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African Journal of Reproductive Health
Women's Health and Action Research Centre
ISSN: 1118-4841
Vol. 10, Num. 3, 2006, pp. 28-40

African Journal of Reproductive Health, Vol. 10, No. 3, December, 2006, pp. 28-40

Maternal Deaths Audit in Four Benin Referral Hospitals: Quality of Emergency Care Causes and Contributing Factors

SAIZONOU Jacques1, OUENDO Edgard-Marius², DUJARDIN Bruno3

1Centre de Recherche en Reproduction Humaine et en Démographie, B.P. 05-709, Cotonou, Bénin. Tél.: +229 90 92 32 92, (Tirés à part). 2Institut Régional de Santé Publique, B.P. 01-918 Ouidah, Bénin. Tél.: +229 21 34 15 59 3Ecole de Santé publique de l'Université Libre de Bruxelles, CP 597, 808 Route de Lennik, 1070 Bruxelles, Belgique. Tél.: 32 2 555 40 18

Code Number: rh06035

Résumé

Audit des décès maternels dans quatre maternités de référence du Bénin - qualité des soins d'urgence, causes et facteurs contributifs.Objectif. Analyser l'évolution des décès maternels et la qualité des soins obstétricaux d'urgence offerts aux femmes admises dans quatre maternités de référence du Bénin ainsi que les causes et déterminants ayant contribué au décès maternel.

Une étude transversale rétrospective été réalisée en deux étapes: l'évolution des ratio de décès maternels rapportés aux naissances vivantes a été analysée de 1994 à 2003 suivie de l'analyse approfondie de ces décès en 2003. L'exploitation des différents supports de données hospitalières et des entretiens individuels ont été les principales sources d'information.

Les ratio de mortalité maternelle intra hospitalière n'a presque pas évolué depuis 10 ans. Les soins de mauvaise qualité ont été relevés dans 59 % des cas. Les causes obstétricales directes ont été dominantes dans 74% des cas, et marquées par les hémorragies (32,2%) et l'infection (31,6%). Les dysfonctionnements du système de soins, les erreurs médicales dans le traitement et la surveillance des patientes, l'indisponibilité financière des patientes et la gestion inadéquate des avortements septiques ont été les principaux facteurs ayant conduit aux décès maternels. Les décès maternels continuent de se produire de façon inacceptable au Bénin. Des mesures drastiques méritent d'être prises à tous les niveaux pour améliorer la santé maternelle. (Rev Afr Santé Reprod 2006; 10[3]:28-40)

Mots Clés: Audit, décès maternel, qualité, causes, dysfonctionnements, déterminants, Bénin

ABSTRACT

Objective. Analyse evolution of maternal deaths and quality of emergency obstetric care provided to the women admitted in four Benin referral maternities thus causes and reasons of deficiencies contributing to maternal death.

A transversal retrospective study was conducted in two stage: evolution of maternal death ratio added to living births was analysed from 1994 to 2003, followed by extensive analysis of maternal death in 2003. Different hospital data recording and individual interviews were the main sources of data collecting.

Maternal mortality ratio in hospitals didn't evolve since 10 years. The poor quality of care was noticed in 59 % of cases. Direct obstetric causes were prevailing in 74% of cases and the leading specific causes were haemorrhage (32,2%), infection (31,6%). Deficiencies in health system, medicals errors in treatment and monitoring, patients' financial unavailability and inadequate management of septic abortions were the main contributing factors. Maternal deaths continue to happen unacceptably in Benin. The drastic solutions have to be taken at all levels to improve maternal health. (Afr J Reprod Health 2006; 10[3]:28-40)

Introduction

La mortalité maternelle en Afrique n'a pas diminué ces dix dernières années malgré les efforts déployés par les gouvernements de cette région du monde et la communauté internationale [1]. Il a été montré que moins de la moitié de ces décès maternels se produisent dans les institutions de soins [2, 3].

Depuis l'appel historique à l'action lancé en 1987 [4], les méthodes d'estimation de l'ampleur de la mortalité maternelle dans la communauté ont été affinées [5, 6]. La mesure de la mortalité maternelle dans les institutions de soins est relativement aisée, mais elle sujette à des sous estimations pour des raisons liées aux diagnostics et à la qualité du système d'information sanitaire.

