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Union of African Population Studies / L'Union pour l'Etude de la Population Africaine

Num. 23, 1996
UNITES FAMILIALES ET STRATEGIES DE REPRODUCTION A LOME

Union for African Population Studies, Rapport de Synthese / Summary Report, Numéro/Number 23, 1996

PROGRAMME DE PETITES SUBVENTIONS POUR LA RECHERCHE EN POPULATION ET DEVELOPPEMENT

UNITES FAMILIALES ET STRATEGIES DE REPRODUCTION A LOME

Kodjovi Kouwonou

Démographe, chercheur à l'Unité de recherche démographique (URD), Université du Bénin, Lomé, TOGO

Code Number: uaps96023

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION

I - JUSTIFICATION ET OBJECTIFS

II - CADRE SOCIO-CULTUREL DE L’ETUDE
II.1 - Structure de la parenté
II.2 - Famille et processus d’entrée en union
II.3 - Famille et procréation

III - APERCU DE LA METHODOLOGIE
III.1 - Les hypothèses de l’étude
III.2 - Source et données d’analyses
III.3 - Une présentation succincte des méthodes d’analyse

IV - SYNTHESE DES RESULTATS
IV.1 - Structure de la population effectivement enquêtée
IV.2 - Le choix du premier conjoint
IV.3 - L’âge d’entrée en première union
IV.4 - L’écart d’âge des deux conjoints
IV.5 - Situation matrimoniale des enquêtées
IV.6 - Fécondité et pratique contraceptive
IV.7 - Vers une typologie des familles biologiques
IV.8 - Interprétation des types de familles biologiques dégagées
CONCLUSION GENERALE

INTRODUCTION

Depuis les années 1970, plusieurs travaux relatifs aux niveaux, tendances et déterminants de la fécondité ont permis de lever de nombreuses incertitudes qui planaient encore sur les variables intermédiaires qui interviennent dans les comportements de reproduction des familles. Des efforts ont été également déployés pour une meilleure connaissance des déterminants sociaux, culturels et environnementaux des stratégies de reproduction.

Malgré ces avancées tant appréciables, il reste beaucoup à apprendre sur les mécanismes par lesquels le contexte culturel, la morale familiale, le milieu de socialisation, etc., influencent les stratégies qu’élaborent les individus et la communauté en matière de procréation. Cependant, l’importance de l’influence de la sphère familiale pour la compréhension des mécanismes démographiques a été relevée par plusieurs auteurs (Tabutin et Bartiaux, 1986 ; Donadjè, 1992 et Locoh, 1995).

En Afrique plus que partout ailleurs, les structures familiales demeurent le lieu privilégié d’observation des comportements démographiques. Plusieurs approches ont été alors proposées pour une analyse des manières d’agir, de penser et de sentir des individus dans leur contexte social.

Dans son approche de l’analyse des risques démographiques, Gérard (1995) distingue de multiples niveaux dans les faits. Ces différents niveaux sont regroupés en deux grandes catégories schématisées par deux plans superposés : le plan individuel et le plan collectif. Parlant de la fécondité, l’auteur présente le schéma analytique de Kingsley David et Judith Blake comme pierre angulaire de nombreuses recherches en la matière et en conclut que les modèles culturels jouent un rôle fondamental dans la construction sociologique de la procréation. Les onze variables intermédiaires de la fécondité identifiées par David et Blake peuvent être même perçues comme des canaux véhiculant l’impact du conditionnement social.

Pour leur part, Victor Piché et Jean Poirier (1995) font une importante revue de la littérature au sujet des approches démographiques relatives à la compréhension des déterminants de la fécondité. Ils constatent que les causes ultimes de la baisse de la fécondité t échappent encore aux efforts de recherche qui ont été fournis. Selon ces auteurs, l’analyse au seul niveau individuel adoptée par la quasi-totalité des chercheurs justifie le peu de progrès enregistrés dans l’explication des stratégies de reproduction. Piché et Poirier en arrivent ainsi à la conclusion selon laquelle les explications économiques ou culturelles ne sauraient, à elles seules, rendre compte des changements démographiques qui s’opèrent. Outre le structuro-fonctionnalisme, le culturalisme, les flux intergénérationnels de richesse, etc., ils suggèrent, pour expliquer la fécondité, un mariage de raison des approches culturelle et économique.

En résumé, aboutir à la réintégration des faits démographiques dans leurs contextes sociaux doit être un préalable pour aboutir à un cumul enrichissant des connaissances des comportements démographiques.

I - JUSTIFICATION ET OBJECTIFS

L'évolution d'une population se définit par trois phénomènes démographiques : la natalité, la mortalité et la mobilité spatiale. Ces différents phénomènes se concrétisent par des événements que sont les naissances, les décès et les migrations. Les risques de procréer, de décéder et de migrer qui en résultent sont conditionnés par des modèles culturels constituant une sorte de pivot sur lequel s'articule le déterminisme social de l'agir humain. Selon Gérard et al., (1983), les modèles culturels constituent le type d'orientations mentales et de comportements que secrète, propose et valorise la société à l'égard de chacun des risques. Ainsi les individus s'y réfèrent d'une manière consciente ou inconsciente. Par ailleurs, toute société possède un modèle culturel dominant auquel des modèles particuliers devraient être plus ou moins compatibles. Toutefois, un phénomène d’incompatibilité est noté dans beaucoup de sociétés. Certains éléments participent à l'élaboration de ces différents modèles qui sont en quelque sorte le creuset fondamental où l'individu puise ses manières d'agir, de penser et de sentir. L’organisation de la famille et le rôle de la femme dans la société constituent sans doute des éléments cruciaux des modèles de reproduction.

En Afrique, comme dans beaucoup d'autres sociétés des pays en développement, les structures familiales demeurent le lieu privilégié d'observation des comportements démographiques. La famille occupe ainsi une position stratégique pour la compréhension et l'explication des phénomènes de population. Dès lors, il y a lieu d'aborder l'analyse des risques de procréer, de décéder et de migrer dans la sphère familiale. Les sociologues et anthropologues se trouvent plus à l'aise pour décrire et analyser les structures et mécanismes familiaux, qui sont des objets d’étude négligés par des démographes. Cependant, ces derniers reconnaissent les interrelations entre structures familiales et comportements démographiques.

C'est dans ce contexte que s'inscrit notre étude. L'identification des relations entre le mouvement de la population et le système socio-culturel s'avère être d'un apport indispensable pour la recherche démographique. Mais ceci implique l’examen minutieux et l’adaptation au contexte étudié des concepts ayant fait leur preuve ailleurs.

Différents travaux sur la population africaine menés ces dernières années relèvent l'influence de la famille sur les comportements démographiques des individus. La littérature sur la fécondité est particulièrement dense. Ces différents travaux reconnaissent que la famille est le lieu privilégié de la reproduction et de la régulation de cette aptitude. Aussi, contrairement à la conception occidentale, l'Afrique noire propose-t-elle un modèle où il importe peu d'être géniteur que d'assumer le rôle de père ou de mère (Bekombo-Priso 1975 et Locoh, 1984).

On a beaucoup appris sur les variables intermédiaires qui constituent avec les variables socio-économiques et environnementales les deux classes de déterminants des comportements de reproduction des individus. Les analyses des enquêtes mondiales de fécondité (EMF) ont, dès les années 70, renseigné sur les déterminants susceptibles de modifier la fécondité. De nos jours, c’est la campagne d'enquêtes démographiques et de santé (EDS) qui a permis une meilleure connaissance du niveau et des déterminants de la fécondité.

