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Reports from
Union of African Population Studies / L'Union pour l'Etude de la Population Africaine
Num. 13, 1995
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Union for African Population Studies, Rapport de Synthese / Summary Report,
Numéro/Number 13, Jul. 1995
Programme de petites subventions pour la recherche en population et developpement
LES ENFANTS DE LA RUE A GABORONE AU BOTSWANA : CAUSES ET CONSEQUENCES
Eugene K. Campbell & Tidimani Ntsabane
* Département de Démographie
** Département de Sociologie,
Université du Botswana
Les opinions exprimées dans cette étude n'engagent
strictement que leurs auteurs et en aucune manière l'Union pour l'Etude
de la Population Africaine (UEPA)
ETUDE REALISEE DANS LE CADRE DU PROGRAMME DE PETITES SUBVENTIONS
POUR LA RECHERCHE EN POPULATION ET DEVELOPPEMENT FINANCE PAR LE CRDI, LA FONDATION
ROCKEFELLER, LA FONDATION MAC ARTHUR, LA SAREC ET LE MINISTERE FRANCAIS DE
LA COOPERATION
Code Number: uaps95008
Table des matières
AVANT-PROPOS
INTRODUCTION
METHODOLOGIE
Sélection et Recensement des Enfants de la rue et ceux restés
sous l'autorité parentale
Discussions du Groupe Cible.
RESULTATS
L'Education
Pourquoi sont-ils devenus enfants de la rue
L'Emploi
La Famille
La Famille et la Santé de la Reproduction
RESUME DES RESULTATS OBTENUS
LES MOYENS D'ACTION A ENVISAGER
REFERENCES
Avant-propos
L'Afrique est le continent où les problèmes
de population se posent avec le plus d'acuité. Ces problèmes
ont des répercussions dans tous les domaines de la vie. La prise de
conscience de ces problèmes et la pénurie de spécialistes
africains des questions de population avaient amené les gouvernements à mettre
sur pied, avec l'aide des Nations-Unies, un certain nombre d'institutions régionales
de formation en démographie.
Cependant, en dépit du nombre important de démographes
formés au cours des deux dernières décennies, l'amélioration
de la base des données démographiques et de l'engagement manifesté par
les gouvernements, la prise en compte des facteurs démographiques dans
les stratégies de développement est demeurée très
timide. Ces résultats mitigés sont imputables, en grande partie, à l'insuffisance
des connaissances théoriques et empiriques concernant le caractère
dynamique des systèmes socio-économiques et démographiques
et aux difficultés à traduire les politiques en programme d'action.
Or, la majeure partie des spécialistes formés
dans le domaine de la population se retrouvent souvent livrés à eux-mêmes,
isolés dans des structures mal préparées à utiliser
leurs compétences. De plus, avec la persistance de la crise économique
que traverse le continent, les pays africains n'ont pas la possibilité de
faire face aux besoins en financement de la recherche. Aussi est-il rare que
ces spécialistes disposent de moyens leur permettant d'entreprendre
des recherches.
C'est pour répondre à l'ensemble de ces problèmes
que l'UEPA s'est engagée dans la mise en oeuvre d'un Programme de Petites
Subventions pour la Recherche en Population et Développement. Ce Programme
a pour objectif principal d'aider les jeunes spécialistes africains à renforcer
leur capacité de recherche dans le domaine des interrelations de la
population et du développement. Par cette initiative, l'UEPA espère
contribuer non seulement à assurer la relève dans de bonnes conditions
mais aussi, et surtout, à améliorer la connaissance des questions
de population en Afrique, dans une perspective globale et intégrée.
Depuis sa création, le Programme de Petites Subventions
a reçu plus de 800 demandes de financement. Au total 81 chercheurs ont
eu à bénéficier de financement dont 29 au cours de la
1ère phase du Programme (1986-1991) et 52 au cours de la seconde phase
(1992-1995). Les recherches financées au cours de la 1ère phase
ont donné lieu à la production de 26 rapports dont 8 ont déjà été publiés
et 9 autres sont en cours d'édition. Ces recherches couvrent un vaste éventail
de sujets d'actualité. Elles ont consisté en des monographies
explorant en profondeur les problèmes étudiés (urbanisation,
exode rural, enfants de la rue, statut de la femme, stratégies de reproduction,
etc.).
