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Reports from
Union of African Population Studies / L'Union pour l'Etude de la Population Africaine
Num. 27, 1997
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L'INTRODUCTION DE L'ELEVAGE BOVIN CHEZ LES TAGBANA (SENOUFO DU SUD)DE LA COTE D'IVOIRE
Union for African Population Studies, Rapport d'etude
/ Study Report, Numéro/Number 27, 1997
PROGRAMME DE PETITES SUBVENTIONS POUR LA RECHERCHE EN POPULATION
ET DEVELOPPEMENT
L'INTRODUCTION DE L'ELEVAGE
BOVIN CHEZ LES TAGBANA (SENOUFO DU SUD)DE LA COTE D'IVOIRE
Agnissan Assi Aubin
Etudiant, Doctorat 3e Cycle Sociologie, Université d'Abidjan,
Côte
d'Ivoire
Code Number: uaps97027
TABLE
DES MATIERES
Liste
des tableaux
Liste des cartes
PREMIERE PARTIE : INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I - CADRE THEORIQUE
1. Justification du thème
2. Revue critique de la littérature
3. Problématique
4. Hypothèses de recherche
5. Objectits de la recherche
CHAPITRE II - CADRE METHODOLOGIQUE
1. Délimitation du champ d'investigation
1.1. Identification des unités d'observation géographique
1.2. Identification des unités d'observation population
2. Techniques et procédures de collecte des données
2.1. La recherche documentaire
2.2. L'observation directe
2.3. Les entretiens semi-directs
3.Méthodes d'analyse
3.1. Méthode d'analyse stratégique
3.2. Justification du choix de la méthode d'analyse stratégique
DEUXIEME PARTIE : ENJEUX - CONTRAINTES ET OPPORTUNITES DE L'ELEVAGE BOVIN DANS
L'ESPACE
AGBANA
CHAPITRE III - LE PAYSAGE ECOLOGIQUE TAGBANA
1. Situation géographique
2. Climat et hydrographie
3. Sol et végétation
CHAPITRE IV - LE PAYSAGE DEMOGRAPHIQUE TAGBANA
1. Populations
2. Structure ethnique
CHAPITRE V - APPROCHE SOCIOLOGIQUE DU PAYSAGE PLURIETHNIQUE TAGBANA
1. Société et économie Tagbana
1.1. Le paysage socio-culturel traditionnel tagbana
I.1.1. La religion : substrat fédérateur de la vie sociale
I.1.2. La représentation sociale de l'espace en pays sénoufo
1.2. L'organisation socio-politique tagbana
1.3. Le paysan socio-économique tagbana
1.3.1. Le régime foncier tagbana
1.3.2. Le système agraire tagbana
1.4. La situation de l'élevage bovin dans la région tagbana
1.4.1. L'environnement humain pour l'élevage bovin
CHAPITRE VI - DEVELOPPEMENT PASTORAL ET FACTEURS LIMITANTS
1. Contraintes naturelles au développement de l'élevage
1-1. Les aléas climatiques et écologiques
1-2. Les contraintes humaines et démographiques
2. Contraintes sanitaires au développement
3. Enjeux et contraintes socio-économiques
3.1 Enjeux et contraintes à l'échelle de la production
3.1.1. Faiblesse des revenus des populations locales
3.1.2. Une politique de crédit inadaptée
3.1.3. L'espace foncier : enjeu socio-économique et juridique
3.1.4. Dégâts de cultures et vols de bétail : sources
d'incidences économiques et d'animosités
3.2. Enjeux et contraintes à l'échelle de commercialisation
3.2.1. Circuit de commercialisation inorganisé et non opérationnel
3.2.2. Impact négatif des importations de bétail /viande
sur la production locale
4. Enjeux et contraintes socio-culturels et religieux
4.1. Les pesanteurs socio-culturelles relatives à l'espace
4.2. L'impact psycho-social de la transhumance bovine.
4.3. Conflits agriculteurs-éleveurs : crise réactionnelle..
4.4. Représentation sociale de l'élevage comme trait d'identité culturelle
et ethnique
CHAPITRE VII - DEVELOPPEMENT PASTORAL ET FACTEURS D'APPUI
1. Configuration géographique plurielle de l'élevage bovin
2. Diversité bioclimatique et dynamique pastorale-plurielle
3. Culture urbaine et dynamique pastorale
4. Mutations des techniques culturales : la traction animale révélatrice
de matrices d'ouvertyre à la dynamique pastorale
CONCLUSION GENERALE
A Mise au point méthodologique
B Recommandations et perspectives
BIBLIOGRAPHIE
LISTE
DES TABLEAUX
Tableau
N° 1 :Identification des zones denquête
Tableau N° 2:Structure démographique de la région Tagbana
Tableau N° 3 :Répartition de la population par densité brute
rurale et taux durbanisation
Tableau N° 4 :Evolution du cheptel bovin sédentaire
Tableau N° 5 :Répartition du cheptel bovin par type délevage
et type délevage
Tableau N° 6 :Densités bovines par localité et type délevage
Tableau N° 7:Situation de lélevage bovin par niveau délevage
LISTE
DES CARTES
Carte
N° 1 :Localisation du pays Tagbana en Côte dIvoire
Carte N° 2 :Département et sous-préfectures de Katiola
Carte N° 3 :Les types de climats
Carte N° 4 :Végétation et hydrographie
Carte N° 5 :Taux durbanisation et densités brute et rurale
Carte N° 6 :Densité bovine par système délevage
Carte N° 7 :Taux durbanisation et densité bovine
Carte N° 8 :Densité brute et rurale et densité bovine
PREMIERE
PARTIE
CONTEXTE
DE L'ETUDE
En
Afrique noire, l'élevage revêt une importance et une signification
plurielles. Pour l'Africain, le troupeau ne constitue pas seement une valeur
d'échange, mais aussi d'usage. Il lui confère une marque de
statut social et une valeur liturgique.
En
modifier le sens et les bases de fonctionnement peut engendrer une crise
dans les groupes sociaux où l'élevage n'est pas une tradition économique
et où les systèmes de production agricole ignorent l'élevage
bovin ou le pratiquent de façon marginale. C'est le cas de la société Tagbana
de la Côte d'Ivoire.
Le
développement de l'élevage représente donc dans cette
société un modèle exogène qui appelle des bouleversements
des modes de vie, de l'ordre traditionnel et de recomposition sociale. Il
nécessite un éclairage de l'anthropologie appliquée,
science de la planification rationnelle du changement.
Mais
quelles sont les raisons essentielles qui ont milité en faveur du
choix du présent thème de recherche ?
CHAPITRE
I
CADRE
THEORIQUE
Le
cadre théorique de l'étude s'articule autour des motivations
réelles qui militent en faveur de la réalisation de cette recherche,
la lecture critique de la littérature relative au sujet, la problématique,
les hypothèses et les objectifs qui l'orientent.
1.
Justification du thème
Les
raisons qui justifient cette recherche proviennent d'un ensemble de constats.
La communauté rurale Tagbana a connu de nombreuses mutations du fait
de la colonisation et, ensuite, de l'effet de plusieurs actions "dites" de
développement conduites dans son territoire. Ces mutations qui sont
très profondes profondes ont affecté les leviers par lequels
se fait jusque-là l'insertion des individus dans le tissu social,
politique et idéologique.
La
communauté rurale Tagbana est donc une société engagée
dans un processus général de fragmentation de ses structures
et de bouleversement de ses conditions matérielles d'existence et
de ses représentations. Mais ces changements s'affaiblissent de plus
en plus du fait la crise généralisée : problèmes
de population, ébranlement des valeurs autochtones, famine, sécheresse,
exode rural, paupérisation des populations paysannes du fait de la
mévente des principales cultures de rente (coton, canne à sucre,
soja...) sur le marché international et du programme d'ajustement
structurel.
C'est
dans un tel environnement de raréfaction des ressources et de mal-vivre
que l'Etat ivoirien, dans sa politique de développement rural, encourage
la promotion de l'élevage bovin et la vulgarisation de la culture
attelée. Présentée comme une panacée et une alternative
pour la communauté rurale Tagbana, ce projet officiel vise non seulement à sauvegarder
les sources d'approvisionnement des villes en produits agricoles, à réduire
l'hémorragie financière due aux importations de viande, mais
aussi et surtout à asseoir le bien-être du monde rural par une
diversification des appareils et secteurs de production. Mais, malgré l'intérêt
que représente le développement de l'élevage bovin,
au regard de ses multiples avantages, les populations rurales Tagbana (cibles
dudit projet) n'ont pas répondu à l'attente de l'Etat et des "développeurs",
laquelle consiste à faire d'elles de véritables éleveurs
ou agriculteurs/éleveurs.
En
plus de l'indifférence totale d'une frange importante de cette communauté,
le projet de développement de l'élevage bovin dans a engendré de
nouveaux conflits et attisé les anciens antagonismes centrés
autour des questions foncières, de la sécurité des cultures
et des logiques des différents partenaires (populations Tagbana/ Peul/Malinké/Etat).
Ce
sont donc autant de situations positives, d'incohérence structurelle,
" d'agression
sociologique " du milieu Tagbana qui légitiment l'intérêt
de cette étude.
2.
Revue critique de la littérature
Les
problèmes de développement rural en général,
et de développement agro-pastoral en particulier, ont fait l'objet
d'une abondante littérature. Il serait donc prétentieux dans
le cadre de cette étude d'en faire une lecture critique détaillée.
Aussi, le corpus d'ouvrages qui feront ici l'objet d'un examen critique,
ne prétend-t-il pas être exhaustif, ni à fortiori statistiquement
représentatif de l'énorme documentation produite sur le sujet.
Il
est néanmoins possible de dégager les thèses fondamentales
en la matière. Certains auteurs s'opposent à la prise en compte
des valeurs traditionnelles dans les actions dites développantes tandis
que d'autres exigent leur réhabilitation pour en faire les fondements
de toute politique de développement. Par rapport à ces deux
tendances, se dessine une voie médiane qui préconise un dosage
de tradition et de modernité, de valeurs exogènes et endogènes.
Parmi
les défenseurs de la première thèse, on retrouve Albert
Meister. Dans son ouvrage L'Afrique peut-elle partir ?, il considère
que toute politique de développement qui s'articule et se fonde sur
les valeurs traditionnelles du monde rural est quasiment vouée à l'échec.
Pour lui, la réussite passe nécessairement par la mise en oeuvre
d'..... provoquée et d'incitation extérieure. En outre, il
ne cache pas ses inquiétudes en direction de ceux qu'il appelle traditionalistes,
parce que continuant de croire à l'opérationnalité des
valeurs et des savoir-faire autochtones en s'évertuant à démontrer
leur inopérationalité, il se fait l'avocat passioné de
la tabula rasa.
Cette
caractérisation est valable pour A. Gosselin. Dans son ouvrage Développement
et tradition dans les sociétés rurales africaines, il remet
en cause la capacité des structures anciennes à impulser toute
dynamique de développement et clame que celles-là constituent
des obstacles pour celle-ci. D'où la nécessité de leur
disparition. Cette lecture qui fait de la tabula rasa la condition sine
qua non de la réussite de toute politique de développement
rural, ne fait pas l'unanimité. Des auteurs tels que Guy Belloncle,
Robert Chambers et bien d'autres encore, pensent que toute tentative d'encrage
du développement par la transposition des valeurs d'une société (aussi
techniquement avancée qu'elle soit) à une autre est illégitime.
Belloncle (1979) pense que le développement véritable n'est
possible que s'il se fonde sur les structures traditionnelles, les potentialités
et les compétences locales.
Mais
ce discours de réhabilitation des valeurs traditionnelles comporte
un risque pour les avocats de la thèse du développement endogène,
celui de tomber dans une certaine idéalisation de la tradition et
de forger, par voie de conséquence, des clichés et des visions
stéréotypées des communautés rurales. L'observation
s'applique à Robert Chambers, un des principaux tenants du courant
populisme développement. Pour ce dernier, il est temps de placer enfin
les "pauvres", les "oubliés" au centre du développement rural.
Pour ce faire, il propose d'opérer un certain nombre de "renversements" dans
les attitudes, les recherches et les politiques de développement.
Ce renversement de perspective exige que l'on parte désormais "d'en
bas" (le peuple) au lieu "d'en haut" (les institutions, les bureaucrates,
la science...) et conduit cet auteur à sommer les acteurs de celles-ci à se
mettre à l'écoute des paysans, des femmes, considérés
comme les "oubliés" du développement. Ce faisant, Chambers
exprime une attitude fondée davantage sur la sympathie que sur la
scientificité envers le monde paysan le "peuple" qu'il découvre
et convertit en cause sociale, morale et intellectuelle.
Dans
la tendance synthétique des deux thèses précédentes,
le développement est considéré comme la résultante
d'un processus combinatoire de facteurs endogènes et de facteurs exogènes,
d'un alliage entre tradition et modernité. Cette approche dialectique
entre valeurs anciennes et valeurs modernes est celle des anthropologues "dynamistes".
G. Ballandier demeure l'un de ses plus célèbres partisans.
Cet auteur ((a) 1971: 33) considère que le changement social, dont
le développement est une forme particulière, procède
d'une double dynamique : la "dynamique du dedans" et "celle du dehors". Guy
Rocher résume cette vision en disant que le développement est
un effet conjugué de facteurs internes et de facteurs externes.
Cette
volonté manifeste de prise en considération désormais
des stratégies et des logiques des populations locales (dynamique
du dedans) et celles des développeurs (dynamique du dehors) fait,
non seulement, suite aux échecs tant des idéologies classiques
que des modèles technicistes de développement, mais aussi à la
contribution de plus en plus requise des sciences sociales à la découverte
de la rationalité "implicite" des sociétés rurales et,
par conséquent, à une (ré) habilitation de la dimension
culturelle du développement. C'est à cette dernière
tâche que se sont attelés Sanchez-Arnau et Desjeux (1994).
Même
si les auteurs expliquent les échecs des projets de développement
par un refus, un oubli de prendre en compte la culture par les politiques
d'intervention ainsi mises en oeuvre, ils ne nomment cependant pas la ou
les cultures dont il est question et ne disent pas de quelle manière
elle(s) aurai(en)t pu donner de meilleurs résultats. "Prendre en compte
la culture : oui, mais comment ? L'on sait depuis au moins une quarantaine
d'années qu'il faut prendre en compte la culture dans le processus
de développement". Mais ce qu'on ne sait pas, c'est comment la prendre
en compte scientifiquement (méthodes et données), comment les
peuples des pays en développement peuvent-ils la mettre à contribution
pour améliorer leurs conditions de vie ou encore comment les sciences
sociales (sociologie, anthropologie, etc.) peuvent-elles être d'une
aide pratique ? Pourquoi l'accumulation centenaire d'études sur les
cultures n'a pas donné naissance à des théories bien
développées, des directives pratiques et des liens interprofessionnels
entre détenteurs de savoirs intellectuels et décideurs politiques
?
Les
thèses passées en revue, en s'attachant à établir
le lien entre développement et culture, ont occulté une des
matrices essentielles du développement, l'environnement socio culturel
qui enveloppe également la donnée écologique, facteur
essentiel en politique de promotion du monde rural.
C'est
donc cette autre dimension importante du développement, occultée
le plus souvent par les théoriciens et praticiens du développement
que met en exergue Ignacy Sachs (1980).
Le
fait environnemental est pris en compte dans les modèles d'analyse
d'auteurs comme Sachs (1980), Maurice Strong qui a lancé en 1972 le
concept d'éco-développement et a été le secrétaire
général de la conférence de Stockholm sur l'environnement.
Avec ce concept qui traduit "une stratégie de développement,
fondée sur l'utilisation judicieuse des ressources locales et du savoir
faire paysan applicable aux zones rurales isolées du tiers monde" (Sachs
1980:11), la vision du développement insiste sur la nécessité d'aider
les populations à s'éduquer et à s'organiser en vue
d'une mise en valeur des ressources spécifiques de chaque écosystème
pour la satisfaction de leurs besoins fondamentaux.
De
ce fait, l'éco-développement se veut un outil de prospection
et d'exploration des options possibles d'une voie d'auto-développement
qui se soumet à la logique des besoins de la population entière
et non à celle de la production érigée en fin en soi.
Cette option intègre le fait écologique en vue de rétablir
l'harmonie entre l'homme et la nature. L'enjeu de l'approche du développement
endogène serait alors de trouver des modalités et des usages
de la croissance qui rendent compatibles le progrès social et la gestion
saine des ressources du milieu.
L'originalité de
la théorie de l'éco-développement de Sachs trouve son
expression dans une certaine valeur heuristique, celle-là même
qui incite à repenser d'emblée les stratégies du développement
des pays riches et des pays pauvres et les modalités de leur coopération.
En d'autres termes, l'auteur invite à reconnaître que la crise
du développement est un phénomène mondial. Une telle
reconnaissance ne dispense pas de prendre en compte la diversité des
situations, la pluralité des valeurs et, par conséquent, la
multiplicité des solutions souhaitables et possibles et leur variabilité induite
par la fonction des lieux, le poids du passé, les conditions écologiques, économiques,
sociales et les systèmes politiques.
En
terme de stratégie concrète de transition du "mal développement" au
développement, Sachs articule ses propositions autour de cinq points.
-
la reconversion partielle des industries existantes vers la production de
produits conçus pour la satisfaction des besoins sociaux, identifiés
en concertation avec les intéressés (les consommateurs et les
producteurs représentés par la base syndicale) ;
-
l'harmonisation des objectifs sociaux et économiques avec la gestion
prudente des ressources et de l'environnement ; ce qui nécessite la
redéfinition des politiques en matière d'occupation des sols,
d'économie d'énergie, de promotion de nouvelles ressources énergétiques
nouvelles, de substitution et recyclage de produits finis, enfin de mise
au point et d'application des techniques appropriées aux contextes
sociaux, économiques et écologiques ;
-
la recherche d'une interdépendance négociée entre les
pays industrialisés et le Tiers-monde de façon à ne
plus entraver le développement de celui-ci ;
-
la définition de mesures d'ajustement social nécessitant prioritairement
la conduite d'une politique de réduction du temps de travail et de
distribution judicieuse de l'emploi au sein de la population active toute
entière ;
-
l'adoption de mesures institutionnelles destinées à renforcer
le poids de la société civile et à encourager l'innovation
sociale à la base.
On
remarquera que, de manière générale, les démarches
des différents auteurs ne changent fondamentalement pas et s'articulent
invariablement autour du diptyque analyse-recommandation. Les analyses proposées
se basant souvent sur le constat de l'échec des politiques mises en
oeuvre ou encore sur les effets induits aux plans culturel et/ou écologique,
débouchent ensuite sur les recommandations qui doivent guider la mise
en oeuvre des politiques de développement.
La
culture est omniprésente dans ces analyses, qui restent pour la plupart
pauvres en conclusions opératoires. Il y a certes des avancées
indiscutables, plus diversifiées quant aux tentatives d'opérationnalisation
des propositions, mais les questions de départ subsistent. On continue
toujours à spéculer sur la notion de culture et à chercher
comment la prendre en compte en particulier. Et dans cette éventualité,
qu'est-ce qui permettrait de garantir des résultats pertinents en
termes de ce qu'il est convenu d'appeler le développement ?
Ainsi,
le débat ouvert sur les rapports entre culture, développement
et environnement se présente plus comme un pari que comme une panacée.
D'où cette tendance de beaucoup d'auteurs à survaloriser, comme
on l'a déjà dit, la variable culturelle érigés
au rang de gage de succès d'une politique de développement.
Les
questions qui se posent alors sont nombreuses : l'ouverture tous azimuts à la
modernité est-elle compatible avec la valorisation des cultures locales
des pays du sud et leur prise en compte dans les politiques de développement
? Les politiques de développement actuellement portées par
les Etats de ces pays ne vont-elles pas à l'encontre des subcultures
locales, qui sont souvent plus proches des réalités sociologiques
? Avec la référence à la culture concernant celle dite
nationale, dont on sait pourtant qu'elle cherche à se façonner,
tout donne à dire qu'il reste du chemin à parcourir et à croire
qu'il plane encore des incertitudes que seule une meilleure connaissance
des réalités sociales pourrait permettre de dissiper ou au
moins d'amoindrir.
Malgré cette
prise de conscience affichée et les discours officiels sur la prise
en compte des logiques paysannes et la nécessaire adaptation des projets
de développement, nous constatons que la rationalité agro-économique
continue à gouverner le rapport au monde rural en s'appuyant sur des
visions stéréotypées qui ne cadrent pas avec les mutations
vécues par les paysans. C'est pour pallier cette "lacune sociologique" que
nous avons orienté le second volet de la revue critique de littérature
sur les études portant spécifiquement sur la société Tagbana.
Holas (1954), le SEDES et Coulibaly (1978) sont représentatifs des
auteurs porteurs d'un discours correctif.
Holas
décrit l'organisation sociale Tagbana. Il souligne que la société traditionnelle
Sénoufo est engagée dans un processus de fragmentation et de
remodelage de ses structures. Il nomme, au titre des facteurs de changement
de ce groupe social, l'Ecole, l'Islam, le Christianisme, le "massa" du Mali
et les mouvements migratoires en direction des grandes villes et des zones
industrielles de la Basse-Côte. Mais, ajoute-t-il, ces profondes mutations
n'ont pu ébranler intégralement l'âme et la pensée
du Sénoufo. Ce dernier a donc su préserver une bonne partie
de sa personnalité ethnique, laquelle affiche un attachement à la
terre indentifiée à une mère nourricière qui
occupe une place de choix dans les spéculations métaphysiques
et la liturgie agraire.
Le
SEDES s'attache, quant à lui, à dépeindre la société traditionnelle
Sénoufo et à dévoiler la centralité de la religion
dans la vie de groupe. En particulier dans la régulation de l'économie
(régime foncier, division du travail, rites agraires, techniques culturales,
circulation des biens et services), des liens sociaux et du sacré (parenté,
système matrimonial, habitat, cérémonie rituelle...).
L'intérêt de cette étude, c'est d'avoir conclu qu'au-delà des
apparences d'une société segmentaire visibles chez les Tagbana,
la société Sénoufo fait montre d'une très forte
unicité qui exprime son essence véritable, en un mot toute
sa personnalité ethnique. Il réside encore dans le fait que,
par delà l'interdépendance entre les différentes sphères
constitués par le mode de production, les relations entre homme, le
milieu écologique et climatique et la culture, il y a l'affirmation
de l'emprise de la religion sur toutes les autres instances de la réalité sociale.