Au Togo, les résultats de l'enquête démographique et de santé au Togo 1 (EDST 1) ont montré que l'allaitement au sein, l'abstinence post-partum, le niveau d'utilisation de la contraception et la fréquence des unions sont les facteurs directs qui déterminent le niveau de la fécondité. Il serait tout de même plus intéressant dans une analyse plus approfondie, de les placer dans le contexte culturel du pays étudié.

Nous reconnaissons avec Agounké et al. (1988) que la scolarisation est un des facteurs explicatifs du recul de l'âge d'entrée en union des femmes dans la société togolaise d’aujourd’hui. Mais, toutefois il serait trop simpliste de se limiter à ce phénomène pour comprendre les causes du mariage tardif des femmes appartenant aux jeunes générations. Plusieurs études ont révélé le caractère complexe de l'influence de l'instruction sur la fécondité. Elles font remarquer que cette relation ne va pas de soi et ne peut pas se vérifier pour toutes les cultures ni pour toute augmentation du niveau d'instruction (Caldwell, 1980 ; et Assogba, 1989). La prudence doit être alors observée dans le cadre de ce mécanisme causal.

S'il est vrai que la seconde catégorie de variables influence la reproduction humaine par le canal des "proximate variables", il semblerait que le rôle des caractéristiques sociales, culturelles, économiques et environnementales consiste à lier l'individu à une entité sociale. Dans cette entité, les individus intériorisent des modes de penser et d'agir qui déterminent leurs comportements procréateurs. Dans sa réflexion sur les déterminants de la fécondité, Assogba (1989) a eu le mérite de faire du concept de statut de la femme, une variable multidimensionnelle. Cependant, cette étude ne focalise l’attention que sur la femme. Cette approche, ignorant les acteurs de sexe masculin comme le signalait déjà Donadjè, (1992, :1), rend insuffisamment compte du pourquoi et du comment de la reproduction. Une analyse intégrant le milieu social dans lequel les couples se marient et procréent a sans doute le mérite de tenir compte du système familial ouest-africain qui privilégie la parenté par les hommes, la transmission des biens par les hommes et le rôle du père dans la procréation d'un enfant.

Avec l'apprentissage de la première différenciation des sexes, débute la socialisation, étape très importante de la vie de l'homme. Au fur et à mesure qu'elle grandit et sous la surveillance de ses aînées et des "mères" la jeune fille s'initie aux rôles d'épouse et de mère qu'elle est appelée à assumer au sein de son groupe. De son coté, le jeune garçon écoute et imite ses ainés et ses "pères" qui lui servent de guides et de maîtres. La cellule familiale régie par des règles distribue des activités et dicte des normes à suivre à chaque individu. Hommes et femmes subissent ainsi, depuis leur naissance une formation adaptée aux rôles qu'ils sont supposés jouer dans la société (Assogba, 1989). Le lieu où cette formation a été réalisée demeure sans doute un facteur à ne pas négliger.

Compte tenu des marques identitaires, l'individu (ou le couple) se réfère à un modèle culturel. Pour comprendre les stratégies de reproduction, il importe d’analyser les structures dans lesquelles les couples se forment. Aussi, les milieux de socialisation de chacun des conjoints fourniraient des informations fiables qui permettraient d'identifier et de comprendre les interrelations entre les structures familiales et les stratégies de reproduction d'une famille biologique. Identifier les axes et les mécanismes à travers lesquels le modèle de reproduction se transmet demeure l'une des préoccupations de ce projet. Notre objectif est d'observer si certaines caractéristiques sociales et certains comportements démographiques se rencontrent plus souvent dans tel ou tel type d'unités familiales. Le milieu de socialisation serait le facteur essentiel qui pourrait jouer un rôle dans la détermination des stratégies de reproduction.

En dehors de son milieu familial, l'individu appartient à une classe d'âge qui constitue également un lieu de socialisation. Outre les caractéristiques des parents, on note que le milieu d’enfance, la personnalité du tuteur, l’ethnie, la religion, etc., sont des variables qui ont une importance dans l’adoption d’un modèle de reproduction.

On peut alors se demander s'il existe une corrélation entre la scolarisation des parents et les modèles de nuptialité de la femme. Les femmes du milieu rural sont-elles les plus "fécondes" ? Les parents non scolarisés sont-ils toujours ceux qui subissent le plus le poids culturel ? Les femmes nées des unions polygames se retrouvent-elles comme deuxième ou troisième épouse dans leur foyer ? Les jeunes gens issus des unions polygames adhèrent-ils à leur tour à la polygamie ? La religion des parents est-elle une force d’inertie ou constitue-t-elle un facteur de changement sur les enfants ? L'union d'un homme et d'une femme instruits est-elle plus stable que celle où l'un des deux conjoints n'a jamais été à l'école ? Par cette étude, nous tenterons d'apporter des réponses ou des éléments de réponses à ces différentes questions.

Les phénomènes démographiques ne doivent pas être étudiés de façon isolée. Comme le recommandait Gérard et al. (1983), les faits de population doivent être placés dans leur contexte sociologique. La présente étude tente de saisir l'influence de l'environnement familial sur le comportement procréateur de l'individu. Avec une meilleure connaissance du sens et de l'intensité des interrelations entre les structures familiales et le comportement individuel, elle permettra alors de mieux orienter les actions susceptibles de modifier les comportements individuels en plaçant l'homme dans son contexte socio-culturel.

Les objectifs spécifiques de l’étude sont les suivants :

*Cerner le mécanisme par lequel les structures familiales s'imposent aux différentes familles conjugales.

*Apprécier l'influence de la scolarisation dans les stratégies de reproduction en plaçant l'individu dans son milieu de socialisation.

*Saisir l'impact de la polygamie des parents sur le comportement nuptial et reproductif de leurs enfants.

*vérifier si le fait d'avoir reçu le même type de socialisation crée-t-il une relative similitude en matière de normes et valeurs courantes de pensée et d'idées chez les individus ?

II - CADRE SOCIO-CULTUREL DE L’ETUDE

II.1 - Structure de la parenté

Contrairement à d’autres sociétés, la parenté en Afrique noire ne se réfère pas nécessairement à un acte administratif. Elle se manifeste surtout par la répartition des droits et par leur transmission d’une génération à une autre. Il s’agit donc des droits d’appartenir à un groupe ou des droits d’hériter des biens ou, ce qui est plus important encore, du droit d’exercer un pouvoir.

Au Togo, les collectivités familiales qui ont des liens de sang et qui se réclament d’un ancêtre commun ou de groupes de défunts se rassemblent en clans. Caractérisé par l’existence d’une gamme de noms claniques, d’interdits identiques, d’un culte particulier, de pratiques et de rites identiques concernant la naissance, le mariage et la mort, chaque clan développe une similitude de comportements entre ses membres, recherche la puissance par le nombre et l’honneur par la notoriété des fonctions exercées par certains membres.

La société togolaise connaît essentiellement une filiation patrilinéaire. Dans ce régime, l’enfant appartient au lignage et au clan paternels, c’est-à-dire qu’il porte le nom du clan de son père, participe aux interdits de cette cellule sociale, habite dans la cour de son père ou dans celle des frères de ce dernier. Tous les frais nécessaires à son entretien et à son éducation sont, en principe, imputés à son père (Ngondo a Pitshandenge, 1982, et Mignot, 1985). Cependant, cet enfant appartient à la fois à sa famille paternelle et à celle de sa mère. A ce sujet, Dozon (1978 : 832) écrit :

² Si l’on se réfère à la théorie de la filiation et de l’alliance, il est généralement admis de distinguer au sein des sociétés lignagères d’une part les groupes unilinéaires, d’autre part la parenté complémentaire. Cette procédure classique revient simplement à dire que tout individu ne peut appartenir uniquement à un seul coté paternel (patrilignage ou matrilignage) ; il est en effet voué à entretenir également des relations plus ou moins étroites avec les parents de l’autre bord² .