Dans l'ensemble, la moisson du Programme de Petites Subventions
est impressionnante tant en ce qui concerne la formation à la recherche
que les résultats obtenus. Les mérites de ce Programme sont d'autant
plus importants que sa conception et son orientation répondent bien
aux préoccupations de l'heure. Il a adopté une perspective ouverte
des questions de population intégrant les aspects économiques,
culturels et strictement démographiques. De plus, il met l'accent sur
la formation à la recherche, dans les pays mêmes, contribuant
ainsi à maintenir les compétences sur place et à développer
la capacité des institutions nationales. Enfin, de par sa philosophie,
le Programme favorise l'intégration régionale et la collaboration
entre francophones et anglophones.
La présente étude qui fait partie du lot de
rapports produits dans le cadre du Programme, porte particulièrement
sur le phénomène grandissant des "enfants de la rue" que l'on
associe à l'urbanisation rapide ans les pays sous-développés.
La question de l'avenir des enfants a déjà été évoquée
au cours de la première phase du programme à travers une étude
sur la réadaptation des enfants de la rue dans un pays francophone (Congo).
Cette recherche donne non seulement l'occasion d'explorer davantage le phénomène
mais aussi de procéder à une analyse comparée.
En effet, les deux études ont aidé à révéler
le problème pénible d'un nombre croissant de jeunes illettrés
et mal éduqués. La négligence des parents a été identifiée
comme l'un des facteurs les plus liés à ce phénomène.
D'autres facteurs comprennent la délinquance juvénile, la pauvreté,
etc. Mais contrairement à une croyance largement répandue, la
présente étude n'a pu établir la preuve d'une corrélation
entre la famille monoparentale et la probabilité de devenir enfant de
la rue. Ces résultats constituent un défi à la fois pour
les familles, la communauté et le gouvernement.
Je tiens à féliciter CAMPBELL et NTSABANE pour
le travail novateur et intéressant qu'ils nous offrent dans les pages
qui suivent. De plus, je voudrais remercier tous ceux qui, de près ou
de loin, (donateurs, superviseurs des lauréats et lecteurs des rapports
de recherche) ont contribué à l'aboutissement de cette étude.
Puisse ce Programme stimuler encore davantage la réflexion
sur les relations complexes qui existent entre la population et le développement
et permettre aux chercheurs d'assurer leur responsabilité scientifique
dans la lutte pour le développement de l'Afrique.
Enfin, je voudrais, ici, rendre un vibrant hommage à feu
Richard HOROWITZ, ex-représentant régional de la Fondation Ford
pour l'Afrique qui, avec Sidiki COULIBALY, actuellement Directeur du FNUAP
au Sénégal, ont porté ce Programme sur ses fonts baptismaux.
Prof. Mumpasi LUTUTALA
Président de l'UEPA
INTRODUCTION
Partout dans le monde, il existe des enfants qui ont abandonné leurs
maisons ou famille d'origine. Ils sont communément connus sous le nom
d'enfants "fugitifs". Et puisqu'ils se retrouvent généralement
dans la rue, on les appelle également "enfants de la rue". Dans les
villes du Botswana, particulièrement à Gaborone, il suffit d'un
simple coup d'oeil pour se rendre compte de la présence de tels enfants.
Ce sont des enfants qui ne fréquentent pas l'école et qui vivent
hors de la maison familiale le gros du jour, ce qui les prive du coup des soins
et de l'encadrement nécessaires dès les premières années
de l'enfance. Une intégration sociale et une croissance physique qui
laissent à désirer en sont la conséquence pour l'enfant
et la société globale s'en ressent également.
Outre les chiffres connus sur les mauvais traitements infligés
aux enfants (Childline, 1992) et un rapport de recherche sur les enfants de
la rue (Mogome-Ntsatsi et Tau, 1993) publié il n'y a pas si longtemps,
il n'existe pas de données statistiques fiables pouvant confirmer les
conjectures sur les facteurs qui contribuent à l'émergence du
phénomène des enfants de la rue dans les centres urbains du Botswana.
Ces enfants traînent dans les rues pendant la plus grande partie du jour.
Ils ne vont pas à l'école même s'ils sont en âge
de le faire. Ils sont généralement d'une nonchalance qui frappe à première
vue et sont une vraie peste pour le citoyen moyen qu'ils empêchent de
tourner en rond dans les centres commerciaux. Leur présence est donc
un sujet d'inquiétude à la fois pour le public et pour les autorités.
