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Union of African Population Studies / L'Union pour l'Etude de la Population Africaine

Num. 13, 1995

Union for African Population Studies, Rapport de Synthese / Summary Report, Numéro/Number 13, Jul. 1995

Programme de petites subventions pour la recherche en population et developpement

LES ENFANTS DE LA RUE A GABORONE AU BOTSWANA : CAUSES ET CONSEQUENCES

Eugene K. Campbell & Tidimani Ntsabane 

* Département de Démographie
** Département de Sociologie, Université du Botswana

Les opinions exprimées dans cette étude n'engagent strictement que leurs auteurs et en aucune manière l'Union pour l'Etude de la Population Africaine (UEPA)

ETUDE REALISEE DANS LE CADRE DU PROGRAMME DE PETITES SUBVENTIONS POUR LA RECHERCHE EN POPULATION ET DEVELOPPEMENT FINANCE PAR LE CRDI, LA FONDATION ROCKEFELLER, LA FONDATION MAC ARTHUR, LA SAREC ET LE MINISTERE FRANCAIS DE LA COOPERATION

Code Number: uaps95008

Table des matières

AVANT-PROPOS
INTRODUCTION
METHODOLOGIE
Sélection et Recensement des Enfants de la rue et ceux restés sous l'autorité parentale
Discussions du Groupe Cible.
RESULTATS
L'Education
Pourquoi sont-ils devenus enfants de la rue
L'Emploi
La Famille
La Famille et la Santé de la Reproduction
RESUME DES RESULTATS OBTENUS
LES MOYENS D'ACTION A ENVISAGER
REFERENCES

Avant-propos

L'Afrique est le continent où les problèmes de population se posent avec le plus d'acuité. Ces problèmes ont des répercussions dans tous les domaines de la vie. La prise de conscience de ces problèmes et la pénurie de spécialistes africains des questions de population avaient amené les gouvernements à mettre sur pied, avec l'aide des Nations-Unies, un certain nombre d'institutions régionales de formation en démographie.

Cependant, en dépit du nombre important de démographes formés au cours des deux dernières décennies, l'amélioration de la base des données démographiques et de l'engagement manifesté par les gouvernements, la prise en compte des facteurs démographiques dans les stratégies de développement est demeurée très timide. Ces résultats mitigés sont imputables, en grande partie, à l'insuffisance des connaissances théoriques et empiriques concernant le caractère dynamique des systèmes socio-économiques et démographiques et aux difficultés à traduire les politiques en programme d'action.

Or, la majeure partie des spécialistes formés dans le domaine de la population se retrouvent souvent livrés à eux-mêmes, isolés dans des structures mal préparées à utiliser leurs compétences. De plus, avec la persistance de la crise économique que traverse le continent, les pays africains n'ont pas la possibilité de faire face aux besoins en financement de la recherche. Aussi est-il rare que ces spécialistes disposent de moyens leur permettant d'entreprendre des recherches.

C'est pour répondre à l'ensemble de ces problèmes que l'UEPA s'est engagée dans la mise en oeuvre d'un Programme de Petites Subventions pour la Recherche en Population et Développement. Ce Programme a pour objectif principal d'aider les jeunes spécialistes africains à renforcer leur capacité de recherche dans le domaine des interrelations de la population et du développement. Par cette initiative, l'UEPA espère contribuer non seulement à assurer la relève dans de bonnes conditions mais aussi, et surtout, à améliorer la connaissance des questions de population en Afrique, dans une perspective globale et intégrée.

Depuis sa création, le Programme de Petites Subventions a reçu plus de 800 demandes de financement. Au total 81 chercheurs ont eu à bénéficier de financement dont 29 au cours de la 1ère phase du Programme (1986-1991) et 52 au cours de la seconde phase (1992-1995). Les recherches financées au cours de la 1ère phase ont donné lieu à la production de 26 rapports dont 8 ont déjà été publiés et 9 autres sont en cours d'édition. Ces recherches couvrent un vaste éventail de sujets d'actualité. Elles ont consisté en des monographies explorant en profondeur les problèmes étudiés (urbanisation, exode rural, enfants de la rue, statut de la femme, stratégies de reproduction, etc.).

