu'avoir un enfant avant le mariage est une preuve de leur fécondité. C'est pourquoi, dans le groupe Bamiléké notamment, les mères se sont avérées plus favorables à la fécondité pré-maritale de leurs filles que les pères.

Le fait que chez les Bamiléké, les jeunes garçons se sont avérés plus défavorables que leurs parents à leur sexualité et fécondité pré-maritales, signifient que les modèles culturels de genre et sexualité y sont en cours de changement. Il importe par conséquent d'impliquer suffisamment les jeunes à la conception des programmes les concernant.

Les différences observées selon le genre au niveau des connaissances des jeunes sur les MST/SIDA et les condoms seraient une conséquence des restrictions qui pèsent sur les filles dans le domaine de la sexualité. Ce qui confirme l'hypothèse développée dans ce sens par Rivers et ses collègues.2 En effet, nos données ont révélé qu'une proportion importante des jeunes connaissent les MST dans les populations étudiés. Cependant, dans le groupe Bamiléké, où les restrictions sur la sexualité des filles sont très fortes, le pourcentage de filles connaissant ces maladies est significativement inférieur à celui de garçons. C'est aussi dans ce groupe que le pourcentage de filles connaissant que le sida est une MST et celui de filles connaissant qu'il se transmet par voie sexuelle sont significativement inférieurs à ceux observés chez les garçons. Des différences importantes ont été aussi observées selon le genre au niveau de la connaissance des condoms, mais cette fois-ci dans les deux groupes ethniques étudiés.

La relation entre l'idéologie de la «féminité» et le niveau faible des connaissances des filles résulte, selon Rivers et ses collègues2, du fait qu'elle s'accompagne de leur faible éducation sexuelle dans le cadre familial. Celles-ci tirent pour cela une bonne partie de leurs informations sur la sexualité et les MST/SIDA des collègues et amis dont certaines sont souvent erronées. Le fait qu'en milieu Bamiléké le pourcentage de jeunes filles qui accepteraient d'utiliser les condoms est significativement inférieur à celui observé chez les garçons en témoigne aussi. Le fait que dans le même groupe le pourcentage de jeunes condamnant l'utilisation des condoms est plus élevé chez les filles que chez les garçons en témoigne encore plus, leurs justifications de ces attitudes étant notamment généralement fondées sur des fausses rumeurs. Ces résultats montrent l'intérêt d'améliorer les rapports de communication entre les parents et leurs jeunes filles dans le domaine de la sexualité. Ils montrent aussi l'intérêt d'améliorer le niveau d'information de celles-ci dans ce domaine et, partant, de faire disparaitre les connaissances erronées qu'elles ont sur les MST/SIDA et les condoms.

Le fait que les pourcentages de jeunes Bëti ayant déjà eu les rapports sexuels, de ceux ayant eu leurs premiers rapports sexuels avant 16 ans, de ceux ayant été «infidèles» à leurs partenaires réguliers au cours des 12 derniers mois précédant l'enquête et de ceux ayant eu les rapports sexuels occasionnels au cours de cette période sont plus élevés que ceux obtenus chez les Bamiléké, confortent l'idée selon laquelle les mœurs sexuelles sont permissives dans le premier groupe ethnique et rigides dans le second. Il existerait donc une association entre culture et comportements sexuels des jeunes au Cameroun comme Rwenge4 l'avait aussi montré dans la région anglophone de ce pays. La forte valorisation de l'acte sexuel «naturel» ou «complet» par les jeunes Bêti signifie que leurs connaissances des MST/SIDA se traduisent moins en comportements que chez les Bamiléké. Si l'on en croit notamment Yana11, il serait fort probable que la forte cohésion familiale observée dans ce dernier groupe ethnique y soit associée à une forte prise de conscience par les jeunes des conséquences néfastes du sida sur leur famille. Ces résultats montrent l'intérêt de continuer à sensibiliser les jeunes Bëti sur cette maladie. Etant donné qu'ils appartiennent à un groupe où les mœurs sexuelles sont permissives, on insisterait chez eux, dans les messages de sensibilisation, plus sur l'utilisation des condoms que sur la fidélité et l'abstinence sexuelle. Il importe alors de promouvoir en milieu Beti les etudes psychosociales sur les facteurs de la non utilisation des condoms par les jeunes.

Les différences selon le genre observées au niveau des comportements sexuels sont une autre expression de l'idéologie de la féminité et celle de la masculinité. Les jeunes garçons s'engagent plus intensément dans l'activité sexuelle que les filles parce qu'ils sont encouragés par la famille et les collègues. Ces idéologies s'accompagnent d'une faible utilisation des condoms chez les filles, à qui en fait on inculque pendant l'enfance l'idée selon laquelle une femme doit être passive dans cette activité. Ce qui montre une fois de plus qu'il est important de changer dans les milieux étudiés les idéaux de genre et sexualité via les programmes d'information et d'éducation des individus.