En clair, il apparaît, selon la théorie de la filiation et de l’alliance, que l’enfant est d’abord issu de deux groupes de parenté et qu’il ne peut pas être considéré comme le ² produit² des seuls parents paternels ou maternels. Dans la pratique, c’est donc la parenté complémentaire qui gère les relations quotidiennes.

II.2 - Famille et processus d’entrée en union

Le mariage contracté dans la société traditionnelle africaine, au delà de son aspect affectif d’union de deux personnes, a toujours revêtu une fonction collective. Selon Bekombo-Priso (1978), l’union fonctionnelle qui se réalise entre les deux conjoints apparaît comme une simple mise en oeuvre de l’alliance effective entre les deux lignages des deux partenaires. En milieu rural comme en milieu urbain, la famille élargie et le lignage demeurent les niveaux à partir desquels s’élabore toute l’organisation familiale. Le processus matrimonial est ainsi commandé, de bout en bout, par toute la collectivité. Les deux groupes de parenté concernés en assument l’entière responsabilité.

En tant qu’institution sociale, le mariage est de nos jours sanctionné par différentes cérémonies. On distingue les cérémonies coutumières, les cérémonies religieuses et les cérémonies effectuées à l’état civil. Elles déterminent la typologie des alliances matrimoniales. On parle ainsi du mariage coutumier, du mariage religieux et du mariage civil. Compte tenu de l’implication des parents des deux conjoints dans le processus de la constitution de la cellule de base (couple) de la société, les cérémonies coutumières semblent être le premier pas à poser pour que l’union ait la ² bénédiction² de l’ensemble de la société. Le mariage coutumier doit ainsi précéder les deux autres formes d’union. Pour certains observateurs, seules les manifestations dictées par la coutume confèrent aux conjoints le véritable statut de mariés.

Aujourd’hui sous l’effet conjugué de l’urbanisation, de la crise économique et de l’influence des médias, l’organisation de la société ouest-africaine est menacée dans sa cohésion. Ainsi, dès qu’il s’agit d’établir une union, les mécanismes traditionnels de constitution de la cellule familiale semblent inadéquats et débordés. D’où l’accroissement de ce que beaucoup appellent les unions libres ou cohabitations juvéniles. En effet, nombreux sont les couples qui vivent ensemble sans se marier au préalable et il a été observé que l’évolution des rites du mariage tend à entraîner la dépréciation de certaines ² valeurs² (virginité, dot, ...) qui en constituaient jadis la base. Mais cette institution reste de règle. Tout le monde finit donc par prendre le chemin du mariage.

Par ailleurs, il convient de distinguer les unions polygames des unions monogames et de celles avec corésidence ou non des époux. La polygamie perdure en milieu rural et dans les villes. Dans les agglomérations urbaines, on note d’après les données de l’EDSTI, que 47 % des femmes mariées sont en union polygame, la pratique de la polygamie s’accompagne de nouveaux arrangements résidentiels caractérisés par la non corésidence des époux.

II.3 - Famille et procréation

Dans beaucoup de sociétés africaines, le passage d'une forte fécondité dite naturelle à une fécondité contrôlée tarde à se réaliser. En fait, ² en Afrique, les femmes se marient dans l'ensemble se marient jeunes et ont rapidement un premier enfant, elles pratiquent un espacement assez long entre naissances grâce à l'allaitement et aux tabous post-partum, et elles n'arrêtent souvent de procréer qu'en atteignant la ménopause² (Tabutin, 1988). Il en est de même dans la société togolaise où la procréation constitue une porte d’entrée pour l’homme et pour la femme dans le réseau des relations sociales. En effet, une famille nombreuse est avant tout un signe de la faveur divine. De ce fait, il apparaît dangereux de toucher à ce bien précieux qu’est la capacité de mettre au monde un enfant qui parvient à survivre. La structure familiale est hostile à la stérilité et à l’impuissance qui sont considérées comme de grands maux car elles contribuent à l’extinction de la famille et partant de la lignée. Parlant de l’infécondité en Afrique de l’Ouest, Thérèse Locoh (1984 :18) affirme que :

"Il n'existe pas de plus grande malédiction pour une femme que la stérilité; une infécondité relative sera également source de problèmes. Traitée de sorcière dans les cas extrêmes, la femme stérile est toujours plus ou moins rejetée de la société; dans le meilleur des cas, elle sera simplement considérée comme une femme "incomplète" avec un statut social et familial d'inférieure".

Un enfant est toujours bien accueilli dans le cercle familial car il demeure la raison de vivre et d’espérer des parents, l’avenir et le bonheur de la famille et de la communauté toute entière. C’est pourquoi son éducation incombe à l’ensemble de la communauté. Des stratégies sont alors développées pour amortir le poids financier trop lourd que peut constituer une descendance nombreuse pour une famille biologique. On assiste ainsi à l’institution de la tutelle au profit d’une cellule familiale qui n’est pas confrontée à un pareil problème de société et à la prise en charge de parents nécessiteux.

Plusieurs faits illustrent les considérations pro-natalistes des sociétés ouest-africaines et particulièrement togolaises. Au Togo, dans les ménages polygames, l'épouse ayant le plus d'enfants survivants est généralement la mieux lotie". Dans une étude portant sur les sociétés béninoises Donadjè (1992 : 12-13) écrit :

"Une des philosophies de la natalité consiste à renier tout individu qui naît, grandit et meurt sans laisser derrière lui un rejeton qui puisse le "pleurer" et l'enterrer le jour de sa mort. La richesse en enfants est préférable à la richesse en argent. A Abomey (Bénin), continue l'auteur, seul ceux qui ont donné jour à un enfant au moins ont droit à un "assin" (symbole représentant un ancêtre disparu) à l'autel des morts. Procréer est considéré comme un devoir de continuité de l'oeuvre de l'ancêtre mythique. Par ailleurs, la famille, par l'ensemble de ses membres se définira dans sa société, par rapport aux autres familles, grâce à sa représentativité numérique et sa notoriété."

Nous pouvons multiplier les exemples au sujet de la perception de la procréation qui prévalait jusqu'ici dans les sociétés africaines. L'essentiel de ces différents témoignages et observations se résume comme suit : l'organisation sociale continue de valoriser une nombreuse descendance et contraint ainsi la femme ou plutôt le couple à se soumettre à un environnement socioculturel dominé par le souci d'avoir le plus grand nombre d'enfants viables possible.

Par ailleurs, dans la plupart des pays d’Afrique au Sud du Sahara, le mariage et le désir d'avoir des enfants doivent être liés également au culte des ancêtres. En effet, en procréant, le couple et surtout la femme entrent en communication avec le génie du monde invisible, celui des défunts. La fécondation de la femme ne relève pas fondamentalement du père géniteur : elle suppose l'intervention d'un génie; l'enfant vient d'où vont les morts : l'autre monde.

Autant de témoignages et d'observations qui montrent les difficultés auxquelles les sociétés d'Afrique noire sont quotidiennement confrontées pour réaliser la transition de leur fécondité. Cette situation est d'autant plus préoccupante qu’en dépit de l’évolution positive notée à propos du discours sur la population de ces dernières années, les pouvoirs publics se sont engagés avec prudence et timidité dans les programmes socio-démographiques, notamment ceux relatifs à la maîtrise de la fécondité.

Dans un contexte où la constitution d’une forte descendance demeure une priorité, on peut s’attendre à une faible utilisation des produits contraceptifs en tant que moyen de limitation des naissances. L’enquête EDST 1 qui est, aujourd’hui la seule opération d’envergure nationale, indique une pévalence contraceptive moyenne de 3 %.