Dans l'ensemble, la moisson du Programme de Petites Subventions est impressionnante tant en ce qui concerne la formation à la recherche que les résultats obtenus. Les mérites de ce Programme sont d'autant plus importants que sa conception et son orientation répondent bien aux préoccupations de l'heure. Il a adopté une perspective ouverte des questions de population intégrant les aspects économiques, culturels et strictement démographiques. De plus, il met l'accent sur la formation à la recherche, dans les pays mêmes, contribuant ainsi à maintenir les compétences sur place et à développer la capacité des institutions nationales. Enfin, de par sa philosophie, le Programme favorise l'intégration régionale et la collaboration entre francophones et anglophones.

La présente étude qui fait partie du lot de rapports produits dans le cadre du Programme, porte particulièrement sur le phénomène grandissant des "enfants de la rue" que l'on associe à l'urbanisation rapide ans les pays sous-développés. La question de l'avenir des enfants a déjà été évoquée au cours de la première phase du programme à travers une étude sur la réadaptation des enfants de la rue dans un pays francophone (Congo). Cette recherche donne non seulement l'occasion d'explorer davantage le phénomène mais aussi de procéder à une analyse comparée.

En effet, les deux études ont aidé à révéler le problème pénible d'un nombre croissant de jeunes illettrés et mal éduqués. La négligence des parents a été identifiée comme l'un des facteurs les plus liés à ce phénomène. D'autres facteurs comprennent la délinquance juvénile, la pauvreté, etc. Mais contrairement à une croyance largement répandue, la présente étude n'a pu établir la preuve d'une corrélation entre la famille monoparentale et la probabilité de devenir enfant de la rue. Ces résultats constituent un défi à la fois pour les familles, la communauté et le gouvernement.

Je tiens à féliciter CAMPBELL et NTSABANE pour le travail novateur et intéressant qu'ils nous offrent dans les pages qui suivent. De plus, je voudrais remercier tous ceux qui, de près ou de loin, (donateurs, superviseurs des lauréats et lecteurs des rapports de recherche) ont contribué à l'aboutissement de cette étude.

Puisse ce Programme stimuler encore davantage la réflexion sur les relations complexes qui existent entre la population et le développement et permettre aux chercheurs d'assurer leur responsabilité scientifique dans la lutte pour le développement de l'Afrique.

Enfin, je voudrais, ici, rendre un vibrant hommage à feu Richard HOROWITZ, ex-représentant régional de la Fondation Ford pour l'Afrique qui, avec Sidiki COULIBALY, actuellement Directeur du FNUAP au Sénégal, ont porté ce Programme sur ses fonts baptismaux.

Prof. Mumpasi LUTUTALA
Président de l'UEPA

INTRODUCTION

Partout dans le monde, il existe des enfants qui ont abandonné leurs maisons ou famille d'origine. Ils sont communément connus sous le nom d'enfants "fugitifs". Et puisqu'ils se retrouvent généralement dans la rue, on les appelle également "enfants de la rue". Dans les villes du Botswana, particulièrement à Gaborone, il suffit d'un simple coup d'oeil pour se rendre compte de la présence de tels enfants. Ce sont des enfants qui ne fréquentent pas l'école et qui vivent hors de la maison familiale le gros du jour, ce qui les prive du coup des soins et de l'encadrement nécessaires dès les premières années de l'enfance. Une intégration sociale et une croissance physique qui laissent à désirer en sont la conséquence pour l'enfant et la société globale s'en ressent également.

Outre les chiffres connus sur les mauvais traitements infligés aux enfants (Childline, 1992) et un rapport de recherche sur les enfants de la rue (Mogome-Ntsatsi et Tau, 1993) publié il n'y a pas si longtemps, il n'existe pas de données statistiques fiables pouvant confirmer les conjectures sur les facteurs qui contribuent à l'émergence du phénomène des enfants de la rue dans les centres urbains du Botswana. Ces enfants traînent dans les rues pendant la plus grande partie du jour. Ils ne vont pas à l'école même s'ils sont en âge de le faire. Ils sont généralement d'une nonchalance qui frappe à première vue et sont une vraie peste pour le citoyen moyen qu'ils empêchent de tourner en rond dans les centres commerciaux. Leur présence est donc un sujet d'inquiétude à la fois pour le public et pour les autorités.