Ils ne peuvent ainsi jouir des droits fondamentaux de l'enfant,
et sont exposés aux mauvais traitements physiques et sexuels, à la
faim et aux intempéries. Si le phénomène doit prendre
les proportions d'une véritable épidémie, alors la main-d'oeuvre
pourrait être remplacée par cette vague de jeunes gens peu susceptibles
de maintenir l'économie du Botswana dans son dynamisme actuel.
Au coeur des conjectures sur ces enfants se trouvent des questions
du genre "Qui sont-ils ?" "D'où viennent-ils ? Pourquoi préfèrent-ils
la rue à l'Ecole et la maison ? et enfin quelles sont leurs attitudes
vis-à-vis de l'école et de la carrière ? Plusieurs facteurs
sont généralement considérés comme ayant contribué à la
prévalence des enfants de la rue au Botswana. Au nombre de ceux-ci figurent
les conflits au sein de la famille, les mauvais traitements infligés
aux enfants à la fois sur les plans physique, affectif et sexuel, des
familles mono-parentales, une mauvaise éducation de la part des parents,
tous facteurs qui aiguisent le désir d'aller chercher l'épanouissement
en dehors de l'autorité parentale (UNICEF, 1992). Toutefois, ce sont
là des considérations purement théoriques car elles se
fondent essentiellement sur les résultats de la recherche empirique
sur le sujet menée dans d'autres pays que le Botswana.
C'est dans ce contexte général que cette étude
a été menée. L'objectif global de cette étude est
d'identifier les zones d'habitation des enfants de la rue de sexe masculin à Gaborone,
leurs origines ainsi que leurs caractéristiques socio-économiques
passées et actuelles. Les raisons qui les ont poussé à être
dans la rue ainsi que leurs attitudes vis-à-vis des questions relatives à la
santé familiale ont également été examinées.
Les objectifs spécifiques sont les suivants :
- Examiner les caractéristiques socio-économiques
des enfants de la rue de sexe masculin et les mettre en corrélation
avec leur comportement, tout en évaluant leurs besoins futurs en matière
d'emploi.
- Examiner les facteurs qui influent sur la décision
des enfants de la rue de quitter la maison familiale.
- Mener des investigations sur les attitudes des enfants de
la rue ainsi que ceux qui sont restés sous l'autorité parentale
envers la planification et la santé familiales.
- Essayer de savoir si les attitudes et le comportement des
enfants restés sous l'autorité parentale diffèrent de
manière significative de ceux des enfants de la rue, de manière à déterminer
si les attitudes et le comportement de ces derniers sont comparables à ce
qui constitue la délinquence.
- Observer les attitudes et le comportement des parents ou
tuteurs des enfants qui s'étaient enfui auparavant.
- Identifier les moyens d'action de nature à aider à endiguer
le phénomène des enfants de la rue.
METHODOLOGIE
Il n'existe pas de données fiables sur la taille et
les caractéristiques des enfants de la rue au Botswana. Le gros des
arguments mis en avant l'ont été sur une base purement spéculative.
L'étude a donc été menée sur une
base exploratoire et, de ce fait, nécessitait une certaine souplesse
sur le plan méthodologique. Deux instruments ont été utilisés.
Le premier était une enquête par sondage sur la base d'un questionnaire.
Le second a consisté en l'utilisation d'un magnétophone au cours
des séances avec le groupe-cible. Un échantillonnage stratifié a été utilisé pour
choisir des échantillons de trois unités distinctes - à savoir,
les enfants de la rue de sexe masculin, les enfants âgés de 13 à 19
ans vivant avec leurs parents et enfin les parents/tuteurs des enfants de la
rue.
Sélection et Recensement des Enfants de la rue et
de ceux restés sous l'autorité parentale.
Comme il n'existait pas d'informations sur le cadre à partir
duquel l'échantillon des enfants de la rue devait être sélectionnés,
il a d'abord été décidé de prélever un échantillon
de 200 enfants de la rue. L'échantillon a été choisi avec
un but déterminé, en tenant compte de leur répartition
fortuite à travers Gaborone. La taille de l'échantillon n'était
pas déterminée à l'aide de statistiques pour la même
raison qu'un échantillon a été choisi pour un but bien
déterminé. Les enfants de la rue ont généralement été interviewés
dans les lieux où ils se regroupent normalement (c'est-à-dire
dans les centres commerciaux et près des dépotoirs). Mais certains
d'entre eux ont été trouvés à OLD NADELI où vit
la majorité d'entre eux.