Coulibaly
a le mérite de révéler que la société des
Sénoufo constitue une unité organique vivante dont la plus
petite unité opérationnelle demeure le village. Ce que toute
action de développement en faveur de la société Tagbana
ne doit ignorer.
Toutes
ces études n'ont pas manqué de souligner le caractère
encore vivace des valeurs traditionnelles Tagbana malgré les multiples
bouleversements opérés. Il serait donc illusoire d'espérer
obtenir des résultats positifs de toute politique de développement
qui ne les prendrait pas en considération. Mais une telle prise en
compte ne doit pas faire oublier que la communauté rurale Tagbana
est parcourue par des logiques d'hybridation annonciatrices de syncrétismes
du fait de l'introduction des normes de la modernité. C'est dans un
tel espace en mutation que nous allons cerner les enjeux de l'élevage
bovin.
La
plupart des études consacrées à cette activité économique
ont été prioritairement orientées vers les axes écologique,
agro-économique et géotechnique au détriment des aspects
sociologique et anthropologique. Celles qui sont à mettre à l'actif
des sciences sociales traitent dans leur majorité de la transhumance
pastorale peul. Les plus significatives au regard de l'enjeu scientifique
de cette étude procèdent à une lecture de l'élevage
bovin assise sur une convocation des données sociales et écologiques.
Barry (1975 et 1978), Diabaté (1982), Coulibaly (1983), Bernadet (1984)
et Pagot (1985) en sont les auteurs.
Au-delà de
leur spécificité, elles montrent qu'à travers l'élevage,
c'est la civilisation pastorale, dont il faut comprendre les mécanismes
et les modes de fonctionnement, qui se met en branle. Il en découle
que la domestication du bovin en pays Tagbana, dont la tradition économique
repose essentiellement sur le travail de la terre va, au-delà de l'association
des deux activités, impliquer la rencontre de deux civilisations apparemment
incompatibles : la civilisation agricole et la civilisation pastorale. Cette
incompatibilité demeure une pesanteur culturelle, une source de résistance à intégrer
dans la problématique même de l'acceptation par les paysans
Tagbana de l'élevage comme matrice du jeu de production de patrimoines.
3.
Problématique
Le
développement de l'élevage bovin dans l'espace agraire Tagbana
présente un enjeu à la fois socio-économique et écologique.
Il est résumé par la question ci-après : comment trouver
des mécanismes de développement de l'élevage bovin qui
rendent compatibles le progrès social escompté, l'utilisation
judicieuse du savoir-faire paysan et la gestion saine des ressources du milieu
d'accueil ?
Face
aux conditions climatiques devenues de plus en plus défavorbles (exemple
de la sécheresse), à la dégradation des sols soumis à la
surexploitation, aux déboisements, aux feux de brousse, à une
démographie toujours galopante dans un contexte de baisse des effectifs
de population rurale en raison de l'exode et de la pauvreté croissante,
nombreux sont les décideurs politiques, planificateurs et opérateurs
de développement qui perçoivent en la combinatoire agriculture-élevage
un impératif socio-économique et de sauvegarde du cadre écologique,
une stratégie de survie pour les populations rurales africaines. La
sagacité dont ils font montre leur est demandée en ce qui concerne
l'identification des situations invariantes et des particularités
repérables dans chaque région et dans chaque pays.
Ainsi,
la Côte d'Ivoire, autosuffisante sur le plan de la production agricole,
se trouve déficitaire en production animale. La couverture des besoins
de ses populations en viande reste, en dépit des efforts entrepris,
largement tributaire des marchés extérieurs. Pour l'année
1972, 12 milliards de F CFA ont été consacrés à l'importation
de la viande, dont celle du bovin représentent près de 85 %
de la consommation nationale totale de protéine animale. L'année
1974 marque un tournant dans la politique ivoirienne d'importation de viande,
avec l'augmentation de 34 % du prix du bétail à Abidjan à la
suite de la sécheresse frappant les pays sahéliens exportateurs.
Le coût d'importation de viandes est, par ailleurs, passé à 31
milliards de F CFA en 1981, pour atteindre 34,5 milliards de francs CFA en
1985.
En
l'absence d'un "sursaut national" sur la question et considérant la
forte croissance des populations urbaines, essentiellement due à l'immigration
et à l'exode rural, qui entraînent la réduction du nombre
des travailleurs dans le secteur agricole, on peut prévoir que la
couverture nationale des besoins en viande sera davantage dépendante
des marchés extérieurs. Cette dépendance constituera
et constitue déjà une source de sortie importante de devises à un
moment où la Côte d'Ivoire a le plus besoin de capitaux pour
financer des projets à caractère socio-éducatif (écoles,
centres de formation, universités...) et sanitaire (dispensaires,
hôpitaux, équipements thérapeutiques...). D'où la
nécessité devenue vitale pour l'Etat ivoirien de s'engager
avec hardiesse dans la voie de la recherche d'une auto-suffisance en matière
de production animale en initiant un vaste programme de développement
pastoral.
La
savane de la région habitée par les Tagbana qui est un espace
immense et propice à l'activité pastorale, a été choisie
comme l'une des zones d'accueil de ce projet. Au-delà des atouts naturels
qu'on y trouve et des avantages financiers attendus, le projet d'élevage
bovin constitue, à l'image de toute innovation socio-économique,
une arène, c'est-à-dire un espace de jeux et d'enjeux relevant
de la coexistence conflictuelle ou non entre agriculture et élevage,
c'est-à-dire des compromis ou confrontations entre acteurs sociaux
(Peul/ Tagbana, agriculteurs/éleveurs, développeurs.
Il
se dégage alors deux types d'enjeux de coexistence : les enjeux de
coexistence intégrée et ceux de coexistence concurrentielle.
La coexistence intégrée envisage les enjeux de développement
de l'élevage bovin autochtone sous un rapport de complémentarité plurielle
avec l'agriculture : complémentarité nutritionnelle (apport
protéique à la ration alimentaire) économique (bétail
comme source d'épargne, culture attelée, fumier...). La coexistence
concurrentielle renvoie, par contre, à des situations conflictuelles
entre deux activités productrices (agriculture/élevage), d'incompatibilité entre
deux traditions (agraire/pastorale).
En
conséquence, avec la mise en route du projet de l'élevage bovin
ne disposant pas de facteurs favorables, des restructurations des modes de
vie sont à entreprendre. En somme, il y a un coût "sociologique" à payer
par les sociétés de producteurs concernées.
Comment
ces dernières perçoivent-elles ces "agressions" ? Cette interrogation
qui renvoie à la capacité des populations destinataires à assumer
ces incidences et à les résoudre, ne peut trouver de réponse
satisfaisante sans un examen des situations d'incompatibilité s'exprimant à l'échelle
foncière (structures de gestion peu appropriées à l'activité pastorale)
et à l'échelle sociale (divergence des logiques Peuls/ Tagbana,
développeurs). Chaque catégorie d'acteurs mus par ses intérêts
(matériels et symboliques) essaye d'infléchir à son
profit directement ou indirectement les innovations économiques ou
les ressources disponibles.
Ainsi,
les terres cultivables ou fertiles, les points d'eau, devenant du fait de
leur rareté des cibles d'attraction et des objets de convoitise, se
transforment souvent en lieux "d'appropriation" différentielle entre
agriculteurs (autochtones) et éleveurs (Peuls). Même si on n'a
pas encore atteint le seuil critique de dégradation écologique
des pays sahéliens, il n'en demeure pas moins que sont repérables
des situations localisées de rupture symbolique homme-bétail-nature.
Celles-ci sont dues à l'absence d'une stratégie d'harmonisation
des objectifs de rentabilité économique avec une gestion prudente
des ressources du milieu et articulée aux références
autochtones.
Dans
l'espace Tagbana disposant de réels atouts avec ses espaces savanicoles
encore riches en réserves fourragères, il se pose, du fait
de l'écologie des tiques et des glossines (vecteurs de la trypanosomiase
animale et humaine), une problématique de la santé animale,
composante de celle de la promotion de l'élevage bovin. Le même
propos conclusif peut être reconduit avec les pathologies de virales,
bactériennes ou parasitaires qui sont liées aux conditions
d'hygiène précaire et favorisées par le manque d'assistance
vétérinaire continue et de mesures prophylactiques (hygiène
dans l'alimentation, l'abreuvement, les parcs).
L'esquisse
ainsi faite de la problématique des enjeux pluriels (foncier, socio-économique, écologique,
sanitaire) du développement escompté de l'élevage en
pays Tagbana, exige une connaissance approfondie du milieu rural local et
une prise en compte des points de vue des acteurs sociaux de base, destinataires
réels ou potentiels du nouveau projet économique. Deux décennies
après sa mise en oeuvre, opérateurs de développement,
agents techniques et populations bénéficiaires ont été unanimes à énoncer
en termes d'échec l'évaluation faite des avantages/coûts
(financiers, sociologiques). Les principaux objectifs assignés aux
opérations de développement pastoral n'ont pas été atteints
dans leur ensemble. On a certes enregistré une couverture nationale
de 45 % des besoins en protéine animale (contre 15 % en 1992), mais
ce taux, mis en rapport avec les investissements, demeure très en-deçà des
espérances.
Aussi,
la prétention de l'Etat ivoirien à convertir le paysan Tagbana
en éleveur ou agriculteur/éleveur reste encore au stade de
bonne intention proclamée. Ceci est d'autant plus vrai que les populations
autochtones, dans leur majorité, manifestent une indifférence
totale ou une hostilité au projet en question. Une telle résistance
se comprend dans la mesure où on ne saurait considérer l'environnement
Tagbana comme un espace sur lequel on pourrait entreprendre sans risques
des innovations socio-économiques. Le croire, ce serait faire montre
d'une vision techniciste du développement agro-pastoral.
L'adhésion
des populations locales aux objectifs escomptés du développement
de l'élevage bovin requiert qu'elles soient convaincues de leur légitimité et
leur bien fondé qui sont pensés en termes d'avantages économiques
en rapport avec les incidences sur la marche de leur société.
C'est pourquoi, l'analyse socio-anthropologique du développement de
l'élevage bovin se doit d'aller au-delà de la compréhension
binaire du technicien (succès/échec), rendre compte de ses
implications (positives ou négatives) en les rapportant aux ressources
naturelles, humaines et symboliques du milieu local d'accueil et non aux
objectifs macro-économiques de politique nationale. En définitive,
il existe des projets de développement dont la réussite est
un désastre et l'échec une "bénédiction" pour
les populations locales du milieu réceptacle, au regard des conséquences
ou incidences à long terme.
Par
ailleurs, il y a lieu de révéler que si le projet en question
n'a pas été suffisamment concluant, il laisse transparaître
néanmoins des pôles de prospérité aux configurations
variables . La dynamique pastorale ainsi enclenchée est révélatrice
des attitudes calculées des paysans face aux projets de développement
qui leur sont proposés par les "développeurs". En effet, c'est
en fonction de leurs intérêts et des expériences antérieures
acquises et, surtout, de l'environnement des compétences locales que
les paysans réagissent en rejetant ou adoptant en les détournant
de leurs objectifs initiaux les propositions de ceux-ci. C'est en cela que
la dynamique pastorale plurielle, en tant qu'expression différentielle
d'attitudes et de comportements d'acteurs sociaux locaux pensant en termes
d'avantages et d'inconvénients (matériels ou symboliques) le
projet de vulgarisation de l'élevage bovin, intéresse la sociologie
des mutations.
Quelle
stratégie éducative adaptée, capable de coordonner les
divergences de logiques sociales et d'intérêts des différents
acteurs du développement agro-pastoral peut-on et doit-on concevoir
? Comment intéresser ou impliquer davantage les populations rurales
Tagbana dans la promotion de l'élevage bovin ? Comment surmonter les
blocages culturels, renforcer les ouvertures par une prise en compte des
facteurs socio-culturels et écologiques susceptibles de favoriser
l'acceptabilité de l'élevage comme modèle socio-économique
? Pourquoi des populations issues du même espace culturel et ethnique
tagbana et appartenant à la même configuration géographique,
réagissent-elles différemment face à un même projet
de développement? En d'autres termes, pourquoi n'y a-t-il pas la même
résonance "sociologique" ? Ce sont là autant de préoccupations
qui inspirent les hypothèses suivantes.
4.
Hypothèses de recherche
En
raison de l'impasse et de la résonance plurielle du projet de développement
pastoral dans l'espace Tagbana, trois hypothèses de recherche peuvent être
formulées :
-l'acceptabilité de
l'élevage bovin comme modèle de production de patrimoines par
les populations paysannes Tagbana est fonction de sa capacité à générer à moindre
coût (financier, écologique, culturel) des revenus importants
supérieurs à ceux tirés de l'agriculture ;
-le
coefficient ethnique affecté à l'élevage bovin (comme
trait d'identité culturelle Peul) et renforcé par les incidences
(destruction de cultures, vols de bétail, conflits fonciers...) liées à la
transhumance pastorale, suscite chez les paysans un désintérêt
et une hostilité pour le projet proposé ;
-la
mutation des techniques culturales illustrée par le développement
de la culture attelée est porteuse de nombreux effets induits (productivité accrue,
diversification économique, libération physique du paysan),
constitue un facteur susceptible de favoriser l'acceptation du projet de
diffusion de l'élevage bovin par les producteurs ciblés.
5.
Objectifs de la recherche
Cette étude
poursuit trois objectifs essentiels :
-établir
un état des lieux en mettant surtout en relief la question du développement
de l'élevage bovin dans la région Tagbana;
-identifier
les contraintes écologiques, socio-économiques et culturelles
au développement de cette activité de production animale ;
-repérer
les pôles d'ouverture possibles en ce qui concerne l'acceptabilité dudit
projet.
CHAPITRE
II
CADRE
METHODOLOGIQUE
1.
Délimitation du champ d'investigation
Cette étude
a ciblé la région de Tagbana située dans le centre nord
de la Côte d'Ivoire, particulièrement le département
de Katiola qui couvre quatre sous-préfectures (Fronan, Katiola, Niakramadoungou,
Tafiré et Tortiya. Le site choisi a une superficie totale de 9420
km2 et compte 231 habitants, dont 76 655 ruraux.
1.1. Identification
des localités d'enquête
Le
choix de ces unités spatiales obéit à un souci de représentation
et de configuration. Ainsi, l'espace retenu comme site de l'étude
a été subdivisé en trois zones ; ce qui nous donne au
total 5 zones d'enquête qui se répartissent selon le tableau
ci-dessous.
TABLEAU
N° 1 : Identification des zones d'enquête
ZONES |
NORD |
CENTRE |
SUD |
SOUS
PREFECTURES |
TAFIRE |
Tortiya
Niakaramandougou |
Fronan
Katiola |
2-2. Identification
des unités d'observation-population
Le
projet de développement de l'élevage bovin fait intervenir
de multiples acteurs sociaux correspondant aux "groupes cibles" (paysans,
notables, jeunes, femmes...) et aux représentants des institutions
de développement (agents techniques et employés de l'administration
déconcentrée).
Pour
appréhender ce projet qui peut se lire comme un lieu de confrontations
entre ces figures actorielles autour d'enjeux constitutés par l'espace
et la production animale, l'objectif principal et les hypothèses de
recherche recommandent d'être attentif aux variables dessinant des
jeux de conflictualité dans leurs relations. C'est donc un moyen de
dépassement des consensus sociaux pour cerner les contradictions de
type statutaire (homme/femme, aîné/cadet) ou encore liées à la
production (contrôle de la force de travail, maîtrise du foncier).
Pour arriver au même résultat, nous nous sommes servis des variables
porteuses d'ambiguïté sociologique. Il s'agit des catégories
ethniques (Tagbana/Malinké/Peul) et socio-professionnelles (notable/agriculteur/ éleveur/développeur).
La
méthode d'enquête, soumise à ces figures sociales du
champ d'étude, est l'enquête qualitative. Cette dernière
gouverne l'approche anthropologique par excellence, celle-là même
qui essaie d'appréhender les problèmes du point de vue des
intéressés (acteurs de base pris non plus comme un tout homogène
mais comme un ensemble de contradictions et de négocations (arène "sociologique").
Nous inscrivant cette perspective scientifique (holisme interactif entre
le micro et le macro), les axes méthodologiques de l'ethnologie, de
l'anthropologie du changement social ou de la sociologie du développement
rural, qui exigent la prise en considération des acteurs du jeu social,
retiendront au plus haut point notre attention. C'est assurément qui
nous a guidé dans le choix des populations à enquêter.
Pour
ne pas nous écarter de la voie tracée, nous avons emprunté aux
sociologues Ever et Shiel (1988) le concept de groupe stratégique.
Concept dont l'emploi nous semble bien approprié pour interpréter
la dynamique de l'arène "sociologique" décrite plus haut à propos
du projet d'élevage bovin. Les concepts d'arène et de groupes
stratégiques sont opératoires à cause de leur caractère
essentiellement empirique.
Il
y a deux catégories d'acteurs sociaux ou de groupes stratégiques
(développeurs/développés) avec les opérations
de développement, interventions volontaristes d'origine extérieure
comprenant l'introduction de technologies nouvelles et de comportements socio-économiques.
Ces deux "versants" se retrouvent dans la vulgarisation de l'élevage
bovin dans l'espace Tagbana.
Dans
notre outillage conceptuel, nous employons les vocables de développeur
et de développé. Le premier désigne les représentants
locaux d'ONG et/ou bailleurs de fonds (la GTZ), ceux de l'administration
déconcentrée ou décentralisée (préfet,
sous-préfet, maire), les agents techniques de développement
de terrain (encadreurs zootechniques et sanitaires (vétérinaires)
de SODEPRA, assistants CIDT). Le second qu'on peut remplacer par une autre
unité locative, à savoir l'acteur destinaire, regroupe les
populations locales ciblés (autorités traditionnelles (chef
de terre, chef de village, notables ruraux) et producteurs qui leur sont
plus ou moins soumis, (agriculteurs, éleveurs, agriculteurs-éleveurs
et éleveurs Peul).
2.
Techniques de collecte des données
Les
techniques de collecte et de construction des données sont fonction
non seulement des hypothèses et objectifs de recherche mais aussi
de la configuration des groupes sociaux étudiés. Laquelle configuration
travaillée par les logiques de la colonisation, puis celles des politiques
de développement de la période post-coloniale, se résume
en une hybridation. Aussi, les registres de l'ambiguïté (tradition/modernité)
ou du pluralisme (hétérogénéité ethnique,
culture urbaine/culture rurale...) sont-ils à convoquer pour une meilleure
connaissance du milieu humain étudié.
C'est
donc sa configuration ambivalente ou syncrétique qui recommande une
double enquête : une enquête (ethnologique) et une enquête
psychosociologique. Dans cette double perspective méthodologique,
un ensemble de techniques de collecte d'informations ont été utilisées.
Elles ont pour nom : recherche documentaire, observation directe, techniques
d'entretien individuel et/ou de groupe (focus-groupe).
2.1. La
recherche documentaire
La
recherche documentaire a constitué une composante essentielle et importante
des procédés d'investigation utilisés. Les axes d'orientation
théorique et méthodologique de l'analyse documentaire ont eu
comme vecteurs disciplinaires : l'anthropologie, la psychosociologie et la
sociologie du développement. Elle a donc porté sur une littérature
variée et permis, en outre, de prendre conscience de l'opérationalité des
méthodes d'enquête, de mesurer leur degré de pertinence
scientifique par rapport à l'objet et au contexte d'étude,
et, en dernier lieu, de faire l'inventaire et la synthèse des travaux
sur les politiques de développement pastoral ou agro-pastoral en Côte
d'Ivoire, d'une façon générale, et dans la région
Tagbana, en particulier.
Ce
qu'il faut retenir, c'est que le processus de ce marchandage (développeur/développé)
des dispositifs techniques, inhérent à la réalisation
de tout projet de développement, est ignoré dans la conception,
l'exécution et l'évaluation des programmes recensés.
L'approche techniciste et agro-économiste, qui soustend cette occulation,
est présente dans la politique de développement de l'élevage.
Une approche critique, rapportée à un contexte social plus
large, laisse apparaître une crise plurielle qui induit, au niveau
des individus et même des institutions juridico-sociales, de nouvelles
stratégies de recomposition et d'adaptation (ajustement structurel).
Ce sont là des situations de contradictions sociales dans lesquelles
il faut voir l'expression d'un double phénomène d'acculturation
et de contre acculturation.
Ce
sont ces processus d'acculturation et de contre-acculturation qui font fonctionner
actuellement la société Tagbana sur le registre de l'ambiguïté ou
du pluralisme. Ils peuvent compromettre la manifestation des changements
envisagés par les initiateurs du projet.
Enfin,
cette catégorie de littérature est complétée
par d'autres sources correspondant essentiellement à des documents
iconographiques et à des données statistiques. Les documents
iconographiques sont constitués de cartes telles que :
-
les cartes de découpage administratif de la République de Côte
d'Ivoire à l'échelle départementale, préfectorale
et sous préfectorale (DCGTX 1991), qui ont permis de délimiter
géographiquement la zone d'étude, d'apprécier son étendue,
d'identifier les chefs lieu de région, de départements, de
préfectures et de sous-préfectures, de comparer les surfaces
des zones d'enquêtes les unes par rapport aux autres ;
-
les cartes du climat et de l'hydrographie de la Côte d'Ivoire (Atlas
Côte d'Ivoire 1991) donnant une vue panoramique des types de climats,
des différentes saisons et les principaux cours d'eau de la zone d'étude
;
-
les cartes du sol et de la végétation de la Côte d'Ivoire
(Idem) élaborées par l'ORSTOM dans le cadre de la convention
d'étude pour le reboisement et la protection des sols et qui visualisent
le caractère composite de ces unités géographiques ;
-
les cartes portant sur la distribution ethnique et démographique (Idem)
renseignant sur les réalités du site d'enquête ;
-
les cartes des équipements (Idem et Michelin 1991), qui renvoient
aux divers axes routiers, lignes ferroviaires et à certains investissements économiques
(barrages, usines, projet agro-pastoral) et permettent de repérer
les zones enclavées et d'apprécier les disparités créées.
En
somme, ces différentes cartes ont constitué un guide édifiant
dans l'exploration de la zone d'étude. Mais elles l'auraient été d'avantage
si elles avaient été confectionnées à une échelle
plus petite (région de Katiola).
S'agissant
des documents chiffrés, nous avons fait usage de deux types de données
statistiques. Le premier type a été fourni par les différents
services techniques de la SODEPRA. Il porte sur le recensement du cheptel
bovin par sous-préfectures et par système d'élevage
(sédentaire, boeuf de culture attelée, transhumant). Ces unités
statistiques, consignées dans les différents rapports annuels
d'activités du projet d'encadrement centre de 1985 à 1993,
ont permis non seulement de mesurer l'évolution du cheptel bovin.