Ils ne peuvent ainsi jouir des droits fondamentaux de l'enfant, et sont exposés aux mauvais traitements physiques et sexuels, à la faim et aux intempéries. Si le phénomène doit prendre les proportions d'une véritable épidémie, alors la main-d'oeuvre pourrait être remplacée par cette vague de jeunes gens peu susceptibles de maintenir l'économie du Botswana dans son dynamisme actuel.

Au coeur des conjectures sur ces enfants se trouvent des questions du genre "Qui sont-ils ?" "D'où viennent-ils ? Pourquoi préfèrent-ils la rue à l'Ecole et la maison ? et enfin quelles sont leurs attitudes vis-à-vis de l'école et de la carrière ? Plusieurs facteurs sont généralement considérés comme ayant contribué à la prévalence des enfants de la rue au Botswana. Au nombre de ceux-ci figurent les conflits au sein de la famille, les mauvais traitements infligés aux enfants à la fois sur les plans physique, affectif et sexuel, des familles mono-parentales, une mauvaise éducation de la part des parents, tous facteurs qui aiguisent le désir d'aller chercher l'épanouissement en dehors de l'autorité parentale (UNICEF, 1992). Toutefois, ce sont là des considérations purement théoriques car elles se fondent essentiellement sur les résultats de la recherche empirique sur le sujet menée dans d'autres pays que le Botswana.

C'est dans ce contexte général que cette étude a été menée. L'objectif global de cette étude est d'identifier les zones d'habitation des enfants de la rue de sexe masculin à Gaborone, leurs origines ainsi que leurs caractéristiques socio-économiques passées et actuelles. Les raisons qui les ont poussé à être dans la rue ainsi que leurs attitudes vis-à-vis des questions relatives à la santé familiale ont également été examinées.

Les objectifs spécifiques sont les suivants :

  1. Examiner les caractéristiques socio-économiques des enfants de la rue de sexe masculin et les mettre en corrélation avec leur comportement, tout en évaluant leurs besoins futurs en matière d'emploi.
  2. Examiner les facteurs qui influent sur la décision des enfants de la rue de quitter la maison familiale.
  3. Mener des investigations sur les attitudes des enfants de la rue ainsi que ceux qui sont restés sous l'autorité parentale envers la planification et la santé familiales.
  4. Essayer de savoir si les attitudes et le comportement des enfants restés sous l'autorité parentale diffèrent de manière significative de ceux des enfants de la rue, de manière à déterminer si les attitudes et le comportement de ces derniers sont comparables à ce qui constitue la délinquence.
  5. Observer les attitudes et le comportement des parents ou tuteurs des enfants qui s'étaient enfui auparavant.
  6. Identifier les moyens d'action de nature à aider à endiguer le phénomène des enfants de la rue.

METHODOLOGIE

Il n'existe pas de données fiables sur la taille et les caractéristiques des enfants de la rue au Botswana. Le gros des arguments mis en avant l'ont été sur une base purement spéculative.

L'étude a donc été menée sur une base exploratoire et, de ce fait, nécessitait une certaine souplesse sur le plan méthodologique. Deux instruments ont été utilisés. Le premier était une enquête par sondage sur la base d'un questionnaire. Le second a consisté en l'utilisation d'un magnétophone au cours des séances avec le groupe-cible. Un échantillonnage stratifié a été utilisé pour choisir des échantillons de trois unités distinctes - à savoir, les enfants de la rue de sexe masculin, les enfants âgés de 13 à 19 ans vivant avec leurs parents et enfin les parents/tuteurs des enfants de la rue.

Sélection et Recensement des Enfants de la rue et de ceux restés sous l'autorité parentale.

Comme il n'existait pas d'informations sur le cadre à partir duquel l'échantillon des enfants de la rue devait être sélectionnés, il a d'abord été décidé de prélever un échantillon de 200 enfants de la rue. L'échantillon a été choisi avec un but déterminé, en tenant compte de leur répartition fortuite à travers Gaborone. La taille de l'échantillon n'était pas déterminée à l'aide de statistiques pour la même raison qu'un échantillon a été choisi pour un but bien déterminé. Les enfants de la rue ont généralement été interviewés dans les lieux où ils se regroupent normalement (c'est-à-dire dans les centres commerciaux et près des dépotoirs). Mais certains d'entre eux ont été trouvés à OLD NADELI où vit la majorité d'entre eux.