A l’aube du XXIème siècle, la famille demeure toujours la cellule de base de la société et le cadre de référence de tout individu. A ce titre, elle permet de nouer des relations beaucoup plus rapprochées que celles que l’individu développe en société. Sans la famille, sans les valeurs familiales, la société elle-même est dissoute. La famille dite élargie constitue indubitablement une richesse pour les sociétés traditionnelles africaines. Les stratégies de reproduction s’y élaborent en fonction du conditionnement social dont les deux conjoints ont été l’objet au cours de leur socialisation.

III - APERCU DE LA METHODOLOGIE

III.1 - Les hypothèses de l’étude

L’étude envisagée s’appuie sur les hypothèses suivantes :

Le modèle culturel s’impose à l’individu à travers la socialisation et le contrôle qu’exerce la structure familiale. Les individus sont ainsi conditionnés et reflètent l’ensemble social auquel ils appartiennent.

Le conditionnement social laisse peu de chance à tous ceux qui désirent limiter la taille de leur famille.

L’instruction ne semble pas être le critère le plus important qui influence la fécondité des couples. Elle fait partie probablement d’autres variables ou groupes de variables socio-économiques qui jouent un rôle important dans les stratégies de reproduction.

Plus un couple a été entièrement socialisé en ville, plus il a les idées modernes et mieux il va maîtriser sa fécondité et limiter la taille de sa famille.

 

III.2 - Source et données d’analyses

L’enquête ² Arrivée du Prochain Enfant à Lomé² (APEL) réalisée par l’Unité de Recherche Démographique entre Juin 1983 et Février 1984 a été la principale source de données utilisée pour apporter des éléments de réponse aux questions posées dans le cadre de la présente étude. Inscrite dans le cadre du programme ² Determinants of fertility² conduit par le Population Council, l’enquête APEL avait pour objectif principal d’étudier les déterminants de la fécondité et de comprendre les différents mécanismes d’influence dans le processus de la reproduction à Lomé. Ce travail d’investigation portait sur des femmes ayant accouché, entre mai 1979 et avril 1980, dans une maternité de Lomé. L’échantillon d’APEL n’est donc constitué que de femmes dont la fécondité est avérée.

Le support d’interview de l’enquête APEL est un questionnaire individuel contenant cent quarante deux questions réparties en six sections. La première section s’intéresse aux caractéristiques socio-démographiques de l’enquêtée et permet ainsi de caractériser l’individu et d’identifier les éléments cruciaux pouvant influencer ses comportements reproducteurs. L’historique des unions qu’elle a contractées est abordée dans la deuxième section du questionnaire. Afin de mieux caractériser la famille biologique, les caractéristiques du conjoint ou du fiancé ont été collectées dans la troisième section du questionnaire. Les questions regroupées dans la quatrième section concernent la vie génésique de l’enquêtée. La cinquième partie du questionnaire s’est intéressée essentiellement aux déterminants proches de la fécondité des enquêtées. Des variables pouvant permettre de définir le ² standing² de l’enquêtée ont fait l’objet de la dernière section du questionnaire.

Pour les besoins de l’analyse, les différentes variables du questionnaire ont été regroupées en trois rubriques. La première porte sur les variables socio-démographiques. Dans l’énumération, on prend en compte l'âge des deux conjoints, le type d'union des deux conjoints, le nombre d'enfants issus de l'union, l'âge de la femme au moment de sa première union, la corésidence ou non des deux conjoints, le projet familial de la femme, l’attitude du mari à propos de la fécondité du couple, la pratique contraceptive dans le ménage, le nombre d'unions contractées par la femme;

Les variables d'appartenance socioculturelle structurent la seconde rubrique. Elles ont pour nom : lieu de résidence des parents biologiques des deux conjoints, milieu d’éducation de chacun des deux conjoints avant qu’il ne soit âgé de plus de 12 ans, corésidence ou non des parents biologiques des deux conjoints, niveau d'instruction des parents biologiques des deux conjoints, celui de chacun d’entre eux, ethnie de leurs parents biologiques, religion (s) de ces derniers, type d'union qu’ils ont contracté, fratries de chacun des conjoints, issue de l'union des parents de la femme.

La dernière rubrique regroupe les variables socio-économiques. Elles correspondent au niveau de vie de la famille biologique, à la profession de la femme, à celle du conjoint, au nombre de parents à la charge de la famille des deux conjoints.

III.3 - Une présentation succincte des méthodes d’analyse

Trois types d’analyses statistiques ont été menées dans le cadre de cette étude.

L’analyse univariée a été utilisée dans une perspective exploratoire. Elle a ainsi permis de dégager les caractéristiques individuelles des enquêtées et, partant, la structure de l’échantillon selon des variables simples. Pour les variables quantitatives, les premières fréquences issues de l’analyse univariée ont conduit au calcul et à l’examen de certaines caractéristiques de tendance centrale et des indices de dispersion. Des regroupements de modalités ont été également opérés à partir de cette perspective exploratoire. Quant aux variables catégorielles, l’analyse de fréquence et des indices d’entropie a été menée.

Ensuite, l’examen des associations entre variables deux à deux a été effectué grâce à l’analyse bivariée. Des indices de Chi-Deux, de Cramer et des coefficients de Pearson ont servi de repères pour apprécier les associations et leur intensité.

Les analyses univariées et bivariées n’ont pas permis d’extraire des informations relatives aux noyaux familiaux. Il n’a pas été possible non plus, en fonction du profil social de chacun des conjoints, de dégager les caractéristiques des différents types d’unités familiales. De ce fait, après les analyses univariées et bivariées, nous avons procédé à une analyse factorielle de classification. Celle-ci a pour but de regrouper les individus (unités d’observation) en un nombre réduit de classes (groupes) homogènes, de manière à réunir en classe les éléments semblables et à constituer ainsi les classes différentes les unes des autres.

IV - SYNTHESE DES RESULTATS

IV.1 - Structure de la population effectivement enquêtée

L’examen de la structure des femmes enquêtées dénote une forte prédominance des femmes âgées de 25 à 29 ans représentant à elles seules 35,4% de l’échantillon. Viennent ensuite les femmes âgées de 30 à 34 ans (23,9 %) suivies des femmes appartenant aux groupes d’âge 20-24 ans (15,6 %). Les enquêtées âgées de 35-39 ans constituent le dernier groupe d’âge quinquennal dont la proportion atteint les 10 pour cent (14,5 %). Pour les besoins de l’analyse, trois groupes de générations ont été dégagées : les femmes âgées de 15 à 29 ans (51,5 %), celles dont l’âge est compris entre 30 et 39 ans (38,5 %) et enfin les femmes âgées de 40 ans et plus (10,0 %). Nous avons procédé à une telle catégorisation car les trois tranches d’âge dégagées marquent des phases différentes dans la vie génésique de la femme togolaise. En effet, si entre 15 et 29 ans, la grande majorité sinon la totalité des femmes contractent au moins leur première union, la tranche d’âge 30 à 39 ans demeure incontestablement celle où l’activité reproductive de la femme reste la plus intense. Enfin, à partir de la quarantaine, les femmes accèdent à un rang social les autorisant à assumer certaines responsabilités de la communauté habituellement réservées aux hommes.