L'éligibilité des enfants restés sous
l'autorité parentale à l'inclusion dans l'échantillon
a été guidée par la connaissance que nous avons des caractéristiques
des maisons d'où ils sont originaires. Puisque Old Nadeli est le quartier
le plus pauvre de Gaborone, il a été choisi comme la première
unité d'où il fallait choisir les enfants encore sous l'autorité parentale
qui risquaient fort bien de quitter leurs familles pour se joindre à ceux
qui sont déjà dans la rue. La décision initiale a été de
sélectionner systématiquement 150 maisons, en commençant
au hasard, par Old Nadeli et deux autres quartiers.
50 autres enfants encore sous l'autorité parentale,
issus de familles à revenu intermédiaire, ont été choisis
et interviewés. L'inclusion de cette tranche de la population dans l'échantillon
se fondait sur l'hypothèse que les avantages dont jouissaient ces enfants, à travers
le capital financier et affectif que leurs parents ont investi en eux, ont
fait qu'il était peu probable qu'ils souhaitent quitter leurs maisons
familiales de manière définitive. Ces enfants constituent un
groupe de contrôle dans l'examen des facteurs qui incitent les enfants à fuir
leurs maisons familiales pour trouver refuge dans la rue.
Les parents et tuteurs à Gaborone dont les enfants
avaient toujours été dans la rue ont fait l'objet d'un recensement.
En raison des difficultés auxquelles on s'attendait dans l'identification
de cette population, l'échantillon a été obtenu à travers
une sélection faite avec un but précis, ce qui nous a permis
d'interviewer les parents ou tuteurs des enfants de la rue. Dans les cas où l'enfant était
issu d'une famille composée de deux parents/tuteurs, la mère
a été interviewée.
Répartition de la population constituant l'échantillon
Le nombre escompté et le nombre réel de personnes
interviewées s'établissent comme suit :
Nombre escomptéNombre réel
Enfants de la rue200239
Enfants sous l'autorité
parentale (de classe
inférieure)150209
Enfants sous l'autorité
parentale (de classe
moyenne) 50 51
Parents/Tuteurs des enfants
de la rue150155
Echantillon total550654
Discussions du Groupe Cible
Le deuxième instrument a consisté en l'utilisation
des discussions du groupe-cible. Bien que les deux techniques soient différentes,
elles ont eu tendance à produire des informations similaires ou complémentaires.
Quatre séances ont été organisées avec le groupe-cible.
Elles s'articulaient autour :
i)des mères ou tutrices des enfants de la rue (6)
ii)des
pères ou tuteurs des enfants de la rue (6)
iii)des enfants de la rue de
sexe masculin (9)
iv)des enfants de la rue de sexe féminin (9)
A des fins d'enregistrement, nous avons recouru au magnétophone
et à la prise de note. Les informations enregistrées comprennent
les caractéristiques des enfants, pourquoi sont-ils dans la rue, et
non à l'école, et leurs stratégies de survie dans la rue.
Les discussions ont cherché à pénétrer le milieu
socio-culturel des parents, les relations avec les autorités, par exemple
la police, les travailleurs sociaux, les ONG ainsi que leurs opinions sur le
syndrome des enfants de la rue. Le but des discussions était de présenter
une image qualitative des enfants de la rue dans le but d'approfondir et de
clarifier les données quantitatives issues du questionnaire structuré.
Analyse
Les méthodes d'analyse comportent généralement
des pourcentages. Le carré chi a été largement utilisé pour
s'assurer de l'existence de niveaux significatifs sur la base desquels il était
possible de procéder à des tests en vue d'établir des
corrélations entre les variables. Une analyse corrélative a été faite
dans un nombre limité de cas. Les informations issues des discussions
du groupe-cible ont été analysées à travers la
transformation des données recueillies des bandes magnétiques
et des notes prises.
Résultats
Environ 90 % des enfants de la rue à Gaborone sont
des garçons. Cette observation peut s'expliquer par le fait que les
garçons s'adonnent à des activités économiques
plus visibles qui se déroulent dans la rue. D'autre part, les filles
sont moins visibles parce qu'elles sont assujetties chez elles à des
conditions plus sévères, moins publiques. En raison du nombre
extrêmement réduit des enfants de la rue de sexe féminin
dans notre échantillon, l'analyse faite dans le cadre de l'étude
ne couvre que ceux de sexe masculin.