L'éligibilité des enfants restés sous l'autorité parentale à l'inclusion dans l'échantillon a été guidée par la connaissance que nous avons des caractéristiques des maisons d'où ils sont originaires. Puisque Old Nadeli est le quartier le plus pauvre de Gaborone, il a été choisi comme la première unité d'où il fallait choisir les enfants encore sous l'autorité parentale qui risquaient fort bien de quitter leurs familles pour se joindre à ceux qui sont déjà dans la rue. La décision initiale a été de sélectionner systématiquement 150 maisons, en commençant au hasard, par Old Nadeli et deux autres quartiers.

50 autres enfants encore sous l'autorité parentale, issus de familles à revenu intermédiaire, ont été choisis et interviewés. L'inclusion de cette tranche de la population dans l'échantillon se fondait sur l'hypothèse que les avantages dont jouissaient ces enfants, à travers le capital financier et affectif que leurs parents ont investi en eux, ont fait qu'il était peu probable qu'ils souhaitent quitter leurs maisons familiales de manière définitive. Ces enfants constituent un groupe de contrôle dans l'examen des facteurs qui incitent les enfants à fuir leurs maisons familiales pour trouver refuge dans la rue.

Les parents et tuteurs à Gaborone dont les enfants avaient toujours été dans la rue ont fait l'objet d'un recensement. En raison des difficultés auxquelles on s'attendait dans l'identification de cette population, l'échantillon a été obtenu à travers une sélection faite avec un but précis, ce qui nous a permis d'interviewer les parents ou tuteurs des enfants de la rue. Dans les cas où l'enfant était issu d'une famille composée de deux parents/tuteurs, la mère a été interviewée.

Répartition de la population constituant l'échantillon

Le nombre escompté et le nombre réel de personnes interviewées s'établissent comme suit :

Nombre escomptéNombre réel

Enfants de la rue200239

Enfants sous l'autorité

parentale (de classe

inférieure)150209

Enfants sous l'autorité

parentale (de classe

moyenne) 50 51

Parents/Tuteurs des enfants

de la rue150155

Echantillon total550654

Discussions du Groupe Cible

Le deuxième instrument a consisté en l'utilisation des discussions du groupe-cible. Bien que les deux techniques soient différentes, elles ont eu tendance à produire des informations similaires ou complémentaires. Quatre séances ont été organisées avec le groupe-cible. Elles s'articulaient autour :

i)des mères ou tutrices des enfants de la rue (6)
ii)des pères ou tuteurs des enfants de la rue (6)
iii)des enfants de la rue de sexe masculin (9)
iv)des enfants de la rue de sexe féminin (9)

A des fins d'enregistrement, nous avons recouru au magnétophone et à la prise de note. Les informations enregistrées comprennent les caractéristiques des enfants, pourquoi sont-ils dans la rue, et non à l'école, et leurs stratégies de survie dans la rue. Les discussions ont cherché à pénétrer le milieu socio-culturel des parents, les relations avec les autorités, par exemple la police, les travailleurs sociaux, les ONG ainsi que leurs opinions sur le syndrome des enfants de la rue. Le but des discussions était de présenter une image qualitative des enfants de la rue dans le but d'approfondir et de clarifier les données quantitatives issues du questionnaire structuré.

Analyse

Les méthodes d'analyse comportent généralement des pourcentages. Le carré chi a été largement utilisé pour s'assurer de l'existence de niveaux significatifs sur la base desquels il était possible de procéder à des tests en vue d'établir des corrélations entre les variables. Une analyse corrélative a été faite dans un nombre limité de cas. Les informations issues des discussions du groupe-cible ont été analysées à travers la transformation des données recueillies des bandes magnétiques et des notes prises.

Résultats

Environ 90 % des enfants de la rue à Gaborone sont des garçons. Cette observation peut s'expliquer par le fait que les garçons s'adonnent à des activités économiques plus visibles qui se déroulent dans la rue. D'autre part, les filles sont moins visibles parce qu'elles sont assujetties chez elles à des conditions plus sévères, moins publiques. En raison du nombre extrêmement réduit des enfants de la rue de sexe féminin dans notre échantillon, l'analyse faite dans le cadre de l'étude ne couvre que ceux de sexe masculin.