IV.2 - Le choix du premier conjoint

Etape primordiale dans la vie de la jeune fille, l’entrée en vie conjugale constitue un processus à plusieurs paliers dans lequel sont impliquées les familles des deux conjoints. Aujourd’hui, plusieurs changements apparaissent et remettent en question l’équilibre de l’organisation sociale traditionnelle. De l’avis de Locoh (1993); Kouwonou (1992) et Meekers (1992), les changements enregistrés surtout dans l’établissement de la première union ne sont pas sans incidence sur les comportements relatifs à la reproduction. L’entrée en première union apparaît donc comme un facteur de changements sociaux.

Selon les données de l’enquête APEL, le choix du premier conjoint a été effectué dans 80 % des cas par la femme en accord avec ses parents. Dans 13 % des cas, le choix du conjoint a été entièrement assuré par les parents de la jeune femme. Seules 7 % des femmes de l’échantillon ont effectué le choix de leur premier conjoint sans se concerter avec leurs parents. Malgré les mutations subies par la société, l’examen du choix du premier conjoint témoigne de l’emprise des structures familiales dans la conclusion des unions. La cellule familiale reste donc le cadre idéal de procréation. C’est sous son autorité que les jeunes personnes créent leur unité procréatrice.

IV.3 - L’âge d’entrée en première union

L’entrée en union se fait d’une manière progressive. L’arrivée d’une grossesse est un élément déterminant de ce schéma progressif. Détermine-t-elle la date d’entrée en union ou de remise de la dot ? La période du début de la cohabitation est-elle plus significative ? Il n’est pas aisé de dater cet événement démographique.

L’âge moyen des femmes à l’entrée en première union était de 19,5 ans. En considérant les trois groupes de générations dégagées pour l’analyse, il apparaît que les jeunes femmes se seraient mariées plus jeunes que leurs consoeurs des générations les plus vieilles. L’âge moyen au premier mariage était de 21,2 ans pour les femmes âgées de 45 à 49 ans au moment de l’enquête alors que cet indice est de 17,7 ans pour les enquêtées âgées de 20 à 24 ans. Cet écart traduit sans aucun doute l’expression d’un relâchement social des aînés sur les jeunes filles ; l’entrée en vie conjugale étant difficile à distinguer de l’entrée en vie féconde dans notre milieu. En effet, dans un contexte où la pratique contraceptive est très faible, en entrant plus tôt que leurs consoeurs plus âgées dans la vie sexuelle, les enquêtées des jeunes générations contractent à des âges très précoces leur première grossesse.

Les données de l’enquête APEL ont permis de mettre en évidence l’effet de l’instruction sur l’âge d’entrée en première union. Les filles scolarisées ont beaucoup plus de chance d’échapper au mariage et aux grossesses précoces que les filles moins scolarisées.

L’âge d’entrée en première union augmente avec le niveau d’instruction. Il passe de 19,1 ans chez les femmes n’ayant fait que les cours primaires à 22,3 ans dans le groupe des femmes qui ont pu terminer avec succès les études du second degré. Par contre, les filles non scolarisées et celles n’ayant fait que les études primaires sont logées à la même enseigne. Les normes et valeurs véhiculées par le système scolaire n’incitent donc à prendre du recul par rapport au comportement procréateur traditionnel que si un certain niveau d’étude a été dépassé.

IV.4 - L’écart d’âge des deux conjoints

Les sociétés africaines accordent une importance toute particulière à la hiérarchisation basée sur l’âge. Le droit d’aînesse qui autorise les ainés à avoir une ascendance sur les cadets, en est une des manifestations. Cette hiérarchisation est également respectée dans la constitution de la famille biologique. L’examen des âges des membres des familles biologiques de l’enquête APEL révèle que la quasi-totalité des femmes enquêtées (97,3%) sont moins âgées que leurs maris. L’écart d’âge va de 5 ans à plus de 15 ans. Et qui plus est, la proportion des enquêtées ayant contracté leur union avec leurs ainés de plus de 15 ans est la plus importante. Une enquêtée sur trois se trouve en effet dans cette situation.

Des tentatives d’élucidation de ce décalage entre l’âge au premier mariage des hommes et des femmes ont été faites. Certains analystes trouvent que l’observation de tels écarts est indispensable pour le bon fonctionnement du système matrimonial. Contrairement à la jeune fille, le jeune homme candidat au mariage doit en principe pouvoir se tailler au préalable une situation économique satisfaisante pour pouvoir répondre aux besoins de sa famille. Ceci pousse le jeune homme à contracter tardivement une alliance matrimoniale avec une partenaire moins âgée que lui, les soeurs de la même génération ayant déjà trouvé un mari. Pour d’autres analystes, les raisons physiologiques justifient ces écarts. La femme ayant une période de procréation plus courte que celle de l’homme, il lui revient de trouver dans les meilleurs délais un partenaire et remplir à temps sa mission de génitrice d’enfants. Une dernière catégorie d’analystes place l’organisation sociale calquée sur la hiérarchie de l’âge au centre de l’explication du phénomène. Pour mieux bénéficier des privilèges conférés par le mariage et le droit d’aînesse, l’homme préfère une conjointe moins âgée que lui. De leur côté, les femmes trouvent qu’il est normal d’accepter l’autorité de leurs conjoints.

IV.5 - Situation matrimoniale des enquêtées

La population effectivement enquêtée étant constituée de femmes dont la fécondité est avérée, il ne s’agit pas de l’analyse de l’état matrimonial de l’ensemble des femmes résidant à Lomé. Dans un contexte où c’est le mariage qui donne la légitimité requise à la maternité, toute fille qui est en état de grossesse ou est déjà mère se déclare automatiquement mariée.

Les femmes qui se déclarent célibataires, forment 2,5 % de l’échantillon. On dénombre 94 % de femmes mariées. Interrogées sur la forme d’union qu’elles vivent, 57% déclarent être en régime monogamique et 43 % en union polygame. L’analyse de leur âge moyen suggère que plus la femme est âgée, plus elle a de chance de se retrouver dans une union polygame. Deux hypothèses explicatives peuvent être avancées à ce sujet. Le célibat étant difficile à vivre socialement quand on a dépassé un certain âge, les femmes célibataires auraient tendance à prendre un conjoint quel que soit le statut matrimonial de ce dernier. L’essentiel pour elles, c’est de ne pas l’état matrimonial de ce dernier pour ne pas s’exposer aux virulentes critiques de la société. C’est donc sous la contrainte qu’elles font leur entrée dans des ménages polygames.

La seconde hypothèse s’intéresse à l’option polygamique des unions. On peut penser que la pratique de la polygamie cède du terrain avec les femmes des générations les plus récentes. La faiblesse numérique des ménages polygames résulterait de la précarité économique rendant ainsi difficile l’entretien de plusieurs femmes. Par ailleurs, en ville, la polygamie est perçue comme une pratique traditionnelle. Aussi, est-elle réservée aux couches les moins ² évoluées² de la population.

En somme, avec l’occidentalisation et les difficultés économiques de ces dernières années, la fréquence de la polygamie pourrait connaître une diminution sensible. Mais un changement durable n’interviendra qu’avec une profonde modification de nombreux aspects de l’organisation sociale.

L’analyse des cérémonies constitutives du rite du mariage indique une prédominance des éléments liturgiques inventés par la société traditionnelle : 78 % des unions observées ont été d’abord conclues selon la loi coutumière. Les cérémonies religieuses et/ou civiles ne viennent qu’en ajout dans l’organisation du mariage.

Par ailleurs, on constate une fréquence relativement élevée des unions dites consensuelles. S’agit-il d’un modèle déviant ? Il serait toutefois hâtif de conclure que les 17 % des femmes ayant contracté une union consensuelle au moment de la collecte ne changeront pas de statut au cours de leur vie. On peut faire davantage preuve de prudence dans l’analyse quand on sait que le concubinage est de plus en plus accepté en ville comme une étape transitoire à une union socialement ritualisée.