Les analyses multivariées effectuées mettent en évidence d'autres facteurs des comportements sexuels des jeunes, à savoir les caractéristiques de leurs partenaires, qui jouent notamment un rôle important dans leur engagement dans l'activité sexuelle «à risque». Les jeunes ayant des partenaires plus âgés, des partenaires exerçant une activité économique et de niveau élevé d'instruction se sont avérés plus enclins à l' «infidélité» que les autres. Le fait que ces jeunes ont régulièrement des rapports sexuels avec ce type de partenaires, non par amour, mais pour des raisons «économiques», explique pourquoi ils ont aussi des rapports sexuels avec d'autres partenaires, qu'ils recrutent généralement dans le groupe des jeunes. Les propos suivants tirés des jeunes filles lors d'une discussion de groupe réalisée à Baffousam confirme cette hypothèse: C'est l'argent ; à l'école, les jeunes filles disent souvent ceci: celui-ci c'est le `sponsor', celui-là c'est le `rythmeur' et l'autre c'est le `frappeur'; le `sponsor' c'est celui qui finance, le `rythmeur' c'est celui avec qui tu peux te balader et le `frappeur' c'est celui qui assure, c'est-à-dire il peut te satisfaire plus que les autres sur le plan de la sexualité. Ces trois cas de figure concernent aussi les jeunes garçons d'autant plus qu'il a été observé dans d'autres régions camerounaises par Rwenge4 et Calvès22 qu'ils ont aussi des relations sexuelles avec les femmes plus âgées pour des raisons économiques.

Le fait que les différences observées selon le genre au niveau du risque d'utiliser les condoms ont disparu lorsque l'âge du partenaire a été contrôlé signifie que les filles utilisent moins les condoms que les garçons parce qu'elles ont pour la plupart les rapports sexuels avec des personnes plus âgées. Il est rare que la jeune fille exige les condoms dans ce cadre, même si elle est suffisamment consciente des risques qu'elle coure, non seulement parce que ces relations sont contraintes financièrement, mais parce qu'aussi un écart important d'âge entre partenaires s'accompagne d'un rapport inégalitaire des forces. En effet, comme le montre les discours suivant tenus par les jeunes filles pendant la discussion de groupe réalisée à Mbalmayo, elles proposent les condoms à leurs partenaires mais ces derniers refusent pour le plaisir sexuel: Ils disent carrément qu'ils n'aiment pas ça parce qu'ils veulent faire l'amour en contact direct avec le corps. Ils disent qu'avec le condom, ils ne sentent vraiment pas la chaleur de la femme. Comme le montrent les discours suivants tenus par certains partenaires sexuels des jeunes, le fait qu'ils n'aient pas encore pris suffisamment conscience du sida justifie aussi leurs comportements: Oui, on discute parfois, pour eux c'est une maladie mystique. Et ils disent que ça fait depuis qu'ils sont dehors, ils n'ont jamais vu des filles ayant le sida. Ils disent aussi qu'ils entendent les gens dire que telles filles qu'ils ont sorties ont le sida mais quand ils vont à l'hôpital c'est négatif (Homme Bëti, client des prostituées, Mbalmayo). Lorsque je leur demande s'ils n'ont pas peur de la mort, ils me demandent qu'ils doivent avoir peur de la mort pourquoi? Est-ce que s'ils ne meurent pas du sida, ils ne vont pas mourir le lendemain? (Femme Bamiléké, prostituée, Bafoussam).

Ces résultats témoignent, non seulement de la nécessité d'améliorer les conditions de vie des familles dans les milieux étudiés, mais aussi de prendre des mesures pour protéger les jeunes, car les relations qu'ils entretiennent avec des personnes âgées sont aussi contraintes physique-ment. Ces résultats témoignent aussi de l'intérêt de sensibiliser les jeunes sur l'effet positif d'un écart important d'âges entre partenaires sur leur exposition au risque des MST/SIDA et sur l'expansion de ces maladies dans la population générale. Ils témoignent aussi de l'intérêt d'éduquer et sensibiliser davantage la population sur le HIV/SIDA.

Remerciements

Ce travail a été réalisé dans le cadre du Projet 97170 BSDA «Culture, Genre, Comportements Sexuels et MST/SIDA au Cameroun. (Provinces de l'Ouest et du Centre)» qui a bénéficié du financement de l'Organisation Mondiale de la Santé dans le cadre de son programme Spécial de Recherche, de Développement et de Formation à la Recherche en Reproduction Humaine.

Références

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©Women's Health and Action Research Centre 2004


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