Il est vrai que la réalisation des études sur la mortalité maternelle dans la communauté est plus fiable, reflète mieux la situation réelle, permet d'apprécier réellement la distribution des causes de décès et le niveau de qualité du système de santé [7, 8, 9]; cependant, il est aussi utile et indispensable d'analyser ou d'évaluer périodique-ment l'ampleur du phénomène dans les institutions de soins. Mourir en donnant la vie est intolérable que ce soit en dehors ou dans les institutions de soins. Les pays ayant les ratios de mortalité maternelle (RMM) élevés disposent de technologie et de ressources capables de circonscrire le phénomène; la connaissance des causes et de leurs déterminants permettra de prendre conscience des facteurs de dysfonction-nements et de leur porter plus d'attention. L'analyse systématique des dossiers des femmes décédées pourrait permettre de faire des recommandations pour l'amélioration de la qualité des services et la réduction de la mortalité intra hospitalière, toutes choses qui inciteront les populations à davantage recourir aux institutions de soins [10, 11].

L'objectif de cet article est d'analyser d'une part l'évolution des décès maternels ces dix dernières années dans quatre maternités de référence au Bénin et d'autre part d'analyser la qualité des soins d'urgence, les causes et les facteurs ayant contribué aux décès des femmes.

Matériel Et Méthodes

L'étude a été réalisée dans quatre maternités de référence les plus importantes du Bénin:

- deux centres hospitaliers universitaires (CHU), qui sont des structures de référence national, à savoir la clinique universitaire de gynécologie et d'obsté-trique (CUGO), et l'hôpital mère-enfant de la Lagune (HOMEL); - deux centres hospitaliers régionaux ou départementaux, celui de l'Ouémé-Plateau (CHDO) au sud et des Zou-Collines (CHDZ) au centre du pays. Ces quatre maternités ont enregistré en 2003 plus de la moitié des décès maternels (247/473) soit 52,2 % survenus dans les institutions de soins [12], raison pour laquelle elles sont retenues pour la présente étude.

Il s'agit d'une étude transversale rétrospective réalisée en deux étapes:

-dans une première étape, un recensement exhaustif des décès maternels et des naissances vivantes a été effectué sur une période de dix ans du 1er janvier 1994 au 31 Décembre 2003 à partir des registres d'entrée et de sortie et des registres de décès maternel des sites de l'étude. Toutes les femmes admises et décédées au cours de la grossesse, l'accouchement et dans les suites de couches ont été retenues. Celles qui étaient admises en 1993 et qui sont décédées en 1994 ont été incluses tandis que les femmes admises en 2003 et décédées en 2004 ont été exclues.

- dans une deuxième étape, tous les décès maternels de l'année civile 2003 ont fait l'objet d'une analyse approfondie; les dossiers médicaux, les registres d'admission, d'accouchement, d'hospitalisation, du bloc opératoire ont été exploités.

Un questionnaire a été utilisé pour le dépouille-ment des dossiers et registres et pour recueillir des données relatives aux circonstances de survenue des complications et des décès, aux éléments de la qualité des soins d'urgence, aux dysfonctionnements et à leurs déterminants.

Des entretiens individuels ont été menés à l'aide d'un guide d'entretien avec des sages-femmes des salles d'accueil, d'accouchement et d'hospitalisation, et des obstétriciens ayant pris en charge les patientes pour clarifier et mieux apprécier des informations contenues dans les dossiers médicaux et registres de soins et relever les dysfonctionnements liés au système de soins, aux prestataires et aux patientes ayant contribué à l'issue fatale.

La qualité des soins d'urgence a été appréciée sur la base des éléments des soins obstétricaux d'urgence complets décrits dans les documents de l'OMS et dans la littérature [13-16], plus précisément la mise en œuvre des gestes d'urgence et les soins étiologiques spécifiques. Les gestes d'urgence comprennent la prise d'une voie veineuse et un remplissage vasculaire, le prélèvement sanguin pour un bilan biologique; les soins spécifiques sont les soins médicaux et chirurgicaux qui comportent: la transfusion sanguine en cas d'anémie; la césarienne pour les dystocies graves (rupture, syndrome de pré rupture); la transfusion sanguine et ou les interventions obstétricales majeures (césarienne, laparotomie) pour l'hémorragie; les anticonvulsivants et hypotenseurs pour l'hypertension, et les antibiotiques pour les infections.