Le deuxième type de données émanant du Recensement général
de la population et de l'habitat de 1988 est constitué de données
relatives à la densité humaine et à l'urbanisation.
Il faut toutefois déplorer l'absence de données statistiques
fiables sur les catégories ethniques (Tagbana, Malinké, Peul)
et professionnelles (éleveurs/ agriculteurs, agriculteurs/éleveurs) à l'échelle
micro-géographique). C'est d'ailleurs l'une des raisons de l'option
pour l'enquête qualitative.
2.2. L'observation
directe
L'observation
directe a constitué un outil essentiel de collecte des données
nécessaires à la connaissance du paysage physique et du milieu
socio-culturel Tagbana. Pour disposer d'un instrument d'observation, nous
avons conçu une fiche du milieu contenant des rubriques sur l'environnement
(relief, climat, végétation), l'habitat, le système
foncier, l'agriculture, l'élevage, les structures de parenté,
les formes de coopération.
Ces éléments
ont été ainsi repérés et assimilés dans
la phase exploratoire ou préenquête à des obstacles naturels
et sociologiques au développement de l'élevage bovin, mais
aussi à des enjeux locaux. Ainsi, l'observation directe a permis :
-de
déterminer les aires géographiques d'élevage configurés
en fonction des types de domestication (sédentaire, BCA (boeuf de
culture attelée) et transhumant) ;
-d'identifier
les modalités d'appropriation, de contrôle et d'accès à la
terre ;
-de
distinguer les autorités et pouvoirs locaux (administratifs et traditionnels)
superviseurs et/ou détenteurs de droit de contrôle sur l'espace
;
-de
repérer les limites administratives des départements et des
autres localités d'enquête, celles coutumières des chefferies
et symboliques des maîtres de la terre investis de charges religieuses
;
-de
désigner les catégories sociales en situation (latente ou manifeste)
d'ambiguïté "sociologique" (agriculteurs/éleveurs ; Tagbana/Peul)
et de localiser leurs aires d'influence respectives.
Ces
informations ont été complétées par des données
collectées à l'occasion d'entretiens semi-directifs individuels
et/ou de groupe.
2.3. Les
entretiens semi-directifs
Les
entretiens semi-directifs, d'enquête ethnologique ou d'enquête
psychosociologique, ont suppléé à l'absence de sondage à l'échelle
locale et à la faible fiabilité de celles qui existent à une échelle
supérieure. Ils ont été menés selon la technique
de l'interview et centrés sur des thèmes articulés à la
connaissance des facteurs limitants et des facteurs dits d'appui au développement
de l'élevage bovin.
Connaître
les premiers, c'est étudier la diversité des droits d'appropriation
collective et individuelle de l'espace et les catégories juridiques
coutumières. En d'autres termes, c'est avoir une approche socio-juridique
de l'espace qui révèle les règles et les pratiques sociales
formant le confluent des différentes logiques des acteurs concernés.
En revanche, appréhender les facteurs dits d'appui, c'est étudier
quelques conflits majeurs repérés dans la phase d'observation
et, donc, mettre à nu les stratégies paysannes qui sont à l'oeuvre.
Avec
ces deux axes d'orientation, les entretiens semi - directifs ont porté sur
la connaissance de catégories sociales, économiques et symboliques.
Dans le détail, elles concernent :
-l'environnement
coutumier (savoirs, droits, représentations, organisations sociales,
mode de gestion des ressources...) ;
-les
obstacles naturels et culturels à l'acceptabilité de l'élevage
bovin comme activité économique ;
-les
rapports de pouvoirs (enjeux conflictuels) à l'intérieur et à l'extérieur
de l'arène "sociologique" (le projet d'élevage) ;
-les
ressources locales (humaines, matérielles et symboliques..);
-les
représentations globales (aspects négatifs et positifs) du
projet d'élevage chez les diverses catégories d'acteurs (Tagbana/Peul/Malinké,
agent local de développement, administrateur local...).
Les
entretiens semi-directifs individuels ont ciblé sous-préfets
et/ou maires et encadreurs GTZ et CIDT tandis que les entretiens collectifs
(focus groupe) ont eu pour cibles autorités traditionnelles, agriculteurs, éleveurs
et agriculteurs-éleveurs, acteurs Peul du monde pastoral, femmes et
jeunes.
3.
Méthode d'analyse
La
grille d'analyse reste déterminée par les conclusions élaborées
en anthropologie appliquée et dans les disciplines dites auxiliaires
(ethnologie, psychosociologie et sociologie du développement) et la
nature des hypothèses de recherche mentionnées ci-dessus.
Dans
une telle perspective, le schéma d'analyse se dessine ou s'opère à une
double échelle méthodologique : macro-sociologie et micro-sociologie.
L'intérêt de l'analyse macro-sociologique, c'est d'éclairer, à travers
une approche globale ou totalisante (holisme méthodologique), les
facteurs limitants (obstacles sociaux et contextuels) le développement
l'élevage bovin. A ce niveau, pourront être identifiées
les causes naturelles, socio-culturelles, socio-économiques de l'échec
de la politique de développement de l'élevage bovin. Quant à l'analyse
micro-sociologique, elle vise à révéler, au-delà de
l'échec constaté, les facteurs dits d'appui (écologique, économique,
culturel) au développement de cet élevage. Il est davantage
question ici d'identifier les référents symbolique, culturel
et économique qui sont endogènes et compatibles avec le projet
d'association de l'agriculture et de l'élevage.
3.1. Méthode
d'analyse stratégique
Cette
approche qui aidera à identifier les mécanismes de blocage
ou d'accélération de la participation communautaire au projet
de développement agro-pastoral, s'est opérée à travers
la méthode d'analyse stratégique, plus précisément
la méthode d'Enquête Rapide d'Identification des Conflits et
des Groupes Stratégiques. Cette démarche fonde son principe
sur le fait que l'environnement social est un espace de jeux et d'enjeux
sociaux, un lieu de confrontation concrète entre acteurs.
Dans
cette perspective, le projet de développement de l'élevage
bovin dans l'espace Tagbana a été comparé à une
arène où les contradictions (développeurs/développés,
Tagbana/Peul, vieux/jeunes) se donnent à lire non seulement dans la
représentation plurielle de l'activité pastorale mais aussi
dans les modes de perception et d'exploitation de l'espace.
3.2.Justification
du choix de la méthode d'analyse stratégique
L'enquête
exploratoire faite sur le terrain a permis de constater que l'espace Tagbana
est traversé par des conflits (ouverts ou forcés) mettant en
scène agriculteurs/éleveurs, Tagbana/les Peul, représentants
locaux de l'administration/Peul et/ou Tagbana.
Ces
conflits qui se caractérisent par une variabilité de leur intensité d'une
sous-préfecture à une autre ou au sein d'une même sous-préfecture,
d'un "couple" de catégories sociales à un autre, rendent compte
de l'attitude contrastée du paysant Tagbana en ce qui concerne le
devenir à réserver au projet de diffusion de l'élevage
bovin.
CHAPITRE
III
LE
MILIEU NATUREL ET LES HOMMES
Le
pays Tagbana appartient à un espace géographique dont les particularités
déterminent et conditionnent les types d'activités de production.
Il constitue aussi un paysage humain (population, ethnies) avec ses habitudes
de vie, ses manières d'être et de voir le monde. C'est à la
fois ce milieu physique et humain qui oriente et explique les attitudes et
les comportements des populations locales à l'égard de toute
opération de développement.
1.
Le milieu naturel
1.1
- Situation géographique
La
communauté Tagbana appartient au grand groupe ethnique Sénoufo
résidant dans la région nord de la Côte d'Ivoire. Elle
peuple sa partie sud, d'où l'appellation de "Sénoufo du Sud".
Les Tagbana habitent le département de Katiola, dont la superficie
est estimée à 9420 km2, soit 2,9 % du territoire national ivoirien.
La région compte quatre sous-préfectures mentionnées
ci-dessus.
De
par sa position de zone charnière entre le nord du pays Sénoufo
et la "patrie" des Baoulé ou région centre, la région
Tagbana est circonscrite au nord par les départements de Korhogo et
Ferkessédougou, au sud par l'échelon départemental qui
a pour chef-lieu Bouaké, à l'est par le département
de Dabakala et à l'Ouest par celui de Mankono. Cette position lui
confère des particularités climatiques et écologiques.
1.2.
Climat et hydrographie
Les
facteurs climatiques et écologiques sont déterminants en matière
de production agricole et animale, en ce sens qu'ils conditionnent non seulement
le cycle végétatif mais aussi la reproduction du bétail
et les activités humaines.
La
région Tagbana baigne dans le climat tropical subsoudanais, qui est
une synthèse du climat tropical nord et du climat baouléen
central. Ses parties centre et septentrionale (Niakaramadougou, Tortiya et
Tarifé) sont soumises au même régime de pluie que la
région de Korhogo, à savoir deux saisons de pluie bien tranchées,
dont l'une d'une durée de six mois débute au mois d'avril ou
mai pour prendre fin aux mois de novembre/décembre, jusqu'aux mois
de mars/avril. La pluviométrie y oscille entre 1200 mm3 et 1400 mm3
par an. Les températures minimales et maximales sont respectivement
de 21° et 35° .
Quant à la
partie méridionale (Katiola, Fronan), son régime de pluie est
tributaire du foyer climatique baouléen. Son rythme saisonnier compte
quatre divisions, dont deux saisons de pluie allant du mois de mars à celui
de juin et du mois de septembre à octobre. Celles-ci sont entrecoupées
de deux saisons dites sèches qui partent de novembre à février
et de juillet à août. La pluviométrie annuelle oscille
entre 1100 et 1200 mm3 et la température moyenne tourne autour de
27° C.
Au
plan hydrographique, le pays Tagbana occupe l'interfleuve entre le bassin
versant de N'ZI et celui du Bandama. En dehors de ces deux importants réseaux
hydrauliques, on note l'existence de petits cours d'eau ou rivières
qui, en période de saison non pluvieuse, connaissent des étiages
accentués. Parmi ces cours d'eau secondaires, on peut citer le Koyhan,
le Koklen, la Nemi, la Fan, le Sarabana, la Litrenpko.
Du
fait de la durée des saisons dites sèches, particulièrement
dans les zones centre et nord, les paysans tentent pendant la période
des pluies de contrôler les crues des vallées alluviales à l'aide
de digues.
Ces
conditions climatiques et hydrographiques déterminent la texture du
sol et la composition de la végétation.
1.3.
Les sols et la végétation
Le
sol et le couvert végétal ont une influence décisive
sur les possibilités de cultures et d'élevage de trait. La
région Tagbana est un espace physique essentiellement constitué de
granite, aux sols ocres, ocre rouge, souvent très gravillonnaires
avec des bancs de cuirasse à peine dégagés par l'érosion
et peu ferralitiques. Elle est couverte par une formation végétale
constituée de savanes arborées d'îlots forestiers au
sommet des collines et des galeries forestières le long des cours
d'eau, dont les plus importants sont celles du Bandama et du N'ZI.
Cette
région dispose, avec ses vastes étendues savanicoles, de réelles
potentialités favorables au développement de l'élevage
bovin. Mais ces atouts écologiques sont quelque peu contrariés
par l'existence de glossines, vecteurs de la trypanosomiase animale. Aujourd'hui,
leur densité semble réduite, à la suite des actions
d'assainissement écologique (lutte anti tsé-tsé) entreprises
par la GTZ dans la région, depuis 1988.
2.
Les hommes
2.1.
Distribution spatiale des hommes
La
région Tagbana a une population totale de 131.221 habitants pour une
densité humaine estimée à 13,9 habitants/km2. La population
rurale y est estimée à 97.408 habitants, soit 74,2 % de la
population régionale, contre une population urbaine de 33.813 habitants,
ce qui ne représente que 25,7 % du total des effectifs. Ce dernier
taux est fourni par Katiola (chef lieu de département) qui a l'allure
d'une ville véritable. Tafiré, Niakaramadougou, Tortiya et
Fronan qui correspondent aux autres sous-préfectures de la région,
ne sont que de gros bourgs érigés en communes.
Tableau
N° 2 : Structure démographique de la région Tagbana (RGPH
1988)
Sous
-préfectures |
Nombre
de localités |
Populations
par sexe/centres urbain et rural |
|
|
Hommes |
Femmes |
Total |
Urbain |
Rural |
Total |
Tafiré |
19 |
9.975 |
9.309 |
19.284 |
0 |
19.284 |
19.284 |
Niakaramandougou |
28 |
11.313 |
11.466 |
22.779 |
0 |
22.779 |
22.779 |
Tortiya |
8 |
13.604 |
11.280 |
24.884 |
0 |
24.884 |
24.884 |
Fronan |
8 |
7.575 |
8.027 |
15.602 |
0 |
15.602 |
15.602 |
Katiola |
20 |
24.789 |
23.883 |
48.672 |
33.813 |
14.859 |
48.672 |
TOTAL |
83 |
67.256 |
63.945 |
131.221 |
33.813 |
97.408 |
131.221 |
Le
rapport de masculinité qui est de 105 hommes pour 100 femmes, n'est
pas enregistré dans les localités de Niakaramandougou et de
Fronan où les femmes représentent la majorité démographique.
Par
ailleurs, les différences observées par localité révèlent
une très grande disparité dans la répartition de la
population régionale. Ainsi, les plus fortes densités humaines
sont enregistrées dans les localités de Tortiya (39 hbts/km2,
et Katiola (33 hbts/km2), suivies de celles de Fronan (11 hbts/km2) et Tafiré (10
hbts/km2). La plus faible densité brute est observée dans la
localité de Niakaramandougou (5 hbts/km2).
Tableau
N° 3 : Répartition de la population par densité brute, densité rurale
et taux d'urbanisation
Zones |
Sous-préfectures |
Surface
en Km² |
POPULATIONS |
|
|
|
Populations |
Densité brute |
Densité rurale |
Taux
d'urbanisation |
NORD |
|
1.900 |
19.284 |
10 |
10 |
45,1
% |
CENTRE |
Tafiré |
4.171 |
22.779 |
5 |
5 |
24,2
% |
|
Niakaramadougou |
637 |
24.884 |
39 |
39 |
82,0
% |
SUD |
Fronan |
1.369 |
15.602 |
11 |
11 |
52,8
% |
|
Katiola |
23.883 |
48.672 |
33.813 |
14.859 |
69,5
% |
La
disparité observée au niveau des densités se traduit également
au niveau des taux d'urbanisation. Il y a une certaine corrélation
entre le taux d'urbanisation et la densité humaine. Les localités
qui ont les plus fortes densités ont aussi les plus forts taux d'urbanisation.
C'est le cas avec Tortiya (82,0 %), Katiola (69,5 %) et, à un degré moindre,
Fronan (52,8%), Tafiré (45,1 %) et Niakaramandougou (24,2 %). Il faut
noter que la situation particulière de Tortiya est liée au
fait qu'elle constitue une zone d'exploitation et de transaction de l'or
et de l'argent, et donc un pôle d'attraction humaine.
2.2.
Composition ethnique
La
population de la région présente une relative hétérogénéité dans
sa composition ethnique. En dehors du groupe autochtone qui est majoritaire,
les autres entités qui semblent significatives, quoique minoritaires,
sont les colonies de Malinké (ou Dioula) et les enclaves de Peul.
Cette hétérogénéité est à priori
source de barrières linguistiques et socioculturelles, de logiques
et de normes de comportement divergents qui recommandent plus d'attention,
et donc de finesse, dans toute approche du fait social.
Par
ailleurs, le développement de l'élevage bovin enveloppe une
variable essentielle : l'espace. En effet, le projet en question est initié dans
un espace où s'affrontent divers groupes mus par des intérêts
matériels ou symboliques. Une telle hétérogénéité ethnique
d'acteurs aux représentations divergentes autorise à rechercher
les ressources symboliques, culturelles et économiques, à partir
desquels s'opère le détournement du projet. Il se pose dès
lors la question de l'analyse comparée des différentes cultures
en présence pour identifier, non seulement le mode d'appropriation "différentielle" individuelle
ou collective dudit projet, mais aussi la représentation plurielle
de l'espace.
2.3.
Les données socio-culturelles
La
société Tagbana engagée dans un processus de précarisation
des conditions d'existence et d'individualisation progressive des pratiques
et des représentations, voient cohabiter dans un syncrétisme
culturel digne d'intérêt les valeurs traditionnelles et valeurs
modernes. D'où la nécessité d'une lecture à la
fois structurale et dynamique de cette entité à prédominance
rurale. La communauté paysanne demeure dans cette région la
base essentielle de toute politique de développement économique
et social. Le développement de l'élevage bovin ne saurait y
avoir d'assise solide que s'il répond aux besoins et aux aspirations
des producteurs ruraux.
Ceci
appelle une première exigence : l'acceptation par les populations
locales des nouvelles valeurs socio-culturelles, socio-économiques
compatibles avec le changement escompté, c'est-à-dire le mode
de production expérimenté (l'association agriculture-élevage).
Une seconde exigence veut que les valeurs traditionnelles ou locales soient
prises en compte dans les politiques de développement car elles demeurent
encore vivantes et vivaces. Pour ce faire, il importe de parier sur la nécessité d'une
connaissance scientifique de la société Tagbana, celle de ses
référents traditionnels en rapport avec sa vision du monde.
2.3.1. La
religion, susbtrat fédérateur de la vie sociale
L'univers
socio-culturel Tagbana, à l'image des autres sous-groupes Sénoufo,
est fortement dominé par les croyances religieuses. La spiritualité commandait
et commande encore de façon déterminante la vie quotidienne
et l'ensemble des attitudes sociales et comportements économiques.
La
religion qui occupe une place cardinale dans la vision du monde et est assimilé au
socle de ses institutions, détermine les rôles respectifs des
diverses classes d'âge, les statuts des femmes et des enfants, la tenue
et la gestion de l'espace foncier et d'une façon générale,
les règles d'échange ou de garanties réciproques. Cette
religion s'inspire d'une cosmogonie organisée autour de deux divinités:
Koulo Tyolo, assumant un rôle de transcendance, et Ka Tyelo, reconnue
comme la Mère du village chargée de la consolidation de l'essence
de l'être et de la substance de la chose ainsi que de celle de leurs
rapports.
Le
lieu de culte du Ka Tyelo est le bois sacré, site d'acquisition de
savoirs enseignés par les dignitaires du Poro (organisation initiatique)
et qui affirment que le maintien de la sacralité de l'Univers passe
par l'accomplissement des devoirs rituels prescrits et le respect des interdits.
En somme, l'enseignement porte sur l'articulation à l'ordre immanent
du monde et à la totalité des gestes originellement effectués
par les premiers ancêtres. Ce faisant, le Tagbana espère donner
plus d'efficacité à ses entreprises. En d'autres termes, comme
aiment à le souligner ses autorités traditionnelles, le plus
important n'est pas de tirer profit des biens de la nature, mais de se conformer à elle
et de lui obéir afin d'appréhender ses lois dynamiques et,
par là, de la maîtriser.
L'activité économique
traditionnelle des Tagbana ignore des données telles que la valeur
d'échange et la rentabilité. La logique qui la fonde est d'ordre
psycho-culturel et religieux. C'est en ce sens qu'il n'est pas permis de
faire l'impasse sur les facteurs religieux, source de pesanteurs psychosociologiques
au regard du modèle de l'élevage bovin à promouvoir.
Au-delà de
ses implications socio-économiques, la pensée religieuse Tagbana
est, par ailleurs, marquée par la philosophie de l'unité de
toute chose. Pour elle, chaque partie se trouve dans le tout, baignant en
lui, et vice-versa. Pour le Tagbana donc, tout est lié, tout est vivant
et tout est interdépendant, haque action a une répercussion
qui lui est propre dans l'ordre universel. D'où l'affirmation du caractère
central de la responsabilité de l'homme dans le maintien de cet ordre.
L'équilibre
de l'univers est maintenu par le mythe originel et les préceptes liturgiques
tandis que l'évolution concrète de la vie dépend de
la pérennité des contacts rituels établis entre l'Etre
créateur, les menues divinités, les mânes des ancêtres
et le monde des vivants.
C'est
en effet dans le bois sacré que le Poro prépare chaque génération
de jeunes Tagbana à une connaissance parfaite de leur milieu et de
leurs droits et devoirs.
2.3.2.
La représentation de l'espace en pays Tagbana
Pour
mieux comprendre la représentation de l'espace des Tagbana, il faut
s'inscrire dans l'univers cosmogonique qu'ils ont construit. D'après
cette vision, la terre revêt un double statut : matériel et
immatériel. Support de la vie des hommes, elle n'est pas perçue
comme une simple matière d'où l'on peut extraire diverses ressources,
mais plutôt comme une sorte d'Etre vivant habité par un souffle
appelé génie. Par conséquent, l'acte de s'installer
sur une terre vierge suppose au préalable l'agrément de cette
puissance surnaturelle.
Ce
pacte donne le droit au premier occupant d'une parcelle de terre d'exercer
un pouvoir sacré, celui de chef de terre ou Tarfolo. Ce dernier, de
par ses fonctions sacerdotales, est chargé de l'accomplissement des
rites agraires indispensables au bon déroulement des travaux agricoles
et à la venue des pluies dans la mesure où ils visent l'établissement
d'une harmonie entre les forces cosmiques et la terre. Celle-là même
dont les composantes : rivière, montagne, arbre, îlots forestiers,
chemins dessinés par les hommes) relèvent du sacré.
2.4.
L'organisation socio-politique des Tagbana
Tout
comme la plupart des sociétés africaines, la parenté constitue
l'élément référentiel de l'organisation socio-politique
des Tagbana. Ceux-ci ont construit une hiérarchie qui part du père
au chef de tribu en passant par le chef de famille, le chef de village. Autant
de personnalités autour desquelles gravite toute l'activité politique
et religieuse.
Pour
mieux saisir l'organisation politico-religieuse, il convient de se référer
aux mythes de fondation du sous-groupe ethnique et, surtout, à la
subdivision originelle. D'après le récit légendaire
sur celle-ci, la société Tagbana est stratifiée en sept
grandes familles ayant chacune, à l'exception des Haragnon et des
Hala, un patronyme propre. Pour ces deux unités, on a comme nom propre
partagé l'anthroponyme Traoré. Pour les Tuo, on a Touré comme
correspondant patronymique, Ouattara, Koné, Camara sont les noms de
famille respectifs des Tiré, Hili et Nkougou.