IV.6 - Fécondité et pratique contraceptive

Le nombre d’enfants nés vivants par femme dans l’échantillon s’élève à 4,1. Des tendances classiques ont été dégagées si l’on considère le niveau d’instruction. La scolarisation influence significativement la parité atteinte par les femmes. Plus le niveau d’instruction de la femme est élevé, plus la parité atteinte est faible.

La procréation au cours d’une année dépend, d’une part de l’effectif de la population en âge de procréer et, d’autre part, du poids des comportements natalistes de la population. En influençant les risques de reproduction, la pratique contraceptive détermine dans une certaine mesure le niveau de la fécondité. Dans l’enquête APEL, le niveau de connaissance des méthodes contraceptives s’élève à 37,5 % alors que seules 4,8 % des enquêtées utilisent une méthode contraceptive. Comme on peut le constater, il existe un écart fort important entre la connaissance et la pratique contraceptive. On peut alors s’interroger sur le concept de connaissance. Dans l’enquête APPEL, il est difficile de dire si la connaissance déclarée est spontanée ou suggérée. Les données analysées se prêtent mal à une telle investigation. L’utilisation différentielle indique encore que les femmes instruites pratiquent le plus la contraception. Par rapport à l’âge, la proportion des jeunes utilisatrices des contraceptifs est relativement plus importante que celle des enquêtées les plus âgées.

IV.7 - Vers une typologie des familles biologiques

Les objectifs visés par la présente étude nous ont amené à considérer les familles biologiques comme unités d’observation. De ce fait, après les résultats des analyses univariées et bivariées, une analyse multivariée visant à élaborer une typologie des familles biologiques a été menée. Il s’agit donc d’identifier ces groupes de couples et d’analyser les stratégies de reproduction qui y sont élaborées.

L’élaboration de la typologie des familles permet d’éclairer les points suivants :

1 - Le fait d'avoir été socialisé dans un milieu urbain favorise chez les conjoints l'affaiblissement du contrôle social "traditionnel" et apparaît comme un stimulant pour l'adoption d'un modèle "moderne" de reproduction. En d'autres termes, plus un couple a été socialisé en ville, plus il a les idées "modernes" et mieux il va dominer son processus de reproduction. Ainsi, le cadre de "nidation sociale" déterminera les comportements en matière de nuptialité et de fécondité des couples.

2 - La scolarisation des parents serait un déterminant dans le choix (ou l'adhésion) de leurs enfants à un modèle de reproduction.

3 - Le fait d'avoir été socialisé dans des conditions similaires confère aux couples une relative ressemblance en matière de normes et valeurs courantes.

Le choix des variables pour l’analyse multivariée implique une démarche minutieuse. Les variables qui caractérisent au mieux l’environnement social dans lequel chacun des conjoints a été ² moulé² se révèlent plus pertinentes pour atteindre les objectifs fixés par l’analyse multivariée. D’abord il faut construire les unités familiales avant de passer à l’analyse factorielle de classification qui a été retenue pour élaborer la typologie.

Les cinq variables qui ont permis de reconstituer les familles biologiques sont le milieu de socialisation de la femme, celui de son conjoint, le statut matrimonial de chacun d’entre eux, leur situation résidentielle et leur niveau de scolarisation. Leur combinaison a permis de dégager trois variables synthétiques. Il s’agit de la variable CORSCPLE qui rend compte du type de l’union et de l’arrangement résidentiel des conjoints, celle dite SOCIACPL et renseignant sur l’environnement dans lequel les conjoints ont été socialisés et, enfin, la variable EDUCACPL qui saisit le niveau d’instruction des deux conjoints. Ces 3 variables édifient sur différents aspects de la problématique.

C’est à travers la socialisation que l'individu fait ses "armes" pour la vie. A ce titre, la combinaison du milieu social de chacun des conjoints peut aider à comprendre les stratégies développées sur le "marché matrimonial". Notre étude prend en compte le contexte de socialisation comprend les caractéristiques de chacun des conjoints et de celles du milieu où les conjoints ont vécu jusqu'à l'âge de 12 ans. Les variables telles que l'ethnie et la religion peuvent être également considérées comme d'autres indicateurs de socialisation. Mais les résultats issus des analyses univariées et bivariées nous suggèrent de les exclure pour ne pas alourdir inutilement l’analyse de classification.

Le régime matrimonial peut être un facteur de différentiation entre les unités conjugales constituées. En ville, se trouve la fraction de population la plus instruite et la plus touchée aussi par les modèles "modernes" de la vie familiale. La distinction entre "unité familiale monogame" et "unité familiale polygame" traduit le degré de réception du modèle occidental d'un groupe de familles à un autre. La pratique de la polygamie étant conforme à une vieille tradition, le fait d'opter pour une union polygame peut témoigner de la place faite aux valeurs traditionnelles. Enfin, en combinant le régime d'union avec la situation résidentielle par exemple, on peut éventuellement dégager la manière dont les unions polygames surtout sont vécues dans les milieux urbains. Cette combinaison peut nous permettre aussi de déceler les difficultés d’insertion qui se posent à certains couples.

La co-résidence ou non des conjoints aide à cerner la structure de l'unité conjugale concernée. Dans un système de filiation patrilinéaire, la non corésidence des conjoints peut être interprétée comme un élément de changement social. Selon Délaunay (1989), en jouant sur la diversité des situations de résidence pour réaliser de nouvelles formes d'unions, la nouvelle organisation sociale minimise les tensions entre la culture héritée du lignage et la culture urbaine, crée ainsi des types de ménages propres à la nouvelle culture des villes africaines.

La scolarisation des deux conjoints a également été prise en compte dans la reconstitution des familles conjugales. En véhiculant un ensemble de valeurs occidentales, l'école provoque une modification de certaines pratiques culturelles, normes et valeurs qui marquent l'individu. La scolarisation joue ainsi un rôle important dans l'intégration au monde urbain et constitue un élément de desserrement des contraintes du système traditionnel.

Les unités conjugales étant constituées, des indicateurs ont été calculés pour chaque cellule familiale. Ces indicateurs relèvent des domaines suivants : la structure par âge des conjoints, le niveau d’instruction des parents des deux conjoints, leur histoire matrimoniale, leur fécondité, leur pratique contraceptive et leur niveau de vie.

L’analyse de la matrice de corrélation des variables sélectionnées a permis d’instruire davantage la problématique envisagée. Ceci nous a permis, dans l’analyse des variables relatives à la vie matrimoniale des enquêtées et de celle de leur mère, de nous rendre compte que les jeunes filles subissent généralement l’influence de leurs mères dans le choix et la façon de mener leur vie de couple. Les épouses dont la mère a vécu dans une union monogame contractent, au cours de leur vie, moins d’unions polygames que la moyenne de tout l'échantillon. Ce résultat permet de dire que les femmes ayant connu une vie matrimoniale "stable" incitent leurs filles à faire autant. Les analyses univariées et bivariées se sont révélées muettes à propos de cette interférence.

En ce qui concerne les unions informelles, il ressort des liaisons établies que, ceteris paribus, les femmes dont les parents sont instruits sont plus nombreuses à vivre ce type d'union que leurs homologues dont les parents analphabètes. Faut-il en déduire que les enquêtées dont les parents n'ont pas été à l'école sont davantage soumises aux traditions ?

En ce qui concerne la pratique contraceptive, l'effet de la scolarisation s'est avéré plus ou moins significatif dans le cas où les parents de la femme sont instruits. Les femmes dont les parents sont instruits sont celles qui affichent une volonté manifeste pour l'utilisation des contraceptifs modernes. Ce résultat traduit peut-être la reproduction du schéma social. En effet, la pratique contraceptive étant plus intense dans les couches sociales instruites, on peut penser que les parents instruits étaient aussi contracepteurs et ont eu alors à initier leurs filles à cette pratique.