Analyse des données

Le ratio de mortalité intra hospitalière (RMIH) par année sur la période des 10 années a été calculé en prenant au numérateur les décès maternels et au dénominateur les naissances vivantes.

L'analyse de la qualité des soins a été effectuée et a permis de répartir les patientes en deux groupes: celles qui ont reçu des soins de qualité acceptable et les autres ayant reçu des soins de mauvaise qualité.

La qualité a été jugée acceptable lorsque: i) les gestes d'urgence ont été posés dans les 30 premières minutes après l'admission ou la survenue de la complication et ou 2) les soins spécifiques, médicaux ou chirurgicaux ont été débutés avant la première heure dès la décision prise et avant les deux premières heures pour ce qui concerne la transfusion sanguine.

Les soins ont été de mauvaise qualité lorsque les gestes d'urgence ou les soins spécifiques ont été soit manquants ou soit les deux procédures ont été posés ou administrés après ces délais standards retenus.

L'analyse des facteurs de dysfonctionnement liés à l'hôpital, aux prestataires et aux patientes a été réalisée pour apprécier leur poids dans la survenue des décès maternels. Après une analyse univariée entre le niveau de qualité et les caractéristiques des patientes, les types de complications, une analyse multivariée a été réalisée par une régression logistique selon un mode pas à pas pour dégager les facteurs liés à la mauvaise qualité des soins.

Les tests du Chi² de Pearson pour la comparaison des variables exprimées en proportion et de Hosmer-Lesmeshow pour l'analyse multivariée au seuil de signification 0,05 ont été réalisés. La saisie et les analyses des données ont été effectuées à l'aide du logiciel SPSS version 11,5.

Résultats

Evolution des décès maternels

Au cours des 10 dernières années: - A la CUGO, le RMIH est resté stationnaire, évoluant de 1516 pour 100.000 n.v. en 1994 à 1044 en 2003 avec un pic de 1763 en 1995, donnant un ratio moyen de 1223 (DS 253). - A l'HOMEL, le RMIH n'a pas connu de changement, évoluant de 927 pour 100.000 n.v. en 1994 à 1075 en 2003 avec un pic de 1433 en 1998, donnant un ratio moyen de 1143 (DS 153). - Au CHD Ouémé, le RMIH a connu une évolution en dents de scie et à la hausse, de 3040 pour 100.000 n.v. en 1994 à 3110 en 2003 avec un pic de 4300 en 1999, donnant un ratio moyen de 3279 (DS 387). - Au CHD Zou, Le RMIH a connu une baisse progressive, évoluant de 3897 pour 100.000 n.v. en 1994 à 2747 en 2003 avec un pic de 4769 en 1996, donnant un ratio moyen de 2763 (DS 838).

En 2003 les quatre maternités ont enregistré au total 247 décès maternels sur 14.216 naissances vivantes donnant un RMIH de 1735 décès pour 100.000 n.v., variant de 983 à la CUGO à 3110 au CHD Ouémé (tableau 1).

Caractéristiques des patientes et qualité des soins

La distribution des patientes en fonction de la qualité acceptable et la qualité mauvaise des soins ne diffère pas significativement selon les caractéristiques socioéconomiques, démogra-phiques, les conditions d'admission à l'exception du lieu de résidence et du moment de la survenue de l'état critique (Tableau 2, 2b). Des patientes venant du milieu urbain ont fait l'objet des soins de mauvaise qualité dans 66,3 % des cas, alors qu'elles étaient 50,8 % pour celles venant du milieu rural (p<0,01); lorsque l'épisode critique est survenu, les soins de mauvaise qualité ont été plus souvent enregistrés pendant la grossesse, 66 % des cas, que dans le post-partum, 51,6 %, et pendant l'accouchement, 48 % des cas (p<0,05).

Les deux groupes de patientes, recevant des soins de mauvaise qualité et de qualité acceptable, étaient comparables pour les autres caractéristiques relatives à l'âge, la profession, le statut marital, la parité, les antécédents obstétricaux, le mode et l'état à l'admission, le lieu de survenue de l'état critique.