La tranche d'âge des personnes vivant dans la rue se situe entre 5 et 24 ans. Celle des enfants se situe environ entre 5 et 19 ans. La moyenne d'âge à laquelle les enfants sont le plus exposés au risque d'aller dans la rue est de 14 ans et demie. Ce sont des enfants en âge d'aller à l'école qui pourraient jouir de la tendresse et de l'encadrement des parents ainsi que de la discipline. Toutefois, ils passent la période de leur vie durant laquelle ils sont le plus impressionnables dans la rue, avec des conséquences désastreuses quant à leurs chances actuelles et futures sur le marché du travail. Environ 18 % des garçons dorment à la belle étoile lorsqu'ils quittent chez eux pour la première fois, tandis que 71 % restent avec leurs parents. Le reste des enfants (11%) vivent dans les familles de leurs amis.

Quarante deux pour cent des enfants de la rue se livrent, de l'aveu général, à des batailles dans la rue. Voilà qui reflète bien la tendance à devenir violent si souvent associée à la vie dans la rue. Cependant, si on les compare aux enfants de la rue à Naïrobi et en Namibie, ceux de Gaborone sont quelque peu calmes. Contrairement à la thèse selon laquelle les enfants de la rue ont tendance à en vouloir aux riches, 74 % de ceux qui ont pu être interrogés à Gaborone disent avoir plutôt de l'admiration pour les gens riches.

L'Education

La majorité des enfants interrogés ont pour caractéristique commune un bas niveau d'instruction. 95 % des garçons n'ont jamais été à l'école ou ont abandonné leurs études à l'école primaire. Cette tendance semble être en conformité avec le niveau d'instruction des parents ou tuteurs d'enfants ayant jamais été dans la rue. Plus de la moitié d'entre eux n'avaient jamais fréquenté l'école ; et parmi ceux qui l'avaient fait, 90 % ont dû abandonner leurs études à l'école primaire. Par ailleurs, plus de 70 % des parents d'enfants restés sous l'autorité parentale, issus de familles à revenu faible et tous les parents à revenu intermédiaire de tels enfants, avaient reçu une éducation formelle.

Il a été établi que parmi les enfants ayant pris part aux séances du groupe-cible, les enfants de sexe féminin avaient un niveau d'instruction plus élevé que celui de leurs pairs de l'autre sexe. Bon nombre de ces enfants ont dit que l'incapacité de leurs parents et tuteurs à leur procurer des uniformes et à payer leurs droits d'inscription pour faire du sport et leur frais de restauration figurait parmi les raisons qui les ont incité à abandonner leurs études.

Pourquoi sont-ils devenus enfants de la rue ?

De l'avis des enfants de la rue, deux séries de raisons ont été avancées pour expliquer pourquoi ils se sont retrouvés dans la rue. Il s'agit de ce qu'il convient d'appeler la vraie raison (c'est-à-dire celle qui les a effectivement poussé à aller dans la rue), d'une part, et de la raison présumée (c'est-à-dire ce qu'ils croient être la raison pour laquelle les enfants abandonnent la maison familiale). Là où la délinquance juvénile arrivait en tête de liste parmi les raisons présumées, les vraies raisons étaient liées aux facteurs économiques. La pauvreté, la négligence des parents et le harcèlement à la maison figurent parmi les autres raisons invoquées. Les raisons avancées par les enfants restés sous l'autorité parentale étaient plus ou moins conformes aux raisons présumées qui ont été avancées par les enfants de la rue. L'aspect relatif à la négligence des parents a été particulièrement mis en relief par les enfants restés sous l'autorité parentale issus de familles à revenu intermédiaire.