La tranche d'âge des personnes vivant dans la rue se
situe entre 5 et 24 ans. Celle des enfants se situe environ entre 5 et 19 ans.
La moyenne d'âge à laquelle les enfants sont le plus exposés
au risque d'aller dans la rue est de 14 ans et demie. Ce sont des enfants en âge
d'aller à l'école qui pourraient jouir de la tendresse et de
l'encadrement des parents ainsi que de la discipline. Toutefois, ils passent
la période de leur vie durant laquelle ils sont le plus impressionnables
dans la rue, avec des conséquences désastreuses quant à leurs
chances actuelles et futures sur le marché du travail. Environ 18 %
des garçons dorment à la belle étoile lorsqu'ils quittent
chez eux pour la première fois, tandis que 71 % restent avec leurs parents.
Le reste des enfants (11%) vivent dans les familles de leurs amis.
Quarante deux pour cent des enfants de la rue se livrent,
de l'aveu général, à des batailles dans la rue. Voilà qui
reflète bien la tendance à devenir violent si souvent associée à la
vie dans la rue. Cependant, si on les compare aux enfants de la rue à Naïrobi
et en Namibie, ceux de Gaborone sont quelque peu calmes. Contrairement à la
thèse selon laquelle les enfants de la rue ont tendance à en
vouloir aux riches, 74 % de ceux qui ont pu être interrogés à Gaborone
disent avoir plutôt de l'admiration pour les gens riches.
L'Education
La majorité des enfants interrogés ont pour
caractéristique commune un bas niveau d'instruction. 95 % des garçons
n'ont jamais été à l'école ou ont abandonné leurs études à l'école
primaire. Cette tendance semble être en conformité avec le niveau
d'instruction des parents ou tuteurs d'enfants ayant jamais été dans
la rue. Plus de la moitié d'entre eux n'avaient jamais fréquenté l'école
; et parmi ceux qui l'avaient fait, 90 % ont dû abandonner leurs études à l'école
primaire. Par ailleurs, plus de 70 % des parents d'enfants restés sous
l'autorité parentale, issus de familles à revenu faible et tous
les parents à revenu intermédiaire de tels enfants, avaient reçu
une éducation formelle.
Il a été établi que parmi les enfants
ayant pris part aux séances du groupe-cible, les enfants de sexe féminin
avaient un niveau d'instruction plus élevé que celui de leurs
pairs de l'autre sexe. Bon nombre de ces enfants ont dit que l'incapacité de
leurs parents et tuteurs à leur procurer des uniformes et à payer
leurs droits d'inscription pour faire du sport et leur frais de restauration
figurait parmi les raisons qui les ont incité à abandonner leurs études.
Pourquoi sont-ils devenus enfants de la rue ?
De l'avis des enfants de la rue, deux séries de raisons
ont été avancées pour expliquer pourquoi ils se sont retrouvés
dans la rue. Il s'agit de ce qu'il convient d'appeler la vraie raison (c'est-à-dire
celle qui les a effectivement poussé à aller dans la rue), d'une
part, et de la raison présumée (c'est-à-dire ce qu'ils
croient être la raison pour laquelle les enfants abandonnent la maison
familiale). Là où la délinquance juvénile arrivait
en tête de liste parmi les raisons présumées, les vraies
raisons étaient liées aux facteurs économiques. La pauvreté,
la négligence des parents et le harcèlement à la maison
figurent parmi les autres raisons invoquées. Les raisons avancées
par les enfants restés sous l'autorité parentale étaient
plus ou moins conformes aux raisons présumées qui ont été avancées
par les enfants de la rue. L'aspect relatif à la négligence des
parents a été particulièrement mis en relief par les enfants
restés sous l'autorité parentale issus de familles à revenu
intermédiaire.
L'Emploi
Environ 80 % des enfants de la rue de sexe masculin s'adonnent
au lavage des voitures et au petit commerce ou n'ont pas de métier précis.