Causes de décès maternels et qualité des soins

Les causes obstétricales directes ont représenté la majorité des causes de décès, 171/ 231 (74,0 %) et ont été dominées, par ordre d'importance, par les hémorragies, 55/ 171 (32,2 %), les infections, 54/ 171 (31,6 %), les maladies hypertensives, 36/ 171 (21,1 %), et les dystocies, 18/ 171 (10,5 %) (Tableau 3). Parmi les causes spécifiques, on a retrouvé les hémorragies de la délivrance, 30/ 171 (17,5 %), les éclampsies, 25/ 171 (14,6 %), les avortements provoqués, 21/ 171 (12,9 %), les ruptures utérines, 16/ 171 (9,4 %), les placentas prævia, 10/ 171 (5,8 %).

Les causes obstétricales indirectes, représentant 26 % (60/ 231) des causes de décès maternels, ont été principalement dominées par l'anémie dans 58,3 % (35/ 60).

La moitié des patientes 119/ 231 (51,5 %) ont bénéficié des gestes d'urgence ou de réanimation de qualité acceptable, c'est-à-dire dans les 30 premières minutes après l'admission des femmes ou la survenue de l'état grave. Les causes obstétricales indirectes, moins fréquentes, ont fait plus l'objet de mauvaise qualité de soins, 71,7 %, tandis que pour les causes directes, la mauvaise qualité a été enregistrée dans 55 % des cas.

Les soins fournis ont été de mauvaise qualité dans 58,2 % versus 41,8 % pour les hémorragies (NS), dans 63 % versus 37 % pour l'infection (p<0,05), dans 41,7 % versus 58,3 % pour les maladies hypertensives (NS), dans 68,6 % versus 31,4 % des cas pour l'anémie (p<0,05), et dans 38,9 % versus 61,1 % pour les dystocies (NS).

Après ajustement pour les variables relatives aux caractéristiques socioéconomiques, démographiques, les conditions d'admission dans les maternités, et les types de complications, deux des quatre variables associées en analyse univariée ont été statistiquement associées à la mauvaise qualité des soins en analyse multivariée: il s'agit du lieu de résidence des femmes et du moment de survenue de l'état critique (Tableau 4).

Dysfonctionnements et facteurs contri-butifs aux décès maternels

De façon générale, le système de soins a été confronté à: - l'indisponibilité des produits sanguins qui étaient soit insuffisants soit manquants; - l'inexistence d'un système d'évacuation puisque les femmes étaient pour la plupart arrivés en voiture taxi ou à moto, indiquant que les transferts n'étaient pas médicalisés alors qu'elles étaient évacuées dans un état critique; - des doubles références indiquant que les différents échelons ne fonctionnent pas en réseau. En effet, les patientes ont été évacuées dans un premier temps des maternités périphériques vers des maternités chirurgicales de district et pour des raisons d'absence de l'unique gynécologue obstétricien à ces postes ou de pénurie des produits sanguins, elles ont été «re-évacuées» vers d'autres structures jugés plus équipées; - l'utilisation abusive des ocytociques dans les centres périphériques, suite à l'analyse du contenu des carnets de santé des patientes retrouvés dans les dossiers médicaux; - le manque de ressources financières des patientes et de leurs familles dans la phase aiguë de l'urgence obstétricale. Dans les dossiers, on trouve les mentions: «le mari est parti avec l'ordonnance et n'est pas revenu», «les parents ont abandonné la femme», "le mari n'a pas d'argent pour honorer les ordonnances», «l'équipe attend le mari pour exécuter la césarienne».

De façon spécifique, en ce qui concerne les hémorragies, il a été relevé des pénuries de sang dans 25,4 % des cas (14/ 55); des mesures préventives n'ont pas été prises pour les femmes à risque d'hémorragie de délivrance (anomalies de placenta, drépanocytose) dans 43 % des cas (13/ 30). Les décisions de retarder la césarienne ont été prises par manque de sang (7 cas) et pour indisponibilité du bloc (1 cas). Une femme victime d'hémorragie de la délivrance au sein de la maternité est décédée à son admission au bloc.

Pour faire face aux infections, la tri-antibiothérapie n'a pas été instaurée pour des cas d'avortements septiques, soit par pénurie de médicaments à l'hôpital, soit à cause de l'inaccessibilité financière des femmes dans 57,1 % des cas (12/ 21); quand la décision d'hystérec-tomie était prise, le bloc chirurgical était occupé (un cas). Les avortements provoqués ont été effectués dans des conditions septiques par les femmes qui avaient fini par avouer au personnel de santé, après un délai long d'interrogatoire (ingestion orale ou vaginale des abortifs de toute nature), retardant ainsi leur prise en charge.