Chacune
de ces familles aurait joué un rôle spécifique. Les Harognon,
par exemple, seraient les inventeurs de la chaîne utilisée lors
de descente des sept familles du ciel tandis que les Hili auraient reçu
la mission d'organiser les relations entre toutes ces cellules sociales.
On aurait là l'explication de leur monopole du pouvoir politique.
Pouvoir centralisateur qui leur revient de droit, se contente-t-on de dire
souvent.
Dans
tous les cas, nous avons pu observer que dans les villages Tagbna, les chefs
sont les descendants de la famille Hili et que les fonctions politico-religieuses
au sein des entités villageoises se définissent et se répartissent
comme suit :
-
au plus haut niveau de la hiérarchie, se trouve le chef de tribu qui
est chargé des affaires hautement importantes de la tribu et est aidé dans
l'exercice de ses fonctions par un collège de notables ;
-
ensuite, vient le gestionnaire des terres, le Trafolo qui est le sacrificateur
pour la tribu chargé d'organiser la vie religieuse et bénéficie
de l'aide du groupe des Trafolo au sein duquel il a été choisi
pour être le primus inter parus ;
- à un
niveau moins élevé, on a le Kaafolo ou chef de village, aidé par
les notables quand il règle les litiges et tente, par voie de conséquence,
de rendre des jugements appropriés ;
- à un échelon
plus bas encore, se trouve le Trafolo secondaire ou sacrificateur du village
qui gère les terres, procède aux sacrifices expiratoires en
cas de violation d'interdits et aux sacrifices propitiatoires en début
de saison culturale ;
-
au dernier échelon, on a le chef de famille appelé Darafolo
dont le devoir est de veiller au bien-être de la cellule familiale
et de gérer son patrimoine en se conformant aux coutumes en vigueur.
In
fine que la société Tagbana est composée de six tribus
(dont chacune comporte six clans) ; il s'agit des Katiolo de Katiola, Tchéclana
de Timbé, Katchala de Kofisiokaha, Fohobélé de Fronan,
Tagbinin de Niakaramandougou et Trafi de Tafiré. Notons l'inexistence
de captifs au sein du peuple Tagbana. Serait-ce là une des réponses
aux persécutions subies durant le XIXè siècle ?
2.5.
Agriculture et élevage en milieu Tagbana
Les
Tagbana constituent une société qui vit de l'agriculture. D'où la
prépondérance du foncier en tant que substrat principal de
la production économique.
2.5.1.
Le régime foncier
L'organisation
et la gestion foncières obéissent à tout un ensemble
de règles tributaires de la représentation de la terre en tant
qu'objet de culte et de production. La terre est avant tout la propriété d'une
unité sociale dont tous les membres unis par des liens de parenté se
composent non seulement des vivants, des ancêtres mais aussi de la
progéniture future. Elle est un patrimoine sacré qui tire sa
légitimité du culte voué aux ancêtres depuis des
générations et ne peut donc être l'objet d'une appropriation
individuelle par achat, échange, don ou hypothèque. En d'autres
termes, elle n'a aucune valeur d'échange.
Les
terres de culture ou de pâturage sont attribuées en fonction
des besoins aux différents membres formant une unité sociale
selon la taille et la position que ceux-ci détiennent au sein de cette
communauté. Il n'est toutefois pas exclu que des étrangers
en voie d'intégration par le jeu de l'alliance matrimoniale ou celui
de l'adoption par une famille du terroir puissent recevoir des terres. Les
droits conférés à chaque membre de la collectivité sont
exclusivement des droits d'usage consubstantiels de l'exploitation de la
parcelle de terre attribuée. Si celle-ci n'est plus cultivée,
elle est restituée à la collectivité et pourra être
redistribuée. Les terres sont attribuées ou reprises par le
chef de village, le Kaafolo.
Le
système foncier qui vient d'être esquissé, a subi de
nombreuses mutations socio-économiques du fait de l'intrusion de l'économie
de marché. En effet, pendant la période coloniale, la société Tagbana, à l'instar
des autres communautés ethniques ivoiriennes, a connu l'imposition
du droit romain qui est la source de l'existence de propriétés
privées et de propriétés d'Etat. Cette "romanisation" du
foncier sera perpétuée, après l'indépendance,
par le gouvernement ivoirien qui déclare être d'office le propriétaire
de la totalité des terres. Mais les populations paysannes ne percevant
pas dans leur majorité les choses de cette manière, il est
fréquent de constater la coexistence des systèmes fonciers
moderne et traditionnel. Cette ambivalence notée aussi dans la production
agricole (production agricole capitaliste et autoconsommation) et portée
par les interventions de l'Etat corrélées à la croissance
démographique, est annonciatrice de la raréfaction des terres
cultivées et de la modification de l'ordre écologique.
2.5.2.
Le système agraire
En
pays Tagbana, les activités productrices sont organisées et
rythmées par les cycles saisonniers. En raison du cultre rendu à la
terre, l'activité productrive est accompagnée d'un certain
nombre de rites agraires. Tout paysan est donc conscient du fait que la terre
ne peut être défrichée, labourée en vue d'une
activité agricole sans l'accomplissement préalable de pratiques
propitiatoires et votives déterminées qui sont suceptibles
de lui assurer l'agrément des génies des lieux et esprits des
ancêtres. Les cérémonies rituelles les plus importantes,
celles présidées par le Tralolo, sacrificateur de la tribu,
et le Tarolo, sacrificateur du village, sont organisées durant la
période qui précède l'ensemencement et cette autre qui
précède les récoltes.
Entre
ces deux importants moments, chaque paysan a le devoir d'observer, à titre
personnel, certaines obligations. Ce qui peut signifier ne pas travailler
dans son champ tel ou tel jour de la semaine considéré comme
le temps du repos de la terre ou le moment destiné à la vénération
du créateur suprême, son protecteur. Ce qui peut signifier encore
s'abstenir de manger, pendant ces jours, telle ou telle variété de
céréale connue d'avance. Toute entorse à ces interdits
se traduirait non seulement par une compromission irrémédiable
des récoltes des contrevenants, mais aussi par un déchaînement,
sur eux et les membres de leur famille, du courroux irrésistible des
génies offensés.
Le
système cultural en l'honneur chez les Tagbana est l'essartage. Une
fois son lopin de terre choisi, le paysan y abat les arbres et les arbustes
puis, par le feu, il élimine les mauvaises herbes et les souches.
Le défrichement qui ne se fait pas de façon aveugle, consiste à épargner
certains arbres tels que le néré, le karité et l'acacia
albida.
Après
les diverses opérations d'abattage et d'incinération des arbres,
le paysan procède au labour du sol à l'aide de la grande daba,
aménage des buttes appelées aussi billons. Les résidus
de la végétation herbacée sont enfouis sous forme d'engrais
vert. A la fin du labour, on obtient ainsi un ensemble de monticules étalées
et d'allées disposées perpendiculairement en vue d'amoindrir
l'érosion du sol et de permettre le stockage de l'eau. Ce qui donne
lieu à un dépôt de limon et à une humidification
de la terre (indispensable à la pousse des plantes) avec l'infiltration.
Après
ces pénibles travaux, commencent les semailles en mai, c'est-à-dire
quand les pluies sont bien installées. Une fois les semis terminés,
il faut entretenir les jeunes plantes en arrachant les mauvaises herbes dans
le champ. Par ailleurs, leur garde contre les prédateurs est assurée
de jour par les enfants. Sans cela, on n'est pas assuré d'avoir une
bonne récolte.
Les
produits agricoles récoltés sont stockés le plus souvent
en plein champ. Les épis de maïs, de riz, de mil, de sorgho sont
respectivement rassemblés sous diverses formes, tantôt sur des
claies bien solides au-dessus du sol, tantôt suspendus aux grosses
branches d'un arbre, tantôt déposés dans des greniers.
Pour ceux du village, cela se fait quand les récoltes seront bien
séchées.
La
pratique de l'essartage est éminemment favorable à l'élevage,
car les champs laissés en jachère constituent une réserve
fourragère pour le bétail.
2.5.3
Les acteurs de l'élevage bovin
Il
s'agit de rapports de production qui mettent en scène trois figures
actorielles situées à des niveaux différents. Au premier
niveau, nous avons le propriétaire du troupeau que nous désignons
par le terme d'éleveurs. N'exerçant le plus souvent aucune
fonction, il peut être non seulement un paysan Tagbana, mais aussi
un Dioula artisan ou commerçant, voire un fonctionnaire ou un citadin
Tagbana. Comme nous le voyons, le propriétaire qui n'est pas en contact
direct avec son cheptel, se contente d'en tirer un revenu.
A
un second niveau, se trouve le responsable du parc, qui a couramment le statut
d'agriculteur-éleveur résidant dans le village. Investi de
la confiance des propriétaires, il exerce non seulement une fonction
de surveillance, mais aussi de représentation auprès de l'administration
(Préfet, Sous-Préfet). Sa fonction rémunérée
de façon variable et selon les coutumes en vigueur est un des leviers
de reproduction du cheptel.
Au
troisième niveau, vient le bouvier. Peul d'origine malienne ou burkinabé,
venu travailler en Côte d'Ivoire dans l'espoir de se constituer un
troupeau, il jouit du statut d'employé salarié (10.000 F à 12.000
F par mois) et bénéficie également du lait des vaches.
Parfois, il joue le rôle de représentant du troupeau de bovidés
auprès des services techniques et sanitaires.
L'éloignement
de ce propriétaire porte atteinte à la qualité de l'encadrement
des dits services qui n'ont pour interlocuteurs habituels que des bouviers
Peul auprès desquels ils vulgarisent les thèmes techniques.
Ce qui renforce davantage la connaissance et le pouvoir de ces derniers en
matière d'élevage.
2.5.4.L'encadrement
administratif et technique de l'élevage bovin
L'environnement
administratif et technique de l'élevage bovin est essentiellement
constitué par les autorités administratives déconcentrées
et les élus locaux (Préfet, Sous-préfet, Maire...) et
les services techniques et sanitaires tels que la CIDT (Compagnie Ivoirienne
pour le Développement du Textile) et la SODEPRA (Société pour
le Développement des Productions Animales).
Les
autorités administratives chargés de superviser les différentes
opérations de développement agro-pastoral, procèdent
en réalité à des interventions limitées. Leurs
principales actions concernent le règlement de litiges qui surgissent à l'occasion
des destructions de cultures causées par les divagations d'animaux.
Concernant
les services techniques et sanitaires, leurs actions s'orientent dans plusieurs
domaines : le suivi et la protection sanitaire du cheptel, le contrôle
sanitaire des troupeaux transhumants, la vulgarisation des thèmes
techniques et sanitaires auprès des éleveurs et la diffusion
de la traction animale auprès des paysans.
La
région Tagbana qui est couverte par la Direction Régionale
SODEPRA CENTRE, constitue une zone d'intervention divisée en quatre
secteurs : Katiola (chef lieu de la zone), Niakaramadougou, Tortiya et Tafiré.
Chaque secteur couvre un certain nombre de centres qui à leur tour
englobent les villages. Ainsi, la SODEPRA est représentée dans
58 villages des 96 villages de la région Tagbana. La carte de son
intervention est plus dense, car elle compte 83 villages. En outre, en fonction
du degré de technicité de l'élevage qui rime avec l'assimilation
des thèmes vulgarisés (maîtrise des animaux, alimentation
du bétail, santé animale, exploitation économique et
reproduction), elle a procédé à une classification des élevages
en quatre niveaux.
Il
y a d'abord les élevages de niveau zéro, c'est-à-dire à faible
technicité et maternité. Les animaux sont simplement recensés
et vaccinés. Ce type d'élevage se pratique dans les parcs communautaires
villageois. Chaque parc ou troupeau appartient à une dizaine de propriétaires,
qui sont la plupart du temps des agriculteurs avant d'être éleveurs.
Avec leur dispersion, il se pose le problème de leur identification
et aussi de celui de l'efficacité des actions d'encadrement des services
techniques.
Chaque
parc communautaire est tenu par un chef de parc. Il remplit un rôle
de coordination et de contrôle de la gestion du parc et de son troupeau,
ainsi que celui de représentant de l'ensemble des propriétaires
pour toutes les relations extérieures, mais il n'a pas de pouvoir
de décision économique (vente, abattage etc.). Le gardiennage
est généralement assuré par un bouvier Peul salarié ou
rémunéré en nature.
Le
cheptel placé dans les parcs communautaires de la région Tagbana
remplit principalement une fonction de thésaurisation, de "caisse
d'épargne" et d'assurance multirisques. Les dépenses d'exploitation
sont réduites au minimum (frais de gardiennage).
Pour
les élevages de niveau 2, la SODEPRA vulgarise les thèmes portant
sur la complémentation minérale, les détiquages et la
castration des boeufs destinés à la culture attelée.
Ce type d'élevage se pratique également dans les parcs communautaires
villageois, mais avec un nombre de propriétaires inférieur à dix
(le plus souvent, on a cinq propriétaires). Là encore, la majorité des
propriétaires exerce en premier lieu des activités agricoles.
La gestion du parc est confiée à un chef de parc et le gardiennage à un
bouvier Peul.
En
ce qui concerne les élevages de niveau 3, en plus des actions de la
SODEPRA mentionnées pour les niveaux zéro et 2, les thèmes
portent sur le respect des normes de complémentation alimentaire et
de santé animale, l'introduction de cultures fourragères et
de géniteurs améliorés, le marquage des animaux. Mais
il n'est cependant pas rare de constater que ces normes ne sont généralement
respectées qu'à 50% et qu'au niveau des propriétaires,
la proportion de fonctionnaires, de cadres, de commerçants ou d'éleveurs
purs est relativement plus importante que dans les élevages des niveaux
déjà cités.
A
propos des élevages de niveau 4, qualifiés de système
de domestication le plus performant, et dénommé hors niveau
du fait de sa plus grande autonomie vis-à-vis de la SODEPRA, les thèmes
spécifiques portent sur la gestion des troupeaux et l'établissement
de comptes d'exploitation. On y procède à l'embauche d'un personnel
qualifié pour la gestion du parc. Les propriétaires sont généralement
des hauts fonctionnaires ou de riches planteurs ou commerçants.
2.5.5.
Etude quantitative du cheptel bovin
Le
recensement du cheptel constitue l'une des tâches les plus délicates
des agents encadreurs de la SODEPRA. Cette action qui doit être régulière
est une tâche longue et difficile, exigeant beaucoup de temps et de
moyens matériels et humains. Sa délicatesse tient à la
très grande mobilité des animaux (notamment transhumants) et
aux dissimulations souvent volontaires d'animaux. Pour pallier toutes ces
difficultés, on met à profit les campagnes de vaccination pour
réaliser un décompte satisfaisant.
Tableau
N° 4 : Evolution du cheptel bovin sédentaire Tagbana
Années
Zone |
1988 |
1989 |
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
Katiola |
19836 bovins |
16585 bovins |
16297 bovins |
16069 bovins |
16269 bovins |
18932 bovins |
Source :
Rapport SODEPRA Centre, 1990-1991-1992-1993-1994
L'élevage
bovin est de type sédentaire. C'est une forme d'activité pratiquée
par les agriculteurs Tagbana et différente du modèle des Peul
fondé sur la transhumance. Une observation des effectifs bovins du
premier type de 1988 à 1993 révèle que le cheptel a
connu une forte baisse de 1988 à 1992 où l'effectif est passé de
19836 têtes de bovins à 16585, soit une diminution de 3250.
Cette baisse s'est poursuivie très faiblement jusqu'en 1991 (16069
bovins) pour connaître une légère hausse en 1992 (16.269)
et une forte hausse en 1993 avec le chiffre de 18932 bovins.
Représentation
graphique de l'évolution du cheptel bovin (1988-1993)
Situation
actuelle de l'élevage en 1994
Tableau
N° 5 : Répartition du cheptel bovin par type d'élevage et
par localité d'enquête
Localités |
Bovins
sédentaires |
Bovins
C.A. |
Bovins
transhumants |
TOTAL |
Tafiré |
528328 % |
1618,1 % |
293020,1
% |
822924 % |
Niakaramand-ougou |
342118,1% |
1213,6 % |
514835,4
% |
858125 % |
Tortiya |
376419,9
% |
4247,7 % |
13119 % |
511715 % |
Fronan |
326117,3
% |
66,8 % |
5000,1 % |
376711 % |
Katiola |
311516,5
% |
1213,6 % |
463731,3
% |
776423 % |
Total |
18844100
% |
88100 % |
14526100
% |
33458100
% |
La
situation pastorale se caractérise par une inégale répartition
géographique du cheptel. Les effectifs les plus élevés
sont enregistrés dans les localités de Niakaramandougou (8581
bovins) de Tafiré (8229 bovins) et Katiola (7764), soit respectivement
25%, 24% et 23% du cheptel régional. Aussi faudrait-il souligner la
proportion non négligeable de bovins transhumants qui représentent
43% dudit cheptel. Les zones de très forte transhumance sont Niakaramandougou
et Katiola avec respectivement 35,4% et 31,9% du cheptel transhumant. La
localité de Fronan (0,1%) constituent un espace de faible transhumance.
Le
cheptel sédentaire qui représente 56% du cheptel régional
connaît aussi une certaine disparité géographique. Ainsi,
Tafiré renferme 28 % du cheptel sédentaire ; elle est suivie
par Tortiya avec 19,9 %. Le pourcentage de bovins sédentaires le plus
faible est enregistré à Katiola avec 16,5 %. Mais la disparité est
moins frappante avec ce type d'élevage, en dehors de Tafiré (28%
de bovins sédentaires).
Les
disparités observées traduisent le fait que les espaces présentent
un intérêt inégal en matière de reproduction animale.
Mais les indicateurs d'effectifs bovins par localité qui sont obtenus,
ne peuvent être pertinents que lorsqu'ils sont mis en rapport avec
la superficie des différentes localités, c'est-à-dire
quand ils sont convertis en mesures de densité.
Tableau
N° 6 : Densité bovine par localité et type d'élevage
Localités |
Surface
géograph. Km2 |
Densité Bovins/km2 |
Densité Sédentaire
Km2 |
Densité BCA
Km2 |
Densité transhumant
Km2 |
Tafiré |
1900 |
4,3 |
2,7 |
0,008 |
1,5 |
Niakaraman-dougou |
4171 |
2,0 |
0,8 |
0,002 |
1,2 |
Tortiya |
637 |
8,0 |
5,9 |
0,065 |
2 |
Fronan |
1969 |
1,9 |
1,6 |
0,003 |
0,2 |
Katiola |
1347 |
5,7 |
2,3 |
0,008 |
3,4 |
Total |
10024 |
3,3 |
1,8 |
0,008 |
1,1 |
La
densité bovine nous offre une vision beaucoup plus réaliste
de la situation pastorale en pays Tagbana, révèle que ce ne
sont pas les zones où les effectifs bovins les plus élevés
sont enregistrés qui connaissent la plus forte dynamique pastorale.
C'est la situation de Niakaramandougou et de Tafiré qui, bien qu'occupant
respectivement la première place (25% de bovins) et la deuxième
place (24% de bovins) en effectifs, se situent respectivement, au plan des
densités bovines, à la cinquième place (2 bovins/km²)
et à la troisième place (4,3 bovins/km²). En revanche, Tortiya
et Katiola occupant respectivement la 4ème position (15% de bovins)
et la 3ème position (25% de bovins) arrivent en 1ère position
(8 bovins/km2) et en 2ème position (5, 7 bovins/km2).
Pour
mieux cerner la dynamique bovine autochtone, la densité des boeufs
de culture attelée (BCA) reste un bon indicateur. Ce ne sont pas les
zones ayant les plus gros effectifs de bovins dans l'élevage de type
sédentaire qui constituent les sites où la dynamique pastorale
est la plus forte. La lecture des indicateurs révèle que Tortiya,
zone à forte dynamique pastorale, a une densité de 5,9 "bovins
sédentaires"/km2 et est suivie de loin par Tafiré avec 2,7,
puis Katiola avec 2,3. La zone qui connaît la plus faible dynamique
pastorale sédentaire demeure Niakaramandougou qui totalise pourtant
le plus quart du cheptel régional.
Les
zones de prédilection de troupeaux transhumants semblent être
respectivement les localités de Katiola (3,4 bovins transhumants/km2),
Tortiya (2 bovins transhumants/km2), Tafiré (1,5 bovins transhumants/km2)
et Niakaramandougou (1,2 bovins transhumants/km2).
La
dynamique pastorale en région Tagbana peut aussi s'apprécier
du point de vue des niveaux d'élevage. Le tableau suivant le prouve
amplement.
Tableau
N° 7 : Situation de l'élevage bovin par niveau d'élevage
Zones |
Localités |
Niveau |
0 |
Niveau |
2 |
Niveau |
3 |
|
|
Effectif |
Densité |
Effectif |
Densité |
Effectif |
Densité |
Nord |
Tafiré |
27,13 |
1,8 |
19,90 |
1,04 |
231 |
0,12 |
|
Niakaramand-ougou |
18,22 |
0,43 |
1686 |
0,4 |
31 |
0,007 |
Centre |
Tortiya |
461 |
0,88 |
11,04 |
1,73 |
68 |
0,10 |
|
Fronan |
910 |
0,66 |
24,53 |
1,79 |
132 |
0,09 |
SUD |
Katiola |
535 |
0,39 |
24,47 |
2,03 |
333 |
0,24 |
|
Total |
6441 |
0,68 |
99,80 |
1,05 |
795 |
0,08 |
La
situation pastorale de la région Tagbana dans son ensemble montre
que pour l'effectif des élevages du niveau 2, on a 9980 bovins, soit
une densité de 1,05 bovins/km2. Ce qui est nettement supérieur à celles
des niveaux zéro (6441 bovins), soit 0,68 bovins/km2, et 3 (795 bovins),
soit 0,008 bovins/km2. Ceci signifie que la promotion de l'élevage
bovin connaît un certain développement traduit par le passage
progressif d'une forme extensive (niveau zéro) de l'élevage à une
forme intensive (niveau 3). Le niveau 2 étant considéré comme
une transition entre celle-ci et celle-là.