Le fait pour la femme d'avoir des parents non instruits se trouve positivement lié à un écart d'âge entre conjoints évalué à 15 ans et plus. Faut-il en déduire que les femmes des couches sociales les plus "défavorisées" se démarquent difficilement de la norme traditionnelle ?

Quant à l'effet de la scolarisation des parents sur la fécondité de leurs enfants, il apparaît que les femmes dont les parents sont instruits ont un niveau de fécondité nettement inférieur à celui des femmes dont les parents n'ont pas été à l'école.

Soumis à l’analyse de classification agglomérative de Ward, l’univers des familles biologiques constituées a été fusionnée en 7 grands groupes. L’examen de la partition en 6 ou en 8 groupes laisse croire que la réduction de l’espace initial en 7 groupes apparaît comme un regroupement optimal. Ce regroupement optimal permet de conserver 52 % de la variance initiale. Le processus de regroupement de l’univers se trouve résumé par la figure n° 1.

IV.8 - Interprétation des types de familles biologiques dégagées

La constitution des sept groupes retenus s'appuie essentiellement sur la ressemblance ou non des critères de socialisation, de scolarisation et du statut de résidence des deux conjoints. En considérant séparément les variables "socialisation" et "scolarisation" des individus, nous n'avons pas pu mettre en évidence un comportement différentiel face à l'adoption du type d'union (union monogame, union polygame). Il faut alors chercher ailleurs les variables qui guident les conjoints à vivre en union monogame ou polygame. La structure de la partition se présente comme suit :

groupe 1 :dans ce groupe de familles, les deux conjoints sont instruits et cohabitent ; un d’entre eux au moins a été socialisé en ville;

groupe 2 :la caractéristique dominante des familles biologiques de ce groupe demeure l’analphabétisme des épouses;

groupe 3 :les conjoints de ce groupe ont fréquenté tous deux l’école, contracté des unions monogames et les conjoints ne vivent pas sous le même toit;

groupe 4 :ici les maris sont instruits et ont été socialisés tous en milieu urbain. Les familles biologiques de ce groupe se caractérisent aussi par la non corésidence des conjoints;

groupe 5 :il s’agit de maris majoritairement instruits et qui ne partagent pas le même logement que leur épouse;

groupe 6 :la caractéristique principale réside dans l’option polygame des unions. Les conjoints sont en général non instruits;

groupe 7 :Il s’agit des conjoints tous instruits et qui cohabitent.

Pour des raisons d’interprétation, nous avons essayé de reclasser les sept groupes dégagés par l’analyse de classification en grandes catégories selon les caractéristiques d’ensemble. Dans cette reconstitution, nous allons adopter une graduation des unités familiales les plus modernes aux plus traditionnelles. Nous distinguons alors les quatre grandes catégories relativement dichotomiques qui suivent.

La catégorie 1 est formée par les familles biologiques des groupes n° 1, 6 et 7. Il paraît peut-être abusif de mettre le groupe n° 6 dans cette catégorie, mais nous avons surtout privilégié ici les arrangements résidentiels des conjoints. Cette catégorie regroupe les types d'unités familiales les plus favorisées, celles dont les deux conjoints sont généralement instruits, habitent ensemble et ont été majoritairement socialisés tous en ville. Nous allons les appeler unités familiales très modernes.

La catégorie 2 se compose essentiellement de conjoints instruits. Toutes les familles du groupe n° 3 y sont rassemblées, c’est-à-dire unités familiales où la monogamie est de règle. Les conjoints ont des résidences séparées. Nous sommes en présence d’un autre type d’unité familiale moderne.

La catégorie 3 regroupe les familles biologiques des groupes n° 4 et 5. Les conjoints n'habitent pas ensemble. Les épouses sont analphabètes alors que les époux ont fréquenté l'école. La socialisation des conjoints a été en outre assumée pour la plupart en milieu urbain. Il s'agit d’un type d’unité familiale traditionnelle urbaine.

La catégorie 4 est constituée du groupe n° 2. En dehors de la non scolarisation des épouses, on ne dégage aucune prédominance effective. Il s'agit de couples plus diversifiés. Le milieu rural a servi de cadre pour "mouler" un nombre relativement important des individus statistiques de cette catégorie. Nous allons les nommer en utilisant le terme d'unité familiale traditionnelle rurale.

Le milieu dans lequel l'individu a été socialisé apparaît bien comme l'une des variables qui détermine la constitution des cellules de base dans la société. En somme, si on se conforme à la catégorisation que nous venons de faire, la liste des variables retenues pour l’élaboration d’une typologie de couples se justifie bien. Toutefois, ne serait-il pas prétentieux d'affirmer que les variables sélectionnées épuisent toute la substance des structures sociales construites ?

L'examen des caractéristiques des types d'unités familiales révèle que la constitution des couples est généralement fondée sur des considérations relatives aux conditions dans lesquelles chacun des partenaires a été socialisé ainsi qu'à la classe sociale à laquelle il appartient. Des règlements régissent alors le "marché matrimonial" et il importe de comprendre ces principes pour mieux expliquer les comportements procréateurs.

Après avoir dégagé les différents groupes, il faut par la suite examiner les stratégies de reproduction qui s'élaborent au sein de ceux-ci. Les moyennes intra-groupes de certaines des variables retenues dans l’élaboration de la typologie des familles biologiques serviront de base pour cet examen (cf. tableau n° 1). De l'analyse des données de ce tableau, se dégagent certains résultats dont les plus significatifs se résument comme suit :

- les unités familiales où le mari a été socialisé en ville et a fréquenté l'école sont celles qui hésitent davantage à "légaliser" leur union par une des cérémonies reconnues par la société. En effet, dans le groupe 4, la proportion de conjoints vivant en unions dites consensuelles s'élève à 77 % contre 16 % pour le groupe 2 où toutes les épouses et un nombre relativement important des maris n'ont pas eu la chance d'aller à l'école.

- C'est dans les unités familiales très modernes (catégorie 1) qu’on note la plus forte propension à conclure l'union par le biais des cérémonies coutumière, civile et religieuse;

- les conjoints vivant une union consensuelle ne cohabitent pas. Les proportions les plus importantes des unités familiales constituées ont été recensées dans les catégories 2 et 3 où les conjoints n'habitent pas ensemble. S’agit-il de jeunes couples qui ne sont pas encore installés?

- Le milieu de socialisation de la femme et le niveau d’instruction de cette dernière ne constituent pas des critères discriminants au sujet de la mobilité conjugale. Dans toutes les catégories, on note un comportement relativement homogène au sujet de la mobilité conjugale des femmes. Quelle que soit la catégorie de familles biologiques, le nombre moyen d'union contracté par les femmes va de 1,14 à 1,31. Il faut peut-être y voir le conditionnement de toute la société. En effet, si la société togolaise accepte un remariage de la femme après un premier divorce, elle demeure cependant réticente à tout établissement de troisième ou la quatrième union matrimoniale pour celle-ci.

- L’examen des catégories 1 et 3 montre que les conjoints socialisés en milieu urbain n’adoptent pas nécessairement les mêmes stratégies de reproduction. On peut en déduire que le fait d'avoir été socialisé dans les conditions similaires ne confère pas toujours aux individus les mêmes façons d’agir, de penser et d'être.

- L'effet de la scolarisation sur l'utilisation des méthodes contraceptives modernes demeure un acquis. Les données du tableau n° 1 montrent bien que la prévalence contraceptive est plus élevée dans les unités familiales où les deux conjoints sont instruits (catégories n° 1 et 3). La scolarisation motive davantage les noyaux familiaux à opter pour une méthode contraceptive moderne.