Devant les cas d'hypertension, les protocoles de traitement n'ont pas été respectés dans 41,7 % des cas (15/ 36) et la surveillance était défaillante devant l'utilisation du sulfate de magnésium (deux cas). Les cas d'éclampsie se sont développés en cours de séjour hospitalier chez les femmes admises dans un état jugé acceptable (3 cas) sans que les signes d'alarme n'aient été détectés. La césarienne a été retardée pour indisponibilité du bloc (1 cas); la pénurie d'oxygène et le manque de solutés ont été relevés comme facteurs entravant la prise en charge correcte des patientes.

Face à l'anémie, la pénurie de sang a été incriminée dans 68 % des cas (24/ 35); parmi les lacunes relevées, figuraient la prise en charge insuffisante des femmes présentant une drépanocytose, le manque de surveillance et de traitement de relais après la transfusion sanguine. Pour des raisons de croyance religieuse, une femme s'était opposée à la transfusion sanguine, était sorti contre avis médical pour revenir décéder à sa «re-admission ».

Dans les cas de dystocie, la pénurie de sang a été mentionnée dans 3 cas, retardant l'exécution de la césarienne. Des ruptures utérines étaient survenues après un accouchement effectué par voie basse au sein de l'hôpital (2 cas), après une tentative d'accouchement chez un guérisseur traditionnel (1 cas). Une patiente s'était alimentée sans avoir émis les gaz après une césarienne, entraînant des complications d'occlusion intestinale.

Discussion

La présente étude a été basée essentiellement sur les données hospitalières qui ont présenté des carences et des contraintes, caractérisées par des données manquantes, un défaut de suite chronologique du contenu des dossiers médicaux, connues dans la littérature [6, 15, 16]. L'absence de 16 dossiers sur les 247 n'a pas constitué un handicap majeur pour l'étude; les données collectées nous ont permis d'avoir une appréciation assez valide de l'ampleur du problème de la mortalité maternelle et du niveau de qualité du système de prise en charge.

Le calcul du RMIH a présenté également des limites parce qu'il n'a pas pris en compte les décès maternels survenus après la sortie de l'hôpital jusqu'à une période de 42 jours des suites de couches comme le recommande la définition de l'OMS [17]. Malgré le RMIH élevé dans les centres d'étude, le nombre annuel des décès maternels des centres était moins important, ce qui explique le chiffre assez bas ayant servi à l'analyse approfondie.

De l'évolution des ratios de mortalité intra hospitalière

L'étude a montré que le RMIH, depuis une dizaine d'années, est resté élevé et stationnaire comme le rapportent l'OMS et une étude réalisée au Bénin en 2002 [18, 19]. Les CHD ont enregistré les ratios les plus élevés et le CHD Zou a connu une baisse importante et progressive depuis 1996. En revanche, le CHD Ouémé a enregistré une hausse de 1996 à 1999 avant d'amorcer une baisse en dents de scie.

Toutefois, le RMIH nous informe très peu sur l'efficacité des centres à prendre en charge des urgences obstétricales. L'indicateur le mieux approprié pour apprécier et comparer les maternités est le taux de létalité obstétricale qui se mesure en rapportant les décès maternels par complications sur les complications obstétricales [13]. Une maternité qui reçoit une proportion importante de complications obstétricales, des patientes dans un état très altéré ou qui dispose d'un plateau technique dérisoire, ou organise inadéquatement la prise en charge des urgences obstétricales, enregistrera un taux de létalité beaucoup plus élevé [7, 16]. Le système d'information sanitaire des institutions de soins au Bénin, comme celui des pays en développement, présente des lacunes qui ne permettent pas d'avoir des données valides sur les complications sévères, sans oublier les difficultés de disposer des critères d'identification universellement admis de ces complications [16]; ce qui rend difficile le calcul du taux de létalité obstétricale surtout dans une étude rétrospective.

Dans notre contexte, les deux CHU sont installés à Cotonou, la ville la plus importante du Bénin, où l'accessibilité des populations aux soins obstétricaux de base est relativement bonne; ces centres, de dernier recours, disposent d'un plateau technique meilleur [20], ce qui explique en partie leur RMIH relativement bas.

De la qualité des soins obstétricaux d'urgence

Notre étude a montré de façon générale que plus de la moitié des femmes ont été l'objet des soins de mauvaise qualité, marqués par leur absence ou le retard mis à les administrer.