Mais
comment ce développement qualitatif de l'élevage se traduit-il
au niveau des différentes zones d'étude ? En observant les
unités bovines par niveau d'élevage entre les différentes
localités, le premier constat que nous pouvons faire, c'est que le
développement mentionné ci-dessus n'est pas uniformément
réparti. La seconde remarque, c'est que l'élevage de niveau
zéro, est plus significatif dans la partie septentrionale de la région
Tagbana (Tafiré : 1,4 bovins/km2) pour connaître moins d'ampleur
au fur et à mesure que nous descendons vers le centre (Tortiya : 0,88
bovins/km2, Niakaramandougou : O,43 bovins/km2) puis vers le sud (Fronan
: 0,66 bovins/km2, Katiola : 0,68 bovins/km2).
La
troisième remarque, faite avec les élevages de niveau 2, porte
sur une inversion de tendance. La décroissance peut se décrire
comme suit: la promotion de l'élevage bovin est plus vigoureuse dans
la partie sud (Katiola : 2,03 bovins/km2 ; Fronan : 1,79 bovins/km2) et moins
prononcée lorsqu'on va vers le centre (Niakaramandougou : O,4 bovin
km2 ; Tortiya : 1,73 bovins par km2) et le nord (Tafiré : 1,04 bovins
par km2). Enfin, la dernière remarque a trait à la forme modernisée
ou intensive (niveau 3) de l'élevage localisé là où il
y a une certaine urbanisation imputable aux activités économiques
et d'échanges qui y sont opérées. C'est le cas de Tafiré (O,12
bovins/Km2), Tortiya (0,10 bovins/km2) et Katiola (0,24 bovins/km2). Néanmoins,
c'est dans la partie méridionale (Katiola et Fronan) que les tendances
notées sont plus visibles.
En
définitive, les contrastes observés constituent des réponses à l'introduction
de l'élevage bovin. Cette "résonance sociologique" plurielle
est tributaire d'un ensemble de déterminants liés non seulement
aux facteurs générateurs de pathologie mais aussi à une
certaine représentation de l'élevage.
2.5.6.
L'état sanitaire de l'élevage bovin
L'élevage
bovin dans la région de Tagbana connaît une situation assez
précaire en dépit des efforts d'encadrement et de suivi sanitaire
des services techniques de la SODEPRA et de la CIDT. Certes, les grandes
flambées épidémiques sont éradiquées,
mais la plupart des maladies virales, microbiennes et parasitaires continuent
de provoquer au sein du bétail des dégâts pathologiques
non négligeables. Toute élaboration de règles d'hygiène
et de prophylaxie requiert la connaissance des pathologies suivantes les
plus fréquentes de la région.
La
peste bovine vient au premier rang. Cette maladie qui présente des
symptômes se traduisant par une forte fièvre, une congestion
muqueuse buccale et une diarrhée, est contagieuse et peut entraîner
la mort de l'animal dans un délai de 4 à 8 jours. La mortalité est
plus élevée chez les veaux de trois mois. Selon les résultats
zootechniques de 1993 de la SODEPRA, le taux de mortalité animale
causée par la peste bovine était de 3,29% en 1990, de 3,54%
en 1991 et de 4,04% en 1993. Cette progression du taux de mortalité est
liée au manque de médicaments occasionné par les difficultés
d'approvisionnement et la raréfaction des ressources financières.
La
péripneumonie bovine qu'on peut placer au second rang, est actuellement
la maladie la plus grave et la plus dangereuse. Ses symptômes consistent
en de fortes fièvres accompagnées de toux, de jetage mucopurulent
et d'amaigrissement. Le moyen traditionnel de prophylaxie, se résumant
en l'abattage des troupeaux contaminés, est pour l'instant inapplicable
en région Tagbana pour des motifs psychologiques et économiques.
Le traitement "curatif" en vigueur n'en demeure pas moins une solution éphémère
pour l'éradication complète de la maladie. Il faudra donner,
d'une manière ou d'une autre, aux services d'encadrement d'autres
moyens thérapeutiques.
Les
charbons bactéridiens et symptomatiques qui subsistent, ne présentent
pas autant d'entraves que la péripneumonie. Il en est de même
des autres maladies microbiennes recensées dans la région Tagbana
et dont l'ampleur reste à déterminer. Aussi, est-il difficile
de connaître les méfaits provoqués par la brucellose
ou la pasteurellose du fait de la non déclaration systématique
des foyers.
Les
maladies parasitaires que nous citons en dernière position, occupent
une place éminente tant par le nombre d'espèces concernées
que par la diversité des autres pathologies qu'elles réveillent
ou encore les pertes importantes, notamment chez les jeunes animaux, qu'elles
occasionnent. Les maladies parasitaires doivent être considérées
comme une entrave permanente au développement de l'élevage
bovin dans l'espace Tagbana.
2.5.7.
L'abreuvement et la nutrition animale
Le
pâturage constitue la base essentielle de l'alimentation animale pendant
la saison des pluies comme pendant la saison dite sèche. Il en est
de même pour les cours d'eau en ce qui concerne l'abreuvement. Tributaire
des intempéries climatiques, la production fourragère est saisonnière
et irrégulière. D'où les difficultés pour les éleveurs
d'alimenter convenablement leurs animaux surtout en période de saison
non pluvieuse.
Du
fait qu'en région Tagbana, l'éleveur ou le propriétaire
de bétail est attaché à la tradition qui veut que les
animaux subviennent eux-mêmes à leurs besoins, ces derniers
s'adaptent mal à l'alimentation au moyen des fourrages. En plus, nombreux
sont les éleveurs ou propriétaires qui méconnaissent
la valeur nutritive et ignorent la quantité d'unités fourragères à donner
aux animaux en guise de ration journalière.
Le
problème de la nutrition et de l'abreuvement n'a pas partout la même
acuité. La pénurie de fourrage et d'eau semble plus accentuée
au nord que dans le sud car on y est confronté à une saison "sèche" de
six mois qui accentue rend le phénomène de la sécheresse.
Ce qui ne favorise pas une régénération rapide des fourrages
et renvoie aux facteurs écologiques perçus comme des indicateurs
des possibilités pastorales de telle ou telle zone de la région
Tagbana.
2.5.8.
Economie politique de l'élevage bovin
Le
paysan Tagbana est généralement propriétaire de quelques
têtes, sinon de troupeaux de taurins appartenant aux races locales.
En effet, le Tagbana investit une partie de ses économies dans l'achat
de bovins confiés à divers propriétaires de parcs habitant
dans deux ou trois villages pour éviter les risques de morbidité,
tromper la vigilance des envieux et des notables du Poro.
Le
gardiennage du troupeau a d'abord été assuré par les
enfants Tagbana puis, devant leur résistance, par des bouviers Peul.
Ceux-ci ont la charge surtout en saison des cultures, de conduire les animaux
chaque jour sur les jachères et les friches, loin des champs. Leur
rayon de parcours se limite au cadre du territoire villageois. En saison "sèche",
après les récoltes, on pratique la vaine pâture dans
les champs et les rizières. Le bouvier Peul réside toujours
au village où il est connu de tous les paysans et est tenu responsable
des dégâts causés par les boeufs dont il a la charge.
Le
Tagbana propriétaire de bovins ne s'occupe donc pas directement de
cette richesse animale. Pire, il ignore même parfois l'évolution
d'un troupeau qui remplit une fonction de valeur-refuge, de faire-valoir
car le nombre de bovins obtenus est une affaire de prestige, de position
sociale, d'instrument d'autorité. Les Tagbana, dans leur majorité,
rechignent à convertir leurs richesses animales en biens boursicotables.
Bien que conférant un statut social important, comme on vient de le
voir, l'élevage est une activité économique secondaire,
une richesse dans laquelle on ne puise qu'en des circonstances particulières.
En
plus de l'aspect social, le troupeau joue un rôle très important
dans la fertilisation de la terre. En effet, la divagation du troupeau en
saison "sèche" et l'entassement du fumier dans l'étable sont
des procédés pour fertiliser le sol peu productif. Ceci se
passe à un moment où il y a un manque d'entretien des parcs à bétail.
A l'intérieur de ces enclos délimités avec de courts
piquetés de bois enfoncés en terre, les bovins ne sont pas
attachés, le fumier n'est pas récolté. Ce faisant, le
parc ne tarde pas à être encombré de bouse. Les bovins
ne peuvent pas se coucher quand il pleut ; ils sont donc contraints de se
tenir debout toute la nuit.
Par
ailleurs, les troupeaux des Tagbana causent rarement des destructions de
cultures ; mais quand cela se produit, le litige est réglé à l'amiable
dans le cadre coutumier. En outre, ces paysans possèdent très
souvent des ovins, des caprins et de la volaille. Si le Tagbana n'accepte
de se séparer de son boeuf que dans des circonstances exceptionnelles
comme les funérailles, il n'hésite pas, par contre, à vendre
une chèvre ou un mouton pour se procurer des objets agricoles de première
nécessité. C'est la volaille qui fait l'objet de fréquentes
transactions. Toutes ces ressources sont utilisées à l'occasion
des nombreuses cérémonies rituelles sacrificielles.
DEUXIEME
PARTIE
CONTRAINTES
ET ATOUTS DE L'ELEVAGE BOVIN DANS L'ESPACE TAGBANA
L'analyse
des opportunités et possibilités du développement de
l'élevage bovin permet de constater que les politiques de développement
pastoral mises en oeuvre depuis plus d'une décennie n'ont pas, dans
leur ensemble, été à la mesure des investissements et
des résultats escomptés. Ce constat d'échec fait par
des instances institutionnelles et politiques (bailleurs de fonds, ONG, Etat,
SODEPRA, CIDT, GTZ) et de leurs destinataires (population rurale tagbana)
pose le problème de la mise en oeuvre d'une stratégie appropriée.
Elle passe par l'identification, dans l'analyse macro-sociologique à faire,
des atouts et contraintes du développement de l'élevage bovin
observables dans l'espace des Tagbana. Ceci est d'autant plus nécessaire
que le constat d'échec fait ne doit pas être l'arbre qui cache
la forêt des ilôts de prospérité porteurs de "résonance
sociologique", c'est-à-dire qui montrent qu'il y a aussi acceptation
et exécution idoine par "le bas" du projet en question.
En
somme, repérer les facteurs favorables, les contraintes écologiques,
les obstacles socio-économiques, les pesanteurs socio-culturelles,
etc., c'est l'exercice que l'on se propose d'effectuer dans la seconde partie
du rapport.
CHAPITRE
VI : FACTEURS LIMITANTS DU DEVELOPPEMENT PASTORAL
La
promotion de l'élevage bovin demeure, comme toute action de développement,
un foyer d'enjeux ayant des implications diverses. Celles-ci sont d'ordre
matériel et immatériel (économique, juridique religieux
et symbolique).
1.Contraintes naturelles au développement de l'élevage
L'activité pastorale
a pour lieu de déroulement l'environnement écologique. En tant
que base nourricière, ce décor ambiant constitue le premier
maillon de la trilogie relationnelle homme-bétail-nature. Toute crise
l'affectant a des implications néfastes sur l'homme et, notamment,
le bétail. C'est pourquoi le contexte géographique de toute
activité d'élevage est souvent assimilé à la
manifestation de ce que nous appelons la contrainte et l'atout majeurs. Dans
le premier cas, les deux problèmes essentiels qui se posent ont trait à l'alimentation
et à l'abreuvement.
1.1. Les
aléas du milieu écologique
Dans
la région Tagbana, les pâturages demeurent encore la source
alimentaire essentielle du bétail. Ce qui veut dire que les possibilités
de développement de l'élevage sont largement tributaires des
conditions écologiques, plus particulièrement des disponibilités
des ressources fourragères et des points d'eau. Elles sont importantes
car, comme nous n'avons pas manqué de le souligner ci-dessus, la région
dispose de potentialités naturelles. Parmi elles, il y a les végétaux
correspondant aux andropogonnées vivaces de savane (andropogon, hyparrhenia, sehigachyrium,
etc.). Elles constituent 90 à 95 % de réserve fourragère
constituée des pâturages et de vieilles jachères.
Ce
panorama ne doit pas faire oublier les interférences négatives
produites par les intempéries climatiques. Celles-ci ont le "don" de
précariser les ressources fourragères et hydriques, indispensables à l'alimentation
et à l'abreuvement du bétail. Ces développements sont
constatés dans le nord où prévaut le régime des
deux saisons (pluvieuse et "sèche") alternatives d'une durée
de 6 mois chacune. La "saison sèche" qui débute au mois de
novembre pour prendre fin au mois d'avril, constitue pour le bétail
une longue période ensoleillée, avec une humidité inférieure à 50° et
une pluviométrie en dessous de 1000 mm. Pendant cette séquence,
l'herbe se transforme en paille et a une valeur nutritive amoindrie à cause
de son appauvrissement en matières azotées, en vitamines, en
calcium. Dans les pâturages, ainsi constitués essentiellement
de pailles délaissées, les animaux qui accusent des pertes
de poids et des contre-performances en production laitière, se contentent
des rares repousses éparses et de ressources arborées et arbustives.
Ils sont soumis à un cycle de transhumance qui se renforce en période
pluvieuse, unité temporelle caractérisée par l'inaccessibilité de
beaucoup de pâturages du fait de l'humidité ambiante et de la
densité des tiques et des autres insectes parasitaires qui y prolifèrent.
Cette
mobilité spatiale contraste avec la sédentarité des
populations paysannes et pose le problème de la compatibilité entre
pratiques agricoles et pratiques pastorales. Nombreux sont ceux qui pensent
trouver une solution idoine en confiant la conduite de leur bétail à un
bouvier Peul. Celui-ci est désigné du doigt comme l'acteur
le plus apte à s'acquitter de deux tâches-clé : l'abreuvement
et la conduite des troupeaux. Dans le passé, le recours fréquent à une
main d'oeuvre servile était la solution adoptée. Le recours
aux services du Peul se poursuit avec l'avènement des pluies dont
la saison, qui débute au mois de mai pour prendre fin en octobre,
est celle de la reconstitution de la végétation et des ressources
hydriques.
Notons
que l'abondance des richesses végétales et des poins d'eau
(ayant pour sites les bas-fonds et les vallées) qui signifie une meilleure
alimentation animale s'accompagne de la prolifération de divers parasites
comme les mouches tsé-tsé, vecteurs de la trypanosomiase. Ce
qui contribue à donner plus d'allant au cycle des déplacements
de troupeaux vers des lieux plus sains, à savoir les plateaux. Ainsi,
on note paradoxalement que l'été pluvieux n'est pas, comme
on aurait pu le croire, le moment où le cheptel vit de manière
fastueuse. Aux handicaps déjà mentionnés, s'ajoute le
fait que la sortie tardive des animaux de leur parc ne leur permet pas toujours
d'avoir accès au bon pâturage généralement éloigné des
villages. Ce qui est à l'origine d'un déficit alimentaire ou
d'une sous-alimentation. Ce déséquilibre s'accentue à la
fin de la saison des pluies avec les graminées qui se lignifient et
ne sont plus consommées par le bétail.
Le
développement de l'élevage bovin dans la région Tagbana
se trouve ainsi compromis par trois problèmes dont l'acuité varie
selon l'espace et le temps : l'insuffisance de l'herbe, le manque d'eau et
la prolifération parasitaires.
1.2. Les
contraintes humaines
Les
contraintes rencontrées pour développer l'élevage bovin
en pays Sénoufo relèvent également d'une série
d'aléas démographiques. Les incidences sur le milieu physique
des difficultés climatiques sont donc à corréler aux
pratiques socio-démographiques pour bien mesurer la dégradation
des pâturages et des sols.
Parmi
ces pratiques, figure au premier plan la croissance des populations tant
urbaines que rurales, qui a pour corollaires l'extension des villes, de l'habitat
rural, le développement des cultures extensives. Les effets induits
qui sont enregistrés sont l'amenuisement des terres cultivables, des
pâturages et la réduction de la durée des jachères.
Ce qui conduit à l'épuisement organique et minéral du
sol dont la faible capacité de rétention favorise l'érosion.
On peut noter un autre élément, à savoir le surpâturage
imputable aux éleveurs autochtones et allochtones (Maliens, Burkinabés)
confrontés à la pénurie d'eau et de ressources fourragères.
Cette dernière catégorie de pasteurs, mieux avertie des conditions
sanitaires et agrostologiques, sait dessiner avec beaucoup de doigté les
itinéraires de leur migration dans les sites écologiques plus
propices à la survie de leur bétail. En faisant entrer, pour
réussir ce marquage spatial, des considérations d'ordre social
et démographique (densités humaine et bovine, zone de tolérance,
etc.), elle est ainsi responsable de la forte concentration des animaux dans
les quelques îlots de la région aux conditions agrostologiques
relativement bonnes. C'est la situation que connaissent les espaces drainés
par le Bandama (fleuve Bou et le Kopoho), plus particulièrement le
Sud de la région avec Tortiya et Katiola.
Les
surpâturages dans ces zones ont pour conséquence de favoriser
la concurrence de ligneux au détriment de la strate herbacée.
Il résulte, de cette rupture de l'équilibre entre graminés
et ligneux, un embroussaillement rapide inexploitable par les animaux, voire
la disparition des espèces végétales les plus nutritives
et appétentes (andropagnon, hyparrhenia, schizachizachyrium)
et la pullulation d'adventices ou de plantes moins appréciées
(les loudetia, les graminées marécageuses, les annuelles,
etc.). La concentration du bétail sur des espaces réduits peut être également
source de prolifération de tiques, de diptères piqueurs. C'est
le cas notamment quant le dysfonctionnement de l'écosystème
produit la constitution d'une formation arbustive ou boisée de type
savanicole.
A
ces données, s'ajoutent les phénomènes cruciaux des
feux de brousse et de surcoupe de bois de chauffe. Le premier fléau
limite l'apport organique du couvert végétal sous forme de
matière morte. Ce qui n'est pas compensé par les déchets
animaux. D'où une diminution continue des vivaces cespitueuses au
profit de celles annuelles dont la valeur nutritive en saison "sèche" est
nulle.
Les
notables et les agriculteurs rencontrés dans la région n'ont
pas manqué de souligner que la pratique séculaire des feux
de brousse, de fin de saison "sèche", est une modalité de réalisation
de l'essartage, le volant régulateur de l'agriculture itinérante
sur brûlis. Cette pratique culturale sur brûlis qui réduit
de jour en jour les terres disponibles et ne favorise pas l'entretien des
pâtures, dispense en outre le paysan d'aménager une sole fourragère.
Bien que conscients des conséquences néfastes des feux de brousse
sur la conservation des sols et l'équilibre écologique, les éleveurs
affirment brûler la brousse en vue de rendre le futur pâturage
accessible et utilisable grâce aux repousses consommables et à l'élimination
des brousailles qui rendent d'ordinaire les parcours d'animaux impraticables.
Ils affirment encore que grâce à ces pratiques incinératives
portant sur des végétaux, il est possible de stopper la prolifération
des rongeurs destructeurs de récoltes notamment les agoutis (aulacodus
swinderianus) des serpents, des fauves, ainsi que des parasites et des
glossines vecteurs de trypanosomiase.
Si
l'état de la végétation à une certaine époque
(les décennies 1960-1970 et 1970-1980) permettait une pratique intense
des feux de brousse du fait d'une faible densité humaine et animale
et de réserves spatiales appréciables, force est de reconnaître
qu'aujourd'hui l'augmentation des effectifs de population et celle du bétail
se combinent avec l'extension des surfaces agricoles pour former un faisceau
de facteurs dissuasifs.
2.
Contraintes en matière de santé animale
Le
problème de la santé animale demeure encore un enjeu important
en matière de développement de l'élevage, en dépit
des efforts et progrès considérables accomplis dans le domaine
de la médecine vétérinaire. Progrès qui se traduisent
en pays Tagbana par l'installation de structures d'assistance (Laboratoire
de pathologie animale, service vétérinaire SODEPRA, GTZ) aux éleveurs
dont le bétail est victime, dans les espaces embrousaillés
et les galeries forestières, de maladies virales, microbiennes et
parasitaires. Il nous faut souligner avec rigueur le cas de la trypanosomiase
animale générée par les gîtes de glossines et
qui continue de faire payer, en particulier, de lourds tributs aux zébus
transhumants non trypanotolérants.
Les
opérations de lutte anti tsé-tsé entreprises par la
GTZ dans la région depuis bientôt une décennie ont considérablement
réduit le taux de glossines, mais le manque de ressources financières
pour pérenniser efficacement cette lutte onéreuse et l'absence
de telles opérations dans les régions frontalières à la
Côte d'Ivoire rendent vains les efforts entrepris.
En
début de saison des pluies (mois de mai), il n'est pas rare de constater
dans la région l'apparition de grosses tiques qui se fixent sur les
animaux, provocant de grosses plaies, des infections et des maladies telles
que l'hacmoglobinuria enzootica et le streptothricose. Ces tiques
prolifèrent jusqu'à la fin du mois de juin, début juillet
pour connaître une baisse pendant les mois de juillet et d'août.
La fin du mois d'août marque l'avènement de petites tiques particulièrement
virulentes qui menacent les troupeaux jusqu'à la fin de la saison
de pluies.
Parallèlement
aux feux de brousse précoces des éleveurs,la SODEPRA utilise
des techniques modernes de lutte consistant en des séances de détiquage.
Faut-il oublier, pour mieux comprendre le contexte de cette lutte pour la
promotion de la santé animale, que les éleveurs et agriculteurs-éleveurs
des sous-préfectures de Tortiya, Niakaramandougou estiment que la
présence des tiques n'est pas liée à des facteurs écologiques
mais plutôt à la station prolongée des animaux ? N'ajoutent-ils
pas que la densité de ces parasites est proportionnelle à celle
des bovins pâturant dans la zone infestée ? Les éleveurs
originaires des régions sahéliennes ne disent-ils pas constater
dans l'espace une densité supérieure de tiques à celle
de leur pays d'origine ? Certains d'entre eux, notamment les semi-sédentarisés,
ne soulignent-ils pas que lors de leur installation, la région n'avait
guère de tiques ?
Ces
dernières ont donc proliféré à la suite de leur
sédentarisation. Aussi, ont-ils été contraints, à la
suite de l'inanité de leurs opérations de détiquage,
d'éloigner les animaux des campements pour éviter que d'autres
tiques ne se fixent sur leur peau. Le détiquage qui se fait surtout
dans les espaces embrousaillés et soumis au surpâturage (lieux
de prédilection de la tique), se présente, selon les zones
de pâture, comme une tâche plus ou moins impérative. A
ces agents pathogènes, s'ajoutent la péripneumonie bovine et
la brucellose qui demeurent, aux dires des vétérinaires SODEPRA
de Katiola, les maladies actuelles les plus graves et meurtrières
de la région. Ces troubles pathologiques d'origine bactérienne,
favorisées par les périodes de disette et de malnutrition coexistent
avec la peste bovine réémergeante avec l'importation et le
transit frauduleux de troupeaux en provenance des pays frontaliers (Mali,
Burkina Faso, Niger). La coexistence se note également avec les pathologies
d'origine parasitaire qui entraînent une forte mortalité et
réduisant ainsi la productivité du bétail. Pour les
encadreurs de la SODEPRA (Katiola), "autant la peste bovine et la péripneumonie
constituent un grave danger potentiel menaçant l'existence des troupeaux
dans la région, autant les maladies parasitaires demeurent une entrave
permanente au développement de la production animale".