- Le niveau de la prévalence contraceptive est nettement plus important dans les unités familiales très modernes. Par ailleurs, les résultats issus de l'analyse indiquent qu’il ne suffit pas que les maris soient instruits pour que les idées "modernes" soient véhiculées et acceptées dans les habitudes quotidiennes des couples. La différence entre la pratique contraceptive dans les groupes GRPE5 et GRPE3 illustre bien cette thèse.

- Les femmes analphabètes ont une propension plus élevée que la moyenne de l'échantillon à s'unir avec leurs ainés de 15 ans et plus. Et comme corollaire, les unités familiales où les deux conjoints sont instruits privilégient un écart d'âge relativement faible entre partenaires.

 

Tableau n° 1 : Moyenne intra-groupes des variables retenues pourl'analyse

LES VARIABLES

LES GROUPES RETENUS

ENSEMBLE

 

GRPE1

GRPE2

GRPE3

GRPE4

GRPE5

GRPE6

GRPE7

 

COCIVREL

7,84

6,41

2,56

3,92

0,79

0,00

14,45

6,16

CONSENS

32,22

16,03

68,84

76,69

49,55

100,00

7,66

32,74

UNIOMOY

1,19

1,16

1,14

1,22

1,29

1,31

1,19

1,20

UTILISE

19,94

9,56

22,54

4,00

3,33

20,00

18,62

12,29

AGEMOIN1

37,52

23,96

49,67

44,33

32,21

15,79

19,57

30,26

AGEMOIN2

35,67

32,93

38,15

24,24

41,06

31,58

34,60

34,47

AGEMOIN3

14,84

19,31

9,01

22,21

12,46

31,58

30,42

18,42

AGEMOIN4

11,98

23,79

3,16

9,22

14,28

21,05

15,41

16,85

ILLETTRE

33,01

82,81

14,04

23,63

66,69

100,00

67,35

60,75

Source : Enquête Arrivée du Prochain Enfant à Lomé, 1984

Description des données du tableau n° 1 :

*AGEMOIN1 : :pourcentage d'unités familiales dont le mari est âgé de moins de cinq ans que sa femme.

*AGEMOIN2 : pourcentage d'unités familiales dont l'écart d'âge entre conjoints se situe entre 5 et 9 ans.

*AGEMOIN3 : pourcentage d'unités familiales dont l'écart d'âge entre conjoints se situe entre 10 et 14 an.

*AGEMOIN4: pourcentage d'unités familiales dont le mari est âgé de 15 ans et plus que son épouse.

*COCIVREL : pourcentage d'unités familiales dont le mariage a été sanctionné par une cérémonie coutumière, une cérémonie civile et une cérémonie religieuse.

*CONSENS : pourcentage d'unités familiales en union consensuelle.

*UNIOMOY : nombre moyen d'unions par femme .

*UTILISE : pourcentage d'unités familiales où la femme pratique une méthode contraceptive moderne.

A la fin de cette tentative de typologie, on peut se demander si les données dont nous disposons se prêtent bien à l'analyse envisagée dans cette partie. Certains résultats déjà obtenus se trouvent confirmés par la prise en compte simultanée des variables analysées ailleurs et de façon séparée. L'approche utilisée dans cette partie de l’étude nous a suffisamment renseigné sur l'influence de l'environnement familial sur le comportement procréateur de l'individu. Ainsi, on est en mesure de dire, avec certitude, que les différents groupes se conforment à des stratégies spécifiques qui les différencient les uns des autres.

Par ailleurs, la demarche adoptée ici nous permet de confirmer l’existence de l’influence de la famille des deux conjoints dans l’élaboration des stratégies de reproduction de ces derniers comme le montre le schéma explicatif que nous avons pu dégager (cf. Figure.n° 2).

CONCLUSION GENERALE

Dans le souci de mieux rendre compte des mécanismes par lesquels le conditionnement social influence les stratégies de reproduction, l’étude "Unités familiales et stratégies de reproduction à Lomé" présente l'avantage de "plonger" chaque conjoint dans l'environnement familial où il a fait ses "armes" pour la vie. Cette approche tire sa justification du fait que les caractéristiques socio-démographiques des conjoints d'aujourd'hui relèvent des conditions qui ont prévalu hier et du type de socialisation dont ils ont été l’objet au cours d'une période de leur vie. En fait, par cette approche, nous avons essayé d'améliorer la connaissance de l'influence de l'environnement familial sur le comportement procréateur de l'individu ou plutôt de la famille biologique.

En Afrique, le processus d'entrée en union et la vie conjugale ont été reconnus comme des éléments dont la gestion relève de toute la communauté. C'est ainsi que des mutations dans les manières de contracter des unions sont des indices qui permettent d'évaluer les transformations affectant l'ensemble du système social.

Dans ce continent, comme dans beaucoup d'autres sociétés des pays en développement, les structures familiales constituent un pilier incontournable dans l'élaboration des stratégies de reproduction. A cet égard, elles sont donc au coeur des comportements procréateurs. Mais tout en gardant l'essentiel des responsabilités qui lui ont été toujours dédiées, l'organisation sociale se trouve ébranlée. D’où l’apparition de pratiques qui bouleversent l'ordre préétabli. On peut évoquer à ce propos la proportion de plus en plus importante de couples vivant en union dite consensuelle. D'autres pratiques, notamment la polygamie, résistent fortement à l'influence du modèle occidental. Basée sur un ensemble de normes et de valeurs, ce régime matrimonial perdure au village comme en ville. Selon plusieurs observateurs, cette persistance résulte du fonctionnement du marché matrimonial dans les sociétés ouest africaines (le remariage systématique des femmes après une rupture d'union, la période d'abstinence relativement longue, le fait que le célibat n'est plus toléré à partir d'un certain âge,...).

La constitution des couples se fait selon des règles tenant compte surtout des conditions sociales de chacun des conjoints. Le "marché matrimonial" est ainsi régi par des "lois" qu'il faut bien comprendre pour mieux expliquer les différentes stratégies individuelles et collectives en matière de procréation. C’est ainsi qu’en combinant le milieu de socialisation et le niveau de scolarisation des conjoints, l’analyse a permis de dégager quatre grands groupes d’unités familiales. Chaque groupe d’unités familiales élabore de stratégies spécifiques de reproduction. Les conjoints (tous deux) instruits sont les plus enclins à conclure leurs unions par une cérémonie coutumière, une cérémonie civile et une cérémonie religieuse. Par contre, dans les groupes de familles où seul le mari a été à l’école et a passé au moins ses douze premières années de vie en ville, les unions dites consensuelles représentent une proportion relativement importante. En outre, ces formes d’alliance sont doublées de la non corésidence des conjoints. S’agit-il des couples qui sont au début de leur vie nuptiale ?

Malgré les efforts consentis ici et là par les institutions de planification familiale, l'utilisation des méthodes modernes de contraception ne mobilise qu'une petite frange de la population, même dans les agglomérations urbaines. Il a été observé que le niveau d'instruction des parents joue un rôle important dans l'utilisation des contraceptifs modernes. Au sein des différentes unités familiales, il apparaît clairement que le niveau de la prévalence contraceptive est de loin plus important dans les couches sociales où les deux conjoints ont été scolarisés. En fait, la scolarisation influence beaucoup les comportements individuels. Ainsi, ce sont les femmes non scolarisées qui sont davantage soumises aux traditions. Le nombre moyen de naissances vivantes par femme est également influencé par le niveau d'instruction de cette dernière.

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