La mauvaise qualité des soins a été plus relevée au niveau des causes obstétricales indirectes, dominées par des pathologies de causes inconnues et de l'anémie. Les causes directes ayant fait l'objet de mauvaise qualité sont représentés par ordre d'importance par les infections, les hémorragies et les maladies hypertensives.

L'étude a montré paradoxalement que, les palientes en provenance du milieu urbain ont fait beaucoup plus l'objet des soins de mauvaise qualité que celles du milieu rural; ceci pourrait s'expliquer par les types de complications présentées, les caractéristiques des patientes et le niveau d'organisation des maternités. Nous avons montré dans une récente étude [20] que les CHD accueillent majoritairement les patientes du milieu rural, tandis que dans les CHU, celles en provenance du milieu urbain sont prédominantes; de même, les CHD utilisent plus les médicaments génériques de coût abordable et souvent disponibles, alors que dans les CHU, les patientes sont obliges d'honorer les kits et les médicaments d'urgence avant de bénéficier des soins d'urgence, toutes choses qui allongent les délais d'exécution de ces soins et influent sur leur qualité.

Le moment de survenue de l'état critique a été significativement associé à la mauvaise qualité des soins. Pendant l'accouchement et dans le post-partum immédiat, il a été enregistré 57,8 % de cas de décès maternels; ce qui corrobore d'autres études réalisées aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement [7, 20]. Une analyse faite dans une étude récente a conclu que le post partum constitue un moment critique et plus de 60 % des décès matemels surviennent dans le per-partum et post-partum immédiat [21].

Des causes de décès maternels

Les causes obstétricales directes, comme décrites ailleurs dans d'autres études [22-26], étaient majoritaires et responsables de près de quatre morts sur cinq dans notre série.

Les hémorragies avec 32,2% des cas étaient la cause prédominante; elle reste une cause fréquente et majeure dans les pays africains [22, 23, 25]. Les complications hémorragiques sont soudaines et imprévisibles et demandent une prise en charge bien organisée; cela implique des ressources matérielles immédiatement accessibles et un personnel compétent et dynamique [15, 16]; tout retard ou toute improvisation pourraient concourir à une aggravation du pronostic maternel. L'hémorragie de la délivrance arrivait au premier rang des hémorragies; ce constat cadre avec d'autres études antérieures [23- 25]. L'hémorragie de la délivrance est connue pour son évolution très rapide vers une aggravation (coagulopathie par exemple) et des pertes sanguines considérables nécessitant des produits sanguins.

Les infections, comme décrits dans certaines études [1, 25] et contrairement dans d'autres [7, 26], étaient la deuxième cause de décès maternel et dominées par des avortements provoqués; les avortements septiques restent une cause fréquente d'admission au niveau hospitalier et de décès maternel en Afrique et touche le plus les jeunes filles [1, 27]. Le risque de mourir d'un avortement a été estimé à 1/150 dans les pays en développement contre 1/150.000 dans les pays développés [27].

Les maladies hypertensives étaient la troisième cause de décès maternels comme le rapporte 1'QMS [1] alors qu'elles figuraient en première ou en dernière position dans d'autres études réalisées en Afrique [25, 26]. La prise en charge de l'hypertension grave demande une organisation des soins et une habileté de l'équipe des urgences, et plus spécifiquement, une prévention primaire, une préparation pré hospitalière dans les matemités périphériques et un traitement méthodique dans les maternités de référence [15, 16, 28].

Les anémies étaient la quatrième cause de décès dans notre série; la plupart de ces femmes ont présenté un taux d'hémoglobine très bas, en dessous de 5 g/dl, nécessitant d'emblée une transfusion sanguine en urgence; ce qui impliquait la disponibilité d'une banque de sang fonctionnelle et une politique efficace de trans-fusion sanguine. Une proportion importante des femmes enceintes dans les pays pauvres souffrent de déficiences énergétiques et sont sousnutries [7, 29]; ce qui favorise le développement d'une anémie grave, nécessitant une prise en charge à temps.

Les dystocies graves étaient la cinquième cause de décès maternel avec une fréquence en dessous de celles d'autres auteurs [1, 6, 30]. Les décès par dystocie reflètent le niveau de qualite, la réactivité du système de soins, exigent un système d'évacuation performant, une vigilance du personnel et une disponibilité de ressources.