La
non maîtrise des effectifs bovins, du fait de la transhumance clandestine
et des importations frauduleuses de bétail, déprécie
le suivi sanitaire des animaux et rend inefficaces les opérations
de vaccination contre les épizooties dans la mesure où ceux-ci
sont mis en contact avec des éléments non vaccinés constituant
des sources de contamination potentielle. Malgré la gratuité de
la prévention vaccinale, seules les vaccinations contre la peste bovine
et la péripneumonie touchent une grande partie du cheptel régional
(environ 80 % du bétail, contre 25 % vaccinés contre le charbon
systématique et 0,66% contre la brucellose qui est en recrudescence
selon le service de pathologie animale de Bouaké). Cette dernière
maladie agissant négativement sur la production laitière, l'actualité du
renforcement de la lutte contre les diverses pathologies animales mérite
d'être rappelée. Les actions thérapeutiques des services
vétérinaires doivent non seulement s'orienter vers des soins
curatifs, mais vers une prophylaxie à l'échelon tant collectif
qu'individuel. Cela passe nécessairement par une maîtrise plus
grande des effectifs d'animaux, un encadrement et une instruction des paysans
sur les mesures d'hygiène et/ou thérapeutiques nécessaires
et des moyens de communication permettant un contact rapide entre paysans
et vétérinaires. Cela appelle aussi depuis la dévaluation
du franc CFA en 1994 le désengagement progressif de l'Etat, dont la
subvention aux prix des produits vétérinaires s'amenuise tandis
que la recherche de solutions thérapeutiques plus adaptées à la
récession économique devient une nécessité urgente.
3.
Contraintes socio-économiques
Le
projet de développement de l'élevage bovin dans l'espace rural
Sénoufo exige un coût financier et matériel minimal pour
sa mise en oeuvre et sa pérennisation. En d'autres termes, cela implique
un investissement en amont (terres, bétail, fourrages, point d'eau,
produits vétérinaire)et en aval (piste à bétail,
circuit de distribution, collecte et vente des produits dérivés
tels que le lait et les peaux). Il nécessite aussi l'amélioration
de la production (gestion saine de l'espace, amélioration génétique,
prophylaxie...). On a ainsi un ensemble de directions d'actions à suivre
dans les divers paliers du développement pastoral.
3.1. Contraintes
relatives à la production
Le
projet de développement de l'élevage bovin, traduit comme un
phénomène de mutation et nécessitant pour sa réalisation
la mise en place à grands frais d'un ensemble d'infrastructures matérielles,
technologiques, économiques, est en vérité désapprouvé par
la Banque Mondiale. C'est du moins ce que donne à lire son audit portant
sur les dites infrastructures. En somme, la mise en cause touche à l'option étatique
d'aménagement macro-économique et de formation des agents techniques
de terrain et administrateurs. Une telle désapprobation se fera nécessairement
au détriment des populations autochtones, destinataires du projet
dont les capacités économiques sont à évaluer.
3.1.1.
Faiblesse de revenu des populations locales
Parmi
les données fournies par la SODEPRA, la CIDT et par les populations
paysannes pour expliquer l'indifférence manifestée en direction
du projet de diffusion de l'élevage bovin, figure en bonne place le
manque d'argent. Pour les agents de ces deux sociétés, un minimum
d'investissement financier et matériel est nécessaire pour
que le projet devienne réalité. Les sommes à investir
correspondent aux frais de construction de parc (entre 85.000 F CFA et 110.000
F CFA avant la dévaluation du franc CFA), d'acquisition de bétail,
d'alimentation (ressources fourragères, cuve à mélasse),
d'abreuvement (pompe, puits d'eau), d'assistance sanitaire (pansage, détiquage,
prothologie). En plus, il y a les dépenses relatives à l'embauche
d'un bouvier (généralement Peul) dont les avantages numéraires
sont estimés à 12.000 F CFA/mois ne dispensent par l'employeur
de lui procurer un toit et de lui donner du lait en guise d'additif salarial
en nature.
Nombreux
sont les paysans-éleveurs (ceux des niveaux zéro et 2 indiqués
pour leurs élevages) qui ne peuvent faire appel au savoir-faire d'un
vétérinaire (souvent loin du lieu d'intervention) à cause
de la flambée des prix prohibitifs des produits vétérinaires.
Par exemple, en 1989, le coût des produits utilisés par la SODEPRA,
tels que les vermifuges et les trypanocides, est jugé excessif par
les petits exploitants constituant la majorité des éleveurs-agriculteurs.
Ce qui fait que, selon les estimations du Laboratoire de pathologie animale
de Bouaké, le taux de réalisation du programme de cure pour
l'ensemble de la région n'a pas dépassé la barre des
49 %. La CIDT chargée du suivi sanitaire des boeufs de trait tente
de corriger cet ordre des choses en faisant payer, depuis peu, aux éleveurs
un forfait de 15.000 F/tête de bétail/an. Mais, le taux de couverture
sanitaire demeure encore faible ; il ne touche que 47 % du cheptel de trait
régional.
Dans
le registre des coûts prohibitifs, les produits de traitement de la
trypanosome et le matériel de traction animale fournissent d'autres
exemples probants. La couverture sanitaire au moyen du Berenyl et du Trypamidium
est faible car le traitement (préventif et curatif), répété trois
fois dans l'année, coûte 890 F CFA/UAT. Les frais d'acquisition
de matériels à traction animale communiqués par le chef
secteur de la CIDT de Tafiré se présentent comme suit : une
paire de boeufs d'attelage à crédit, remboursable en 4 ans,
coûte aux paysans 160.000F CFA tandis que l'arara acquis à crédit,
remboursable en 3 ans, vaut 167.000 F CFA et 125.000 F CFA, la charrette
dont le prix au comptant est de 145.000 F CFA est remboursé au prix
fort de de 193.000 F CFA. Le semoir avec les chiffres respectifs de 110.000
F CFA et 146.000 F CFA et enfin la herse atteignant comme sommes respectives
50.000 F CFA et 66.900 F CFA présentent une même structure.
Au total, le coût d'acquisition de matériels complets en traction
animale est estimé à environ 597.000 F CFA au comptant et 733.600
F CFA à crédit. En plus, il est demandé aux propriétaires
de BCA (boeuf de culture attelée) une assurance-mortalité de
20.000 F CFA/an/paire de boeufs ou un abonnement de simple assistance sanitaire, équivalant à 6.000F
CFA/an/paire de boeufs.
Toutes
ces sommes étant hors de portée des paysans, de l'aveu même
des agents de l'unité sous-préfectorale, seuls 79 exploitants
sur un effectif de 2402 exploitants que compte la région ont pu s'assurer
; ce qui donne une couverture en matière d'assistance pour 166 boeufs
de trait protégés par l'assurance. L'incapacité à faire
face au coût élevé du matériel de culture attelée
s'explique chez beaucoup de Sénoufo par la détérioration
du prix des principales cultures de rente (le prix du coton/kg est passé,
en 1989, de 125 F à 80 F CFA). Aussi, y-a-t-il démotivation
au sein des producteurs condamnés, quand ils s'engagent dans le cycle
de l'endettement, à rembourser un crédit de la CIDT continuellement
rééchelonné. Quand on sait que pour être rentable,
une chaîne attelée doit cultiver une superficie minimale de
7 ha avec une main d'oeuvre de 5 personnes, il devient difficile pour la
majorité des agriculteurs moyens de pouvoir tirer profit de la culture
attelée.
Un éleveur
autochtone des élevages de niveau 3 estime, par ailleurs, dépenser
annuellement 1.200.000 F CFA pour un volume de cheptel de 12 boeufs conduits
par 2 bouviers Peul. En revanche, il dit être obligé de vendre
ses animaux à bas prix 60.000 F/tête de bovin du fait de la
faiblesse de la demande. D'où les confidences faites par beaucoup
de propriétaires de bétail et relatives à leurs regrets
d'avoir investi leurs ressources dans l'élevage bovin et à leur
intention d'abandonner le secteur qui, en dépit du prestige social
qu'il confère, s'avère peu rentable.
Pire,
il engloutit même les recettes accumulées dans le secteur agricole
en vue de l'acquisition du bétail et de son entretien. En outre, ils
se rendent compte qu'une tension permanente les habite car il leur faut apporter
tous les jours des soins, de l'aliment et de l'eau à ses animaux,
honorer les engagements financiers vis-à-vis du bouvier Peul chargé de
la conduite du bétail, dédommager les victimes des destructions
de cultures.
Face à toutes
ces difficultés génératrices de l'indifférence
de la population autochtone Sénoufo pour la pratique de l'élevage,
une formule de crédit a été conçue par la SODEPRA
en collaboration avec la BNDA (Banque Nationale pour le Développement
Agricole (banque dissoute. Mais elle s'est avérée peu opérationnelle
par la suite et, donc, n'a pas su répondre à l'attente des
paysans.
3.1.2
Une politique de crédit inadaptée
Une
autre entrave au développement de l'élevage bovin autochtone
provient de l'absence d'institutions locales de crédit ou de prêt
financier. Cette difficulté pose la nécessité urgente
de la mise en route d'une politique d'allocation performante compte tenu
du faible pouvoir d'achat de la majorité des populations paysannes.
Pour répondre à cette exigence, la SODEPRA donnait la possibilité,
il y a quelques années, à quiconque désirait faire de
l'élevage, d'obtenir un prêt financier auprès d'une institution
bancaire, la BNDA (Banque Nationale pour le Développement Agricole),
banque d'Etat appelée à jouer un rôle majeur dans la
politique de la promotion du monde paysan. Cependant, les conditions d'octroi
de prêts et les modalités de leur remboursement n'étaient
pas satisfaisantes pour la majorité des paysans. Il y a notamment
comme condition inacceptable l'obligation du versement d'un acompte. Ainsi
la part des crédits alloués aux agriculteurs-éleveurs
n'a représenté que 6 % du crédit dû au secteur
agricole, qui, à son tour, n'a représenté que 10 % du
total des crédits accordés par la BNDA.
La
pratique de l'agriculture d'auto-consommation sur de petites parcelles ne
permet pas aux populations rurales Sénoufo de satisfaire aux modalités
d'un crédit "moderne", consistant à céder la récolte
des cultures de rente telles que le coton, la canne à sucre ou le
soja) à la CIDT qui, après vente, retire une somme correspondant
au montant de son prêt et remet le reste des fonds à son ayant-droit.
Ce qui le plus souvent maintien le paysan dans une dépendance permanente.
En
revanche, les modalités d'acquisition des prêts ont été favorables
aux exploitants, à divers salariés, aux commerçants,
maquignons et transporteurs. Ces derniers s'appropriant le projet, en le
détournant à leur profit, livrent une concurrence déloyale
aux agriculteurs autochtones destinataires officiels du dit projet. Ainsi,
l'essentiel des prêts de la BNDA a été accordé à cette "élite".
Cette discrimination accentue la différenciation sociale, creuse donc
les écarts de revenu entre paysans "riches" et paysans "pauvres" d'une
part, et entre gros et petits propriétaires de bétail d'autre
part.
D'ailleurs,
ce sont ces gros propriétaires de bétail (généralement
les éleveurs de parcs des niveaux 3 et 4), censés être
réceptifs aux actions d'encadrement de la SODEPRA qui, bénéficient
des avantages accordés par celle-ci. Ce qui consiste en fait à enrichir
davantage les riches exploitants au détriment de leurs homologues
en situation de pauvreté. Par exemple, en 1981, bien qu'un bon nombre
d'éleveurs continuaient à bénéficier des actions
d'assistance sanitaire de la SODEPRA, l'essentiel des efforts d'encadrement
a porté sur 1,7% des parcs de niveau 3 contre 20 % des parcs de niveau
2 et 78% des parcs de niveau zéro. Cette politique d'encadrement sélectif
induit des frustrations dans le milieu des petits exploitants qui y voient
une injustice administrative et politique, constitue une entrave à la
politique de vulgarisation entreprise et une des sources de l'absence de
rapports communicatifs dynamiques entre les couches sociales les plus aisées
et celles ne possédant pas d'assise économique forte. Les "élites" étant
peu disposées, par exemple, à faire connaître aux paysans à faible
revenu les nouvelles techniques et méthodes innovatrices et ces derniers
refusant, en retour, de partager avec elles le discours apologétique
sur le projet en question. D'où leur indifférence évoquée
ci-dessus.
Depuis
1986, suite à un manque généralisé de trésorerie
et à l'ampleur des impayés (environ 75 % des crédits
alloués à l'élevage entre 1980 et 1985), la BNDA a décidé,
avant sa faillite, de ne plus accorder de crédits à l'élevage.
Il y a lieu de révéler ici que l'échec de cette opération
de crédit bancaire s'explique par quatre raisons fondamentales :
-l'exclusion
des travailleurs ayant un faible pouvoir d'achat et constituant, ne l'oublions
pas, la majorité démographique du projet ; exclusion mise à profit
par fonctionnaires, commerçants, maquignons ou transporteurs décidés à investir
dans ce sous-secteur primaire ;
-l'inadéquation
des procédures de contrôle bancaires des crédits (délais
de remboursement trop courts, manque de suivi de la gestion des prêts)
;
-les
très grandes difficultés d'application de sanctions juridiques
en cas de non remboursement (notamment avec les gros exploitants jouissant
souvent de la protection des autorités politiques) ;
-le
détournement des prêts consentis (le crédit est utilisé pour
des frais de santé, de scolarité, de funérailles, etc.).
Chez
les Tagbana où la place importante des cultures de "subsistance" favorise
très peu le développement de l'épargne, le crédit
devient un facteur essentiel au développement de l'élevage.
Il est donc nécessaire de rechercher des formes de crédits
comportant des conditions plus souples (délai de remboursement en
fonction de la stabilité de la spéculation, accord de prêts
suivant un échéancier court, après "l'effectuation" d'une
demande accompagnée de modalités de remboursement très
simple), termes de garantie beaucoup plus réalistes). Dans l'optique
de l'ancrage du petit prêt, il importe, en prenant appui sur les systèmes
d'échange ou d'entraide traditionnels existants, de chercher à mobiliser
l'épargne rurale. On pourra mettre ainsi en place le crédit
mutuel local.
3.1.3
L'espace foncier : enjeu socio-économique et juridique
L'espace
construit par les Sénoufo, Malinké et Peul est comparable à une
arène où s'affrontent divers acteurs sociaux (paysans autochtones,
populations allogènes, notables, femmes, jeunes, agents de développement
de terrain, services techniques) mus par des intérêts, des aspirations
et des logiques parfois divergents. Dans les zones rurales où les
terres cultivables se font de plus en plus rares et continuent d'être
régies par des structures juridiques foncières traditionnelles
et inadaptées le plus souvent à la logique capitaliste de productivité et
d'appropriation privée de l'espace, il est évident que le projet
d'élevage bovin et la vulgarisation de la culture attelée ont
très peu de chances de se développer durablement.
Le
problème de sa durabilité est à situer aussi du côté des
possibilités d'extension des surfaces agricoles utiles (condition
essentielle pour amortir le coût du matériel d'attelage) mais
réside davantage et avant tout dans la nécessité d'avoir
des espaces (pâturage, terrains de culture fourragère, points
d'eau en permanence) permettant l'alimentation et l'abreuvement des troupeaux
sans difficultés et de réduire, jusqu'à ce que le degré zéro
soit atteint, les incidences socio-économiques récurrentes
(destruction de cultures, vols de récoltes, etc.). Comme nous le voyons,
l'enjeu fondamental, c'est la négociation d'un même espace par
l'homme et le bétail, l'agriculteur et l'éleveur. Cette concurrence
homme-animal est plus rude dans les espaces où la densité humaine
et la densité bovine sont les plus élevées.
En
rappelant que l'accès à la terre qui est régi par deux
types de droits inconciliables (le droit traditionnel qui est prééminent
et le droit moderne), est source d'entraves au développement normal
de l'élevage bovin autochtone, il convient de mettre l'accent sur
la lecture du droit foncier Tagbana. Il n'offre pas d'interstices permettant
de prendre les nouvelles façons d'organiser et de valoriser leur espace
portées par le projet affronté. Les autorités traditionnelles,
garantes de la gestion de l'espace, selon les rites ancestraux, continuent
de privilégier l'agriculture dans l'affectation des terres constitutives
du terroir villageois.
L'incohérence
des stratégies de gestion de l'espace Tagbana engendrée par
l'intrusion de l'administration ivoirienne avec ses projets capitalistes
de développement et renforcée par l'invasion des éleveurs
Peul transhumants et leurs troupeaux, a donné lieu à un "coût
sociologique" élevé observable à travers les nombreuses
incidences enregistrées. Celles-ci sont d'ordre socio-économique
(conflits fonciers, destruction de cultures, surpâturage et dégradation
du sol) et d'ordre socio-culturel (conflit agriculteurs-éleveurs,
violation d'interdits sociaux). Elles ont polarisé l'attention et
la préoccupation des populations autochtones (destinataires du projet).
Il
se pose ainsi le problème des solutions à apporter. Trouver
des formules de coexistence acceptables entre agriculteurs et éleveurs,
notamment Peul, est une des directions de réflexion explorées
dans un milieu où il faut souligner la persistance de la forme communautaire
des parcs villageois et de l'emploi du bouvier Peul (division du travail
agriculteur-éleveur). C'est pourquoi, malgré l'expression d'une
réticence à une nouvelle gestion de l'espace au profit de l'élevage
du Peul transhumant, on procède (comme nous l'ont confié certains
notables des localités de Tafiré et Tortiya), dans certaines
conditions et, suite à des négociations bien menées, à une
distribution de terrains de culture et de pâturage aux non autochtones.
Cet accès à la terre est le plus souvent favorisé, rappelons-le,
par l'intégration de l'étranger à la communauté du
fait, par exemple, de son mariage avec un de ses membres ou de son adoption
par une de ses familles à la suite d'un long séjour dans la
localité.
3.1.4Destructions
de cultures et vols de bétail : sources de préjudices économiques
et d'animosités
Les
destructions de cultures causées par la divagation d'animaux, les
vols de bétail et de récoltes demeurent un des problèmes
les plus cruciaux, dont les incidences socio-économiques néfastes
n'encouragent pas le développement de l'élevage autochtone,
et une des situations les plus énergiquement dénoncées
par les populations autochtones, les bouviers Peul et leurs autorités.
Pour le sous-préfet de Katiola, les destructions de cultures et vols
de bétail sont à l'origine des nombreux contentieux portés à sa
connaissance. Il chiffre à des dizaines de millions (4 millions de
F CFA par an) les moins-values occasionnées par ces méfaits.
Mais, selon la même source, les victimes de ces préjudices qui
sont pour la plupart du temps des agriculteurs, restent le plus souvent sans
dédommagement car leurs auteurs disparaissent, une fois leur forfait
accompli, par crainte de représailles ou refusent tout simplement
de répondre à la convocation de l'administration.
Le
sous-Préfet de Tafiré, parlant de la même situation conflictuelle,
rapporte qu'en 1990 sa sous-préfecture a enregistré 32 cas
de destructions de culture déclarés et chiffrés à 1.326.345
F CFA. Ils s'additionnent aux nombreux différends qui ne sont pas
portés à l'arbitrage de l'administration préfectorale,
soit parce que le contentieux a été résolu à l'amiable,
soit parce que la victime ne connaissant pas l'auteur du forfait n'a pas
jugé utile de porter plainte. Pour ce sous-Préfet, rares sont
les victimes qui parviennent à être dédommagées
correctement à cause de la mobilité des éleveurs Peul
incriminés comme étant les auteurs des forfaits en question.
Leur fuite du village, effectué de nuit, est à l'origine de
la faillite du taux de réparation des torts reconnus.
Cependant,
il ne faudrait pas occulter le fait que certains auteurs de ces conduites
inacceptables, constitués et d'agriculteurs-éleveurs autochtones,
dédommagent leurs victimes. C'est le cas de Nimba Coulibaly (éleveur
dit de niveau 3 de Niakaramandougou) qui a présenté des reçus
s'élevant pour la seule année 1992 à 460.000 F CFA.
S'acquittant de toutes ces obligations, cet informateur explique les méfaits
causés par le manque de vigilance des bouviers Peul et la mauvaise
foi de certains éleveurs transhumants, exprime son souhait de voir
les Peul retourner dans leur terroir et avoue ne pas pouvoir, dans le court
terme, se passer des services d'un bouvier appartenant à ce groupe
ethnique. Ces propos contradictoires montrent à quel point le Peul
est assimilé à un mal nécessaire.
Il
y a également dans la même sous-préfecture, le cas de
Sidibé Yaya, (éleveur Peul sédentarisé) qui estime
séjourner en Côte d'Ivoire depuis bientôt 13 ans. Il reconnaît
lui aussi avoir procédé à des indemnisations pour destructions
de cultures. Certaines de ces atteintes aux biens lui ont été abusivement
imputées. Il dit se souvenir de deux amendes où il a eu à payer
37.000 et 78.000 F CFA la même année. Il souligne avoir été lui
même victime des mêmes préjudices économiques et
avoir refusé, pour des considérations d'ordre moral de se faire
dédommager.
Ces
faits préjudiciels ont eu d'importantes répercussions morales
et sur le plan de l'intégrité physique de la personne. L'événement
tragique révélé par Bafitigui Diabaté, agriculteur-éleveur,
témoigne de l'ampleur et de la gravité des actes délictueux.
En 1990, estime-t-il, un meurtre a été perpétré par
les Peul contre un éleveur autochtone dans le village de Katao (Sous-Préfecture
de Niofouin) après lui avoir volé son troupeau. Une année
plus tard (1991), dans la même région, raconte-t-il, les Peul
ont tué le président de GVC Coton de Siampoulogo, avant de
disparaître avec son troupeau.
Il
se dessine à travers ces affaires de meurtres, de coups et blessures
et de vols entre éleveurs et agriculteurs un véritable affrontement
inter-ethnique. Chez ces derniers, l'absence de réparation des torts
causés a fini par susciter frustrations, crainte et animosité à l'égard
du Peul. Les Tagbana et certaines autorités locales n'ont pas manqué de
dévoiler ces états affectifs aggravés par le mépris.