L'Emploi

Environ 80 % des enfants de la rue de sexe masculin s'adonnent au lavage des voitures et au petit commerce ou n'ont pas de métier précis. Le revenu quotidien qu'ils tirent du lavage de voitures, en particulier, incite les enfants à rester dans la rue. Certains d'entre eux gagnent jusqu'à 50 pula par jour en moyenne. Tandis qu'un rapport significatif a été relevé entre les professions des mères et des tuteurs des enfants de la rue et de ceux restés sous l'autorité parentale et vivant dans des communautés à faible revenu (p<.01), il n'en a pas été de même entre les métiers des mères et tuteurs des enfants de la rue et de ceux restés sous l'autorité parentale et issus de familles à revenu intermédiaire (p>.05). Les aspirations professionnelles futures des enfants de la rue sont assez invariables et ne sont pas conformes à celles de leurs parents. La plupart des enfants de la rue de sexe masculin souhaitent devenir soldats ou policiers. Par ailleurs, de fortes variations ont été relevées au niveau des aspirations professionnelles des enfants encore sous l'autorité parentale issus de familles à revenu faible et, surtout, à revenu intermédiaire. D'une manière générale, l'avenir professionnel des enfants de la rue est très sombre. Avec peu ou pas d'éducation de base ou de formation débouchant sur l'acquisition d'aptitudes, les perspectives d'emploi sont extrêmement incertaines, surtout dans un contexte marqué par un marché du travail hautement concurrentiel. Les travaux auxquels ils se livrent actuellement (par exemple le lavage des voitures, etc.) n'offrent aucune possibilité d'acquisition de nouveaux talents et aptitudes.

La Famille

La raison spéculative la plus généralement avancée comme étant la cause qui incite les enfants à aller dans la rue est le milieu familial ; et la cause la plus communément citée est la prévalence des familles mono-parentales. De l'avis des participants aux discussions du groupe-cible, quoique cela ne s'accorde pas avec les données issues de l'enquête que nous avons menée, la majorité des enfants de la rue avaient leurs deux parents vivants et vivant ensemble.

Toutefois, les résultats de l'enquête quantitative tendent à rejeter la théorie qui associe le syndrome des enfants de la rue avec l'existence de familles mono-parentales. Probablement en raison du fait que les femmes chefs de ménage sont très nombreuses au Botswana, et que plusieurs d'entre elles ont des revenus assez élevés, l'étude ne fournit pas suffisamment de preuves pouvant étayer l'argument selon lequel la prévalence des femmes chefs de famille expliquerait pourquoi les enfants de ces dernières finissent dans la rue. Cependant, il y a de bonnes raisons de penser que le syndrome des enfants de la rue s'explique par la pauvreté. Et pourtant la pauvreté, à elle seule, ne semble pas être un facteur déterminant. Il apparaît que les caractères héréditaires des enfants et l'imitation du modèle comportemental qu'offrent les parents, en plus de la pauvreté, sont autant de facteurs qui contribuent à l'émergence des enfants de la rue.

En conformité avec les observations relatives à la taille des familles d'où sont issus les enfants de la rue, il a été découvert que la moyenne des enfants nés (ou engendrés) au hasard des rencontres par des parents/tuteurs d'enfants de la rue est élevée (5,19 enfants). Cependant, la moyenne des enfants dont la naissance a été voulue par les parents était légèrement inférieure (4,91 enfants).

Il apparaît clairement des enquêtes menées sur le terrain que les facteurs qui, de l'avis des parents, ont influencé la décision des enfants d'aller dans la rue sont quelque peu en contradiction avec ceux avancés par les enfants de la rue. Généralement, les parents et tuteurs des enfants qui avaient été dans la rue en ont attribué la responsabilité à la délinquance juvénile. Mais, les enfants de la rue ainsi que ceux qui sont restés sous l'autorité parentale soutiennent que le syndrome des enfants de la rue s'explique en partie par la négligence des parents. Certains parents/tuteurs ont effectivement fait remarquer que leur enfant était malheureux avant qu'il/elle ne quittait la maison familiale. Mais plus de 60 % d'entre eux n'étaient conscients d'aucun symptôme lié à la décision de l'enfant de s'enfuir. Tout porte donc à croire que les parents et tuteurs n'étaient pas en mesure d'évaluer comme il le faut les besoins et désirs de leurs enfants/pupilles avant qu'ils ne choisissaient de quitter la maison familiale. Leurs perceptions de ce qui pousse les enfants à aller dans la rue semblent se fonder plus sur ce qu'ils ont observé de l'extérieur plutôt que de l'intérieur de leurs maisons.

L'étude a révélé qu'en moyenne les mères de famille passent plus de temps avec les enfants à la maison que ne le font les pères de famille. En outre, la consommation d'alcool se fait effectivement sentir sur le temps qu'un parent peut passer avec ses enfants à la maison (X² = 14,066, p<.01). Tandis que 66 % des parents ont exprimé le voeu de voir leurs enfants retourner à la maison et, surtout, de poursuivre leurs étues, environ 30 % d'entre eux souhaitent voir leurs enfants continuer de rester dans la rue.