Le revenu quotidien qu'ils tirent du lavage de voitures, en particulier, incite
les enfants à rester dans la rue. Certains d'entre eux gagnent jusqu'à 50
pula par jour en moyenne. Tandis qu'un rapport significatif a été relevé entre
les professions des mères et des tuteurs des enfants de la rue et de
ceux restés sous l'autorité parentale et vivant dans des communautés à faible
revenu (p<.01), il n'en a pas été de même entre les
métiers des mères et tuteurs des enfants de la rue et de ceux
restés sous l'autorité parentale et issus de familles à revenu
intermédiaire (p>.05). Les aspirations professionnelles futures des
enfants de la rue sont assez invariables et ne sont pas conformes à celles
de leurs parents. La plupart des enfants de la rue de sexe masculin souhaitent
devenir soldats ou policiers. Par ailleurs, de fortes variations ont été relevées
au niveau des aspirations professionnelles des enfants encore sous l'autorité parentale
issus de familles à revenu faible et, surtout, à revenu intermédiaire.
D'une manière générale, l'avenir professionnel des enfants
de la rue est très sombre. Avec peu ou pas d'éducation de base
ou de formation débouchant sur l'acquisition d'aptitudes, les perspectives
d'emploi sont extrêmement incertaines, surtout dans un contexte marqué par
un marché du travail hautement concurrentiel. Les travaux auxquels ils
se livrent actuellement (par exemple le lavage des voitures, etc.) n'offrent
aucune possibilité d'acquisition de nouveaux talents et aptitudes.
La Famille
La raison spéculative la plus généralement
avancée comme étant la cause qui incite les enfants à aller
dans la rue est le milieu familial ; et la cause la plus communément
citée est la prévalence des familles mono-parentales. De l'avis
des participants aux discussions du groupe-cible, quoique cela ne s'accorde
pas avec les données issues de l'enquête que nous avons menée,
la majorité des enfants de la rue avaient leurs deux parents vivants
et vivant ensemble.
Toutefois, les résultats de l'enquête quantitative
tendent à rejeter la théorie qui associe le syndrome des enfants
de la rue avec l'existence de familles mono-parentales. Probablement en raison
du fait que les femmes chefs de ménage sont très nombreuses au
Botswana, et que plusieurs d'entre elles ont des revenus assez élevés,
l'étude ne fournit pas suffisamment de preuves pouvant étayer
l'argument selon lequel la prévalence des femmes chefs de famille expliquerait
pourquoi les enfants de ces dernières finissent dans la rue. Cependant,
il y a de bonnes raisons de penser que le syndrome des enfants de la rue s'explique
par la pauvreté. Et pourtant la pauvreté, à elle seule,
ne semble pas être un facteur déterminant. Il apparaît que
les caractères héréditaires des enfants et l'imitation
du modèle comportemental qu'offrent les parents, en plus de la pauvreté,
sont autant de facteurs qui contribuent à l'émergence des enfants
de la rue.
En conformité avec les observations relatives à la
taille des familles d'où sont issus les enfants de la rue, il a été découvert
que la moyenne des enfants nés (ou engendrés) au hasard des rencontres
par des parents/tuteurs d'enfants de la rue est élevée (5,19
enfants). Cependant, la moyenne des enfants dont la naissance a été voulue
par les parents était légèrement inférieure (4,91
enfants).
Il apparaît clairement des enquêtes menées
sur le terrain que les facteurs qui, de l'avis des parents, ont influencé la
décision des enfants d'aller dans la rue sont quelque peu en contradiction
avec ceux avancés par les enfants de la rue. Généralement,
les parents et tuteurs des enfants qui avaient été dans la rue
en ont attribué la responsabilité à la délinquance
juvénile. Mais, les enfants de la rue ainsi que ceux qui sont restés
sous l'autorité parentale soutiennent que le syndrome des enfants de
la rue s'explique en partie par la négligence des parents. Certains
parents/tuteurs ont effectivement fait remarquer que leur enfant était
malheureux avant qu'il/elle ne quittait la maison familiale. Mais plus de 60
% d'entre eux n'étaient conscients d'aucun symptôme lié à la
décision de l'enfant de s'enfuir. Tout porte donc à croire que
les parents et tuteurs n'étaient pas en mesure d'évaluer comme
il le faut les besoins et désirs de leurs enfants/pupilles avant qu'ils
ne choisissaient de quitter la maison familiale. Leurs perceptions de ce qui
pousse les enfants à aller dans la rue semblent se fonder plus sur ce
qu'ils ont observé de l'extérieur plutôt que de l'intérieur
de leurs maisons.