Ainsi pour le sous-préfet de Tafiré et de Katiola, l'invasion
des troupeaux zébus transhumants a considérablement étouffé l'élevage
bovin autochtone, les paysans se plaignent de ce que leurs cultures de maïs,
de riz, de coton aient été broutées, leurs ignames déterrées
et données en pâture au bétail, leurs greniers pillés,
leurs congénères ayant pris en flagrant délit les auteurs
de ces infractions sauvagement bastonnés et tués. En conséquence,
selon cette source, la SODEPRA, structure dans laquelle l'Etat a inutilement
investi des milliards de F CFA a procédé à une injection
de capitaux n'ayant profité, qu'aux éleveurs Peul. En conséquence,
cette source propose la suppression de cette société. Pour
bien souligner la capacité de nuisance prêtée au Peul,
cette autorité affirme éviter de faire de l'élevage
bovin, même domestique, pour ne pas attirer sur lui le courroux de
ses administrés qui le taxeraient d'être de connivence avec
cette "figure du mal".
Ces
situations conflicturelles, inductrices de catastrophes (pertes financières,
pénurie alimentaire, famine, incapacité à rembourser
des dettes contractées et à subvenir aux besoins familiaux)
rappellent l'incompatibilité des deux activités économiques
(agriculture/élevage) et des deux modes de vie (agraire/pastoral)
qui sont contraints pour le moment de coexister. Pour sortir de l'impasse
momentanément créé, il faut convoquer la problématique
de l'acceptation de l'élevage bovin par l'intégration du Peul
transhumant ou la participation des populations autochtones et, certainement,
s'intéresser encore aux modes et modalités de règlements
des contentieux agriculteurs-éleveurs.
3.2.Contraintes
en matière de commercialisation
La
commercialisation, volet économique important qui dynamise la production,
se heurte à un problème de circuit de distribution organisé et
opérationnel.
3.2.1
Circuit de commercialisation inorganisé et
inopérationnel
Le
manque de circuit organisé de distribution et de vente de bétail
et de viande constitue un handicap pour le développement de l'élevage.
La commercialisation de ces biens utilise encore les circuits traditionnels.
Ce qui justifie son caractère inopérationnel. Les éleveurs
vendent le plus souvent leurs animaux, soit à des intermédiaires
chargés de les livrer sur les marchés à bestiaux des
centres urbains les plus proches, soit directement sur le parc à des
paysans utilisateurs de la culture attelée. Dans ces marchés
qui sont souvent hebdomadaires, les producteurs vendent leur bétail à la
suite d'un marchandage de gré à gré. Dans ces conditions,
la demande des revendeurs composés en majorité de bouchers
et le pouvoir d'achat des consommateurs modulent les prix affichés.
La
commercialisation du cheptel bovin autochtone faite au profit des consommateurs
ruraux qui ont une demande régulée par le calendrier des fêtes,
funérailles, sacrifices, dons, représente une source de revenus
secondaire pour la majorité des éleveurs-agriculteurs. En ce
qui concerne la vente du lait, les bouviers Peuls (et leurs femmes) sont
au-devant de la scène. Ils commercialisent 78 % du lait provenant
du bétail dont ils ont la garde et 67 % du lait provenant de l'élevage
transhumant. Ces femmes se rendent à pied, d'une façon générale,
sur les marchés locaux pour vendre le lait frais et caillé,
le beurre ou l'huile de beurre. Les longs délais, qui séparent
le moment de la traite et celui de la vente, portent préjudice non
seulement à la qualité de ces produits, augmentent ainsi la
proportion des invendus et précarisent davantage les conditions d'hygiène
et de chances de leur consommabilité.
La
marginalisation du commerce de bétail et de ses dérivés
est renforcée par la quasi-insuffisance d'abattoirs industriels. L'essentiel
des abattages a lieu dans les unités construites par les municipalités
et conçues généralement sous la forme de hangars assez
sommaires ne possédant pas de chambre froide. D'où la persistance,
au-delà du problème de conservation, de la précarité des
conditions d'hygiène. Seul le CEIB de Ferkessédougou a l'allure
d'un abattoir moderne, comparativement aux abattoirs de Port-Bouët et
de Bouaké qui sont obsolètes. Une des difficultés rencontrées
par les éleveurs locaux l'acheminement de leurs animaux des centres
de production vers ces différents abattoirs. Une autre difficulté est
réductible à la concurrence des viandes et autres dérivés
importés des pays sahéliens ou des membres de l'Union européenne
(U.E.).
Les
filières de transformation se limitent à quelques tanneries
artisanales qui demeurant également une activité marginale.
Il faut noter que la grande consommation de peaux de bovins ne favorise pas
la tannerie artisanale mais plutôt celle industrielle. Aussi, depuis
1990, une unité de ce genre essaie d'explorer ce secteur pour la fabrication
de sacs et de chaussures. Un tel effort est, par contre, toujours attendu
avec la filière moderne de transformation du lait d'élevage.
Les quelques usines, localisées à Abidjan, (IVOIRLAIT, YOPLAIT,
SIALIM et NESTLE) utilisent uniquement la poudre de lait importée.
Cette tendance générale à s'approvisionner à l'extérieur,
aussi bien en bétail, en viande, qu'en produits laitiers contribue à handicaper
l'élevage local.
3.2.2 Impact
négatif des importations de bétail/viande sur la production
locale
Comme
on vient de l'énoncer, la production bovine autochtone ne souffre
donc pas seulement d'une absence de circuit de vente organisé, mais également
de la concurrence des importations de viande d'origine sahélienne
et ouest-européenne. Les flux des animaux en provenance du Sahel sont
liés non seulement à la recherche de pâturages se raréfiant
avec les sécheresses et à la croissance rapide des troupeaux,
mais aussi à l'existence de réseaux parallèles, complexes,
difficilement observables et dont le contrôle échappe aux éleveurs
locaux. Ce circuit à bétail qui livre une concurrence déloyale
aux producteurs autochtones, est dominé par trois catégories
d'acteurs : les commerçants exportateurs, les logeurs intermédiaires
et les "chevillards".
La
première catégorie qui constitue l'élite "de la profession,
a installé, au fil des ans, des réseaux d'influence et de protection
incontournables pour celui qui veut se lancer dans le commerce du bétail.
Le candidat est même obligé d'être dépendant de
ces commerçants-exportateurs qui, de par leur situation privilégiée
et leur solide réputation, se sont assurés une clientèle
attitrée et "sûre" avec les chevillards d'Abidjan. Ce qui n'est
pas le cas des éleveurs autochtones intervenant dans un circuit de
commercialisation qui comporte ainsi d'énormes risques.
La
grande force de ces opérateurs est justement de pouvoir s'appuyer,
sur une chaîne d'hommes de confiance. Une fois le bétail acheté sur
les marchés locaux sahéliens, les transporteurs et les convoyeurs
règlent les formalités administratives. Le bétail est
ainsi réceptionné à l'arrivée, en toute sécurité,
par les logeurs intermédiaires. Ceux-ci agissent en véritables
spéculateurs incontournables pour les importateurs car ils s'occupent
de la vente à crédit du bétail aux chevillards habituels
pour recouvrer, le moment venu, les sommes dues. Les bouchers-chevillards
qui sont les seuls à posséder la licence obligatoire pour abattre
le bétail en gros, étaient, en 1993, au nombre de quarante à l'abattoir
de Port-Bouët. Mais, ils autorisent une vingtaine de bouchers non patentés à travailler
sous leur nom. Chacune de ces catégories (les logeurs intermédiaires,
les chevillards-bouchers) empochait, avant la dévaluation, une commission
de 1000F CFA par tête de bétail.
L'inondation
du marché ivoirien par la viande d'origine sahélienne au coût
de production relativement bas, se combinent avec les importations de protéines
européennes (1247 tonnes à 1628 tonnes de 1992 à 1993
pour la France et 10963 t à 9421 pour les mêmes années
pour l'ensemble des exportateurs), dont les prix sont nettement inférieurs
aux tarifs locaux du fait de la politique de dumping de l'U.E.. Cette combination
porte une grave atteinte à la promotion de l'élevage national.
En effet, le prix de la viande européenne, objet d'une subvention
aux trois quarts par l'Union Européenne (13 FF de restitution sur
15 FF le kilo de capa avant la dévaluation), défiait toute
concurrence : à peine 500 F CFA le prix de gros contre 700F CFA pour
la viande sahélienne et 750/800 F CFA la viande locale. Ainsi, le
produit animal venu d'Europe étant plus compétitif, plus attractif
pour la ménagère (bien qu'elle préfère la viande
fraîche) met en danger la production de la viande locale, l'avenir
professionnel des éleveurs autochtones, le succès des projets
d'élevage financés par l'Etat Ivoirien et le FED, et, par voie
de conséquence, le devenir de la politique d'autosuffisance et de
sécurité alimentaires accrues.
Cette
situation, sévèrement dénoncée par les éleveurs
et agriculteurs-éleveurs qui ne comprennent pas pourquoi en même
temps que l'Etat leur demande de s'endetter pour faire de l'élevage,
il inonde le marché de viande extra-ivoirienne, est à l'origine
des frustrations et du découragement d'éleveurs autochtones
voyant leurs efforts de production ruinés. Consciente de l'impact
négatif des politiques de soutien à l'exportation de viande
bovine sur les marchés africains, dont la Côte d'Ivoire, la
Commission Européenne a décidé, en juin 1993, de réduire
de 15 % les taux de subvention applicables aux exportations en Afrique Occidentale.
4.
Contraintes socio-culturelles et religieuses
Le
projet de développement de l'élevage bovin est domicilié dans
un espace socio-culturel et religieux où tout n'obéit pas seulement
aux "caprices" des intérêts économiques dits marchands.
On s'en est rendu compte avec la place prépondérante de la
religion et du sacré dans la vision du monde et les points de vue
de certains auteurs (exemple de Coulibaly 1978) qui n'hésitent pas à dire
que la vie quotidienne demeure presque paralysée par la crainte de
nombreuses divinités. Cette "crainte pieuse" traduisant chez le Tagbana
un souci de pérennisation d'une tradition agraire régie par
l'observance scrupuleuse d'un ensemble d'interdits et de rites.
Ce
sont donc ces référents socio-culturels et symboliques qui
déterminent le rapport de ce paysan au projet proposé et montrent
toute la pertinence de la prise en compte des facteurs psycho-sociologiques
et religieux pour asseoir la réussite escomptée. Ces pesanteurs
culturelles sont à envisager à divers paliers de la société des
Tagbana.
4.1. Les
pesanteurs socio-culturelles relatives à l'espace
Il
a été montré que l'espace constitue dans l'activité productrice
locale une variable essentielle, le principal substrat économique
et un objet de représentation. C'est fort conscient de tout cela que
le Tagbana n'exploite jamais la terre sans avoir au préalable observé un
certain nombre de rites expiatoires ou propitiatoires. Observance participant
aussi de la recherche permanente de compromis entre l'homme et son milieu
végétatif. Le projet de développement de l'élevage
bovin, qui appelle des restructurations du mode de vie traditionnel, doit
prendre en considération cet imaginaire religieux. Il en est de même
de l'esprit communautaire qui marque le régime juridique de son empreinte
et trouve son expression dans la jouissance collective de la terre et l'organisation
familiale de l'activité agricole et pastorale (parcs communautaires).
Ceci est d'autant plus vrai que cet état d'esprit demeure un obstacle à toute
tendance à l'appropriation et à l'exploitation individuelles
de la terre, ce bien collectif inaliénable appel, dans la logique
du projet en question, à obéir à la loi du marché.
Celle-là même qui préconise son aliénabilité et
informe la politique de vulgarisation de la SODEPRA. C'est sous ce dernier
rapport que se comprend bien le point de vue de celle-ci selon lequel les
parcs individuels sont hiérarchiquement supérieur aux parcs
communautaires.
L'"écart
différentiel" noté entre les deux modes de gestion de l'espace
engendre des incompatibilités de logiques et de pratiques qui sont
sources de tensions et de relations conflictuelles entre des aînés,
plus soucieux de gérer le patrimoine foncier selon les principes coutumiers,
et des cadets aspirant à subvertir l'ordre des choses. Ces jeunes,
avec l'ampleur de la déscolarisation et le développement du
chômage dans les cités urbaines, reviennent de plus en plus
au village dans l'optique d'y pratiquer une activité économique
génératrice de revenus. Retour se faisant dans un contexte
de difficultés car l'accès à la terre étant subordonnée à une
procédure complexe mal maîtrisée, ils doivent le plus
souvent se contenter des terrains de culture infertiles ou éloignés
s'ils parviennent à avoir leur part du finage par défrichage.
En outre, pendant que les anciens exercebt leur monopole sur les terres utiles
et les plus proches par une occupation continue de l'espace, ces jeunes sont
souvent réduits à pratiquer une culture itinérante et à exercer
sur la terre cultivée un droit précaire, à cause des
termes peu favorables de l'arrangement conclu avec les notables.
La
vigueur avec laquelle les jeunes des zones enquêtées dénoncent
les conflits fonciers est symptomatique de leur impossibilité de disposer
de terres cultivables et de s'établir à leur propre compte.
Ces jeunes générations, imprégnées de la culture
moderne et de la logique capitaliste et contestant non seulement la procédure
de l'initiation mais aussi les droits conférés par l'âge
aux anciens et aux aînés, veulent que toutes les conditions
de leur promotion soient mises en place rapidement sans qu'elles aient à prendre
des initiatives susceptibles de leur attirer une quelconque malédiction.
Mais,
il faut le souligner de nouveau, les conflits d'ordre foncier n'opposent
pas seulement aînés et cadets, vieux et jeunes. Ils dessinent
des barrières de haine et de rancoeur entre les autochtones et les éleveurs
Peul, entre eux et l'Etat. Les populations autochtones très attachées à leur
terre, ne sont pas toujours disposées à la gérer pour
n'importe quelle activité économique, ni à la partager
sous la dictée de l'autorité politique. Pour qu'elles affichent
les inclinations attendues, il faut les convaincre. Ce qui ne semble pas être
le cas, en l'absence d'une étude sociologique accompagnant l'offre
de l'Etat. Ainsi, il y a toujours une marginalisation de l'élevage
bovin malgré les investissements énormes dans le domaine zootechnique
et sanitaire et le fait que des Tagbana possèdent quelques têtes
de bétail.
Avec
leur ignorance de la la logique du profit, les notables Tagbana continuent à pratiquer
prioritairement l'agriculture. D'où l'absence d'une grille de représentation
ouverte à l'intégration du Peul attaché à l'élevage.
Cet acteur trouve sa raison d'être dans la constitution et la reproduction élargie
du bétail, comme le veut son dicton ainsi libellé : "Dieu veuille
que la vache survive au peul et non le peul à la vache".
Pour
traduire cette maxime en actes, il se propose de faire paître son troupeau
dans les espaces écologiques dotés de ressources fourragères
les plus appétentes et d'accorder une valeur sacro-sainte à la
liberté: être libre des contraintes et des restrictions de la
vie en société. L'espace non habité et celui appelé prosaïquement
la brousse constituent l'univers propice à la réalisation de
ce désir d'indépendance. Faisant de "la terre comme de l'eau
.... des dons naturels, (appartenant) en tant que tels ... à tout
le monde", il s'oppose à toute statégie d'appropriation personnelle,
ethnique, ou d'Etat.
La
terre et le cheptel demeurent respectivement des références
pour le Tagbana et le Peul, leur gravitation autour d'un nouvel enjeu socio-économique
donne lieu à des confrontations. Celles-ci actualisent la marginalité du
modèle pastoral exogène imputable à cette dernière
figure sociale ou à la puissance publique, la prégnance du
système culturel endogène et la nocivité du jeu d'oppositions
des logiques et des stratégies des différents acteurs sociaux.
4.2. L'impact
psycho-social de la transhumance bovine
La
transhumance qui a pour foyer de déroulement le nord de la Côte
d'Ivoire, habité par le Tagbana, est la résultante d'aléas écologiques
(déficits hydrique et de pâturage, famines, épizoties)
entraînant des pertes énormes de bétail dans les régions
sahéliennes et soudanaises avec comme pics les années 1972
et 1973. Pour échapper au sinistre, nombreux sont les éleveurs
qui ont choisi cette zone où les conditions écologiques sont
relativement favorables et où leur afflux est perçu et vécu
par les populations autochtones comme une "invasion menaçante", une
agression dont les incidences ne sont pas seulement d'ordre socio-économique
(destructions de cultures, vols de récoltes...), écologique
(surpâturage) mais aussi et surtout d'ordre psycho-social.
En
effet, cette invasion a affecté le champ sémiotique du Tagbana,
c'est-à-dire son espace socio-culturel et religieux. Les éleveurs
transhumants Peul, soucieux de la survie de leurs troupeaux, sont prêts à sacrifier
tout ce qui peut contribuer à leur prospérité (pâturage
naturel, les plantes vivrières et récoltes), n'hésitent
pas (par ignorance ou mauvaise foi) à fouler au pied tabous et autres
restrictions relevant du merveilleux religieux. Certaines de ces violations,
non comprises comme telles par leurs auteurs et les agents de développement,
sont vécues par les autochtones comme un sacrilège, un travail
de sape du sacré construit par leurs ancêtres et une hypothèque
de leur avenir.
L'exemple
de violation le plus manifeste est celui de l'acte sexuel accompli de force
ou par consentement mutuel, dans la "brousse". Un tel manquement exige, selon
les autorités traditionnelles, des sacrifices expiatoires sous peine
de voir les forces surnaturelles empêcher les pluies de tomber et compromettre
ainsi les récoltes et la saison culturale. Or, cet interdit social
est violé par les éleveurs Peul qui valorisent d'autres schèmes
culturels. Les Tagbana ne manquent pas de les accuser ainsi d'être
responsables des perturbations climatiques, causes des longues sécheresses
dont elles sont victimes et de la désertification très avancée
des régions sahéliennes. Cette dégradation écologique
est assimilée à un châtiment des dieux de la nature dont
la crainte a fait fuire les pécheurs de leur pays d'origine (Mali,
Burkina faso, Niger...) pour le pays des Tagbana où ils veulent récidiver
les mêmes "maléfices". La jouissance de la terre par ceux-là sans
l'autorisation préalable des gardiens des lieux (les divinités
du terroir et leurs représentants humains), est considérée
par ceux-ci comme une agression vécue de façon traumatisante.
On a là l'explication du caractère pathologique de leurs réactions
imprévisibles et sanglantes quand des conflits éclatent.
4.3Conflits
agriculteurs-éleveurs
Leurs
affrontements traduisent le degré de "mésajustement", de deux
activités économiques (élevage/agriculture) et de deux
traditions (agraire et pastorale) et imposent, pour être intelligibles,
une lecture ethno-psychanalytique. En d'autres termes, les préjudices
subis : cultures et récoltes détruites, vols de bétail,
coups et blessures, meurtres, n'excluent pas le déclenchement des
motivations d'ordre psycho-culturel et religieux dans l'éclatement
des conflits. En effet, l'afflux massif des troupeaux de zébus engendre
chez les autochtones un sentiment de crainte, de peur pour le devenir de
l'espace en tant que composante culturelle sacrée. Ils vivent, en
outre, l'intrusion comme une catastrophe teintée de culpabilité à l'égard
des génies protecteurs.
Comment
rendre compte de cette dernière assertion ? Il faut partir du fait
que le Tagbana ne perçoit pas sa production agricole comme le fruit
de sa seule force de travail mais plutôt comme l'oeuvre d'une synergie
de forces et de volontés émanant des divers génies et
divinités locales dont les bénédictions ont été sollicitées à travers
les rites agraires. Les cultures et les récoltes qui sont donc avant
tout la propriété des divinités du terroir, revêtent
un caractère sacré pour ce paysan qui se doit de les remercier,
en fin de saison culturale, avec des offrandes. Ainsi lorsqu'il n'arrive
pas à remplir ses greniers, il perd non seulement son prestige social
aux yeux de ses pairs, (parce que ne pouvant subvenir aux besoins de sa famille),
mais aussi il a le profond sentiment d'avoir failli au cours de l'organisation
d'une des nombreuses cérémonies rituelles de recherche de l'agrément
divin.
Ce
sentiment crée chez la victime une profonde insécurité psychique,
une crise de personnalité génératrice de réactions
pathologiques traduites par la commission de coups et blessures mortels perpétrés
contre l'agresseur, le Peul capable de sacrifier cultures des champs et réserves
de greniers pour son troupeau malgré les risques et les dangers encourus.
Auteur de destructions de cultures, vols de récoltes et de bétail
et autres actes délictueux, ce dernier n'hésite pas, comme
nous l'avons déjà dit, à disparaître nuitamment,
après avoir accompli son forfait, tout en sachant que l'agriculteur
amène sa victime à déverser sa colère sur son
congénère commis aux fonctions de bouvier ou propriétaire
semi sédentarisé.
Une
telle animosité n'est pas dénuée de fondement car les
Peul eux-mêmes ont révélé que le vol constitue
chez eux un mode courant et prestigieux d'acquisition de bétail, un
acte de bravoure fait de stratagèmes et de ruse qu'il tente de commetre,
ici, au détriment du paysan Tagbana qui, quoique ne s'occupant pas
lui-même de son bétail, considère la possession de bovins
comme un symbole de prestige social est une grande honte le fait de ne pas
en disposer lors des funérailles. Ainsi le vol de bétail crée
chez lui un état de stress, celui de se voir dépouiller en
un seul jour de toute une richesse accumulée pendant plusieurs années.Les
cas de paysans morts de crise cardiaque à la suite de vol de leurs
troupeaux sont psycho-sociologiquement significatifs. Cette psychose, entretenue
et accentuée par d'autres actes sadiques tels que les viols exercés
par certains Peul sur les femmes et les enfants travaillant solitairement
dans leurs champs, compromet les possibilités d'une cohabitation pacifique
entre ces acteurs.
Leurs
conflits ont pris plusieurs formes : meurtres, abattages de nombreux animaux
appartenant aux Peul abattus par les Tagbana, empoisonnement de points d'eau
et pâturages fréquentés par les troupeaux transhumants à l'aide
de l'engrais chimique et de l'anhydride. Ces antagonismes n'ont pu être
aplanis par les autorités gouvernementales, partagées entre
les avantages économiques qu'elles tirent du maintien sur le sol ivoirien
de ce cheptel et les préjudices causés aux autochtones. Ceux-ci
voulant voir ces décideurs expulser les éleveurs étrangers
de l'espace ivoirien seront vite désillusionnées du fait de
la réaction lente des autorités peu promptes à agir
dans le sens souhaité. D'où l'hostilité et l'indignation
manifestées par le Tagbana qui se croit victime de leur complicité avec
l'éleveur Fulbe.