L'hypothèse selon laquelle la migration (des familles et des enfants) contribue effectivement à la présence des enfants dans la rue ne pouvait être vérifiée par le moyen d'un test car plus de 95 % des enfants de la rue de sexe masculin étaient des migrants. La proportion des parents et tuteurs des enfants qui avaient jadis été dans la rue ainsi que celle des enfants étant restés sous l'autorité parentale étaient aussi forte pour les deux groupes. Néanmoins, cela ne rend pas nulle la probabilité que la migration chez les pauvres et les ouvriers non spécialisés ouvre effectivement la voie au syndrome des enfants de la rue.

La Famille et la Santé de la Reproduction

La planification familiale est bien connue, mais si peu pratiquée, chez les enfants de la rue. Les enfants de la rue de sexe masculin sont si peu responsables en matière d'activités sexuelles. Cependant, les enfants restés sous l'autorité parentale et qui sont issus de familles à faible revenu et, surtout, à revenu intermédiaire sont assez responsables dans leur comportement sexuel. Les enfants de la rue de sexe masculin sont plus enclins à avoir plusieurs partenaires sexuels que leurs pairs restés sous l'autorité parentale. S'agissant de la question du VIH/SIDA, le niveau de prise de conscience est tout à fait élevé chez les enfants de la rue. Nénamoins, le pourcentage de ceux d'entre eux qui ont des rapports sexuels toujours protégés est très faible. Pour la plupart d'entre eux, une fois qu'ils considèrent leurs copines stables et fiables, ils se débarrassent du préservatif.

Les recherches menées sur le terrain font ressortir que les enfants de la rue à Gaborone ne jouissent pas d'une très bonne santé. Quoique plusieurs d'entre eux puissent se payer le luxe d'acheter des repas préparés dans des conditions hygiéniques, bon nombre d'entre eux continuent de manger des repas non-hygiéniques. Pour d'autres encore, les dépotoirs constituent la source de leur pain quotidien. D'une manière générale, leur niveau de l'hygiène personnel est très bas. Ils laissent apparaître de signes de malnutrition également. Contrairement aux enfants restés sous l'autorité parentale, l'abus de l'alcool et de la drogue est courant chez les enfants de la rue. La colle est plus généralement utilisée pour atteindre le degré voulu d'intoxication. Le degré d'exposition à tous ces vices est associé à la durée du séjour des enfants dans la rue (p<.05). Il semble que le mauvais exemple que donnent les parents et tuteurs ait un impact réel sur le comportement des enfants de la rue. Les parents ou tuteurs dont les parents avaient été dans la rue consomment une forte quantité de boissons alcoolisées par jour. L'expérience sur le terrain prouve que la plupart de ces gens sont en état d'ébriété avant 2 heures de l'après-midi.

RESUME DES RESULTATS OBTENUS

L'enquête et les discussions du groupe-cible ont fait ressortir plusieurs caractéristiques essentielles des enfants de la rue, à savoir:

  • les enfants ne vivent pas avec des adultes, mais au contraire ils vivent au sein d'une communauté d'enfants.
  • ces enfants travaillent souvent pour eux-mêmes ou pour le groupe dans le but de se procurer des moyens de subsistence et de se faire plaisir.
  • les enfants sont essentiellement mus par des besoins économiques. Ils gardent tant bien que mal le contact avec leurs familles d'origine.
  • les enfants commencent leur vie dans la rue de manière progressive plutôt que de se jeter dans la rue de manière brutale, ils s'éloignent progressivement de la famille, d'abord pendant une nuit ou deux, avant de se laisser gagner par la rue.
  • les enfants de la rue ainsi que leurs parents/tuteurs sont peu ou pas instruits. Les parents sont des employés ne disposant d'une source régulière de revenus. Les perspectives d'emploi tant pour les enfants que pour les parents ne sont pas si reluisantes, étant donné leur niveau de formation.
  • les parents et les enfants peuvent avoir des avis différents sur les causes du phénomène des enfants de la rue. Mais ils s'accordent à penser que leur situation actuelle ne laisse entrevoir aucun avenir.