L'étude a révélé qu'en moyenne
les mères de famille passent plus de temps avec les enfants à la
maison que ne le font les pères de famille. En outre, la consommation
d'alcool se fait effectivement sentir sur le temps qu'un parent peut passer
avec ses enfants à la maison (X² = 14,066, p<.01). Tandis que 66
% des parents ont exprimé le voeu de voir leurs enfants retourner à la
maison et, surtout, de poursuivre leurs étues, environ 30 % d'entre
eux souhaitent voir leurs enfants continuer de rester dans la rue.
L'hypothèse selon laquelle la migration (des familles
et des enfants) contribue effectivement à la présence des enfants
dans la rue ne pouvait être vérifiée par le moyen d'un
test car plus de 95 % des enfants de la rue de sexe masculin étaient
des migrants. La proportion des parents et tuteurs des enfants qui avaient
jadis été dans la rue ainsi que celle des enfants étant
restés sous l'autorité parentale étaient aussi forte pour
les deux groupes. Néanmoins, cela ne rend pas nulle la probabilité que
la migration chez les pauvres et les ouvriers non spécialisés
ouvre effectivement la voie au syndrome des enfants de la rue.
La Famille et la Santé de la Reproduction
La planification familiale est bien connue, mais si peu pratiquée,
chez les enfants de la rue. Les enfants de la rue de sexe masculin sont si
peu responsables en matière d'activités sexuelles. Cependant,
les enfants restés sous l'autorité parentale et qui sont issus
de familles à faible revenu et, surtout, à revenu intermédiaire
sont assez responsables dans leur comportement sexuel. Les enfants de la rue
de sexe masculin sont plus enclins à avoir plusieurs partenaires sexuels
que leurs pairs restés sous l'autorité parentale. S'agissant
de la question du VIH/SIDA, le niveau de prise de conscience est tout à fait élevé chez
les enfants de la rue. Nénamoins, le pourcentage de ceux d'entre eux
qui ont des rapports sexuels toujours protégés est très
faible. Pour la plupart d'entre eux, une fois qu'ils considèrent leurs
copines stables et fiables, ils se débarrassent du préservatif.
Les recherches menées sur le terrain font ressortir
que les enfants de la rue à Gaborone ne jouissent pas d'une très
bonne santé. Quoique plusieurs d'entre eux puissent se payer le luxe
d'acheter des repas préparés dans des conditions hygiéniques,
bon nombre d'entre eux continuent de manger des repas non-hygiéniques.
Pour d'autres encore, les dépotoirs constituent la source de leur pain
quotidien. D'une manière générale, leur niveau de l'hygiène
personnel est très bas. Ils laissent apparaître de signes de malnutrition également.
Contrairement aux enfants restés sous l'autorité parentale, l'abus
de l'alcool et de la drogue est courant chez les enfants de la rue. La colle
est plus généralement utilisée pour atteindre le degré voulu
d'intoxication. Le degré d'exposition à tous ces vices est associé à la
durée du séjour des enfants dans la rue (p<.05). Il semble
que le mauvais exemple que donnent les parents et tuteurs ait un impact réel
sur le comportement des enfants de la rue. Les parents ou tuteurs dont les
parents avaient été dans la rue consomment une forte quantité de
boissons alcoolisées par jour. L'expérience sur le terrain prouve
que la plupart de ces gens sont en état d'ébriété avant
2 heures de l'après-midi.
RESUME DES RESULTATS OBTENUS
L'enquête et les discussions du groupe-cible ont fait
ressortir plusieurs caractéristiques essentielles des enfants de la
rue, à savoir:
- les enfants ne vivent pas avec des adultes, mais au contraire
ils vivent au sein d'une communauté d'enfants.
- ces enfants travaillent souvent pour eux-mêmes ou pour
le groupe dans le but de se procurer des moyens de subsistence et de se
faire plaisir.
- les enfants sont essentiellement mus par des besoins économiques.
Ils gardent tant bien que mal le contact avec leurs familles d'origine.
- les enfants commencent leur vie dans la rue de manière
progressive plutôt que de se jeter dans la rue de manière brutale,
ils s'éloignent progressivement de la famille, d'abord pendant une
nuit ou deux, avant de se laisser gagner par la rue.