4.4Représentation
de l'élevage comme trait d'identité culturelle et ethnique
Au
regard des incidences relatives à l'afflux des troupeaux de zébus
transhumants perçu par les autochtones comme une agression de leur
environnement socio-économique et culturel, il peut paraître étonnant,
aux yeux de tout observateur, que le Tagbana soit encore celui-là même
qui sollicite les services du Peul (son ennemi juré) pour la garde
et la conduite de son bétail. Cette attitude, jugée paradoxale,
transcende les considérations économiques et matérielles
(gardiennage, suivi nutritionnel, ...) pour englober des facteurs psycho-sociologiques
et culturels. En effet, pour celui-là, l'élevage bovin est
un trait d'identité socio-culturel de celui-ci, l'animal (le boeuf)
auquel il attache une valeur liturgique une spécialité de l'autre.
Pour le premier, pratiquer l'élevage, c'est perdre son identité ethnique,
nier ses origines, ne plus être soi-même, c'est-à-dire
abandonner ses traditions agraires qui impliquent prépondérance
de l'agriculture, sacralité et gestion religieuse de l'espace. Ainsi,
la division du travail agricole et de l'activité pastorale entre autochtones
et Fulbe n'est rien d'autre que la manifestation concrète d'identités
ethniques différentes.
Le
recours aux services du Peul comme bouvier par les autochtones obéit à un
souci de sécurité. On tente de faire face à la psychose
engendrée par les vols du bétail autochtone, en mettant au
point "une stratégie qui consiste à confier la garde de son
trésor au voleur" pour qu'il ne puisse plus vous le voler". Ce que
confirme un éleveur- agriculteur dit de niveau 3 (originaire de Tortiya)
qui affirme que l'absence de ce délit s'origine dans la soldiarité manifestée
en direction de ce bouvier par les autres Peul. En somme, ils ne voudront
pas lui voler son troupeau sous peine de mettre la vie du "frère" en
péril. Le même interlocuteur poursuit son argumentation en invoquant
une formule proverbiale qui stipule qu'"en Afrique, lorsque vous connaissez
celui qui peut gâter vos funérailles, mieux vaut lui confier
l'organisation pour que celles-ci puissent bien se dérouler sans grandes
entraves".
Le
vol d'animaux constitue d'ailleurs une stratégie utilisée par
ces éleveurs pour protéger en leur faveur le marché du
travail de bouvier qui, estiment-ils, est rentable à long terme. On
en fait une pratique prestigieuse d'acquisition et de reconstitution de troupeaux
décimés aux cours d'affrontements entre agriculteurs et éleveurs
ou d'une calamité naturelle. Aussi, n'est-il pas rare de voir des
bouviers devenir les créanciers de leurs employeurs insolvables. Cette
dépendance amène les employés à se libérer
progressivement de la tutelle du propriétaire de bovins en devenant
des détenteurs de cheptel.
Le
recours au Peul comme bouvier par le Sénoufo répond à une
préoccupation d'ordre moral. Malgré les multiples préjudices
et frustrations subis, c'est une fierté pour ce dernier de dire "qu'il
a son Peul" qui est à son service comme l'esclave pour celui de son
maître. Avoir un Peul sous son autorité est pour le Tagbana
une façon de maîtriser et dompter psychologiquement "l'ennemi".
Une telle manoeuvre ou une telle volonté de puissance qui cherche à s'accomplir
vaille que vaille, a le désavantage de rendre peu opérationnelle
et efficace la mission d'encadrement et de formation des populations de la
SODEPRA. Mais, cette conclusion n'est pas applicable au bouvier en question
qui est plutôt, ainsi que nous l'avons déjà démontré le
grand bénéficiaire des connaissances et des techniques modernes
en élevage vulgarisées par cette société.
Ainsi,
les objectifs initiaux du projet visant à faire des autochtones de
véritables éleveurs ou agriculteurs-éleveurs sont biaisés
par le fait même qu'ils ne s'accordent pas avec les savoir-faire et
perceptions dits traditionnels. Ce détournement révèle, à nouveau,
les incohérences structurelles et les incompatibilités des
deux modes de production représentés par l'agriculture et l'élevage.
CHAPITRE
VII
FACTEURS FACILITANT
LE DEVELOPPEMENT PASTORAL
Le
développement de l'élevage bovin autochtone qui n'a pas atteint
dans son ensemble les résultats escomptés à cause de
la combinaison de facteurs endogènes et exogènes, écologiques, économiques
et socioculturels. La relativité de cet échec est visualisée
par l'émergence d'îlots de prospérité pastorale.
Cette situation que nous pouvons qualifier de dynamique pastorale plurielle
s'explique par l'inégalité de la prégnance à travers
le cadre spatial de chacune des données factorielles notées.
Ces îlots qui laissent entrevoir les possibilités de renversement
de la situation, renvoient au problème de la "résonance sociologique" dudit
projet à celui de l'identification des facteurs qui facilitent sa
réussite.
1.
De la configuration géographique
La
domestication de bovins faite sous le sceau de la sédentarité est
un des atouts du projet initié par l'Etat ivoirien. Pour une meilleure
compréhension du modèle pastoral des Tagbana, il est nécessaire
de reprendre les principales conclusions de l'analyse géographique
faite précédemment.
Lorsque
nous observons d'une façon attentive la carte de l'élevage
autochtone, nous apercevons un foyer de diffusion localisé dans la
zone représentée par les sous-préfectures de Katiola
et de Sirasso. Ce qui révèle qu'au fur et à mesure que
l'on s'en éloigne un affaiblissement de la dynamique pastorale.
La
cartographie ainsi esquissée étant valable pour la culture
attelée, bien que les unités statistiques relatives au cheptel
de trait soient démographiquement faibles pour autoriser des analyses
pertinentes, les facteurs explicatifs d'une telle dynamique sont, comme nous
l'avons déjà dit, à inscrire dans plusieurs rubriques
(écologique, socio-économique, socio-culturelle).
2.
De la diversité bioclimatique
Les
disparités observées doivent dans la carte de l'élevage
beaucoup aux facteurs écologiques et climatiques. En effet, si la
précarité du climat subsoudanais avec une durée de six
mois de saison "sèche" a été présentée
comme une des contraintes physiques dommageables pour la production végétale
et animale, c'est pour mieux asseoir la nécessité de "caler" l'analyse
de la situation pastorale à l'échelle micro-climatique, celle
des nuances géographiques. Ces dernières sont matérialisées
par l'existence par deux types de climat, dont celui évoqué ci-dessus
et qui couvre la partie nord, plus précisément les sous-préfectures
de Tafiré, Niakaramandougou et Tortiya.
La
longue saison "sèche" de ce climat caractérisée par
une forte chaleur imputable à la durée de l'insolation et à l'aridité de
l'air, a, pour incidences écologiques, l'étiage des marigots
et des rivières et le manque d'eau en raison de l'évaporation
qui peut dépasser 3 m3/an. Dans un milieu où les précipitations
vont de 400 à 500 mm, ces cours d'eau libres et temporaires utilisables
pour l'abreuvement pendant toute la saison des pluies sont peu utilisables
après la séquence des manifestations pluviométriques
car ils sont transformés en bourbiers. Leur assèchement est
déclenché par les infiltrations rapides (dues à la nature
du sol et de son substrat) et surtout à la consommation faite par
les racines des végétaux. Le dépérissement de
cette flore, qui procède de ce déficit hydrique et se signale
surtout par le durcissement puis la raréfaction des plantes herbacées,
ramène au niveau zéro l'utilisation des pâturages (principale
source d'alimentation du bétail).
La
prédominance des élevages transhumants et semi-transhumants
se justifie par le fait qu'ils sont des types d'élevage adaptés
aux intempéries climatiques. Ces modes de domestication correspondent
par conséquent à des réponses à la précarité écologique
saisonnière. On a une autre réponse, avec la sédentarisation
pratiquée pendant la saison des pluies favorable à la croissance
des fourrages (l'herbe fraîche est abondante et sa valeur nutritive
incontestable).
Les
possibilités d'abreuvement varient aussi avec le cycle des pluies;
les mares sont nombreuses car tout bas fond argileux ou cuvette gréseuse
ou basaltique se transforme en abreuvoir quand il y a activités pluviométriques.
L'assèchement des mares temporaires qui est consécutif à l'absence
prolongée de pluies oblige les éleveurs à creuser des
puits ou à se déplacer vers les régions méridionales
abritant encore quelques rares points d'eau permanents (lacs, fleuves, forages).
Pour
le Tagbana à faible revenu, il n'est pas aisé de pratiquer
l'élevage intensif qui ne rime pas avec la recherche permanente de
ressources fourragères et de points d'eau dictée par les aléas écologiques étudiés.
En revanche, il est parfaitement possible d'envisager l'ancrage de ce mode
de domestication animale dans la zone sud où les conditions écologiques
sont moins précaires. On y note un déficit hydrique moins prononcé avec
certains de ses cours d'eau qui ne tarissent pas entièrement et entretiennent
ainsi des îlots de ressources fourragères. Les distances parcourues
par les troupeaux dans ce site du climat baouléen sont aussi moins
longues.
La
majorité des éleveurs autochtones estiment que le système
d'élevage extensif (parcs communautaires, élevages du niveau
zéro demeure adapté à leur faible pouvoir d'achat, qui
les contraint à une recherche permanente de pâturage et de point
d'eau. La concentration des parcs modernes (niveaux 2, 3 et 4), expression
d'un développement pastoral dans les zones urbaines et plus particulièrement à Katiola,
s'explique en grande partie par la disponibilité de l'eau, un des
facteurs essentiels de la sédentarité pastorale.
Comme
nous l'avons constaté, ce sont les impératifs climatiques qui
déterminent la prédominance de tel ou tel type d'élevage
et distribuent spatialement les formes extensive ou intensive attribuées à ce
modèle économique.
3.
De la culture urbaine
On
vient de remarquer que la variable climatique est un obstacle au développement
de l'élevage bovin. Elle se déploie dans un jeu combinatoire
avec d'autres éléments. Parmi ceux-ci, il y a la donnée
relative à la culture urbaine.
En
effet, le projet de développement de l'élevage bovin fait irruption
dans un espace structuré, organisé, et géré par
Tagbana, Malinké et Peul appelés à s'engager dans une
dynamique de mutations.
Il
convient de rappeler que la logique de la rentabiité et de la productivité qui
fonde le projet de développement de l'élevage traduit les options
des "développeurs" (planificateurs, agro-économistes, bailleurs
de fond). Lesquelles options ne peuvent être appliquées avec
succès que s'il y a adhérence au système socio-culturel
ou si les populations qui le portent sont prêtes à adopter les
nouvelles valeurs véhiculées à traves les innovations économiques
proposées.
Une
telle conditionnalité est révélatrice des seuils critiques à rencontrer
en milieu rural où les schèmes traditionnels ne reconnaissent
comme procès de production que l'agriculture.
C'est
dans la ville que le projet de développement de l'élevage bovin
a trouvé un environnement socio-économique (infrastructures
matérielle, technologique, économique, sanitaire et culture
capitaliste...) favorable. Cela s'explique, entre autres données,
par le choix de cet organisme socio-économique comme site de changement
depuis la colonisation. En effet, le phénomène d'urbanisation,
facteur de déstructuration du mode de vie traditionnel a fortement
contribué à la diffusion et à l'implantation des jalons
de "l'économie moderne" et à la vulgarisation d'une nouvelle
culture assise sur les logiques de rentabilité et de profit, la gestion
individuelle de l'espace. Dans ces lieux d'accomplisement réussi des "agressions
sociologiques" du milieu traditionnel et dont la conséquence majeure
est l'émergence dans le tissu social autochtones de clivages comprendre
pourquoi ce sont les partisans et les détenteurs de la culture scolaire
ou de la logique de l'économie moderne qui acceptent ce projet.
Mais
ne l'oublions pas les communautés rurales étudiées fonctionnent
actuellement sur le registre de l'ambiguïté ou du "pluralisme
antagoniste". Ce qui se lit avec les rapports ethniques obligés, les
rapports de production portés par l'économie de marché,
le droit foncier d'inspiration européenne instructeur de rapports à la
terre, nouvelles formes d'appropriation et de distribution des terres, les
connaissances et techniques novatrices en matière d'élevage...
Ce "pluralisme antagoniste" est porteur de "risques" tout comme de "chances" pour
le développement de l'élevage.
L'homogénéité ethnique
du milieu Tagbana appelle un attachement des populations aux traditions et
induit du reste demeurent encore rigides et inaltérées.
Une
relative stabilité favorisée par l'enclavement géographique, à une
certaine solidarité défensive envers toute innovation censée
saper les traditions. On comprend encore pourquoi ces espaces ruraux enregistrent
les conflits les plus sanglants entre agriculteurs et éleveurs. Mais
il faut soulever l'expression spatialisée par les fortes enclaves
de Malinké ou Dioula à Tortiya et Katiola dans l'intégration
des éleveurs peul transhumants. En effet, ceux-ci de par leurs traditions
de marchandes, ont toujours des intermédiaires dans les échanges
entre populations paysannes tagbana et pasteurs. Exerçant pour la
plupart le métier de boucher, ils ont ceux-ci comme fournisseurs et
celles-là come consommatrices de la viande jouant le rôle de
produit d'échange. Dans de telles circonstances, ce marchand citadin
ne perçoit pas le Peul comme un concurrent, mais un partenaire. C'est
dans des espaces d'échanges tels que Katiola et Tortiya (29,57 bovins
transhumants/km2) que l'on trouve les fortes colonies de Peul. Ce qui veut
dire que l'hétérogénéité ethnique est
un atout au développement de l'élevage.
4.Les
mutations techniques
Les
bouleversements qui se sont opérés dans la société Tagbana,
ont engendré de nouvelles aspirations : mieux nourrir sa famille,
mieux se vêtir, pouvoir se soigner dans les centres sanitaires modernes, être
en mesure de scolariser ses enfants, accéder à un habitat décent,
bref jouir des plaisirs et des agréments qu'offre la société de
consommation. La satisfaction de ces nouveaux besoins exige du paysan Tagbana
des rendements économiques meilleurs ou l'adoption d'un système
de production en phase avec les exigences de la rentabilité. Cette
reconversion implique la renonciation aux techniques culturales autochtones
qui ne donnent pas le temps de pratiquer une activité économique
autre que l'agriculture. C'est justement ce manque de temps nécessaire
pour une activité de production complémentaire comme l'élevage
qui justifie en partie l'emploi du bouvier Peul, en somme le recours à une
sorte de spécialisation (agriculture/élevage).
La
culture attelée initiant une mécanisation adaptée semble
offrir une solution, celle d'une possibilité d'association de ces
deux activités et donc de la reconversion attendue du paysan Tagbana.
Cette technique présente plusieurs autres avantages : intensification
progressive de la production agricole et des spéculations animales,
sécurisation des revenus des paysans par la diversification des spéculations
sur une même exploitation (ce qui milite du coup en faveur de la préservation
de l'environnement), libération physique de la femme de certains labeurs
champêtres et fertilisation du sol (grâce au fumier). Un autre
avantage est même découvert par le chef secteur SODEPRA de Tafiré quand
il dit que les boeufs de culture attelée sont mieux suivis du point
de vue sanitaire que les boeufs du "parc" ou par les paysans se préoccupant
davantage de la santé animale que de sa propre santé car il
ne perçoit plus l'animal comme ayant seulement une valeur liturgique,
mais aussi comme une force de travail, de rentabilité économique.
L'agriculture
et l'élevage s'imbriquant à la faveur de la culture attelée,
le paysan Tagban est tenu de suivre personnellement les boeufs de trait au
plan sanitaire et nutritionnel pour les rendre plus performants et actifs
s'effacent ainsi la référence à une activité caractéristique
du Peul, le coefficient ethnique attaché à cette production.
Au bout du compte, c'est l'acceptabilité de l'élevage bovin
comme modèle de construction de richesses par les populations autochtones
qui est posée comme enjeu.
CONCLUSION
GENERALE
A/
Mise au point méthodologique
L'étude
de l'élevage en région Tagbana nous aura permis d'identifier
non seulement les multiples contraintes et atouts (écologique, sanitaire, économique,
social, culturel) du développement de l'élevage bovin projeté par
l'Etat ivoirien. Elle nous aura également permis de juger, à l'épreuve
des faits, la pertinence des variables postulés comme étant
obstacles ou des stimuli.
La
confirmation de ces hypothèses (qui ont désormais valeur de
théorie) nous ouvre d'emblée des pistes exploratoires (axes
théoriques) vers une recherche de solutions ou de thérapeutiques
appropriées au diagnostic posé. Aussi, les stratégies
d'action ou de solution qui seront proposées ici ne sont-elles que
de simples recommandations dont l'application efficace doit s'accompagner
nécessairement d'une stratégie éducative (animation-sensibilisation)
attentive aux incidences financières et psycho-sociales du projet
chez ses destinataires (les populations autochtones). Accompagnement d'autant
plus justifié que celles-ci n'étaient pas préparées à accueillir
une pareille innovation. La répétition de ce geste est aussi
légitime à un autre niveau, celui de l'Etat. Le projet de promotion
de l'élevage bovin en région Tagbana exige que les recommandations
soient renforcées par des mesures d'assainissement au niveau institutionnel.
B/
Recommandations
Les
différentes recommandations faites à partir du diagnostic des
situations pastorales visent deux objectifs complémentaires :
-éliminer
ou, à défaut, réduire l'impact des contraintes diverses
qui entravent le développement de l'élevage bovin ;
-renforcer
les facteurs susceptibles de favoriser la dynamique pastorale.
Des
stratégies d'action doivent être menées au niveau local
et au plan national. Pour le premier point, il faut d'abord amener les populations
locales à maîtriser les aléas naturels par une exploitation
plus rationnelle de l'espace, à établir donc un équilibre
entre densité humaine et utilisation du pâturage. Ceci suppose
une utilisation contrôlée des feux de brousse (par des actions
de sensibilisation des acteurs, l'usage de pare-feux et la conduite de mesures
répressives), une coordination des différents modes de gestion
de l'espace. Pour ce dernier point les modalités sont nombreuses.
On peut citer, entre autres, la sédentarisation progressive des éleveurs
transhumants en vue d'assurer une meilleure coexistence, voire une intégration
de l'agriculture et de l'élevage), la valorisation et la maîtrise
des points d'eau et barrages hydrauliques, l'établissement des parcours
naturels et des calendriers de transhumance pour un contrôle plus renforcé des
divagations d'animaux, le règlement des litiges avec beaucoup plus
d'impartialité suivi de dédommagement de la partie lésée,
la mise en oeuvre d'un mode de résolution des problèmes fonciers
tenant compte des normes de gestion traditionnelle en vigueur.
Il
faudrait aussi sensibiliser les paysans Tagbana à l'association agriculture-élevage
dont le but est non seulement de préserver l'environnement mais aussi
de servir de base à l'intensification progressive des spéculations
animales tout en assurant une sécurisation des revenus par la diversification
de la production rurale. Sur ce point, les agents des principaux services
d'encadrement ont un rôle capital à jouer. On attend d'eux,
en ce qui concerne par exemple la culture attelée, des démonstrations
répétées et rigoureuses afin de faire ressortir les
avantages qu'elle offre (productivité, aire, ...). Le propos peut être
reconduit avec les résultats des recherches appliquées et dont
les plus intéressants sont l'optimisation des méthodes de production
du fumier, l'intégration des sols fourragers, les rotations de cultures,
la recherche d'espèces arborées pour la mise en place des haies
et des espèces fourragères, l'étude des systèmes
intégrés en milieu paysan, les techniques de traitement sanitaire,
le suivi et la couverture sanitaire.
Ces
différentes recommandations ne pourront être efficaces que si
certaines mesures d'accompagnement au niveau étatique sont prises.
Stratégie
d'actions au plan national.
Les
actions gouvernementales d'accompagnement concernent les domaines institutionnel,
de la production et de la commercialisation. La restructuration à faire
dans le premier domaine peut se résumer en une définition claire
des fonctions des différentes structures d'intervention : les fonctions
nationales relevant directement du Ministère et les fonctions opérationnelles
sur le terrain, des services techniques d'encadrement.
Le
Ministère aura pour tâche la conception d'une politique nationale
adaptée car aussi sur des informations recueillies auprès des
directions régionales et des services locaux d'encadrement. Il aura également
pour mission de régler et de contrôler tous les aspects législatifs
et administratifs relatifs à la production animale.
Les
directions régionales et les structures locales auront pour tâches
le contrôle sanitaire du cheptel et de l'hygiène publique, la
gestion et l'aménagement de l'espace en collaboration avec les populations
paysannes, la production et l'adoption à une vaste échelle
d'animaux génétiquement performants et, éventuellement,
les possibilités d'une structuration de groupement des propriétaires
de bétail.
Toutes
ces structures ne pourront jouer leur rôle pleinement que si elles établissent
des politiques de gestion cohérente de leurs ressources financières
et humaines. Dans un souci d'efficacité et d'économie, leur
régionalisation doit s'organiser autour de trois axes fondamentaux:
répondre aux besoins (techniques et économiques) des paysans,
prendre en compte les contraintes du milieu, afin d'y rechercher les solutions
qui s'y prêtent, éviter le chevauchement des interventions auprès
des paysans. Ce qui implique la mise en place d'un cadre de concertation
et une collaboration permanente au sein et entre ces structures. Par ailleurs,
une cellule de recherche de développement peut être créée à leur
niveau. Celles-ci aurait pour rôle non seulement de concevoir, conduire
et coordonner des programmes de recherche articulés aux besoins des
paysans.
Enfin,
l'Etat doit envisager une stratégie d'utilisation des sous-produits
agro-industriels et agricoles pour l'alimentation du bétail et procéder à la
mise en place de centres de formation pour les jeunes désirant faire
de l'élevage ou les éleveurs pour des compléments d'information,
de centres de recyclage pour les formateurs (cadres et agents d'élevage).
Cette formation, pour être efficace, nécessite la mise en place
d'un encadrement compétent dans la conduite des règles de gestion
du binôme agriculture et élevage et sachant être à l'écoute
de paysans exprimant de plus en plus des demandes en matière d'apprentissage
ou de perfectionnement technique et économique.
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Copyright 1997 - Union for African Population Studies.
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