LES MOYENS D'ACTION A ENVISAGER

Il existe un rapport entre la pauvreté, la délinquance et le fait d'être enfant de la rue. Comme Covin (1992) l'a fait remarquer, les enfants délinquants sont généralement victimes d'un certain rejet de la part des parents. Bien que la plupart des adultes attribuent leur faible performance à l'école, aux grossesses prématurées et au manque de concentration sur les études, les enfants de la rue dans notre échantillon croient fermement que leurs parents sont en partie responsables de leur situation actuelle. Ce n'est donc pas étonnant qu'il y ait peu d'interaction entre les adultes et eux. Mais la délinquance juvénile peut s'expliquer en partie par les caractères héréditaires ainsi que par la malnutrition dès l'enfance (ainsi qu'au cours de la grossesse). Les études menées sur les enfants de 13 à 19 ans à Oje (à Ibadan, au Nigéria) ainsi qu'aux Etats-Unis tendent à expliquer les disparités dans la performance intellectuelle des enfants en fonction de la situation socio-économique dans laquelle se trouve sa famille d'origine (Lloyd et Easton, 1977; Oyewole, 1984 ; Haveman et al, 1991). Les facteurs qui expliquent plus cette situation sont le chômage, la malnutrition, la prévalence des maladies, la faible qualité de l'hygiène et l'absence de stimulation cognitive. A cela s'ajoute la prise de conscience que dans les pays en développement, la malnutrition de l'enfant (Grant, 1989) est un des problèmes liés à la persistance de la consommation d'alcool.

Compte tenu de ce qui précède, les moyens d'action ci-après sont recommandés :

  1. Concevoir un programme avec un but bien précis en vue de parvenir à une maîtrise de la consommation d'alcool, y compris des méthodes appropriées d'évaluation de ce programme.
  2. Eduquer les lycéens sur les effets pervers de l'alcoolisme tant sur le plan social que celui de la santé. Ce programme d'éducation doit être aussi vigoureux que celui qui est consacré à la conscientisation sur le SIDA.
  3. Fournir des conseils aux mères en état de grossesse et aux parents malades, surtout au niveau des communautés à revenu faible, comme partie intégrante de la formation des étudiants en Médecine.
  4. Organiser des séances de discussions, à l'échelle communautaire, entre les travailleurs sociaux, les volontaires et les parents qui sont économiquement défavorisés.
  5. Mettre en place un centre de formation et de ré-éducation des enfants de la rue.

Les moyens de communication de masse, y compris la radio, la télévision ainsi que la projection de fims éducatifs dans les communautés pauvres, pourraient contribuer à la mise en oeuvre réussie de tels programmes. Les financements et autres formes d'aide pourraient être recherchés auprès du gouvernement national, de l'UNICEF, du FNUAP, du PNUD, du BIT, de la Banque Mondiale, de l'USAID et des ONG nationales.

REFERENCES

  • Childline, 1992,Childline Botswana Trust Fund, (A Handbook), Gaborone.
  • Covin, T.M., 1982,"A Perspective on the Family and Juvenile Delinquency", Early and Middle Childhood: Growth, Abuse and Delinquency, R. Greene and T. Yawkey (eds), Technomic Publishing Co. Inc., Connecticut, 183-191.
  • Grant, M. 1989,"Controlling Alcohol Abuse", Controlling Legal Addictions, D. Robinson et al (eds), Macmillan Press Ltd., London, 63-83.
  • Haveman, R., B. Wolfe and J. Spaulding, 1991, "Childhood events and Circumstances Influencing High School Completion", Demography, Vol.28, No.1, 133-157.
  • Lloyd, B.B. and B. Easton, 1977, "The Intellectual Development of Yoruba Children", Journal of Cross Cultural Psychology, Vol.8.
  • Mogome-Ntsatsi, K. and O.S. Tau, 1993, A Profile of Street Children in Three Urban Centres of Botswana: Gaborone, Mahalapye and Francistown, UNICEF, Gaborone.
  • Oyewole, A.I., 1984, "Home and School: Effects of Micro-Ecology on Children's Educational Achievement", Nigerian Children: Developmental Perspectives, H.V. Curran (ed), Routledge & Kegan Paul, London, 156-173.
  • UNICEF, 1992,Children in Especially Difficult Circumstances, UNICEF, Gaborone.
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