- les enfants de la rue ainsi que leurs parents/tuteurs sont
peu ou pas instruits. Les parents sont des employés ne disposant d'une
source régulière de revenus. Les perspectives d'emploi tant pour
les enfants que pour les parents ne sont pas si reluisantes, étant donné leur
niveau de formation.
- les parents et les enfants peuvent avoir des avis différents
sur les causes du phénomène des enfants de la rue. Mais ils s'accordent à penser
que leur situation actuelle ne laisse entrevoir aucun avenir.
LES MOYENS D'ACTION A ENVISAGER
Il existe un rapport entre la pauvreté, la délinquance
et le fait d'être enfant de la rue. Comme Covin (1992) l'a fait remarquer,
les enfants délinquants sont généralement victimes d'un
certain rejet de la part des parents. Bien que la plupart des adultes attribuent
leur faible performance à l'école, aux grossesses prématurées
et au manque de concentration sur les études, les enfants de la rue
dans notre échantillon croient fermement que leurs parents sont en partie
responsables de leur situation actuelle. Ce n'est donc pas étonnant
qu'il y ait peu d'interaction entre les adultes et eux. Mais la délinquance
juvénile peut s'expliquer en partie par les caractères héréditaires
ainsi que par la malnutrition dès l'enfance (ainsi qu'au cours de la
grossesse). Les études menées sur les enfants de 13 à 19
ans à Oje (à Ibadan, au Nigéria) ainsi qu'aux Etats-Unis
tendent à expliquer les disparités dans la performance intellectuelle
des enfants en fonction de la situation socio-économique dans laquelle
se trouve sa famille d'origine (Lloyd et Easton, 1977; Oyewole, 1984 ; Haveman
et al, 1991). Les facteurs qui expliquent plus cette situation sont le chômage,
la malnutrition, la prévalence des maladies, la faible qualité de
l'hygiène et l'absence de stimulation cognitive. A cela s'ajoute la
prise de conscience que dans les pays en développement, la malnutrition
de l'enfant (Grant, 1989) est un des problèmes liés à la
persistance de la consommation d'alcool.
Compte tenu de ce qui précède, les moyens d'action
ci-après sont recommandés :
- Concevoir un programme avec un but bien précis en
vue de parvenir à une maîtrise de la consommation d'alcool, y
compris des méthodes appropriées d'évaluation de ce
programme.
- Eduquer les lycéens sur les effets pervers de l'alcoolisme
tant sur le plan social que celui de la santé. Ce programme d'éducation
doit être aussi vigoureux que celui qui est consacré à la
conscientisation sur le SIDA.
- Fournir des conseils aux mères en état de
grossesse et aux parents malades, surtout au niveau des communautés à revenu
faible, comme partie intégrante de la formation des étudiants
en Médecine.
- Organiser des séances de discussions, à l'échelle
communautaire, entre les travailleurs sociaux, les volontaires et les parents
qui sont économiquement défavorisés.
- Mettre en place un centre de formation et de ré-éducation
des enfants de la rue.
Les moyens de communication de masse, y compris la radio,
la télévision ainsi que la projection de fims éducatifs
dans les communautés pauvres, pourraient contribuer à la mise
en oeuvre réussie de tels programmes. Les financements et autres formes
d'aide pourraient être recherchés auprès du gouvernement
national, de l'UNICEF, du FNUAP, du PNUD, du BIT, de la Banque Mondiale, de
l'USAID et des ONG nationales.
REFERENCES
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Gaborone.
- Covin, T.M., 1982,"A Perspective on the Family and Juvenile
Delinquency", Early and Middle Childhood: Growth, Abuse and Delinquency,
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London, 63-83.
- Haveman, R., B. Wolfe and J. Spaulding, 1991, "Childhood events
and Circumstances Influencing High School Completion", Demography,
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of Yoruba Children", Journal of Cross Cultural Psychology, Vol.8.
- Mogome-Ntsatsi, K. and O.S. Tau, 1993, A Profile of Street
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- Oyewole, A.I., 1984, "Home and School: Effects of Micro-Ecology
on Children's Educational Achievement", Nigerian Children: Developmental
Perspectives, H.V. Curran (ed), Routledge & Kegan Paul, London, 156-173.
- UNICEF, 1992,Children in Especially Difficult Circumstances,
UNICEF, Gaborone.
Copyright 1995 - Union for African Population Studies.
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