Des dysfonctionnements et facteurs contributifs aux décès maternels

Les dysfonctionnements et les facteurs ayant contribué aux décès maternels relèvent de l'organisation et du fonctionnement du système de soins, des compétences des prestataires, des comportements et de la disponibilité financière des patientes.

La référence obstétricale n'est pas bien organisée comme décrit ailleurs dans les pays pauvres [31]; les longs délais pour atteindre les maternités de référence, les évacuations non médicalisées, des doubles références enregistrées indiquent un manque du système d'évacuation et montrent que les composantes du système de soins du pays ne communiquent pas entre elles.

La pénurie des produits sanguins qui deviennent de plus en plus rares au Bénin avec le contrôle du VIH/ SIDA a constitué un handicap majeur à la gestion des complications. L'inexistence des banques de sang au niveau des hôpitaux de district et la faible mobilisation des donneurs de sang dans ces localités ont été à la base des pénuries de produits sanguins. Les banques de sang existant au niveau des Cl-LU et CHD connaissent également des problèmes d'organisation, de fonctionnement, et se sont montrées peu opérationnelles à couvrir les besoins.

L'organisation et le fonctionnement des maternités ont également montré leurs limites en matière de mobilisation des ressources critiques face à l'urgence obstétricale; les délais ont été assez longs pour obtenir des kits et médicaments d'urgence. Face aux avortements septiques, les antibiotiques ont été administrés avec retard, ainsi que les anticonvulsivants et hypotenseurs devant les éclampsies et pré éclampsies sévères. La césarienne a été différée pour plusieurs raisons notamment l'indisponibilite des kits d'urgence.

Les compétences limitées et les négligences des prestataires ont été également relevées; les délais ont été longs pour poser des diagnostics, pour reconnaitre les pré ruptures et pré échmpsies; les patientes ont été re-évacuées à cause de l'absence du gynéco-obstétricien au niveau de l'hôpital de district. Les protocoles de traitement n'ont pas été soit respectés ou soit rigoureusement suivis.

Un problème crucial a été le manque de ressources financières des femmes et de leur famille au moment de La prise en charge de La phase aiguë de l'urgence obstétricale. Les coûts hospitaliers dans les pays pauvres sont jugés inabordables par rapport aux ressources des populations et constituent un facteur empêchant le recours aux soins [10,11]. Des experiences developpees en Afrique de l'Ouest montrent qu'il est possible de reduire ces coiits pour rendre les soins accessibles aux populations [32]. Ceci interpelle les pouvoirs publics, les prestataires et la communaute; le principe d'equite veut que toute femme ait accès aux soins obstetricaux d'urgence.

L'Etat devra faire preuve de volonté politique en organisant au mieux le système de soins maternels et les prestataires de soins devront faire plus preuve d'innovations, d'engagement et de professionnalisme pour espérer réduire sensible-ment la mortalité maternelle.

Conclusion

Au terme de la présente étude, nous pouvons conclure que la grossesse au Bénin continue d'être a haut risque; la situation n'a pas évolué ces dix demières années. Les elements potentiels pour apporter une réponse efficace à la mortalité maternelle existent, mais le degré d'engagement, de responsabilité des pouvoirs publics et des professionnels de santé est encore loin d'accompagner cette potentialité.

Les femmes enceintes, en accouchement et en suites de couche méritent davantage une attention particulière, comme ce fut le cas des années durant pour les enfants de moms d'un an dans le cadre du programme de vaccination.

La gestion des urgences obstétricales n'est pas assez organisée; elle reste encore aléatoire, inadaptee, imprécise avec beaucoup plus d'improvisation. Pour sortir de cette situation, la mobilisation des pouvoirs publics et le niveau de responsabilité du personnel de santé devront être à un niveau beaucoup plus élevé; chaque cas de décès maternel devra être analysé, les dysfonction-nements et leurs déterminants relevés et des solutions efficaces trouvées avec l'implication de La communauté.

La mobilisation des ressources potentielles de la communauté avec la mise en place des mécanismes solidaires d'assurance grossesse pourrait contribuer à prendre en charge le transfert des femmes et les coûts hospitaliers en cas d'urgence obstétricale, toutes solutions qui pourraient contribuer à une amélioration de la qualité des soins et à une réduction progressive de la mortalité maternelle.

References

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